Ivresse

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Trois coups brefs sont frappés à la porte d'entrée. Harry sursaute à peine. Ces trois coups, il les a attendus toute la nuit. C'est le matin, à présent. Harry se lève de l'unique fauteuil qui orne son salon et ouvre la porte.

– Salut, fait Hermione en entrant sans demander sa permission.

– Malefoy est parti, lui dit-il aussitôt.

– Quoi ?

La jeune femme se retourne vers lui. Harry voudrait fuir son regard, mais il ne le peut pas. Autrement, Hermione deviendrait suspicieuse... Et il ne peut pas lui dire ce qu'il s'est passé :

– Tu l'as laissé partir ? s'exclame-t-elle en courant aussitôt vers la chambre d'ami, comme si cela pouvait le faire revenir.

– Il ne m'a pas laissé le choix, répond placidement Harry.

Hermione revient vers lui. Harry voit passer une multitude d'émotions dans son regard : ses interrogations, ses questions, ses doutes, tout cela à la vitesse de l'éclair, avec l'intelligence qui est la sienne :

– Qu'est-ce qui s'est passé ? demande-t-elle, abrupte.

Elle sait déjà que quelque chose ne tourne pas rond. Harry soupire :

– Il n'a pas apprécié que je sois entré chez lui par effraction.

– Vous vous êtes disputés ? Encore ?

Hermione secoue la tête, et la déception dans son regard blesse Harry plus que tout le reste. Mais elle le prend de court tout à coup :

– Et puis d'abord, comment tu as su où il habitait ? demande-t-elle. Je croyais qu'il refusait de te le dire ?

La répartie d'Harry se bloque sur ses lèvres. Pour une fois, il maudit la perspicacité d'Hermione. Il a honte et il sent la tempête venir... Cela, il n'avait pas prévu de l'avouer à la jeune femme... Mais quel autre choix a-t-il ? Quel autre choix, s'il veut détourner les soupçons d'Hermione de la vérité, de son geste stupide qui a pris Malefoy par surprise et qui l'a fait fuir ?

– J'ai lu dans son esprit, murmure Harry. Pendant qu'il dormait.

Les yeux d'Hermione s'écarquillent. Harry a l'impression de lire en elle comme dans un livre ouvert, et chaque émotion explose sur son visage : incrédulité, horreur, rejet, condamnation, colère...

– Comment tu as pu faire ça... ? articule-t-elle. Comment tu as pu... Après tout ce qu'il a déjà vécu, comment est-ce que tu t'imagines...

– Je n'avais pas le choix ! proteste Harry, qui sent déjà sa vieille colère rejaillir dans ses veines avec habitude. Je n'avais pas le choix : je devais trouver de la Laetheria, et où aurais-je pu en trouver plus rapidement que dans son appartement ?

– Ne te sers pas de ça comme excuse ! crache Hermione. Tu es Auror ! Tu as des contacts, tu connais les réseaux, tu sais qui vend ce genre de merde à Londres ! Alors ne me dis pas que c'était ta seule option !

Harry secoue la tête, mais il ne trouve pas d'argument pour se défendre. Bouleversée, entre la fureur et les larmes, Hermione continue :

– Tu ne l'as pas fait pour la Laetheria, accuse-t-elle. Tu l'as fait pour toi. Pour satisfaire ta curiosité malsaine...

– Parce que tu n'es pas curieuse, peut-être ?! explose-t-il. Ose me dire que tu ne crèves pas d'envie de savoir ce que j'ai vu dans son esprit !

Hermione recule, choquée par la violence de ses propos :

– Je suis peut-être curieuse, dit-elle au bout d'un long moment, mais jamais je n'aurais osé faire ce que tu lui as fait. C'est un viol. S'il te restait encore une once de sens moral, tu le saurais.

Et elle transplane sans rien ajouter.

Les heures s'écoulent. Les jours aussi. Harry se rend à son travail, mais son esprit flotte loin au-dessus de ses dossiers. Il contemple sans les voir les images de violence et de mort qui peuplent son quotidien. Il n'y a pas de grande traque, en ce moment. Pas de mage noir solitaire déterminé à terroriser la veuve et l'orphelin. Depuis la mort de Voldemort, les cas de magie noire se sont faits de plus en plus rares, jusqu'à presque totalement disparaître. Tous les Mangemorts ayant survécu à la bataille de Poudlard ont été arrêtés et exécutés dans les deux ans qui ont suivi la chute de leur maître. Les partisans plus modérés, quant à eux, ont été soigneusement archivés, surveillés, arrêtés pour certains, ou laissés en liberté sous l'œil plus que vigilent des Aurors.

