Partie 3 ou un rattrapage innatendu

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Les couloirs de Belle-Coeur ne sont heureusement pas rose. Cœur, rose, tu vois ce que j'veux dire ? Par contre, les petits dallages en forme de cœurs, j'peux pas y couper. Des casiers bleus s'alignent parfaitement le long des murs. La peinture est un peu écaillée par endroit. Par contre, malgré leur couleur criarde, ces rangements sont de parfaites cachettes pour un cadavre ou deux. Quelques lustres vieillots éclairent sobrement le carrelage sur le sol. Peut-être que si je pétais toutes les ampoules, j'pourrais semer ce gringalet. Seulement, je n'ai aucune fourchette avec moi. Damné soit le sort ! J'ai vraiment pas d'veine. J'tends l'oreille : des bruits de pas juste derrière moi. Il pourrait partir, aller acheter à manger, réviser un des cours ennuyants qu'il suit avec rigueur, mais non il me suit comme un bon toutou ce crétin. Mon poing me démange. Que j'ai envie de le foutre dans sa gueule d'ange. Malheureusement, me faire virer de ce gymnase (collège) pourri n'arrangera pas mes affaires familiales. Les portes principales se dressent enfin devant moi, grandes ouvertes pour laisser entrer de l'air. Malgré ça, j'sens toujours l'odeur des réflexions intenses et des lèche-bottes me titiller les narines. La nausée me prend. Trop de bons élèves ici. Je me précipite dehors.

– Hum…

J'ignore Alfiero et descends les quelques marches pour profiter un peu plus du soleil sur ma peau. Dire que je mourrais asphyxiée dans cette salle de classe ! Par contre, on peut pas dire que la vue est grandiose ici. L'extérieur de Belle-Coeur est aussi tristounet qu'une morgue. La direction a bien essayé de planter des parterres de fleurs, mais, étrangement, il n'en restait plus rien le lendemain. En même temps, ils n'avaient qu'à pas planter des jonquilles: je déteste cette fleur. Il y avait bien une fontaine quand j'suis arrivée ici, mais ils ont dû couper l'eau parce qu'ils ont retrouvé des feuilles de cours dans les tuyaux. J'sais vraiment pas d'où elles venaient. À par ça, deux trois vieux chênes par-ci, par-là ; rien de très intéressant dans le coin.

Balançant mon sac par terre, je m'allonge dans l'herbe en fermant les yeux. Alfiero est toujours là, hésitant sur les marches. Pas besoin de le voir, pour savoir qu'il hésite à retourner à l'intérieur. Finalement, il se décide à me rejoindre dans l'herbe. Grr, j'avais espéré qu'il parte. Mais bon, on peut pas tout avoir dans la vie. Une douce brise caresse ma peau, m'apaisant un peu. Ah, si Gab et l'école n'existaient pas, ce serait vraiment une journée parfaite. Le silence m'enveloppe ; je crois bien que pourrais m'endormir un petit…

– Hum… Romy ? Pourquoi tu me détestes ?

Bah non ! Fallait forcément qu'il me dérange. J'ouvre paresseusement un œil et le fixe avec un regard noir. Cette fois, il ne se démonte pas : il soutient mon regard en tremblant un peu.

– Pourquoi ça t'intéresse d'abord ?

– E-et bien… je… ça m'intéresse parce que t-tu as une sacrée réputation de rebelle et que tu dois bien avoir une bonne raison p-pour me détester. Et puis, j-je suis sûr que tu es une fille intelligente qui sait qu'elle n'a rien à perdre à répondre à ma question.

Je le regarde un peu plus attentivement. Ça, on me l'avait jamais dit.

– T'essaie de me brosser dans le sens du poil ou j'rêve? Si tu me connaissais mieux que ça, tu saurais que ça ne marche pas avec moi.

Je referme les yeux, essayant de retrouver le calme qui m'avait envahie juste avant.

– Alors, laisse-moi mieux te connaître !

Cette fois, je me redresse, surprise par sa demande. Un léger rougissement se glisse sur ses joues pâles tandis qu'il me regarde tant bien que mal.

– Qu'est-ce… !

La sonnerie retentit ; les cours vont bientôt recommencer. Je me relève précipitamment, prenant mon sac à dos dans ma main, avant de me précipiter vers mon prochain cours. Fuir cette conversation, c'est la seule chose à laquelle je pense en fendant la masse d'élèves qui se déverse dans les couloirs.

