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Etendu sur son lit, Drago se sent infiniment bien. Il n'a pas ressenti pareille plénitude depuis des années. Ce sont les avantages de la drogue sorcière qu'il a choisie : pas de visions bizarres, pas de mauvais trips, ni d'atteinte aux facultés cérébrales : rien qu'un courant de bienfaisance à travers toutes les fibres de son corps. Comme une forme d'extase générale et perpétuelle. Quelque chose de délicieux qui lui donne la sensation d'être un tout nouvel être à peine venu au monde. Encore non marqué par les atteintes de la vie. Toutes les vieilles douleurs disparaissent, et avec elles, la lassitude, et même les mauvais souvenirs. On se sent tout simplement trop bien pour pleurer.

Le produit est illégal à cause de la forte accoutumance qu'il engendre, ainsi que de ses conséquences sur la santé. En provoquant l'illusion d'un bien-être intense, il se contente en réalité de masquer douleurs et maladies, sans les soigner, et contribue même à aggraver leurs effets. Nombre de sorciers atteints de souffrances chroniques avaient recours à ce type de substance, et ignoraient ainsi parfois les symptômes de leur mal jusqu'à ce qu'il soit trop tard, jusqu'à la toute fin...

En ce qui le concerne, Malefoy n'a aucun scrupule à écraser les éventuelles manifestations du sida dans l'œuf. Durant ses premiers mois à Azkaban, c'était son corps qui lui avait permis de tenir le coup. Son endurance, sa résistance à la douleur, autant que la résolution de son esprit. A présent, il n'a aucune envie d'assister à la trahison de son organisme...

Entrevoyant la lumière du jour, Drago transplane au Ministère pour aller voir Granger.

Lorsqu'il frappe à la porte, elle paraît comme soulagée et inquiète de le voir : une combinaison qui le fait sourire. Il n'a pas aimé leur dernière conversation... Elle ne lui a pas inspiré confiance, mais la drogue a un prix, et puisque Granger semble décidée à lui trouver du travail... :

– Je suis contente que tu sois revenu, commence Granger en lui offrant un de ses sourires « Miss Parfaite ».

Malefoy allume une cigarette simplement pour l'irriter :

– Tu devrais arrêter ça, commente-t-elle aussitôt. Ton système immunitaire est déjà attaqué de toute part, autant ne pas lui compliquer un peu plus les choses...

– Je fume depuis dix ans, Granger. Ce n'est pas une cigarette de plus qui va me tuer. A moins qu'on me fasse encore des tests, qui sait ? J'ai peut-être un cancer des poumons ?

Cette blague le fait rire, mais Granger ne goûte pas à la plaisanterie. Se pourrait-il que tu sois sincère, Granger ? Tu t'inquiètes vraiment pour moi ? Oui, ce serait bien ton genre... Comme Potter, tu es une putain d'héroïne. Vous aimez les causes perdues. Mais je ne suis pas un de tes elfes de maison...

– Mon collaborateur m'a dit que ça n'avait pas marché, à l'épicerie, reprend Granger d'un ton prudent.

– Ce type était un enfoiré.

– Il est... de la vieille école.

– C'est un enfoiré.

Granger n'argumente pas :

– Je vais essayer de trouver autre chose, poursuit-elle. En attendant, je t'ai noté l'adresse d'un médecin. Il est à quelques rues du Chemin de Traverse. Très compétent, très correct. Il peut te recevoir dès jeudi.

Drago saisit la carte qu'elle lui tend, et la déchiffre en silence.

– Autre chose ? demande-t-il.

Granger semble gênée :

– Eh bien... Si tu as d'autres choses à me signaler... Des choses dont tu as envie de parler, ou des questions à me poser... Je suis là pour ça. Je suis là pour t'aider, tu sais.

– Ça ira comme ça.

Drago murmure un vague « merci » et s'en va. L'attitude de Granger le met mal à l'aise. Trop de sollicitude qui dissimule mal ses problèmes personnels... Que veux-tu, Granger ? Pourquoi est-ce que tes cernes me disent que tu ne dors pas la nuit ?

Le soir venu, Drago retrouve Michael, le jeune dealer qui attend sa visite. Michael est un gamin des rues qui n'a jamais mis les pieds à Poudlard, tout simplement parce qu'il n'en avait pas les moyens. Un gamin perdu parmi les dizaines de milliers que le gouvernement sorcier laisse sur le carreau, sans que personne n'en ait rien à foutre...

Michael n'a appris de la magie que ses rudiments, et sa baguette provient d'une boutique de contrebande douteuse dans l'Allée des Embrumes. Il vit dans la rue depuis qu'il a treize ans et s'est enfui de chez lui pour échapper à une mère ivrogne et un père abusif. Depuis, il s'est mis sous la coupe de plus gros que lui. Il ne fait pas de vagues. C'est une petite frappe, mais c'est un dur, et il sait se défendre. Il est suffisamment malin pour se rendre compte que Malefoy n'a quasiment plus d'argent lorsqu'il lui achète sa nouvelle dose :

– Tu sais, je pourrais t'aider à te trouver du boulot, lui dit-il alors.

Malefoy le contemple en tirant sur sa cigarette :

– Quel genre de boulot ? demande-t-il enfin.