Le travail d'Harry consiste essentiellement en cela, désormais. Inspecter la population, déterminer le moindre signe avant-coureur d'un mouvement similaire à celui de Voldemort et de ses Sangs-Purs. Surveiller les quartiers louches, comme l'Allée des Embrumes, connaître ses mœurs et ses habitants, tous les trafics noirs qui s'y déroulent... Enquêter sur la drogue, et sur les quelques dizaines de meurtres par an qui entachent la ville de Londres. Harry est un garde-chiot. Mieux vaut prévenir que guérir, telle est la devise des Aurors. Il est le regard et le bras droit armé d'un gouvernement qui vit dans la peur constante de voir renaître une guerre de ses cendres. Un Etat policier, sur-légalisé, sur-dominé. Paix et sécurité sont les maîtres mots. Mais derrière ces mots, Harry a vu la réalité. Avec ou sans Voldemort, il existe des puissances en ce monde qui ne sont pas faites pour être maîtrisées.

Tandis qu'il survole vaguement les dossiers qu'on lui a confiés, heureux d'être dispensé de terrain pour l'instant, Harry feuillette un par un certains des livres qu'il garde entreposés dans sa bibliothèque. Ce sont des livres qui feraient pâlir d'horreur Madame Pince, la bibliothécaire de Poudlard. Et les pauvres traités obsolètes qui sommeillent dans sa Réserve...

Harry tourne les pages, et il peut sentir sous ses doigts la raideur du parchemin fait de peau humaine. Il sent l'odeur si particulière de l'encre rougeâtre qui n'est autre que du sang coagulé. Il déchiffre les textes en vieil anglais qui énoncent comment noyer le soleil, fendre la Terre, réveiller les ossements et insuffler une parodie de vie dans la chair en putréfaction...

Harry songe à tout cela tandis que les jours s'écoulent sans qu'il ne s'en rende compte, le cœur hanté de visions cauchemardesques, assailli par une solution abominable qui murmure à son oreille : « Vas-y. C'est le seul moyen. Ça marchera ». Mais alors, Harry songe à la noirceur de son âme, et il n'ose pas. Le souvenir de tout ce qu'il a déjà vécu palpite en lui, ne demandant qu'à l'engloutir. S'il fait ne serait-ce qu'un pas de plus dans les ténèbres... Il n'en reviendra jamais. Une bien trop grande part de lui est déjà livrée aux abysses.

Lundi arrive. Harry ne s'en est pas aperçu. Durant toute la semaine, ses pensées se sont tenues loin d'Hermione, loin de Malefoy, loin du baiser qu'il lui a infligé. C'est volontaire, bien sûr. Harry ne peut pas supporter l'aveu de faiblesse qui s'est saisi de lui pour le pousser à commettre un acte aussi stupide... Il refuse d'affronter ce que cela révèle de lui-même. Heureusement, sa vieille obsession était là pour reprendre le dessus : les recherches, avec un seul but, toujours : sauver Malefoy.

Aussi Harry est-il surpris lorsque Malefoy lui-même se manifeste en chair et en os, à la porte de son bureau, lundi matin.

– Salut, lance le Serpentard.

Il n'a pas changé. Il a l'air d'aller bien. Sa cape recouvre sa silhouette et ses vêtements entièrement noirs. Sa maigreur et son teint pâle ressortent sur toute cette obscurité, mais il semble en jouer, tirer parti de son air fantomatique. Il garde ses cheveux très courts, sans doute par habitude. Et la barbe platine qui mange son visage fait davantage encore ressortir ses yeux de loup...

Harry doit se rappeler de respirer. Le rendez-vous judiciaire... Il ne pensait pas que Malefoy viendrait. Qu'aurait-il fait, s'il n'était pas venu ? L'aurait-il dénoncé ? Non, probablement pas. Aurait-il rempli un faux rapport, alors ? En faisant cela, il aurait rendu à Malefoy sa pleine et entière liberté : libre de trafiquer dans l'Allée des Embrumes, libre de ne plus lui rendre aucun compte, libre de mourir loin de lui...

Seulement voilà : Malefoy est venu.

– Salut, répond vaguement Harry en se raclant la gorge.

Le Serpentard s'avance, sans s'asseoir. Il crispe ses mains sur le dossier du siège devant lui, comme pour se soutenir, et Harry hésite à lui demander comment il va.

– Je ne pensais pas que tu viendrais..., déclare l'Elu au bout d'un long moment, parce qu'il ne supporte plus le silence.

Malefoy s'éclaire d'un léger sourire :

– Pour être honnête, je ne pensais pas que je viendrais non plus.

Ils restent ainsi encore quelques instants, sans parler. Puis Malefoy semble prendre sa décision et plante brusquement ses yeux dans les siens, sans animosité, sans rancœur, rien qu'avec une intensité brute :

– Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? demande-t-il. Pourquoi est-ce que tu m'as embrassé ?

