Scène 3
Thomas entre sur scène, des pizzas dans les mains. Il les pose sur la table.
THOMAS
Tiens, bonjour !
Laurine le salue de la main.
Tout va bien ?
LAURINE
Pas vraiment. Je ne sais pas ce que j’ai.
THOMAS
Pour une étudiante en médecine, c’est un peu ridicule.
LAURINE
J’ai dû attraper la grippe.
THOMAS
T’as bien choisi ton jour !
LAURINE
Et bien, je n’embrasserais pas, c’est pas grave.
THOMAS
Ah non, c’est insensé, la soirée n’aurait plus aucun intérêt.
LAURINE
Quoi ? C’est une orgie, Thomas !
THOMAS
C’est avant tout une libération, une romance que l’on va construire à plusieurs, une façon de briser les barrières de la pudeur entre nous, pas seulement la réalisation d’un fantasme d’adolescents ! Si on ne s’embrasse pas, il n’y aura que le sexe, et alors tout cela n’aura plus aucune signification !
LAURINE
Elle a raison Alice. En fait, t’es chiant.
THOMAS
Elle a dit ça ?
LAURINE
Faut pas lui en vouloir, elle avait l’air trop sincère pour être dans son état normal.
THOMAS
Où est-ce qu’elle est maintenant ?
LAURINE
Partie s’habiller je crois.
THOMAS
Vraiment ? Je pensais qu’elle voulait rester en sous-vêtement !
LAURINE
Oui, moi aussi je suis déçue.
THOMAS
Vous avez commencé à boire ?
LAURINE
Non, j’ai commencé à boire. Tu peux me passer mon verre ?
THOMAS
Tu es malade.
LAURINE
Justement, ça fera passer la nausée.
Thomas passe son verre à Laurine et s’assoit à ses côtés.
J’ai demandé des médicaments, Alice n’a pas voulu m’en donner.
THOMAS
Il y a un cadenas sur l’armoire à pharmacie, je peux aller t’en chercher si tu veux.
Il s’apprête à se lever mais Laurine le retient.
LAURINE
Non, reste là, près de moi.
Elle glisse une main sur sa cuisse.
LAURINE
C’est étrange, cette soirée. Ce soudain désir de sexe, cette invitation obscène, ça doit cacher quelque chose de pervers, non ?
THOMAS gêné
Oh, heu… C’est plutôt de la curiosité et de l’enrichissement intellectuel…
LAURINE
Intellectuel, exactement… Le sexe, c’est très intellectuel… Tu as raison…
THOMAS
Il faut connaître, penser, visualiser…
LAURINE
Ressentir ?
THOMAS
Oui, aussi…
LAURINE
Tu veux me ressentir ?
Thomas se lève vivement et s’éloigne en prenant les pizzas pour les poser autre part.
THOMAS
Il n’est pas encore vingt-et-heure !
LAURINE outrée
C’est ridicule ! Comme s’il y avait une heure pour le sexe !
THOMAS
Ce soir, il y en a une ! Imagine un peu si les autres venaient pendant que…
LAURINE
Pendant que ?
THOMAS
Oh, tu sais très bien ce que je veux dire.
LAURINE
Oui, bien sûr, alors pourquoi est-ce que tu ne le dis pas ?
Thomas reste silencieux.
C’est fou, toi aussi tu as peur !
THOMAS
Laurine, allons !
LAURINE
Derrière une pseudo-curiosité, tu joues à la roulette russe avec ton petit cœur. Tu lances un train en pleine vitesse mais tu as peur de savoir où il va atterrir. Et au fond, c’est assez minable.
THOMAS
Je ne te permets pas !
LAURINE
Thomas, ne te vexe pas, je dis ça sans aucune méchanceté. C’est assez minable d’organiser une orgie lorsqu’on est aussi paniqué du pénis, c’est tout. Il n’y a pas à avoir honte.
THOMAS
Mais je n’ai pas honte, je… Je suis juste… Enfin, tu sais, c’est nouveau pour tout le monde ! C’est toi qui es étrange !
LAURINE
Allons bon…
THOMAS
Tu es tellement sûre de toi !
LAURINE
Non, je suis sûre de vous…
THOMAS
Comment ça ?