– Le genre de boulot pour lequel tu es fait. T'es un ancien taulard, non ?

Malefoy plisse les yeux, sans rien exprimer d'autre :

– Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Le gosse hausse les épaules :

– Ton look. Ton attitude. Et puis, quelque chose dans tes yeux, aussi... Vous l'avez tous. Tous ceux qui sortent d'Azkaban.

– Je ne sors pas d'Azkaban.

Malefoy énonce les faits comme une vérité sans appel. Il ne peut pas prendre le risque d'être reconnu. N'importe qui pourrait faire le rapprochement entre sa sortie de prison et le fait qu'il s'appelle Drago Malefoy...

En face de lui, le gamin flaire le sujet sensible et bat en retraite :

– Très bien... Mais ça t'intéresserait ou pas ?

– De faire quoi ?

– Pas grand-chose. Le gros bras, essentiellement. Intimider les clients, tabasser ceux qui payent pas... Dealer un peu, peut-être ? Tu sais te battre, non ?

Malefoy esquisse un sourire :

– Oui, ça je peux faire.

– Mes patrons recherchent constamment des types dans ton genre. Je suis sûr que tu pourrais leur plaire.

Malefoy ricane :

– Tu ne me connais même pas...

– Non. Mais je vois ce dont tu es capable. Tu sais te fondre dans la rue, te faire discret, t'en sortir seul et t'occuper de toi-même. Tu saurais aligner des gars plus forts que toi s'il le fallait.

Hésitant un instant, Michael fait une pause, puis reprend :

– Ecoute. Ça paye bien. Et c'est bien organisé. Tout dépend de... jusqu'où tu es prêt à aller.

Malefoy fronce les sourcils :

– Comment ça, jusqu'où ?

– Tu sais bien. Quel genre de travail tu prends. Si c'est juste casser quelques nez, ou... se salir un peu les mains.

– Tuer, tu veux dire ?

Le gosse ne répond rien. Malefoy salue son courage :

– N'aie pas peur des mots, petit gars. Avec des types comme moi, ça ne sert à rien.

Prenant le temps de réfléchir quelques instants, Malefoy termine sa cigarette et écrase le mégot par terre :

– Je peux faire tout ce que tes maîtres attendent de moi, déclare-t-il. Mais j'ai trois conditions. Un : je reste indépendant. Ça veut dire que je ne rencontre personne, que je ne vois personne, que personne ne connaît mon visage à part toi. Je ne veux pas tomber sous la coupe du premier truand venu. Je loue mes services, je ne les vends pas. Deux : je suis payé en trois contreparties. Drogue, argent sorcier, et...

Malefoy hésite, mais il n'a pas le choix :

– Et médicaments.

Michael hausse les sourcils :

– Quel genre de médicaments ?

– Ça me regarde. Je veux accès à des médocs ou à des ordonnances, c'est tout. Ce sera entre tes maîtres et moi.

– Et la troisième condition ?

– L'assassinat. Je choisis qui je tue ou pas. C'est non négociable. Je me réserve le droit de refuser un contrat. Ah, et je ne fais rien de sexuel, aussi.

Le gamin siffle entre ses dents :

– Ça fait de sacrées exigences pour quelqu'un qui n'a jamais fait ses preuves.

– Je ferai mes preuves. Dis leur simplement de me confier quelque chose. Ensuite, ils aviseront.

Michael hoche la tête :

– Et qui dois-je leur recommander ?

– Nazca, répond Malefoy du tac au tac. Nazca Constantine.

Le gosse sourit :

– Parfait. Reviens demain. Je devrais avoir tes instructions d'ici là.

Malefoy paie sa drogue et s'en va.

Le lendemain matin, Michael frappe à la porte de sa chambre d'hôtel, ce qui prouve qu'il est à la fois plus audacieux, plus malin et plus observateur qu'il n'y paraît :

– Je te réveille ? demande-t-il.

Malefoy se félicite d'avoir dormi en T-shirt à manches longues :

– Aucune importance, marmonne-t-il. Tu ne dors jamais ?

Le gosse sourit :

– Je m'aide un peu, si tu vois ce que je veux dire.

Drago s'en contrefout et exige la suite :

– Tu as parlé à tes patrons ?

– Oui. Je leur ai dit que tu semblais prometteur, mais tes exigences les ont mis sur la défensive, bien sûr.

– Alors qu'est-ce qu'ils attendent de moi ?

Michael s'assoit sur le lit et déplie une carte des quartiers sorciers de Londres :

– Récemment, il y a un petit groupe de jeunes qui s'est établi dans les quartiers Nord, commence-t-il. Ils ont rassemblé pas mal d'influence, et mes patrons voudraient les rappeler à l'ordre avant qu'ils n'attrapent la folie des grandeurs.

– Comment ça, les rappeler à l'ordre ?

– Il y a toute une hiérarchie dans cette ville. Si tu tentes de construire quelque chose sans la connaître ou sans la respecter, on ne peut pas te laisser faire. Aucune petite bande n'a le droit d'être vraiment indépendante : à partir du moment où tu touches un salaire correct, tu reverses une contribution au grand patron. C'est comme ça.

Malefoy ricane :

– En échange de quoi ?

– Protection.

– Non-agression, tu veux dire.