Harry se sent rougir de honte, et il voudrait détourner le regard, mais il ne peut pas. Cela non plus, il ne s'y attendait pas. Il pensait que Malefoy préférerait mourir plutôt que d'en reparler. Mais de toute évidence, Malefoy est un être qui échappe à sa compréhension :

– Je suis désolé, balbutie Harry. Je sais de quoi ça a dû avoir l'air, de ton point de vue... Je suis désolé. Je n'aurais jamais dû faire ça.

– Ça ne répond pas à ma question.

Harry hausse les épaules. Les explications se bousculent dans son esprit, mais aucune n'est satisfaisante. Ses sentiments sont tellement confus... Il ne sait plus ce qu'il éprouve. Et, plus encore, il ne veut pas que Malefoy voie tout au fond de lui. Mais il y a le baiser de cet inconnu dont il ignore le visage et le nom, cette jalousie indéniable, et cette volonté irrépressible de se comprendre lui-même...

– Je crois que... je ressens quelque chose pour toi, avoue lentement Harry, et chaque mot lui est arraché des lèvres.

Malefoy le dévisage sans rien dire. Il n'affiche aucune réaction, ne semble même pas surpris. Harry lui se met à trembler, mais il le réalise à peine. Au bout d'un moment, le Serpentard déclare, toujours sans colère, sans mépris, mais avec un calme et une douceur terribles :

– Tu ne ressens rien pour moi.

– Mais je viens de te dire...

– Tu ne ressens rien pour moi.

Malefoy fait une pause, le temps de le crucifier du regard, puis il poursuit :

– J'ai beaucoup hésité à venir te voir. Après être rentré chez moi, dès que j'ai eu les idées lucides, j'ai tenté de réfléchir à ce que tu avais fait. De comprendre pourquoi tu l'avais fait. Et je m'attendais à une réponse de ce genre. Alors, laisse-moi me montrer clair avec toi, Potter. Tu ne ressens rien pour moi. Tu ne peux pas m'aimer, parce que tu ne me connais pas. Nous avons passé dix ans loin l'un de l'autre, toi et moi. Et même avant cela, on ne s'appréciait pas. Et encore, c'est un euphémisme. Alors non, tu ne m'aimes pas. Tu aimes l'idée que tu t'es faite de moi. Tu crois m'aimer parce que je suis une cause perdue, et parce que tu es un héros en manque de cause perdue. Mais je suis désolé, Potter... Je ne suis pas une cause pour toi.

Il se tait, le contemple, comme si ses mots avaient le pouvoir de tout détruire en lui. Harry est paralysé. Il ne veut pas laisser ses paroles le pénétrer. Il veut se battre contre elles, une fureur noire et terrible qui ne trouve pas les mots pour s'exprimer. Au final, la seule idée qui subsiste est :

– C'est parce que tu as déjà quelqu'un...

Malefoy ne se braque pas, comme la dernière fois. Il le regarde simplement sans ciller et admet :

– Oui.

– Qui est-il ?

Malefoy sourit :

– Occupe-toi de ta propre vie, Potter. Je crois qu'elle en a bien besoin.

Puis, avec un dernier regard pour les livres qui engloutissent la pièce, Malefoy fait demi-tour et s'en va.

Toute la journée, Harry reste prostré. Il revoit le visage et les paroles de Malefoy, mais surtout, l'étrange sollicitude extrême qu'il lui a témoignée. Malefoy aurait pu être noir de colère et le fuir comme la peste après ce qu'il lui a fait, après les souvenirs douloureux que cela a dû réveiller... Combien de fois l'a-t-on tiré du sommeil en pleine nuit pour l'agresser ?

Mais au lieu de cela, Malefoy a fait preuve d'une empathie qu'Harry ne lui avait jamais vue. Et il le maudit pour cela. Il le maudit pour être celui qui le prend toujours de cours, pour avoir renié l'aveu de ses sentiments, et pour l'avoir touché par sa tolérance, son ouverture et sa compassion, à tel point qu'Harry le désire encore plus à présent...

Il se prend la tête à deux mains. L'absence de Malefoy dans son bureau palpite comme une blessure animée d'une vie propre. Pourquoi le Serpentard ne l'a-t-il pas cru ? Est-il possible qu'il ait raison ? Et pourquoi est-il incapable de faire le tri en lui-même ? Tout cela, et sa dispute avec Hermione...

Sans réfléchir, Harry se lève. S'il reste une seconde de plus ici, il va exploser. Il ramasse ses affaires et quitte son travail sans se soucier de l'heure, pour se réfugier dans le seul endroit où l'on ne songera sans doute jamais à venir le chercher : l'Allée des Embrumes.

