Se déployer

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Les journées de Marguerite étaient toujours rythmées par sa mission auprès de la forêt Elle sentait un décalage de plus en plus important entre elle et les siens. Malgré ses tentatives pour accrocher un regard, échanger une confiance ou même oublier ses aventures nocturnes, elle devenait une autre dans l’indifférence de tout son entourage féérique. La saison estivale était une période propice à la rêverie pour le monde de la forêt : à l’ombre des arbres, les animaux s’adonnaient à la détente et à l’amusement. Personne ne pouvait se douter de ce qui pouvait se passer au plus profond d’une petite fée à la fois perdue et heureuse dans la chaleur de l’été.

La chaleur était bien là, dans le cœur et le corps de Marguerite comme pour l’ensemble de la forêt. La sécheresse, toujours plus importante, année après année, faisait souffrir chaque plante, chaque arbre. Alors si la rêverie des uns et le bonheur des autres semblaient régner, la nature attendait la pluie qui panserait ses plaies. Marguerite avait conscience des dangers que la forêt, sa forêt devait combattre, mais une fois de plus elle se sentait si impuissante à la préserver. Alors le soir venu, elle se réfugiait, loin de la réalité, dans les bras de son lutin.

Un soir de pleine Lune Marguerite invita Elros à gravir avec elle cet arbre qui abritait leur secret. Elle voulait le présenter à son amie la Lune. Comme à son habitude celle-ci ne dit rien mais qu'importe finalement pour la première fois depuis si longtemps elle pouvait partager ce moment. Elle avait envie de donner corps à cette relation en lui donnant un peu d'elle, en l'invitant à entrer dans son univers. La nuit était claire, les étoiles illuminaient leurs visages, donnant ainsi la vision de deux êtres sacrés. Elle lui conta la force de la Lune et la puissance des étoiles, la beauté de la voile lactée et l'inaccessible horizon. Le lutin malgré ses difficultés à vivre si haut fut subjugué par la passion avec laquelle cette petite fée pouvait parler des astres de la nuit, de la nature à préserver et des êtres vivants à aimer...

Leur relation était si récente, il n’était pas possible qu’elle puisse ressentir si rapidement un manque. Pourtant loin de l’autre, lorsque ses lèvres n’étaient pas sur les siennes, lorsque ses mains ne la touchaient pas ou lorsque sa voix ne berçait pas ses nuits, il y avait un vide…

Depuis le début de leur rencontre, Marguerite se répétait encore et encore qu’il ne fallait pas, leur vie, sa vie de fée ne pouvait pas être bouleversée par cette rencontre, des barrières devaient pouvoir être édifiées entre sa tête et son cœur. Même si un désir brulait entre eux, cela ne pouvait pas engendrer un avenir commun. Néanmoins, elle dû admettre que les remparts se fissuraient plus vite qu’elle ne le voulait, les regards échanges rendant la relation intense, le sentiment de se connaître depuis toujours semblait les habiter… A la fin de l’été, par une nuit sans Lune, leurs souffles se sont accélérés sous le chêne protecteur, leurs mains franchissaient toujours plus de limites et leur désir l’un pour l’autre devint insoutenable. Marguerite s’abandonna alors à son envie et laissant le corps d’Elros l’envelopper, ils firent l’amour pour la première fois. Le plaisir d’être ensemble a atteint son paroxysme, intense et fort comme les sentiments qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Ils n’étaient plus qu’une seule et même personne, faisant naître des émotions encore inconnues pour ces deux êtres faits d’une même sensibilité. Allongée dans la mousse Marguerite posa son regard dans celui d’Elros. Une intensité si forte s’en dégageait qu’elle y vit soudain ses ailes apparaitre. Elle ferma les yeux, s’endormit en souriant et rêva de nouveau…

Même l’intensité du soleil n’avait pas réussi à faire sortir Marguerite de ses songes, c’est un baiser de son bien aimé qui lui fit sentir la chaleur de début de journée. Elle ne pouvait plus le quitter, plus après cette nuit, plus maintenant qu’elle avait retrouvé ce qu’elle cherchait depuis si longtemps. Pourtant ce matin-là la petite fée quitta son lutin sans savoir si elle viendrait le rejoindre pour une nuit de plus…

