Interlude : Revenant

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Ils sont venus un matin. Deux agents du Ministère, impeccables dans leur costume sombre, la mine grave et l'œil noir. Ils ont frappé à la porte de la maison d'Hermione, et c'est Harry qui a ouvert :

– Monsieur, s'est exclamé l'un des hommes avec surprise en reconnaissant son supérieur. Est-ce que madame Weasley est là ?

– Que s'est-il passé ?

L'homme a hésité, jusqu'à ce qu'Hermione apparaisse sur le pas de la porte :

– Madame, a alors repris l'homme. Pouvons-nous entrer ?

– Que se passe-t-il ?

Le sang d'Hermione n'a fait qu'un tour, ce jour-là. Ce cérémonial, elle le connaissait. Les agents du Ministère qui frappait à votre porte, pour vous annoncer en personne que votre conjoint était mort... Mais Hermione avait déjà perdu Ron. Alors que pouvaient vouloir ces hommes... ?

– Laissez-nous entrer madame, s'il-vous-plaît, a insisté l'homme devant son mutisme.

Alors, Hermione s'est effacée. Avec le sentiment que dans ce seul geste, son monde s'écroulait une seconde fois. La main d'Harry s'est refermée sur la sienne, comme si lui aussi avait compris. Comme s'il tentait désespérément de la retenir alors que l'un comme l'autre savaient qu'ils étaient déjà perdus.

Ce jour-là, Harry et Hermione ont appris que Ron était toujours en vie.

– Vous devrez être très patients les premiers temps, déclare doucement le médecin de Sainte-Mangouste en les guidant dans un couloir sur-éclairé.

Hermione ne réalise toujours pas. Elle a l'impression de remonter les parois d'un immense labyrinthe. C'est un rêve, bon ou mauvais, elle ne saurait le dire, mais elle finira bien par se réveiller... Dans ses bras, Rose s'agite, la ramenant invariablement au présent.

Ron est vivant. Hermione entend encore et encore les paroles de l'agent du Ministère résonner dans sa tête : « Il a été démasqué et retenu prisonnier pendant plusieurs mois. Ils l'ont torturé. Mais la nuit dernière, il semble être parvenu à s'enfuir. Nous l'avons tout de suite conduit à l'hôpital. Il a subi de gros traumatismes ».

Les mots résonnent dans sa tête, et semblent irréels... Ron... Ron est vivant...

Tout le travail de deuil des mois écoulés paraît se replier sur lui-même tout à coup, comme une corde qui se détend, et qui lui oppresse la poitrine. Hermione voudrait hurler de joie, d'incompréhension et d'horreur mêlées. Ce n'est pas possible, l'esprit n'est pas conçu pour endurer de telles choses... On ne peut pas faire revenir un mort à la vie dans son cœur et dans sa psyché, comme par enchantement...

Le médecin en face d'elle semble le comprendre, car il s'arrête un instant pour lui presser l'épaule :

– Je sais que ça a dû être très difficile pour vous, dit-il de sa voix empathique. Et que tout cela doit vous causer un vrai choc. Mais vous ne serez pas seule. Nous allons vous suivre tous les deux, vous épauler à chaque instant... Tout va bien se passer, vous verrez.

Tout va bien se passer... Etrangement, Hermione ne croit plus à cette phrase depuis longtemps. Debout à ses côtés, Harry se raccroche à ces paroles rassurantes comme s'il avait désespérément besoin d'elles pour tenir debout. Tous deux échangent un regard. Ils n'ont pas besoin de mots pour se comprendre.

Ron est revenu. Seigneur, Ron est revenu... Ils l'ont cru mort. Ils l'ont enterré. Ils lui ont dit adieu. Et ils l'ont trahi. Bon sang, comment vont-ils survivre avec cette vérité ?

Le médecin pousse doucement la porte d'une chambre, et les voilà qui pénètre dans une pièce nue, aussi blanche que les autres, avec seulement un lit et une armoire à linge. Et Ron.