Michael hausse les épaules :

– Les patrons ont des relations, de l'influence, de grands spécialistes à leur botte dans presque tous les domaines. Si tu fais bien ton travail et que tu paies ta contribution, alors ils ne te laisseront pas tomber le jour où tu auras des emmerdes.

– Tout cela m'a l'air très bien sur le papier. Et donc, tu veux... ?

– Il faut que tu ailles rendre une petite visite à ces jeunes, ici.

Michael désigne un entrepôt perdu dans la zone industrielle :

– Force-les à verser leur contribution, peu importe comment. Et mes patrons seront peut-être un peu moins réticents à ton égard.

Malefoy s'assoit à son tour sur le lit, pensif :

– Combien sont-ils ? demande-t-il finalement.

– Au total, une vingtaine. Mais dans le repère, jamais plus de dix ou douze.

– Quelles sont leurs activités ?

– Ce sont des voleurs, principalement. Pas très diversifiés.

– Et j'ai combien de temps ?

– Trois jours.

Malefoy sourit :

– Très bien. Au nom de qui dois-je porter le message ?

– Eh bien, dans mon domaine, je rends compte à monsieur Russell. Toi, ce serait plutôt Donald Sax. Mais, au bout du compte, nous travaillons tous pour Blaise Zabini.

Perché en haut du toit d'un hangar désaffecté, Drago a troqué ses vêtements trop moldus pour une cape de sorcier mitée. De là où il se trouve, il a une vue imprenable sur l'entrepôt que lui a désigné Michael, sans pour autant se faire voir de ses occupants. Depuis trois heures qu'il observe les allées et venues, Malefoy a compté quinze personnes à l'intérieur du bâtiment. Dix à douze maximum, mon cul...

Engourdi par le froid, Malefoy se refuse à attendre plus longtemps. Il se laisse glisser du toit et atterrit souplement sur ses pieds trois mètres plus bas. Il n'a pas d'autres armes que sa baguette et ses poings. Mais c'est plus que ce qu'il avait à Azkaban.

Nouant un foulard sur son visage, Malefoy zigzague entre les bâtiments désaffectés jusqu'à parvenir à moins de dix mètres de l'entrepôt. Instinctivement, ses sens détectent les sortilèges de protection destinés à alerter d'un éventuel intrus. Il sourit. Etrange, comme Azkaban a pu affiner ses perceptions...

D'un murmure, Drago force les sortilèges les uns après les autres, sans le moindre bruit, et le temps que leurs créateurs s'en aperçoivent, il a défoncé la porte principale d'un coup de pied.

Un seul regard suffit : ils sont bien quinze. Huit ont leur baguette à portée de main et la pointent sur lui, mais la surprise et leur temps de réaction leur coûtent cher : Malefoy lance une simple déflagration qui les projette tous à l'autre bout de la pièce.

A l'intérieur, c'est un capharnaüm sans nom : des tonneaux, des caisses empilées, des bouteilles d'alcool, des ramassis de tissus informes, et l'odeur viciée d'une pièce qui n'a jamais connu une minute d'aération. Drago s'en moque : il ramasse les baguettes tombées au sol et les projette derrière lui, hors de portée. Ceux qui sont toujours armés passent à l'attaque : il les désarme sans prononcer un seul mot.

Derrière le tissu noir qui dissimule ses traits, il sourit. Voilà bien longtemps qu'il n'a pas eu à manier la baguette avec autant de dextérité... Mais il a toujours été un champion des duels. Les vieilles habitudes ne se perdent pas : les réflexes se coulent en lui telles les parades d'un serpent, et ses adversaires tout juste capables de tenir leur baguette par le manche ne font pas le poids. Sans doute des gamins des rues, comme Michael...

Etourdis, ils contemplent Malefoy récolter leurs baguettes les unes après les autres, puis les jeter derrière lui. Alors seulement, il rengaine la sienne :

– Qui est le plus bagarreur, le plus teigneux et le plus costaud d'entre vous ?

Un silence de mort lui répond.

– J'attends, reprend-il.

L'un des gamins sort alors du lot. Ses camarades s'écartent de lui d'un commun accord. Il faut dire qu'il est grand, effectivement. Bâti tout en muscles, deux fois plus lourd que Drago. Il tente un crochet du droit mais Malefoy le cueille à l'abdomen avant même qu'il ait pu faire mouche. L'autre encaisse, se défend à l'aveugle : Malefoy retourne son élan contre lui et le déséquilibre, frappant d'un coup sec à la gorge qui achève de briser toute riposte. Le gamin tombe à genoux et Malefoy l'étale d'un coup de pied.

– Au suivant ? demande-t-il avec calme, presque poliment.

Il est surpris du plaisir qu'il prend à cette petite mascarade...

Les gamins se concertent du regard, et tous se jettent sur lui.

Malefoy réagit avec la rapidité d'un reptile. Il esquive l'attaque de masse et fend les rangs pour rompre la dynamique du groupe. Il assomme trois des garçons avant que leurs camarades aient pu répliquer, puis c'est la mêlée : tous s'efforcent de tirer avantage de leur nombre en monopolisant son attention et ses membres. Mais ces gosses ne savent pas se battre comme lui. Ils ne savent pas se battre dans un espace réduit avec peu de luminosité. Mais, surtout, ils ne savent pas se battre pour leur vie, pour défendre leur intégrité et leur honneur, pour protéger ceux qu'ils aiment...