En parcourant la forêt ce jour-là, elle chercha des réponses à ses questions, des signes pour faire le bon choix… Jusqu’à ce jour Marguerite n’avait pas eu à prendre de décision seule, elle était une fée depuis toujours, avait une fonction et un rôle à jouer au sein de sa communauté et cela lui semblait naturel. Sans véritable effort, ni questionnement particulier, la vie avait fait des choix qui lui convenaient sans doute. Aujourd’hui, elle savait qu’aimer un lutin ne pourrait pas être compatible avec son existence. Aucune fée ne pourrait comprendre ce qu’elle pouvait ressentir, aucun raisonnement n’apporterait de solution, aucun regard ne lui donnerait autant d’espoir et d’envie que celui d’Elros. Mais aura-t-elle le courage d’accepter tout quitter … Marguerite prenait conscience petit à petit que la vie qui s’était construire autour d’elle allait s’écrouler, elle pourrait encore s’accrocher quelques temps à cette illusion que rien ne changerait. Après tout, qui se préoccupait vraiment de ses nuits, de ses sentiments, de sa vision du monde, plus personne en réalité. Elle pourrait encore faire semblant en oubliant chaque matin ses pensées de la nuit et chaque soir celles de la journée. Faute d’être courageuse en assumant une décision qu’elle ne se savait pas prête à prendre, elle serait ce que chacun voudra. Elle se sentait apaisée d’avoir retrouvé ses ailes et Elros s’inscrivait ainsi de façon indélébile au plus profond de son âme. Malgré tout, une sensation étrange l’envahit, elle ne savait pas véritablement quoi faire de ses ailes tant espéré…

Marguerite dans son tourment avait l'impression de trahir aussi bien les fées qui l'entouraient et qui comptaient pour elle depuis toujours que ce lutin récemment rencontré et pourtant si cher à son cœur. Vivre dans le secret ne pourrait pas durer éternellement elle en avait bien conscience. Elle savait que les sentiments qu’elle avait pour ce lutin ne pouvaient exister dans son univers et cela même s’il existait dans son cœur. Elle était amoureuse probablement depuis leur premier regard, un matin de printemps.

Au milieu de l’automne, alors que le monde des fées était en ébullition pour préparer l’hiver, Elros annonça son départ prochain. Il devait continuer sa quête pour un jour pouvoir retourner dans ses bois. Il avoua pour la première fois à Marguerite ses sentiments. Elle avait pu le sentir à chaque baiser échangé ou chaque regard qu’il posait sur elle, mais jamais aucun mot n’avait été prononcé. Par pudeur ou par peur de retour de l’autre sans doute. Le lutin l’aimait, il l’aimait tant qu’il souhaitait poursuivre sa quête avec elle. Toute fée des forêts qu’elle pouvait être, pour lui elle n’était pas une aventure passagère. Elle avait pris une place dans son cœur, dans sa vie et aujourd’hui il ne pouvait plus envisager d’avenir sans elle. Malgré leur différence, rien ne semblait pouvoir l’empêcher de l’aimer, cela était pour lui naturel. Il parlait d’elle comme d’un précieux trésor, une fleur sacrée qu’on a la chance de découvrir qu’une fois et que l’on veut pouvoir enfouir au plus profond de soi pour la garder à jamais.

Marguerite, une simple fée des forêts, comment pouvait-elle être aimé si fort par un lutin des bois. Elle était bouleversée par les mots qu’il lui prononçait pour la première fois. Comment une rencontre entre deux êtres pouvait-elle engendrer des sentiments aussi forts, si puissants que l’annonce de son départ provoqua la sensation d’être envahie par le néant. L’équilibre qu’elle avait réussi à construire venait de s’écrouler. Quand allait-il partir ? Reviendrait-il ? Devait-elle partir avec lui ?

Il n’y avait aucune réponse précise à ses questions. Son cœur se serra si fort qu’elle eue l’impression qu’il ne pourrait plus battre suffisamment pour continuer. Le temps de la décision était-il arrivé ? Cela faisait à peine 2 saisons depuis leur première rencontre et seulement deux Lunes que ses ailes étaient réapparues… la vie ne pouvait-elle pas lui laisser encore quelques saisons avant qu’elle ne se retrouve confrontée à ses contradictions ? Elle ne pouvait pas tout perdre, or peu importe sa décision elle perdra nécessairement un peu d’elle, il fallait maintenant déterminer ce qui était essentiel de conserver et ce qu’elle souhaitait devenir.

Après avoir passé la nuit à la cime de son arbre laissant le lutin au pied de celui-ci elle parla à la Lune et admira les étoiles comme elle le faisait chaque nuit avant leur rencontre. Son amie la Lune ne resta muette ... Masquée par un nuage, pas même sa couleur ne se reflétait dans les yeux de notre fée, mais elle sentit une étoile pénétrer au plus profond de son cœur et lui donner le courage qui lui manquait encore il y a quelques Lunes. Au matin, elle se laissa une fois de plus tomber de son arbre mais cette fois elle déploya ses ailes pour se poser délicatement dans les bras d'Elros. Il était temps de partir, il n'y avait pas d'autre alternative...

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