Il est là, dans ce lit immaculé, tel un martyr descendu des cieux. Minuscule dans ces draps immenses qui paraissent l'avaler... Les premières secondes, Hermione se dit : « Ce n'est pas lui. Ce n'est pas possible ». Et pourtant, le temps s'écoule et fait son œuvre. La lumière envahit le réseau de tubes et de bandages qui parcoure l'ensemble du corps, qui semble le transpercer pour en faire autre chose, le dénaturer, le défigurer, sorte de créature à moitié humaine, ramenée à la vie et contrainte d'exister, dans toute sa monstruosité...

Ron a maigri. Il n'y a pas d'autre mot pour le décrire, mais quel constat terrible. Ron a fondu. Partout, les os saillent sous sa peau livide. Hermione n'ose imaginer ce que les vêtements, les couvertures et les bandages lui dissimulent. Ses cheveux tondus à ras laissent deviner de profondes entailles, cicatrisées, anciennes, qui témoignent de mois de mauvais traitement. Ses yeux sont deux billes d'un bleu obsédant, qui brûlent dans leurs orbites creuses. Ses cernes lui dévorent le visage. Mais il est bien là : éveillé, animé par Dieu sait quelle force intérieure, la folie peut-être, et lorsqu'il reconnaît les nouveaux venus, il se redresse dans son lit, affolant les moniteurs.

– Du calme, monsieur Weasley, dit aussitôt le médecin en se précipitant sur lui. Vous devez éviter de bouger.

Hermione est paralysée. C'est uniquement par réflexe que ses pas semblent l'amener au pied du lit, où elle reste quelques instants sans bouger, partageant avec son époux un regard étrange, surréaliste, le premier regard depuis presque deux ans. Quelque chose cherche à se frayer un chemin jusqu'à son esprit. Pas son esprit : son cœur. Quelque chose s'insinue en elle, quelque chose de chaud, brûlant et douloureux, quelque chose qui hurle et qui explose tout à coup : Ron est en vie ! C'est Ron, c'est lui, c'est l'amour de sa vie ! Il est rentré ! Il est rentré !

Alors, Hermione éclate en sanglots tout à coup, et elle voit deux larmes jumelles pointer dans les yeux de Ron :

– Hermione..., articule-t-il, et sa voix est restée la même.

C'est sa voix, c'est la sienne ! Un peu plus rauque peut-être, mais elle la reconnaîtrait entre mille... Cette voix, elle l'a rêvée dans son sommeil, elle l'a espérée des nuits durant, jusqu'à en perdre la tête, et ce visage, et ces mains, ces yeux... C'est lui. Ron est revenu. Ron est en vie.

Alors, soudainement, Hermione oublie tout ce qui se passe dans la pièce. Elle oublie Harry, le médecin, et tous ces tubes monstrueux. Ron est revenu, et la joie et l'amour qui la submergent à cet instant manquent de la tuer sur place. Elle se précipite sur le lit et saisit la main qu'il tend vers elle :

– Ron ! pleure-t-elle en serrant cette main contre elle.

Rose tourne la tête en tous sens dans ses bras, incapable de comprendre la scène à laquelle elle assiste :

– Pourquoi tu pleures, Maman ? demande-t-elle, et Hermione pleure de plus belle :

– C'est ton Papa, mon cœur, dit-elle en déposant doucement sa fille sur les draps. C'est ton Papa...

Rose se tourne vers cet homme blessé qu'elle ne connaît pas, intriguée. Du haut de ses deux ans, elle connaît le visage de son père par des photos et des films de famille. Mais cet inconnu couvert de bandages ne lui ressemble pas. Pourtant, pas farouche, elle se laisse faire lorsque Ron tend vers elle une main tremblante, débordé d'émotion :

– Ma petite puce..., articule-t-il. Ma Rose...

Rose sourit, avec son insouciance naturelle et son amour des inconnus :

– T'es malade ? dit-elle.