Drago sait tout cela, mais il n'offre à ces gamins qu'un avant-goût de ce qu'est la vraie bataille : il casse des nez et des côtes, beaucoup de bruit pour rien, en vérité, seulement pour impressionner : beaucoup de cris et de sang. Il faut que la leçon marque. Il faut que la vérité rentre dans leurs têtes : il est plus fort qu'eux, et même à quinze contre un, ils ne peuvent rien contre lui.

Lorsqu'il les abandonne enfin, contusionnés et couverts de bleus, comme une bande de chatons affolés, Malefoy prend le temps de remettre sa cape en place :

– Bien, dit-il. Je crois que des présentations s'imposent. Je suis Nazca Constantine. Et à partir de maintenant, vous êtes à moi.

– Sale fils de pute...

Drago étale l'importun d'un coup de poing :

– On ne m'interrompt pas. Merci.

Dans les faits, il n'y a que peu de gloire à maltraiter ainsi des gosses presque sans défense, mais... Malefoy écarte vite cette pensée. Il se dit qu'il vaut mieux que ce soit lui plutôt qu'un autre. Il a vu ce que l'on fait aux jeunes garçons incapables de se défendre, à Azkaban. Et à terme... Cela pourrait être pour leur bien.

Drago ramasse les baguettes et exhume une bourse d'une de ses poches, qu'il jette au chef désigné du groupe :

– La recette de cette semaine. J'en veux la moitié, et tout de suite.

– Va te faire foutre !

Malefoy pointe sa baguette sur celui qui lui tient tête :

– A partir de maintenant, c'est comme ça que ça se déroulera, déclare-t-il. Je prends la moitié de la recette aujourd'hui. Et vous avez intérêt à continuer à bosser, car quand je reviendrai d'ici deux jours, je prendrai à nouveau la moitié de la recette. Et je ferai ça chaque semaine. Pourquoi ? Parce que je travaille pour Blaise Zabini, et que désormais, vous aussi. Est-ce que c'est clair ?

Il ajoute en déposant soigneusement toutes les baguettes sur la table la plus proche :

– Je vous ai battus sans l'aide de la magie. Imaginez ce que je pourrais vous faire si je devais en user contre vous.

Contrits, l'un après l'autre, les voleurs se passent le sac et le remplissent de la moitié de ce qu'ils ont amassé : des Mornilles pour l'essentiel, et quelques Gallions.

– Merci.

Malefoy récupère le sac puis quitte l'entrepôt sur un dernier salut. Il reviendra dans deux jours, comme il l'a promis. Il sait que d'ici là, les jeunes auront réuni toute leur bande et qu'ils tenteront à nouveau de lui faire la peau. Et, à nouveau, il leur montrera qui fait la loi.

Son instinct ne l'a pas trompé : deux jours plus tard, les gamins sont au complet, et prêts à en découdre. La bataille qui s'ensuit se déroule sur le terrain de la magie, cette fois. Malefoy ne se laisse pas atteindre. Il manque peut-être de pratique, mais il est plus puissant qu'eux. Il l'avait oublié, à Azkaban, mais à présent... Oui, Malefoy est puissant. Il serait capable de faire des choses qui pourraient leur dresser les cheveux sur la tête. Tout ce que son adolescence maudite lui a appris...

Malefoy chasse ces souvenirs avant qu'ils ne puissent l'atteindre. Il n'a pas besoin de magie noire contre ces gosses. Rien qu'un peu de fermeté.

Désarmant tout le monde à nouveau, Malefoy préfère régler les choses à mains nues. La magie, c'est bien, mais rien ne vaut une vraie bonne défense, à l'ancienne. Si ces mômes veulent arriver à quelque chose un jour – et rester en vie dans ce milieu – ils devront l'apprendre de gré ou de force.

Lorsqu'il les a tous mis à genoux, Malefoy tend à nouveau le sac au chef désigné. Il voit de la colère passer dans l'œil du gamin, mais, également, une once de crainte. Et du respect. Celui-là est plus malin que les autres. Il se défend pas trop mal, et il a su reconnaître Drago pour ce qu'il était. Un bon combattant. Pas un guerrier dans les règles, pas un bretteur hors pair, mais... Un combattant des rues. Quelqu'un qui se bat pour survivre, et qui sait survivre.

Le soir venu, Malefoy retrouve Michael à quelques rues de son hôtel. On est mercredi soir :

– La recette des louveteaux, dit-il en tendant le sac au dealer. Plus un petit bonus prélevé aujourd'hui.

Michael lui accorde une tape sur l'épaule :

– Je savais que c'était trop simple pour toi.

– Tu peux dire à tes maîtres que dorénavant, les petits jeunes rentreront dans le rang. Si Zabini le désire, je peux continuer à leur rendre visite, prélever leur contribution, et essayer d'en faire quelque chose d'un peu plus valable.

– Ce n'était pas dans tes ordres.

– Non, mais j'ai l'esprit d'initiative.

Michael, le regarde, pensif, puis acquiesce :

– J'en parlerai aux patrons. En attendant, voici ton dû.

