L'unique

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Elle était dentelée, acérée, immense comparée aux autres feuilles.
Complice ignorant, le vent qui la portait ne se doutait pas le moins du monde de l’atrocité de cette chose qu’il déplaçait. Elle guettait dans l’ombre de la futaie le passant innocent qui, heureux de profiter des bienfaits de la nature, ne devinait pas que cette feuille unique existait. Elle glissait doucement sur les vagues aériennes comme un aéroplane, et s’approchait de sa proie sans hésiter. Pourquoi faisait-elle cela ? Comment avait-elle pris vie et décidé de tuer des êtres humains ?
Une sève écarlate coulant dans ses nervures donnait à son limbe l’illusion d’une feuille à son déclin, elle aurait dû choir sur le sol et se décomposer. Mais par un curieux hasard, cette feuille résista et s’était mise à palpiter et à se mouvoir pour enfin se gonfler, présentant sa courbure à une légère brise qui l’emporta.
Un enfant reposait, inerte, derrière un bosquet. Il riait quand il étendit la main pour se saisir de cette feuille. Elle était si belle, et ses couleurs si magnifiques l’attiraient. Mais celle-ci s’écarta de sa trajectoire et dans un mouvement de cyclone elle fondit sur l’enfant qui, ébloui, levait la tête vers elle, le petit émit un faible gargouillis quand elle incisa finement la gorge offerte à sa dentelure meurtrière. Ensuite, elle se posa sur le sol, et resta immobile, elle percevait les appels d’une femme d’abord hésitants, insistants, puis de plus en plus forts, les hurlements d’une mère cherchant son enfant. Enfin, les cris s’éloignèrent, et son pétiole plongé dans la blessure béante, la feuille but tout son saoul. Rechargée d’une énergie nouvelle, elle poursuivit son chemin, elle avait doublé de volume. Elle n’avait pas de cerveau, pas de conscience, elle agissait à l’instinct. Elle était la feuille, l’unique. Son seul but était de survivre et de se nourrir, elle entendait les arbres vociférer dans le vent, mais ceux-ci n’avaient pas son pouvoir et leurs réprobations ne l’atteignaient pas.
Le ciel s’assombrit soudain. Les arbres gémissaient au loin, et elle commença à paniquer, elle voulait revenir en arrière, reculer, bifurquer à droite ou même à gauche, mais le vent plus violent ne lâchait pas sa proie et il emportait la feuille, l’unique, vers les arbres qui hurlaient de douleur. La frondaison virait au rouge, un rouge aussi vif que le sang qui coulait dans ses nervures, et elle vit des flammes gigantesques qui s’élançaient vers un ciel gris fumée.
C’est ainsi que périt la feuille, l’unique, victime d’un incendie. Elle avait à présent rejoint l’humus carbonisé d'une forêt endeuillée.

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