32. Photo-chopé

5 minutes de lecture

Trois jours plus tard...

La petite église était bondée pour lui dire adieu. Miguel avait absolument voulu être de ceux-là, lui aussi, même s'il ne s'en sentait pas légitime. Même si Laurène ne l'avait pas recontacté, si elle avait ignoré ses appels, SMS et autres messages.

Il s'était discrètement installé au dernier rang, parmi les anonymes. Il souhaitait plus que tout se fondre dans la foule, se faire oublier. Parce qu'il n'était pas fier de sa responsabilité dans le gâchis de cette vie bousillée.

Là-bas, à proximité de l'autel, un immense portrait lui rendait hommage. Un cliché en noir et blanc, image volée d'un sourire évanescent que démentait la mélancolie de son regard. Autour de son poignet, la vue du bracelet qu'il lui avait offert pour la Saint-Valentin le fit tressaillir. Un bracelet sur lequel on pouvait lire « Amarillo », traduction espagnole de ce jaune or qu'elle affectionnait tant.

***

  • C'est quoi ta couleur préférée ?
  • Le jaune, jaune or plus précisément... Parce que c'est une couleur lumineuse, solaire. Une couleur positive qui me donne envie de sourire à la vie. Parce qu'il y a trop de noir en moi...
  • Chez moi, on dit « Amarillo » !
  • « Amarillo » ? Ah oui, c'est vrai, j'avais oublié... Remarque, c'est joli ; je devrais le graver sur ma peau pour ne pas l'oublier quand mes jours se font trop sombres...

***

Un détail que personne n'avait sans doute relevé. Sauf ce jeune type ému, sur l'estrade. Celui qui interprétait a capella cette bouleversante chanson de Cabrel, tellement de circonstance : C'était l'hiver. Il devait avoir dans les dix-huit ans, et l'avait aimée lui aussi, peut-être ; les larmes qu'il essayait vainement de contenir le trahissaient.

***

« Elle disait "je ne continue plus" /
Ce qui m'attend, je l'ai déjà vécu /
C'est plus la peine /

Elle disait que vivre était cruel /
Elle ne croyait plus au soleil /
Ni aux silences des églises /
Même mes sourires lui faisaient peur /
C'était l'hiver dans le fond de son cœur /

[...]

Le vent n'a jamais été plus froid /
La pluie plus violente que ce soir-là /
Le soir de ses vingt ans /
Le soir où elle a éteint le feu /
Derrière la façade de ses yeux /
Dans un éclair blanc /

Elle a sûrement rejoint le ciel /
Elle brille à côté du soleil /
Comme les nouvelles églises /
Mais si depuis ce soir-là je pleure /
C'est qu'il fait froid dans le fond de mon cœur... »

***

La cérémonie touchait à sa fin, la mise en terre et les jets de fleurs sur sa tombe suivirent. L'hidalgo attendit qu'ils partent tous, les amis, la famille, et quand il se crut seul, s'avança devant la dernière demeure de son ex pour se recueillir et faire pénitence. Il ne pensait pas qu'on puisse lui prêter attention, mais ce jeune homme qu'il ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve se mit brusquement à l'interpeller :

  • C'est à cause de toi, espèce d'enculé ! A cause de toi !

Laurène interrompit Quentin d'un geste.

  • Laisse, je vais m'en occuper. Allez-y, je vous rejoins après...

Les parents de l'adolescent, encore en état de choc d'avoir enterré l'amour de sa vie, l'éloignèrent pour l'entourer de tout leur soutien.

Pendant ce temps, autour de la sépulture, à mesure qu'elle s'approchait de son amant, la blonde cannelle dardait sur ce dernier un regard de plus en plus courroucé. Penaud, il tenta néanmoins une ouverture de dialogue :

  • Toutes mes condoléances, Laurène. Si je peux faire quelque chose...
  • Oui, répliqua-t-elle sèchement en dégainant le smartphone de sa défunte fille, un cliché de Miguel dénudé en fond d'écran. M'expliquer ça !
  • Je... OK, j'ai eu une liaison avec Valentine, c'est vrai, et j'ai rompu avec elle, mais c'était bien avant de te rencontrer. Et puis, j'ignorais qu'elle était ta fille, elle ne m'avait jamais révélé son nom ; je ne l'ai réalisé qu'après ton départ précipité du Mas des Brunes, en découvrant ton mot...

La quadragénaire cliqua ensuite sur le dernier SMS envoyé par l'hidalgo à la jeune femme et le lui riva sous les yeux :

  • Et t'étais obligé d'être aussi agressif avec elle ? Ce message vocal auquel tu as répondu avec tant de haine et de véhémence, ce n'était pas qu'une déclaration d'amour ! C'était aussi et surtout un appel à l'aide, un SOS qu'elle t'adressait. Tu l'as écouté ou pas ? Non, évidemment ! Parce que si tu avais pris le temps de l'écouter, j'ose espérer que l'once d'humanité qui doit encore se terrer quelque part en toi t'aurait poussé à agir, à réagir autrement. Elle voulait simplement comprendre pourquoi c'était fini entre vous, pourquoi tu la rejetais. Juste comprendre, bordel, c'est quand même pas bien compliqué à saisir, ça ! Et puis, quoi qu'il ait pu se passer entre vous, elle ne méritait pas que tu la traites ainsi, que tu la méprises. C'est toi qui l'as tuée, Miguel, c'est à cause de toi qu'elle est morte...

L'andalou encaissait, impuissant, la vindicte de sa maîtresse en reniflant silencieusement, comme un môme reconnaissant implicitement sa faute. Puis n'y tenant plus, il explosa. Les circonstances avaient joué contre lui, contre eux, il fallait qu'elle le sache.

  • Elle me harcelait, Laurène ! A coups de MMS, de sextos... Putain de merde, il faut que tu me crois, bon sang ! Ils sont sûrement sauvegardés quelque part dans son téléphone, tu as bien dû les voir, non ? Son dernier message, j'ai cru qu'il était de la même teneur que les autres, alors non, je ne l'ai pas écouté ! Pas sur le moment du moins. Parce qu'on venait de s'engueuler, toi et moi, parce que je n'avais ni la tête à ça ni l'envie de me préoccuper d'elle... Parce que c'était mon ex et que c'était avec toi que j'avais envie d'être ! Aujourd'hui, je me rends compte que tu as raison : j'ai été trop dur, infecte avec elle, je ne pouvais pas imaginer... Je n'ai jamais voulu ça, Laurène, je voulais juste passer à autre chose... Pardonne-moi s'il te plaît !

La blonde cannelle referma ses paupières pour se donner le courage de congédier son interlocuteur de son existence. Elle n'avait ni le droit ni la force de l'excuser. Au nom de sa fille, elle ne pouvait pas... Alors, elle murmura de manière peu convaincante :

  • Va-t'en Miguel...

Comme il ne bougeait pas, elle cria avec davantage d'assurance et de conviction son injonction :

  • VA-T'EN !

Le trentenaire s'exécuta à contrecœur. Son ex-maîtresse se faisait violence pour ne pas rouvrir les yeux. Il essaya une dernière fois d'effleurer sa main de la sienne, mais au contact de celle-ci, Laurène se déroba. Miguel comprit alors qu'il l'avait définitivement perdue et finit par quitter le cimetière de ses amours déchues.

Une larme s'écoula doucement sur la joue de celle qu'il venait de quitter ; elle l'essuya d'un geste rageur avant de fondre en sanglots et de lâcher ce hurlement d'animal blessé qui serra le cœur de l'hidalgo en partance. Lui aussi pleurait à présent. A présent que tout était fini pour eux deux...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0