Il sort de ses poches plusieurs échantillons de drogue, prélève tous les Gallions de la bourse, et exhume enfin une adresse griffonnée d'un nom :

– Va voir ce type, dans l'Allée des Embrumes, dit-il. Il bosse pour nous et il ne pose pas de questions. Il t'examinera si tu en as besoin, et sinon... Il te refilera tous les médocs que tu voudras.

– Très bien.

Malefoy mémorise le nom et empoche le reste. Sans attendre, il transplane à l'adresse indiquée.

L'établissement est une sorte d'apothicairerie où s'entassent des bocaux aux formes multiples et aux contenus douteux. Malefoy ne se laisse pas intimider. La boutique est sombre, poussiéreuse, il règne dans l'air une odeur rance d'œuf pourri. Certaines des créatures emprisonnées se contractent dans leur bain de formol, tandis que d'autres, desséchées depuis longtemps, offrent leurs horreurs à la vue de tous...

Rien que de la poudre jetée aux yeux des curieux.

L'homme debout derrière le comptoir tout au bout de cette galerie des monstres a le profil d'un aigle. Regard acéré, visage acéré. Des traits à couper au couteau. Il ne pose aucune question lorsque Malefoy se présente devant lui encapuchonné, le visage dissimulé derrière son foulard.

– J'ai une recommandation de monsieur Zabini, dit-il en tendant le papier que Michael lui a confié.

L'homme y jette un œil, puis acquiesce :

– Que puis-je faire pour vous ? demande-t-il, et sa voix a les accents doucereux du miel.

Malefoy plisse les yeux. Il sait que l'homme risque fort de courir confier sa demande à ses maîtres. Ainsi, ils connaîtront sa faiblesse... Malefoy a horreur de se dévoiler, mais il n'a pas le choix :

– J'ai besoin d'un traitement contre le VIH.

Sans le moindre commentaire, l'apothicaire disparaît dans l'arrière-salle. Malefoy l'entend fourrager quelques instants, puis revenir avec une panoplie d'élixirs. Il énonce des instructions tandis que Malefoy prend note mentalement.

Le lendemain, si Michael est informé de son état de santé, il n'en laisse rien paraître. Il se contente de saluer Drago en disant :

– Zabini est partant. Tu t'occupes des jeunes.

Et il scelle cet accord par une nouvelle versée d'argent.

Plus tard, dans la journée, Drago tourne et retourne la carte que Granger lui a donnée entre ses mains. Le rendez-vous fixé avec le médecin est à 13 heures. 13 heures sonnent... Drago n'ira pas.

La nuit venue, sa conscience le tourmente, un peu. Mais il lui suffit de regarder dans ses poches. Il a de l'argent, des cigarettes, de la poudre divine à profusion, et même des médicaments... Rien de ce que Granger aurait pu lui offrir.

Il a même trouvé du travail.

La semaine s'achève. Malefoy devra bientôt retourner voir Potter. Mais il a quelque chose à faire, avant...

Renfilant ses vêtements moldus, histoire de ne pas éveiller ses soupçons, Malefoy transplane jusqu'au Ministère et frappe au bureau de Granger.

Celle-ci bondit de son siège lorsqu'elle le voit :

– Tu n'es pas allé voir le médecin ! s'écrie-t-elle.

– Non.

– Mais pourquoi ?

Il soupire, évite son regard quelques instants, puis revient à elle. Il doit le faire :

– Ecoute, Granger..., commence-t-il. Je suis venu te dire que je vais arrêter de te voir.

Elle blêmit tout à coup :

– Qu'est-ce que tu dis ?

– J'ai bien réfléchi, et tout ça, nous deux, ça ne marche pas. Je n'ai pas besoin de toi, et tu n'as pas besoin d'un fardeau comme moi.

– Malefoy, c'est mon travail ! Tu es tout sauf un fardeau, qu'est-ce qui te...

– Au revoir, Granger.

Et il s'en va avant qu'elle n'ajoute quoi que ce soit.

A nouveau, le soir, sa conscience le torture. Granger voulait seulement l'aider, après tout. Trouver un moyen de le sauver, en restant sur le droit chemin...

Mais une ironie amère se fait jour dans le cœur de Drago. Le droit chemin, ce n'est pas pour lui. Après tout ce qu'il a vécu... Comment pourrait-il supporter d'évoluer dans la lumière ? La lumière exposerait tout de lui. Mieux vaut être une créature des ombres. Dans l'ombre, on ne voit pas quel monstre il incarne.

Un mois et demi s'écoule. Comme promis, Drago prend en charge l'éducation des jeunes du hangar. Ces derniers ne tentent plus de l'attaquer lorsqu'ils le voient arriver, désormais. Ils se soumettent docilement à la collecte hebdomadaire et ne font plus d'histoires. Ils tentent même d'apprendre de lui, et une lueur de respect et de sympathie brille désormais dans leur regard, lorsque Malefoy accepte de leur livrer, un pas après l'autre, les secrets de son habileté, tant magique que physique.

Malefoy aime assez s'occuper d'eux. Il se défend comme voleur, et bientôt, il aimerait les lancer dans des projets plus ambitieux. Tout en restant hors de portée de Zabini...

