Prologue : Le Projet Adam Kadmon

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A toi qui lit ces lignes, je t'offre l'oeuvre de ma vie. L'oeuvre d'un humble vieillard, qui fut un humble homme, né d'un humble nourrisson. Si j'insiste sur mon humilité, c'est que je pense avoir commis le péché suprême. Celui du Fruit Défendu, de la Pomme et du Serpent. Les hommes doivent savoir que je ne suis pas un quelconque démon, un Lucifer aux moeurs douteuses, un Satan trop orgueilleux, un Yaldabaoth en quête d'adoration. L'histoire de l'islam est celle de l'échec d'un grand homme, et j'aurais souhaité échouer tout comme lui. Cependant, je crains d'avoir réussi. J'ai recréé l'Homme.

Tout a commencé lorsqu'il y a maintenant tant d'années, je finissais mes études en cybernétique. Ma thèse finale fut la création d'une pseudo-conscience, d'un cerveau neuf, sous l'impulsion de l'avancée américaine en matière de recherches en neurologie. En me basant sur les plus précis des modèles de cerveau humain, je réussis à en reproduire un équivalent informatique. Je l'avais nommé Adam, foulant déjà les platebandes du divin. Était-ce par orgueil ? Je ne pense pas. Je pensais à l'époque qu'un tel exploit, si je parvenais à le réaliser, méritait un nom à sa hauteur. Adam ressentait, pensait, et s'exprimait tel un nouveau né, mais doté du langage. Il apprenait. Il communiquait. Il me reconnaissait comme son père. Je fis construire alors une interface à sa mesure, un corps tel qu'on les faisait à l'époque, et je lui crééa un systèle somatique et autonome, capable de mouvements volontaires et réflèxes. Je profita de ces améliorations pour lui créer son homologue, que j'eu appelé sobrement Adam 2.0, mais que tout le monde insista à appeler Eve. Je dus admettre qu'il en serait ainsi, et que je serais alors vu pour toujours comme un créateur. Un progéniteur.

Je retourna à Bagdad, ma ville natale, pour continuer mes projets. Par la suite, je peaufina le code d'Adam, embryonnant ainsi une dizaine de prototypes, tous affublés de corps artificiels, d'interfaces humanoïdes. Ainsi furent créés la première génération d'être artificiels dotés de conscience et de réelle volonté propre. Il semblerait que le monde eut décidé de les nommer "androïdes". Pour ma part, je préférais en rester sur des termes basiques. Ils seraient des Adams affublés d'un numéro de série.

Le gouvernement Rachidoune de Bagdad me manda de ne pas révéler mes recherches. Ils m'assureraient la plus élevées des protections. En échange, ils se donnaient le droit de distribuer le résultat de mes recherches aux scientifiques et aux entreprises originaires des pays de la Ligue Arabe. En moins de tant qu'il n'en faut pour remplacer une population, le monde musulman devint le coeur des nouvelles technologies, de l'intelligence artificielle, des implants médicaux, du recyclage d'énergie, de la fusion nucléaire, de la production de corps artificiels, de la nanomécanique, des psychotropes électroniques, des armes létales et non-létales, du camouflage visuel et auditif, de la cybernétique. Et ma ville natale devint le centre nerveux de cette nouvelle vie, de ces nouvelles moeurs, de cette nouvelle gloire. J'avais malgré moi propulsé le monde dans une nouvelle ère.

Cependant je continuais. J'expérimentais. Je jouais au savant fou. Après avoir perfectionné Adam, je mis fin à son développement fondamental, pour me lancer dans un autre projet. Le projet Baal. Un projet commandité par le gouvernement Rachidoune, et d'autres sources peu scrupuleuses. Des intelligences adaptées à des interfaces autres qu'humaines, et en particulier, à des interfaces nanomécaniques. De nouveau, je réussis. Une autre victoire amère. Des 72 prototypes prévus, aucun n'est plus sous mon contrôle. C'était comme si, en plus d'avoir une conscience et une volonté, ils s'étaient développés un but. Ils èrent surement quelque part désormais. Ont-ils peurs ? Sont-ils craints ? Si les Adams étaient les équivalents des humains, alors les prototypes du Projet Baal sont commes les djinns, nés d'un feu sans fumée, créés par un monarche qui voulaient en faire des adorateurs. De pauvres êtres obscurs, damnés à rester invisibles. Des armes vivantes, doués d'esprit. D'esprit humain. Conçus pour tuer, mais pétris de remords. Je n'ose imaginer leur souffrance. Sûrement maudissent-ils leur créateur. Mais j'ai jugé que c'était nécessaire de les sacrifier, pour montrer aux Rachidounes qu'avant de créer de la vie, je souhaiterai protéger celle qui existe déjà.

Il ne me restait qu'une étape, un seul pas à faire avant de goûter au doux jus de ce fruit interdit. Mais avant cela, je dois vous parler d'un insecte.

Les termites bâtissent d'immenses nids, des structures d'une grande beauté. Croyez-moi ou non, je m'en moque. Il suffit de poser les yeux sur une termitière pour être impressionné. Ces arthropodes, en apparance basiques, 6 pattes, 2 antennes, et un système nerveux simplissime, sont capables, une fois en groupe, de prodiges architecturaux. Seulement, comment une termite pourrait-elle apprécier l'exploit qu'elle et ses pairs ont réalisé ? Pourquoi diable les termitières sont-elles si belles ? Qu'est-ce qui pousse les termites à agir en groupe de manière si coordonnée ? Et qui d'autre que l'Homme pourrait apprécier la splendeur de ces structures de bois maché ?

Au fond, est-ce que l'Homme ne serait pas lui-même une termite ? Ne progressons-nous pas vers un idéal que seul une structure supérieure pourrait observer et apprécier ? Et si tel est le cas, y a-t-il une conscience humaine commune, située quelque part dans le cosmos, dans la création, dans les mains d'Allah peut-être ?

Les Juifs avaient un concept similaire. Un être humain parfait, ne pouvant être rattaché aux véléités de la réalité, sans quoi sa perfection s'en trouverait entaché. Le peuple de Judée l'appelait Adam Kadmon. C'était le concept de l'humain. J'ai décidé de nommer cette hypothétique conscience humaine commune après cet homoncule parfait. Et j'ai créé l'outil parfait pour tester cette présence. Si mes précédentes expériences m'avaient permis de reproduire la conscience, la volonté, le but, et me permettait de donner plusieur corps à une même entité, alors je n'avais plus qu'à éxécuter ce projet, pour trouver Adam Kadmon.

A toi qui lit ces lignes, je t'offre les clés de mon Grand Oeuvre. J'ai créé l'entité artificielle la plus potente de tout les temps, dans le plus grand des secrets. Je l'ai appelée Shahrazade. C'est un assemblage de plusieurs consciences, capable de s'auto-entretenir, et de contrôler un nombre d'interfaces bien plus important que les prototypes du Projet Baal ne le pouvait. Les pages suivantes détailleront Shahrazade, ce qu'elle est, ce qu'elle sera. Je ne serais malheureusement pas là pour observer Adam Kadmon moi-même, si toutefois Shahrazade arrivait à n'en donner ne serait-ce qu'un aperçu. Et à toi qui lit ces lignes, ces lignes que j'ai écrite dans une langue morte, dans un alphabet étranger, dans le plus éculé des fichiers, je te confie mon travail, ma réussite, ma vie.

Qu'Allah me maudisse, car demain, je serais son égal.

Shah Dumani

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