•ⱤⱩ•

Ting !

Encore un message ! Mais ils vont jamais s'arrêter ! Je pose, lassée, mon tél sur ma table de nuit. Mes parents sont sortis dîner et ils m'envoient des messages toutes les trente secondes pour s'assurer que tout va bien. Ils font vraiment la paire tous les deux : deux anxieux de la vie qui ont pour fille une insensible au stress. Depuis le temps, j'réponds plus à leurs messages. Ils s'inquiètent tellement pour moi. Après tout, j'suis que leur petite Romy. Mom, c'est la mama poule par excellence. Toujours derrière moi pour ramasser les miettes, toujours en train de me conseiller sur ce que je devrais porter et toujours — surtout quand je le voudrais pas — à me questionner sur ma vie amoureuse. Merde quoi ! J'suis pas amoureuse point final, pas besoin de se faire des films. Elle sait très bien pourtant que, quand quelque chose ne va pas, j'lui dis bien en face. Par exemple, la semaine dernière, j'lui ai avoué que sa robe rouge préférée lui allait vraiment pas. J'ai absolument aucune gêne pour dire la vérité. Je m'écroule sur mon lit. Ne parlons même pas de Pap. Pas que c'est la Guerre Froide entre nous deux, c'est juste que j'le vois rarement. Il est politicien, du coup ses journées se finissent plutôt tard. Baah, on se salut parfois le matin ou on discute un peu pendant les repas de famille, mais ça va franchement pas plus loin. Mes yeux se ferment. Penser, ça demande beaucoup d'efforts. Plus l'énergie de rien faire. Juste envie de dormir…

– Eh, Clochette !

L'horrible voix de Gab me tire de mon pré-sommeil. Il m'aura tout fait celui-là !

– Quoi ?! Y' a pas le feu que je sache !

– Non, mais ton petit copain est arrivé !

Qu'est-ce qu'il raconte Piggy, j'ai pas de petit copain. En fait, j'ai pas de copain tout court. Je sors de mon lit… pour tomber la tête la première sur le sol.

Boum !

Raah ! Stupide sac ! Je me relève tant bien que mal en grimaçant un peu. Ça fait mal, mais c'est pas mortel. Note à moi-même : toujours poser mes affaires en hauteur. Enfilant mes pantoufles pour la énième fois de la journée, je me précipite dans les escaliers. Sautant carrément des marches, j'atteins finalement la porte d'entrée pour trouver… Alfiero… Attends, il y a truc qui est pas normal… QU'EST-CE QU'IL FAIT LÀ !

– Eh bien Clochette, t'as fait vite pour une fois.

– Arrête de m'appeler comme ça !

Gab lève ses deux mains en signe d'apaisement, un demi-sourire collé sur son visage. Je le fusille du regard, m'approchant dangereusement de lui. Évidemment, il recule prudemment vers sa chambre sans perdre son sourire crétin.

– Très bien, très bien. Je vais vous laisser en tête-à-tête les amoureux.

– On n'est pas… !

J'ai pas le temps de finir ma phrase, que ce débile a déjà fermé la porte de sa chambre. Il va voir au dîner, j'vais lui faire sa fête ! Une main se pose sur mon épaule. Je tressaille et me retourne brusquement vers Alfiero.

– Qu'est-ce t'es venu faire ici toi !?

– E-et bien, je pensais q-que je pourrais t'aider à rattraper ton retard de ce matin e-et…

– Et quoi !

Il sursaute, s'éloignant un peu de moi par la même occasion.

– Mais parle enfin ! T'as pas perdu ta langue quand même.

– E-et apprendre à mieux te connaître !

J'en perds mes mots. Il est vraiment obsédé par ça ou quoi ! Grr, je vais le… ! Je respire un bon coup ; pas la peine de se laisser emporter maintenant. Puisqu'il y tient tant que ça, autant lui donner ce qu'il veut avant de le chasser à coup de balai dans le derrière.

– T-très bien, allons dans ma chambre.

Sans attendre sa réponse, je me dirige vers ma chambre. Ensuite, face à face avec l'escalier de l'horreur, je monte à l'étage en posant mes pieds toutes les deux marches. Plus rapide et efficace, surtout pour préserver mes oreilles de leurs cris de souffrance. Pour ce qui est du p'tit génie : aucun doute, il me suit. Les grincements de cette horrible antiquité ne trompent personne après tout. Pourquoi Mom et Pap ne l'ont toujours pas réparé d'ailleurs ?! Impossible de descendre sans réveiller toute la maison ! Bref, j'rentre dans ma chambre en soupirant. Moi qui pensais que cette journée était enfin terminée… Alfiero hésite sur le pas de la porte. J'imagine que dans sa tête entrer dans la chambre d'une fille c'est comme violer son espace privé. Pauvre p'tit cœur, il faut vraiment apprendre à grandir.