Drago sourit à cette pensée. Après s'être renseigné, il a découvert que son vieil ami Blaise avait hérité de la fortune de sa famille, et se cachait désormais sous couvert de l'entreprise familiale. Officiellement, il avait donc tout de l'homme d'affaires prospère, mais officieusement... Il dirigeait les bas-fonds de Londres. Encore une putain d'ironie.

Le plus grand souci de Drago est de ne pas se faire reconnaître. C'est pourquoi il s'abrite toujours derrière le nom de Nazca Constantine, et ne laisse son visage être vu de personne, pas même de ses apprentis. De temps à autre, il se voit confier d'autres missions par l'intermédiaire de Michael, et entraîne alors ses élèves passer à tabac quelques clients récalcitrants...

Il se fait beaucoup d'argent. Assez pour quitter l'hôtel et louer une chambre quelque part au cœur du quartier des Embrumes. Ceux qui ont besoin de lui savent où le trouver. Petit à petit, lentement mais sûrement, le nom de Nazca Constantine se répand dans la pègre londonienne.

Les seuls moments où il reste Drago Malefoy sont lors de ses rendez-vous avec Potter. Ceux-là, il ne peut les éviter. Potter l'interroge sur son quotidien et sa façon de mener sa vie. Malefoy brode et élude autant qu'il peut.

Deux mois piles se sont écoulés depuis la libération de Drago Malefoy. Deux mois qu'Harry le reçoit en entretien, et qu'il a l'impression de ne pas progresser d'un pouce. Qu'espérait-il, en même temps ? Son travail est seulement de s'assurer que Malefoy reste dans le coin et qu'il revient pointer régulièrement. Il n'a pas à lui livrer quoi que ce soit d'autre. Il le sait, cet enfoiré, et tandis qu'il frappe à la porte de son bureau, Harry se prépare à une nouvelle demi-heure d'affrontement.

Harry se tend lorsque Malefoy entre. Il ne peut l'empêcher, à chaque fois. Malefoy a tellement changé... Il semble plus maigre qu'à sa sortie de prison, si c'est possible. Ses cheveux qu'il garde courts laissent toujours apparaître son crâne, mais à présent, une légère barbe blonde mange ses traits, avale encore un peu plus l'adolescent qu'Harry a connu...

Cela fait quelques semaines maintenant que Malefoy est revenu aux vêtements sorciers, et aujourd'hui, il porte une cape noire qui dissimule le reste de sa silhouette.

Debout ainsi, il semble tellement... dangereux. Le genre d'individu que l'on aurait crainte à fréquenter, même dans l'Allée des Embrumes. Harry ne s'explique pas ces transformations. Il sait que Malefoy lui cache tout de ses allées et venues, c'est évident. Il sait que ces vêtements, et même ses moyens de subsistance, dissimulent des activités dont Malefoy ne lui dit rien. Mais malgré tous ses efforts, Harry n'est pas encore parvenu à localiser où il se rend, après leurs rendez-vous...

– Malefoy, le salut-il ce lundi, comme tous les autres lundis.

– Potter, répond Malefoy.

Tous deux s'assoient, et ils se regardent, en chiens de faïence.

– Rien de nouveau à signaler cette semaine ? demande Harry.

– Rien.

– Toujours pas de travail ?

– Toujours pas.

– Et ton adresse ?

Malefoy se fend d'un sourire :

– On a déjà abordé ce sujet, Potter.

– C'est vrai...

Harry hésite. Malefoy laisse déjà son regard dériver sur son bureau comme il le fait souvent. Il a vraiment l'air trop maigre... En bonne forme, réactif, peut-être, mais... Trop maigre. Trop pâle. Harry doit essayer :

– Malefoy est-ce que tu es sûr que... tu vas bien ?

Malefoy plisse les yeux de son air provoquant :

– On s'inquiète pour moi, Potter ?

– Arrête ton numéro. Je sais par les registres que tu ne vas plus voir Hermione. Ce qui veut dire que tu ne vois probablement pas de médecin, non plus.

– Je n'ai aucun compte à te rendre.

– Nom de Dieu, Malefoy, je ne suis pas ton ennemi ! Je veux seulement te rendre l'existence plus facile ! Si tu acceptais d'avoir une conversation honnête avec moi...

– Une conversation honnête ?

Malefoy se redresse soudain sur son siège, un rictus aux lèvres :

– C'est quoi pour toi une conversation honnête, Potter ? Tu es honnête avec moi ? Tu l'es, en ce moment même ? Tu comptes me confier tous tes petits secrets ? Tu comptes me dire pourquoi tu as l'air aussi heureux de vivre qu'un sous-marin soviétique, pourquoi il n'y a pas de photo de la rouquine sur ton bureau, et pourquoi, Granger et toi, vous ne vous parlez plus que par secrétaires interposées, à tel point que tu as dû consulter les putains de registres pour savoir que je ne la voyais plus ?

Harry se pétrifie. Enfoiré de Malefoy... Il a fait mouche et il le sait. Il est fier de lui, en plus. Malefoy... quand tu te sens menacé, tu attaques, pas vrai ? Exactement comme à Poudlard... On a vu mieux, comme système de défense. La seule chose à laquelle tu parviendras avec un tel raisonnement, c'est te détruire toi-même... Et rapidement, en plus.

