Je préfère être seule (Ochlophobie)

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óchlos : la foule/ ochlophobie : peur de la foule

Comment peut-on avoir peur des gens ? Nous sommes humains. Nous voulons être aimés et aimés les autres. Et pourtant ?


Je suis assise tranquillement dans le bus à lire mon livre. Le paysage défile et je pose la question : quand est-ce que je descends ? Je lève la tête et mon cœur bat à tout rompre. Ces yeux rivés sur moi. Ces corps qui me frôlent. J’ai du mal à respirer et cette peur viscérale m’envahit.


Je dois sortir, partir de là. J’étouffe. Ces gens, ils me veulent du mal. Tous ces gens sont là pour moi. Ils volent mon air. Je dois sortir, je les vois, il me fixe, guette le moindre de mes faits et gestes. Les portes s’ouvrent, une sortie, de l’air. Je fais quelques pas et la foule encore m’entoure, me serre. Ces gens me frôlent, me poussent et déambulent et courent. Je suis bousculée, envahie. J’ai besoin d’être seule, toute seule. Laissez-moi respirer juste un peu. Une éclaircie s’échappe entre les masses mouvantes autour de moi. Je cours dans cette cachette, ce trou de souris, ce recoin où personne ne va et ne viendra. Je respire enfin, mais la foule, je la vois encore se déplacer devant moi comme un long serpent rampant sur le bitume, se faufilant dans chaque espace libre. La pince qui serre mon cœur et qui m’empêche de réfléchir ne se dessert pas. Ma tête me dit de respirer pendant que mon cœur m’étouffe. Quelque chose vibre dans ma poche. « Maman » est écrite sur mon écran.


—Tu es où ? Je t’attends ! Ton rendez-vous chez l’orthodontiste est dans 5 minutes. Dépêche-toi.


Je marche à grands pas en suivant la ligne de bus.


— J’arrive. Je me suis trompé d’arrêt. Je me dépêche.


— Attends le prochain, il doit arriver dans pas longtemps.


— Le temps qu’il arrive, je serais déjà là.


Je raccroche et je cours comme si le diable était à mes trousses. Je dois m’éloigner de tout ce monde, retrouver ma mère et me serrer contre elle. Après quelques minutes de course effrénée, je suis arrivée, haletante et heureuse de voir ma mère.


— Enfin, nous sommes en retard, dépêche-toi !


J’aurais aimé avoir le courage de lui dire que j’étais terrifiée dans ce bus, mais qu’est-ce que ma mère penserait ? Que je suis une bonne à rien, incapable de prendre le bus. Que je reste une petite fille fragile et faible. Que je ne peux pas marcher dans les rues bondées sans lutter pour respirer. Qu’il met impossible d’aller voir un concert, sans penser chaque seconde que je me retrouverais piétinée sous des centaines de personnes. Que lorsque la foule m’entoure, je ne vois que leurs yeux poser sur moi, en train de me juger.


J’ai peur, une peur irrationnelle, mais elle fait partie de moi. Cette peur que j’ai d’abord ignorée, pensant que le temps la fera disparaître. Puis j’ai essayé de la surpasser, mais elle m’a grignoté pendant de longues années. J’ai dû apprendre à la comprendre, à la dompter. J’ai appris ces limites et j’ai compris que je ne voulais plus m’en défaire. Elle est devenue un trait de mon caractère, préférant être seule avec mon livre, plutôt qu’à cent ou mille.


Je n’ai plus honte de dire non pour aller voir un spectacle, de dire que je ne pourrais jamais vivre dans les métros bondés de Paris. Que je ne peux pas flâner dans la rue du Gros Horloge à Rouen un samedi après-midi, ou encore ne pas faire le 1er jour des soldes.


Est-ce que j’ai envie de changer, de ne plus avoir cette peur ? Non, parce que je continue à vivre, à lire des livres remplis de rues bondées, de concert fanatique. Vivre sans cette peur me paraîtrait bien triste.

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