– Non, ma chérie, répond Ron. Je vais bientôt aller mieux. Et on va apprendre à se connaître toi et moi...

Contemplant à nouveau Hermione, il lui caresse la joue à son tour :

– Mon amour..., dit-il d'une voix étranglée.

– Je t'ai cru mort ! fait Hermione en se jetant dans ses bras. Je t'ai cru mort !

– Je sais... Je sais... Je suis désolé...

Hermione ne réfléchit plus. C'est son odeur qu'elle sent, ses bras refermés autour des siens. Toutes ces choses qu'elle pensait ne plus jamais ressentir un jour, et que son esprit commençait déjà à oublier. Toutes ces choses lui sont rendues d'un coup, et elle voudrait s'en abreuver jusqu'à ne plus pouvoir respirer.

Harry attend quelques instants, puis s'avance lui aussi. Comme Hermione, il semble momentanément avoir oublié tout ce qui l'entoure, ainsi que les conséquences d'un tel événement. Il se penche simplement vers Ron pour l'enlacer, et Ron lui rend une étreinte fraternelle, intense, vraie, de toute la force de ses bras frêles.

– Salut mon pote..., articule Ron avec son manque de solennité habituel.

Harry éclate de rire. Il pleure lui aussi. Le médecin se retire pour leur laisser un peu d'intimité. Plus tard, il sera question d'aborder ce que Ron a vécu, les soins qu'il va devoir recevoir, et sa réinsertion progressive dans le monde des sorciers... Mais pour l'instant, Harry, Ron et Hermione, le trio d'or, souffrent d'une douleur bienfaisante, d'une joie indicible, du plaisir d'être ensemble, après s'être crus séparés pour toujours. Rose rit joyeusement au milieu de ces retrouvailles qu'elle ne peut pas comprendre.

Ce n'est qu'au bout de plusieurs heures, lorsque Ron a manifesté les premiers signes de fatigue et que le médecin a jugé bon de les faire sortir, qu'Harry et Hermione se retrouvent à nouveau seuls dans le couloir de l'hôpital, Rose endormie dans les bras de sa mère.

Harry et Hermione ne disent rien. Ils sortent de l'hôpital sans faire attention à l'agitation autour d'eux, bercés par le contentement qui les remplit. Sur le parvis, des dizaines de journalistes les attendent déjà, brûlant de les interroger sur la résurrection miraculeuse de Ronald Weasley. Harry et Hermione ne répondent pas. Par réflexe, ils transplanent chez eux, et c'est là que cette réalité les percute d'un coup de plein fouet : ce n'est pas chez eux. C'est la maison de Ron et Hermione.

Harry reste soudain immobile, debout au milieu du salon, regardant autour de lui comme un étranger. Hermione perçoit son malaise, mais elle veut le fuir. Pas maintenant. Il ne faut pas y penser maintenant, alors que la joie vient d'envahir leur vie... Pourtant, ils y sont obligés. Hermione va coucher Rose, puis, retirant son manteau, elle songe à aller se coucher elle aussi.

Son regard croise celui d'Harry. Et cette question lancinante entre eux, tacite, silencieuse, résonne tel un hurlement : « Et maintenant ? ». Peuvent-ils vraiment aller se coucher ensemble, dans le lit de Ron, sous le toit de Ron, alors que Ron vient de revenir ? Peuvent-ils prétendre une seule seconde de plus à une vie commune, alors que leur ami et amour est de retour ?

Harry finit par se passer une main dans les cheveux, gênés :

– Je vais rentrer, dit-il sans lui faire l'affront d'exposer ses pensées.

Tous deux les connaissent déjà.

– Je repasserai demain matin, reprend-il. On ira le voir ensemble.

Hermione acquiesce. Il s'approche pour l'embrasser. Tous deux se dévisagent, hésitants, et puis, finalement, Harry dépose un baiser sur la joue d'Hermione et transplane. Il n'a pas dormi chez lui depuis presque un an. Quelques semaines de plus, et il aurait fini par vendre son appartement.


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