18. Une vie de femme

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Le dessert – un tocino de cielo – devait conclure ce dîner. Mais Miguel s’était ouvert totalement à Laurène, comme à aucune autre femme auparavant, elle en était persuadée. Désormais, c'était à son tour de se dévoiler. De dévoiler une existence qui aurait pu être beaucoup moins lisse si les circonstances avaient été différentes. Mais par où commencer ? Par le début peut-être...

  • Ma mère tenait une petite boutique de confection dans le deuxième arrondissement, avec ma tante et ma grand-mère maternelle. Nous habitions toutes ensemble dans un appartement situé juste au-dessus du magasin. La seule figure masculine du foyer, c'était mon cousin Antoine, de deux ans mon aîné. Et même sans avoir de père, j'ai été très heureuse dans mon enfance, mon adolescence. Une jeunesse dorée, espiègle, à faire les quatre-cents coups avec Antoine et nos copains...

L'évocation de ses jeunes années illuminaient le regard de la jolie blonde. De joyeux souvenirs qui ne se teintaient que de gaité. Elle souriait.

  • J'étais loin d'être une petite princesse de porcelaine, loin d'être la plus sage des gamines du quartier. Un vrai garçon manqué ! C'est sans doute pour ça qu'Antoine m'entraîna avec lui dans son univers : la compétition automobile. J'étais assez casse-cou à l'époque, et il était fan de ma conduite. On formait une belle équipe, lui en tant que mécanicien et co-pilote, et moi derrière le volant. Ça me plaisait d'être la seule fille dans une discipline un brin machiste. Et comme je ne me débrouillais pas si mal, ils m'ont rapidement considérée comme l'une des leurs. Je n'étais pas femme, j'étais pilote de rallye...

Le bel hidalgo buvait les paroles de sa convive en sifflant d'admiration.

  • Et puis, j'ai rencontré Thibaud. J'ai tout plaqué pour lui. Julie, ma meilleure amie, me disait que j'étais folle de sacrifier ma vie pour un mec. Sauf que je ne lui ai rien sacrifié du tout, j'ai simplement tourné une page de mon existence et entamé un nouveau chapitre avec lui. Trop éphémère hélas !
  • Que s'est-il passé ?
  • Nous faisions le tour du monde. Depuis trois mois. On était heureux d'aller à la rencontre d'autres civilisations, d'autres peuples, de découvrir tous ces endroits féériques, plus merveilleux les uns que les autres. Mais le rêve a trop vite tourné au cauchemar. Dans l'enfer vert de la Guyane, la morsure mortelle d'un serpent-corail emporta Thibaud en moins de quatre heures...

Les yeux de la blonde cannelle s'embuèrent à l'évocation de ce douloureux épisode. En signe de réconfort, Miguel recouvrit sa main avec bienveillance et sollicitude.

  • J'ai eu beaucoup de mal à m'en remettre, à faire mon deuil. Au bout d'une petite année de léthargie complète, ma route a croisé celle de Jean-Louis. Il a été très patient avec moi, débordant de compassion et de gentillesse. C'est sans doute ça qui m'a séduit en lui ; c'est grâce à lui que j'ai réussi à remonter la pente. Ce n'était pas de l'amour-passion comme j'avais pu le vivre avec Thibaud, non, c'était différent. De l'amour-raison peut-être... Et puis rapidement, je suis tombée enceinte. Notre mariage dans la foulée pour régulariser la situation. Jean-Louis aurait voulu que je reste mère au foyer, mais ça n'a jamais été mon truc. J'ai vite retrouvé un job : secrétaire de direction au sein d'une entreprise de maintenance informatique. Mon seul vrai choix depuis Thibaud. Tu vois, ma banale existence s'est écoulée ainsi, aussi paisiblement qu'un fleuve tranquille. Jusqu'à il y a quatre ans... Jusqu'à la tentative de suicide de notre fille ; je n'ai rien vu venir. A se demander si j'ai jamais eu la fibre maternelle. Quelle mère digne de ce nom aurait pu autant ignorer la détresse de son enfant ?
  • Elle avait quel âge ?
  • Seize ans...
  • Tu sais, c'est compliqué, les ados, tenta de relativiser Miguel. Et puis, il n'y a pas de mode d'emploi pour être parents. Regarde mon père et moi : ça fait plus de quinze ans qu'on ne s'adresse plus la parole. Alors que ta fille et toi, vous êtes toujours en bon terme, non ?
  • Oui... Enfin, disons que j'essaie d'être un peu plus à son écoute. Seulement, j'ai toujours autant l'impression que nous sommes chacune dans notre sphère individuelle, comme si nous étions deux étrangères l'une pour l'autre. Comme si je n'étais pas vraiment sa mère, ou ne savais pas faire ce qu'il faut pour l'être. Je n'ai pas choisi d'avoir une fille, pas plus que j'ai choisi de me marier. Je me suis laissée porter, guider par les autres. Oui, au fond, je crois que depuis Thibaud, je n'agis plus tellement et me contente d'être une simple spectatrice de ma propre vie. Une vie qui ne me convient plus, et c'est à ton contact que je commence réellement à le réaliser. Je n'ai plus envie d'être cette femme-là, Miguel, j'ai envie de reprendre mon existence en main, quitte à tout envoyer valser. Je veux être une autre femme, plus aventureuse, plus audacieuse, libre de ses choix. Je veux redevenir moi...

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