Jugement

10 minutes de lecture

Il fait toujours nuit lorsque Drago s'éveille. Pendant une seconde absurde, il se demande où il se trouve. Combien de fois s'est-il réveillé dans un lit qui n'était pas le sien, depuis sa sortie d'Azkaban ? Cette question le ramène à la chambre d'ami de Potter, et Drago ne veut pas y repenser.

Non, il regarde autour de lui, et contemple la silhouette de Granger endormie à ses côtés. Elle lui tourne le dos. Elle ne l'a pas entendu se redresser. Songeur, Drago attrape son paquet de cigarettes abandonné dans la poche arrière de son jean, laissé au sol, et ose allumer une cigarette. Il reste assis là ainsi, seulement recouvert par les draps, en regardant la lumière de la Lune s'infiltrer à travers les persiennes et souligner la peau pâle de Granger.

Il réfléchit. Le souvenir des dernières heures écoulées provoque en lui un sentiment confus mais apaisé. Il sait que c'était étrange et impulsif. Mais c'est aussi pour cela qu'il sait qu'il ne doit pas chercher à s'interroger. Il n'y a rien à comprendre. Il a aimé Granger parce que tous les deux en avaient besoin à l'instant présent. Est-ce que cela a effacé son deuil envers Jude ? Non, absolument pas. Dans le cœur de Drago, la blessure est toujours là, vivante, et elle bat. Est-ce que cela a dissipé ses angoisses envers son propre avenir ? Son désir de vengeance ? Encore moins. Est-ce que cela le pousse à se questionner, lui et ses sentiments, à envisager un lendemain ? Pas vraiment. Il aime Granger, sans avoir besoin de préciser de quelle nature se révèle cet amour. Il sait simplement qu'il aime sa compagnie, et l'effet qu'elle a sur lui. Qu'il a aimé la serrer dans ses bras pour oublier le monde l'espace d'une minute. Mais comparer Hermione et Jude, cela reviendrait à confronter deux parties séparées de son cerveau.

Consciemment ou non, Drago a toujours entretenu avec Jude une relation protectrice. Jude était plus jeune que lui. Plus faible. Il l'a pris sous son aile, il l'a guidé, et aimé comme une petite chose fragile. Il lui a donné son expérience, et Jude lui a donné son innocence, ce diamant d'innocence qu'il lui restait, malgré tout ce qu'il avait vécu.

Comment comparer cette relation avec Hermione Granger ? Les choses qu'Hermione apporte à Drago sont radicalement différentes. Eux, ils sont sur un même pied d'égalité. Ils sont tous les deux adultes. Tous les deux matures. Tous deux savent se défendre, et ils l'ont prouvé à travers les maintes épreuves de leurs vies. Hermione n'apporte pas à Drago la jeunesse, l'innocence, et la satisfaction d'un enfant à sauver. Hermione lui apporte un miroir. Son égale, en âge, en sagesse, en douleurs, en force. Deux relations totalement différentes. Deux amours dont il ne peut comparer la nature ni l'intensité. Pas maintenant. Pas alors que sa vie se tient en équilibre au bord d'un fil.

Granger se réveille sous les premiers rayons de l'aube. Elle aussi se retourne et dévisage Drago. Elle ne dit rien pour la cigarette. Elle tend simplement la main pour caresser son visage, puis enlacer ses doigts. Il se laisse faire. En un sens, il sait qu'elle le comprend. Qu'elle ressent la même chose que lui. Tous deux ont trouvé un soutien l'un en l'autre. Ils n'ont pas besoin de poser de mots sur ce que cela représente. Le monde regorge de préoccupations bien plus urgentes.

XXX

Trônant sur le plus haut siège du Magenmagot, Kingsley Shacklebolt contemple avec un soupir la jeune femme qui soumet sa requête aujourd'hui devant lui.

Hermione Granger a tellement changé depuis ses jeunes années à Poudlard... Les dernières rondeurs de l'enfance ont fondu, dévoilant des pommettes aiguisées, un visage un peu trop maigre peut-être. Ses cheveux ondulent en boucles soyeuses rassemblées sur son épaule. Son regard en revanche reste le même : vif, alerte. Braqué sur lui...