– Bon, tu comptais m'aider à rattraper quoi au juste ?

Il semble enfin se réveiller. Posant un pied hésitant dans la pièce, il s'approche de moi.

– J-j'ai apporté avec moi mes fiches de physique, maths et chimie de ce matin. E-et puis, l'enseignant a aussi donné…

– Je t'arrête tout de suite Einstein. J'ai aucune envie de faire quoi que ce soit, surtout si c'est pour mes études.

Si elle était pas accrochée, je crois bien que sa mâchoire serait tombée au sol. La nausée me prend. J'imagine la scène et c'est vraiment gore. Faut vraiment que j'arrête d'avoir ce genre de pensée, c'est malsain.

– M-mais c'est complètement stupide !

– Stupide et alors ? J'fais ce que je veux.

– T-tu ne te rends pas compte à quel p-point tu a tort de faire ça.

Ses yeux chocolat scintillent. De colère ? Aucune idée.

– Et bien, vas-y ! Fais-moi changer d'avis.

Je croise les bras et m'assieds sur mon lit. Aucune chance qu'il me fasse changer de position, mais, bon, se distraire un peu n'est pas interdit. Alfiero soupire, passant une main dans ces boucles blondes.

– T-très bien, je vais essayé de te convaincre. Pour commencer, les maths sont importantes dans la vie de tous les jours. L-les multiplications, les divisions…

– Stop ! Stop, stop, stop… stop. J'admets que c'est utile de savoir faire des multiplications, des divisions et tout le tralala, mais calculer des hypoténuses ? Des angles ? N'ose pas me dire que ça va me servir plus tard. J'compte absolument pas devenir architecte ou physicienne.

– C-comment veux-tu que je te convainque si t-tu contre-argumentes ?

Alfiero affiche une mine dépitée. Le pauvre, j'vais pleurer. Non, sérieusement, j'allais pas le laisser me faire un discours de trois heures sur l'histoire des maths et de son utilité à travers les âges. Un sourire éclaire mon visage. Jouer avec les nerfs des gens, c'est tellement… marrant.

– Et en physique, savoir comment s'appelle chaque mouvement d'objet est le truc le plus inutile au monde. MRU, MRA ou MCU, c'est des termes que je ne vais jamais utiliser dans la vie courante ! Pour la chimie, c'est pas beaucoup mieux. Sincèrement, je tolère encore les maths. Faire des calculs de proportionnalité passe encore, mais apprendre le nom de chaque élément chimique ? Sérieusement ? J'vais pas les réciter à mon futur employeur ! Et puis…

Je m'arrête en voyant le sourire sourd sur le visage d'Alfiero.

– Pourquoi tu souris ?

Et le gars, il commence à rire. Mes sourcils se froncent. J'ai dit un truc hilarant ? C'est ça ? Il finit enfin par s'arrêter, essuyant les larmes qui pointaient le bout de leur nez.

– Ne te méprends pas, t-tu n'as rien fait de mal. C'est juste que je trouve ça marrant que la fille la moins concernée par les cours sache ce qu'est un MRU.

Prise en plein flag. Merde ! Je détourne le regard.

– J'ai sans doute surpris ces mots dans une conversation.

Ce n'est qu'un murmure. Je sais que j'ai aucune chance de sortir de cette situation. Un frisson remonte ma colonne vertébrale. Ce crétin, j'en suis sûre, sourit encore plus.

– Dis-moi Romy, tu n'aurais pas…

– Clochette ! Dis au revoir à ton petit copain, c'est l'heure de dîner !

Sauvée par le gong. Je pousse un gros soupir. L'échéance est repoussée d'une poignée d'heures, c'est toujours ça de gagné. Je me tourne timidement vers Alfiero qui se dirige déjà vers la porte. Il s'arrête juste avant de sortir de la pièce, se tournant vers moi avec un grand sourire.

– À demain, Terreur.

Je ne dis rien et le regarde partir. Demain sera une journée très… intéressante. En tout cas, il va devoir se tenir à carreau celui-là, sinon…

– Clochette !

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