LAURINE
Je vous fais confiance, c’est pour ça que je n’ai pas peur, moi. Si je suis là ce soir, c’est parce que j’ai envie de vous montrer que oui, je crois en vous, et que je sais que vous ne me ferez pas mal, que vous ferez attention à moi. Je n’ai pas peur parce que je sais que je ne cours aucun risque.
THOMAS
Non, tu as bu, c’est tout.
LAURINE
Tu te trompes. Si je suis là ce soir, c’est que je vous aime, tout simplement.
Silence.
Et toi ?
THOMAS
Quoi, moi ?
LAURINE
Tu nous aimes ?
THOMAS
J’aime Alice, ça me suffit.
LAURINE
Et nous ?
THOMAS
Et bien vous… Vous… Je vous aime bien, c’est tout.
LAURINE
C’est fou comme un seul mot peut changer le sens d’une phrase ! Alice, tu l’aimes. Nous, tu nous aimes seulement bien. C’est presque insultant.
THOMAS
Laurine, je ne peux pas dire que je t’aime autant qu’Alice, ça n’aurait aucun sens.
LAURINE
Ah ? Pourtant, personnellement, je t’aime autant qu’Alice.
THOMAS
Mais ça n’a rien à voir !
LAURINE
D’ailleurs, tu t’apprêtes à coucher avec elle, avec moi, avec tous les autres. Alors, quelle différence ?
THOMAS
Mais bien sûr qu’il y a une différence !
LAURINE
Oh, peut-être qu’elle, tu vas la baiser, alors que nous, tu vas seulement nous baiser « bien » !
THOMAS
Tu joues sur les mots ! Tu sais bien ce que je veux dire, je parle d’amour.
LAURINE en se levant
L’amour ? Mais qu’est-ce que tu pourrais connaître de l’amour, à part ce qu’on t’en a appris ? Pour toi, l’amour est unique, aveugle, immortel et intemporel. Mais ce n’est pas de l’amour ça, Thomas, c’est de la démence. Elle marque une pause. Ou de la bêtise.
THOMAS
Alors je suis fou. Ou idiot. Mais arrêtes de dire que tu nous aimes, c’est un mensonge, et je n’aime pas ça.
LAURINE
Pourquoi est-ce que tu ne pourrais pas y croire ? Oui, j’aime plusieurs personnes. Je vous aime passionnément, sans ambiguïté, sans espoir, sans injustice. Je vous aime tous totalement, et je suis persuadée que c’est le meilleur amour que je n’ai jamais connu.
THOMAS
Et c’est moi qui suis fou ?
LAURINE
Je n’ai jamais dit que je ne l’étais pas.
Silence. Thomas se dirige vers l’ordinateur.
THOMAS nerveux
J’avais dit à Alice de mettre de la musique.
Il met de la musique et s’occupe des pizzas en les mettant dans la cuisine. Il sort des flutes à champagne. Laurine se rassoit.
LAURINE
Qui est sensé venir ce soir ?
THOMAS
Adrien, bien évidemment.
LAURINE
Il serait gonflé de ne pas venir, c’est lui qui a organisé cette soirée.
THOMAS
Non, c’est lui qui l’a réclamée, c’est moi qui ai tout organisé, c’est différent.
LAURINE
Valentin vient ?
THOMAS
J’espère bien, j’ai pris un mois à le convaincre.
LAURINE
De quoi a t-il peur ?
THOMAS
De lui-même, très certainement.
LAURINE
Je vois que tes études en psychologie te sont utiles, impressionnant !
THOMAS ignorant la remarque d’un haussement d’épaule
Du coup, il a accepté de venir à condition de pouvoir être accompagné.
LAURINE
C’était prévisible, il n’avait pas envie de s’ennuyer.
THOMAS
Ah ?
LAURINE
Il est homosexuel, Thomas. Qu’est-ce qu’il pourrait bien faire au milieu de deux couples hétéros ?
THOMAS
Tenir l’appareil photo ?
LAURINE rieuse
T’es con. Elle fait une pause. Franchement, tu pourrais coucher avec Valentin, toi ?
THOMAS
Oui, je pense. Tu sais, à partir du moment où je peux coucher avec toi…
L’interphone sonne.
LAURINE
Connard !
Thomas va décrocher.
THOMAS
Oui ? Oui, sixième étage, à droite.
Il raccroche.
C’était Adrien, il avait l’air enthousiaste.
LAURINE
Sans blague.
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