Avec un soupir, Kingsley ouvre l'affaire numéro 4887 :

- Le Ministère de la Magie contre Abraham Manz et Kevin Lensher, énonce-t-il.

C'est perdu d'avance. Tout le monde le sait dans la salle, c'est perdu d'avance. Même les prisonniers, sortis spécialement d'Azkaban pour l'occasion, restent avachis dans leurs fauteuils chaînés et daignent à peine écouter l'attention dont ils font l'objet. Pourtant, lorsque vient le moment pour le Ministère de la Magie de s'exprimer, Hermione Granger se lève pour prendre la parole.

Des murmures se font aussitôt entendre à travers tout l'auditoire. Et Shacklebolt regrette une nouvelle fois ce procès de pacotille qui ne vise qu'à jeter une jeune femme en pâture dans la fosse aux lions...

Cela fait deux semaines à présent que l'ensemble du monde sorcier a appris la séparation de Ron Weasley et Hermione Granger. Deux semaines que l'affaire défraye la chronique, bien plus que l'annonce du jugement de deux criminels déjà condamnés à la double perpétuité. C'est pour cette séparation que l'amphithéâtre est rempli aujourd'hui. Pour Hermione, pour ses histoires de couple, et pour les propos qu'elle revendique et qu'elle présente à nouveau maintenant :

- Je réclame la peine capitale contre Abraham Manz et Kevin Lensher pour leur crime, dit-elle d'une voix calme, froide, déterminée. Ledit crime étant le meurtre de Judicaël Blake, âgé de dix-sept ans.

Shacklebolt se retient de secouer la tête. Pourquoi, Hermione ? Pourquoi renier tes convictions pour un enfant que tu ne connaissais même pas ? Depuis des années, tu as été une des pionnières dans l'interdiction du Baiser du Détraqueur. Et à présent, tu le réclames pour ces deux ordures ? Pourquoi ?

Je vais te dire pourquoi. Je me souviens de ce môme. C'est lui qui a tué le fils du sénateur Tyrrell lors d'une passe. Lui que j'ai fait condamner pour soulager la douleur de mon vieil ami le sénateur... Et Dieu m'en est témoin, tous les jours j'ai regretté ce choix. Avoir condamné un enfant à l'Enfer pour s'être simplement défendu contre un pervers... J'ai attribué une peine courte. Seul moyen d'apaiser ma conscience, en espérant que le gosse s'en sorte. Il ne s'en est pas sorti. A quelques mois de sa libération, il a été tué par ces deux moins que rien, et à présent, Hermione, tu veux le venger. Pourquoi ?

Parce qu'il était le compagnon de cellule de Drago Malefoy.

Se reculant dans son siège, Shacklebolt fixe Hermione dans les yeux, comme s'il pouvait lui transmettre ses pensées par ce seul regard.

Oui, Hermione... Tu ne te rends pas compte d'à quel point ta démarche est évidente ? Pendant des années, tu as combattu le Baiser du Détraqueur, en priant pour qu'on ne l'applique pas à ton protégé : Malefoy lui-même. Mais à présent que Malefoy est sorti, et qu'il se trouve Dieu sait où dans la nature... Tu plaides pour la condamnation des deux pourris qui ont tué son co-détenu ? La relation est évidente, tu ne trouves pas ? Tu es en contact avec Malefoy. Et tu veux l'aider à obtenir sa vengeance.

Seulement voilà, ça ne passera pas. Le Ministère a trop progressé vers l'abolition de la peine capitale pour revenir en arrière. Ta démarche ne sert qu'à te décrédibiliser. Et même en admettant que ton influence soit suffisante pour faire pencher la balance... Harry s'est fermement opposé à la condamnation. Il l'a fait savoir dès que la possibilité en a été évoquée. Et tu peux battre des cils autant que tu veux, ma pauvre Hermione... Tu ne fais pas le poids face à l'Elu. Si Harry dit non au Baiser du Détraqueur, il n'aura jamais lieu. Ce procès n'est qu'une farce, et Dieu sait que j'en ai assez de présider à des farces...