Tandis qu'il contemple Malefoy afficher son sourire de loup, Harry sent tous ses vieux souvenirs lui sauter à la gorge : Poudlard, le Manoir Malefoy, le procès... Il a toujours haï cet homme. Dieu qu'il a haï cet homme... Et pourtant, il a eu pitié de lui. Il a tenté de le comprendre, aussi. Il a laissé son souvenir le transpercer et empoisonner son mental, sa vie, sa tranquillité d'esprit. Parce qu'il a vu du bon en lui. A quelques reprises au cours de cette guerre maudite, ce connard de Malefoy lui a laissé voir du bon en lui : en épargnant Dumbledore, en sauvant sa vie, en pleurant des larmes sur la folie de Voldemort... Et depuis, Harry n'arrive plus à se le sortir de la tête.

Abasourdi, Harry se rend compte en observant Malefoy qu'il n'a plus qu'une seule envie en ce monde. Elle a beau être irréalisable, il a beau avoir perdu tout le reste... Il voudrait le prendre dans ses bras rien qu'une seconde et soulager sa peine. Rien qu'une seconde. Pénétrer ses défenses, le laisser l'aider, l'assommer de force s'il le faut... Le gaver d'une once de douceur en ce monde, rien qu'une fois...

Terrifié par cet élan, Harry s'exhorte au calme. Il ne pourra pas apprivoiser Malefoy sans le surprendre... Sans lui donner un peu de lui-même, sans frapper là où il ne l'attend pas... Et puis, quelque part, peut-être a-t-il vraiment envie de se délester de ses secrets... Inspirant à fond, Harry prend sa décision :

– Si je suis honnête avec toi, tu le seras avec moi ? demande-t-il.

– Tu parles d'honnêteté avec un Malefoy, Potter ?

– Nous avons eu une liaison. Hermione et moi. Nous avons eu une liaison, et c'est pour ça que nous ne nous parlons plus.

Malefoy se fige. L'espace de quelques secondes, il ne dit rien, comme s'il attendait qu'Harry lui révèle que tout cela n'était qu'une blague. Harry s'attend à ce qu'il éclate de rire, ou balaye cet aveu d'un geste de la main, marchant sur ses sentiments comme il l'a toujours fait... Mais non. En face de lui, le visage de Malefoy se ferme tout à coup, et c'est d'une voix glaciale qu'il lui répond :

– C'est ça ton grand secret, Potter ? C'est pour ça que Granger et toi vous apitoyez sur votre sort comme deux collégiens pris en faute ?

Il y a du mépris dans sa voix, et cela blesse Harry plus que n'importe quelle moquerie :

– Tu ne connais pas toute l'histoire, murmure-t-il.

– Non, mais tu oses venir à moi en parlant d'honnêteté, en me réclamant de me livrer, et tu me balances tes histoires de fesse !

– Malefoy, écoute...

Harry sent qu'il perd le contrôle et il déteste ça :

– Je n'ai pas voulu... Je n'ai jamais prétendu...

Il ferme les yeux, prend une grande inspiration :

– Ecoute... Je sais que ça doit être difficile pour toi en ce moment. Je sais qu'aujourd'hui... C'est l'anniversaire de la mort de ton père.

La réaction de Malefoy est indescriptible : il agrippe les accoudoirs de son siège et plonge ses yeux droits dans ceux d'Harry :

– Ne parle pas de mon père, articule-t-il entre ses dents serrées.

– Mais je n'ai jamais eu l'occasion de te dire... A quel point j'étais désolé. Pour ton père, pour ta mère... Pour Pansy Parkinson et les sœurs Greengrass... Pour tout ce qui t'est arrivé en prison...

– C'est ça le genre d'histoire que tu veux entendre, Potter ? crache Malefoy. Un secret pour un autre, c'est ça ? Tu veux que je te raconte comment c'était en prison, comment j'ai survécu jour après jour en sachant qu'il n'y aurait pas de lendemain, comment c'était de voir mon père se faire égorger juste sous mes yeux ?

Harry avale sa salive. La haine dans les yeux de Malefoy le crucifie sur place et lui donne le sentiment d'avoir de l'acide à la place du sang, mais... C'est la première fois qu'il arrive à le faire parler. Il a besoin de savoir...

– Monroe, articule-t-il prudemment.

Malefoy se fend d'un rire sans joie.

– Il a tué ton père, poursuit Harry.

– Oui, il a tué mon père...

– Et c'est lui qu'on a retrouvé mort, peu de temps après.

Malefoy le transperce de son regard cynique, terriblement clairvoyant :

– C'est ça que tu veux savoir, Potter... ? murmure-t-il. Si j'ai tué Monroe ? Si c'était vrai, tu te doutes bien que je ne te le dirais pas.

Malefoy s'avance sur son siège et se penche soudain sur le bureau, emprisonnant Harry de ses iris trop pâles :

– Voici ce que je peux te dire, en revanche, murmure-t-il avec une fureur contenue qui gronde dans ses yeux. Un vrai secret, Potter, ça te dit ? Une vraie confession... Je haïssais Monroe. Oh, ça oui, je le haïssais... Mais pas pour les raisons que tu t'imagines. Je ne le haïssais pas pour m'avoir violé et tabassé pendant deux mois d'affilée, lui et ses hommes, jusqu'à ce que j'en perde le compte.

Harry blêmit. Malefoy continue, imperturbable, comme mû par le feu qui brûle dans son regard : 

– Je ne le haïssais pas pour avoir violé et tabassé mon père, jusqu'à le transformer en une loque sans nom soumise à ses moindres caprices. Je ne le haïssais pas pour avoir plaqué sa lame de rasoir sur la gorge de mon père et ouvert d'une oreille à l'autre. Non... Je haïssais Monroe parce qu'il m'a volé la dernière parcelle d'humanité qu'il me restait.

Pétrifié, Harry ne dit pas un mot tandis que Malefoy prononce ces paroles insoutenables :

– Monroe avait fait de mon père son jouet, articule-t-il. Toutes les nuits, je me battais pour le défendre, et toutes les nuits, Monroe me réduisait au silence en menaçant de l'assassiner. Lucius était ma faiblesse et Monroe l'avait compris. Jusqu'à ce qu'un jour... Monroe décide de pousser la perversion plus loin. Il voulait me prouver qu'il pouvait faire de Lucius ce qu'il voulait, tu comprends ? Que l'homme pour lequel je me battais n'était plus mon père, et que je n'étais certainement plus son fils. Qu'à ses yeux, son allégeance envers Monroe signifiait plus que tous les liens de sang qui nous avaient unis pendant toutes ces années.

Harry a peur d'entendre la suite, mais Malefoy ne s'arrête pas, comme possédé par ses souvenirs, ravivant l'horreur, encore et encore :

– Cette fameuse nuit, poursuit Malefoy, Monroe a pointé sa lame de rasoir sur la gorge de mon père. Et il lui a dit « Viole ton fils. Fais-le, ou je te tue sur le champ ».

Harry n'a même plus la force de respirer.

– Mon père m'a regardé. J'ai vu la peur dans ses yeux. Pas la peur pour moi, mais pour lui. Il savait que Monroe ne plaisantait pas. Je l'ai appelé, j'ai tenté de lui dire qu'à nous deux, nous pouvions le battre... Il m'a regardé, et j'ai vu dans ses yeux qu'il ne me reconnaissait pas. Que je ne signifiais plus rien pour lui. Monroe m'a écrasé de tout son poids, et mon père lui a obéi, sans même sourciller.

Malefoy fait une pause, le temps de délivrer cet ultime venin :

– Son propre fils... Son propre enfant.

Ecrasant une larme sur sa joue, Malefoy libère enfin Harry de son regard insoutenable :

– Je ne t'ai pas menti Potter : toutes les personnes avec lesquelles j'ai couché sont mortes ou hors d'état de nuire. Tu peux ajouter Lucius Malefoy à la liste. Le lendemain, Monroe est entré dans notre cellule comme d'habitude, et comme d'habitude, je me suis défendu. Quand il a vu qu'il n'arriverait pas à avoir le dessus, il a pris Lucius en otage et lui a plaqué sa fameuse lame de rasoir contre la gorge. Comme toutes les nuits, il m'a dit : « Arrête de te battre, mon garçon. Arrête de te battre, ou je tue ton père ». Je l'ai regardé à cet instant... Je me rappellerai toute ma vie de ce moment. Je l'ai regardé, et je lui ai dit : « Fais-le ». Monroe m'a souri. Il a appuyé plus fort, et il a tranché la gorge de mon père jusqu'à l'os.

Malefoy plonge à nouveau son regard dans celui de Harry : un regard lisse, éteint, sans émotion :

– Je suis resté là à regarder mon père se vider de son sang, et je ne ressentais rien... Absolument rien. Jusqu'à ce que je vois Monroe. Il n'a pas dit un mot, mais j'ai su, à la façon dont il me regardait... Que j'avais réagi exactement comme il l'avait escompté. Ses yeux posés sur moi semblaient me dire : « Regarde, petit. Je l'ai fait parce que tu me l'as demandé. C'est toi qui a voulu tout ça ».

Malefoy prend une dernière inspiration avant de conclure :

– Monroe m'a forcé à vouloir la mort de mon père, et c'est pour ça que je le haïssais. Parce qu'il m'a rendu complice de son meurtre, et qu'encore aujourd'hui, je n'en éprouve aucun remords. Parce qu'il a fait de moi un monstre sans émotion, sans passé, sans famille. Il m'a pris tout ce en quoi j'avais jamais cru, tout ce que j'avais jamais aimé et admiré. Il m'a fait me trahir au plus profond de moi-même. Je ne suis pas sûr que tu puisses concevoir une telle perte.

Harry garde le silence. Il reste sans voix face à de telles déclarations, il n'y a pas d'autre mot. Que répondre face à tant d'horreur ?

– C'est ce genre d'histoires que tu voulais entendre, Potter ? reprend Malefoy avec une douceur abominable. Un petit conseil : réfléchis bien la prochaine fois que tu voudras une conversation à cœur ouvert. Si tu en as eu assez pour aujourd'hui... Je te dis à la semaine prochaine.

Et Malefoy transplane, laissant Harry seul, plongé dans l'effroi.

Incapable d'imaginer comment sauver Malefoy de l'Enfer.


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