Combien de décisions de justice abominables ai-je déjà dû prendre au nom de l'après-guerre, au nom du peuple ? Drago Malefoy, Judicaël Blake, ce n'était pas déjà suffisant ? Il faut en plus que tu me forces à t'humilier, Hermione ? Pourquoi t'infliges-tu cela à toi-même ? Pourquoi es-tu incapable de voir que c'est perdu d'avance ?

La mort dans l'âme, Kingsley prononce la sentence :

- La demande du Ministère de la Magie est rejetée. Les détenus Manz et Lensher sont reconnus coupables du meurtre de Judicaël Blake, et condamnés à une nouvelle peine capitale. L'affaire est close.

XXX

« L'affaire est close. »

Le coup de marteau fatidique résonne pour marquer la sentence. Et Hermione reste paralysée. Au fond d'elle-même, ce n'est pas une surprise, pas vraiment. Mais ce procès, c'était sa seule chance d'empêcher son monde de s'effondrer, alors il était normal qu'elle ait jeté toutes ses forces dans la bataille, pas vrai ?

Autour d'elle, le Magenmagot bruisse déjà. Tous murmurent et observent sa réaction. Bande de rapaces... Elle n'en a que faire d'eux. Tout ce qui la préoccupe, c'est cet homme qui se tient debout à côté d'elle, et qui s'est crispé à l'annonce du verdict.

- Drago...

- Tu avais dit que tu pouvais les faire condamner ! s'exclame l'homme d'une cinquantaine d'années, bedonnant, perdu derrière une épaisse barbe brune.

Drago Malefoy l'a accompagnée au tribunal sous Polynectar pour pouvoir assister au jugement. Il n'aurait pas pu se permettre d'y assister en personne : pas avec son passé, tous ces journalistes, et avec Harry qui ne rêve sans doute que d'une occasion pour lui remettre la main dessus...

- Drago, je suis désolée...

A côté de lui, Hermione ne sait pas quoi faire. Elle voit les raisonnements de son amant défiler sous sa fausse apparence, sans même qu'elle ait besoin de lui parler. Lui non plus n'a jamais vraiment cru à cette revanche par la justice... Lui non plus n'y a jamais vraiment cru... Et dans son esprit se déroulent les conséquences de cet échec, car il sait à présent que la voie du droit chemin vient de lui être refusée. Si Drago souhaite obtenir la vengeance, il ne pourra l'avoir que dans le sang. Hermione le sait. Elle vient de perdre sa seule occasion de ramener Malefoy vers la lumière. De l'extraire du crime, du malheur et du deuil, pour toujours. A présent, elle le contemple dévisager Manz et Lensher, une expression de haine pure sur le visage, et elle a peur. Peur de ce que cet homme à côté d'elle risque de faire... Peur de le perdre...

Cette perte semble inévitable.

Lentement mais sûrement, les agents de sécurité conduisent tout le personnel en dehors de la salle, et Malefoy se laisse emporter par la foule d'un air rageur. Hermione se débat pour le suivre :

- Harry a fait opposition..., tente-t-elle d'expliquer.

- Je hais Potter ! s'exclame Malefoy entre ses dents serrées.

Hermione lui presse le bras :

- On va trouver une solution, tente-t-elle, apaisante, même si rien ne lui vient à l'esprit pour l'instant.

- Comment ?! Hein ?! Comment est-ce que tu comptes...

Un grondement brusque les interrompt. Sans s'en rendre compte, ils ont déjà remonté les étages jusqu'au hall d'entrée. Une secousse parcourt le Ministère, jetant la moitié des personnes présentes à terre. Par réflexe, Drago et Hermione se protègent le visage de leurs mains et regardent autour d'eux. La foule se met aussitôt à courir vers les sorties les plus proches. Des cris résonnent d'un bout à l'autre du bâtiment. Le personnel habilité fond vers l'origine du vacarme, baguettes dégainées, droit vers les entrailles du Ministère. Drago et Hermione les suivent :

- Qu'est-ce qui se passe ?! crient-ils à un Auror qu'Hermione a reconnu comme un collègue de Ron.

- Manz et Lensher se sont échappés ! s'exclame l'homme, complètement ahuri, les cheveux soufflés par le choc. On les a sortis de leurs cages pour les ramener à Azkaban, mais des hommes de l'assistance se sont jetés sur les gardes et les ont tous emportés ! Apparemment, ils avaient amené un Porte-au-Loin !

L'esprit d'Hermione contrecarre aussitôt cette logique :

- Les Porte-au-Loin ne sont pas censés marcher au Département des Mystères !

L'homme hausse les épaules :

- Celui-là si !

Déboussolés, complètement perdus au milieu de l'agitation ambiante, Drago et Hermione restent immobiles au beau milieu du chaos, les bras ballants, incapables de comprendre ce qu'il vient de se produire. Manz et Lensher se sont échappés. Ces salopards sont dans la nature. Et pourtant...

Comment ? Comment ont-ils pu avoir les moyens et les relations pour mettre en place une telle évasion ? Qui a pu les aider ? A Azkaban, ils n'avaient aucun contact avec l'extérieur. Et surtout, leur attitude désintéressée pendant le procès n'était pas celle d'hommes aux aguets, sur le point de s'enfuir...

Hermione et Drago se dévisagent, abattus, vides, incrédules, avec au cœur le sentiment tenace que quelque chose d'horrible vient de se produire.

XXX

Concentré, les sourcils froncés, Harry fait courir sa plume sur le parchemin. En face de lui, un groupe de jeunes gens le regarde faire sans l'interrompre. Le plus âgé d'entre eux s'avance enfin, alors il lui demande seulement :

- Avez-vous rencontré des problèmes ?

Les effets du Polynectar commencent à se dissiper. Le journaliste dont le chef des garçons a emprunté l'apparence cède la place à des traits naturellement juvéniles. Le garçon – celui que Drago considérait comme son second – répond calmement :

- Tout s'est passé comme prévu. Nous avons fait diversion avec des explosions, nous nous sommes jetés sur les prisonniers, et les Porte-au-Loin signés de votre main ont marché. Ils n'ont rien vu venir.

Harry hoche la tête. Interrompant sa rédaction une seconde, il attrape une bourse pleine de Gallions qu'il lance au garçon. Ce dernier la rattrape, la soupèse puis, comme à contrecœur, la repose sur le bureau :

- Nous ne l'avons pas fait pour l'argent, dit-il en parlant de toute évidence pour l'ensemble du groupe. Nous l'avons fait pour Constan... pour Malefoy. Parce que vous avez dit que vous vouliez l'aider. Et que nous vous croyons. Vous n'auriez pas montré votre visage à découvert sinon.

Harry se recule dans son siège, dévisageant le jeune garçon longuement. Malgré lui, il ressent une pointe de jalousie devant la loyauté évidente qui brûle dans les yeux du gamin, loyauté dirigée tout droit vers Malefoy. Mais il se reprend bien vite et leur adresse à tous un bref signe de tête en guise de reconnaissance.

- Qu'est-ce qu'on va faire d'eux maintenant ? demande alors le second, désignant deux silhouettes enchainées derrière lui, étendues sur une table.

Manz et Lensher poussent un léger gémissement.

Harry esquisse un sourire :

- Nous allons convier notre ami à la fête bien sûr.

Il relit alors rapidement ce qu'il vient d'écrire :

« Malefoy, comme tu l'auras peut-être deviné, j'ai Manz et Lensher en ma possession. Si tu tiens toujours à ta vengeance, viens donc les récupérer. Tu sais où me trouver. »

Pas de signature. Rien qu'un simple entête, sur le papier à lettres :

« Julius Harpocrate, Apothicaire, 226 Allée des Embrumes. »

Annotations

Vous aimez lire Natalea ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0