Le visage d'Harry est connu dans l'Allée des Embrumes. Mais il sait aussi se rendre invisible, méconnaissable. Ne rendre ses traits intelligibles que pour ses indics, et rester dans l'ombre lorsque la situation l'exige...

Aujourd'hui, Harry veut sombrer. Il veut une plongée en profondeur, un voyage emporté par les flux noirs qui agitent cette ville : il veut boire et fumer, se droguer peut-être, tout pour se perdre loin de ses pensées, loin de sa conscience, loin de ses doutes. Oublier quelques instants qu'il est Harry James Potter... Oublier que Malefoy l'a rejeté... Comme Hermione. Comme Ginny.

Ecrasé par sa propre solitude, Harry trouve un bar où il sait que le propriétaire ne lui posera pas de questions, et il commande un double whisky Pur-Feu. Puis un autre. Et encore un autre. La réalité commence à se faire brumeuse dans son esprit. Harry se laisse submerger par les vapeurs d'alcool et de tabac froid, par l'atmosphère tamisée du bar, et les murmures des clients autour de lui... Il oublie tout de sa vie et plonge dans la folie brute et pure de l'instant. Son passé, son avenir disparaissent. Tout ce qu'il a un jour fait ou prévu de faire. Ne reste plus que ce qu'il est, intrinsèquement, et ce qu'il désire. Ce qu'il ne peut avoir. Peu importe pourquoi.

Se redressant tout à coup, Harry se rend compte que la douleur qui l'accable n'est plus seulement morale, elle est physique : elle s'est ancrée en lui et lui déchire la poitrine, le divise en deux, fragments d'un être incomplet qu'on a laissé là tout seul sur le bord de la route pour mourir...

Cela fait tellement longtemps. Tellement longtemps qu'il est seul. Avec Hermione, il avait cru trouver un répit, quelqu'un qui avait vécu les mêmes choses que lui et qui, par conséquent, le comprenait, partageait ses peines et ses choix. Mais il l'a perdue. Elle aussi, il l'a perdue... Et rien ne vient plus combler le vide, désormais. Rien ne vient plus le séparer de ses démons. Rien ne vient plus se tenir entre lui et l'abîme... Quelques fois, Harry voudrait y plonger. Laisser les ténèbres gagner, le dévorer, pour qu'il ne reste plus rien de lui et qu'enfin, la souffrance s'arrête. Mais il combat toujours cette idée. Elle n'est pas dans sa nature. Harry Potter ne baisse jamais les bras. A la place, il insiste, il lutte. Il sauvera Malefoy, malgré lui s'il le faut.

Fort de cette résolution, Harry quitte le bar et se traîne dans l'Allée des Embrumes. Il fait nuit. Quand la nuit est-elle tombée ? Hier encore, c'était le matin...

Ses pensées sont confuses, et avant même de réaliser où il est, Harry s'arrête devant l'apothicairerie d'Harpocrate. Il entre. Le petit homme est là, comme toujours recroquevillé derrière son comptoir, entouré de cadavres en bocaux. Rien ne semble pouvoir le surprendre tandis qu'il lève un regard blasé sur Harry :

– Auror Potter, dit-il de sa voix doucereuse. Je me demandais quand est-ce que vous passeriez. Comment va notre ami commun ?

Harry titube jusqu'au comptoir et s'y agrippe, espérant vaguement qu'Harpocrate ne remarquera pas son ébriété :

– Vous avez dit qu'il y avait un moyen, déclare-t-il.

– Je n'ai jamais rien dit de tel.

– Vous l'avez sous-entendu. Quand vous étiez chez moi. Je l'ai vu dans vos yeux, ne me mentez pas.

Harpocrate recule, et pour la première fois, un petit sourire entendu se laisse deviner sur ses traits ambigus :

– Vous mieux que quiconque, monsieur Potter, vous devriez savoir qu'il existe des moyens pour contrer la mort.

Harry détourne le regard, vaguement dégoûté, ignorant si sa réaction est due à l'alcool ou à la suggestion du vieil homme :

– Il n'acceptera jamais de coopérer, finit-il par lâcher, et les mots ont un goût de cendre dans sa bouche.

– Alors vous devez me l'amener, conclut Harpocrate comme si la solution était enfantine. Et aussi m'amener... Tout ce qui sera nécessaire.

Harry dévisage le vieil homme. Il semble si faible, si inoffensif... Qui pourrait croire qu'il se cache un esprit aussi retors derrière ces yeux ternes ? Un esprit qui n'hésite pas à évoquer la mort, et qui ne tremble pas devant elle...

– Mais je dois vous prévenir, monsieur Potter, reprend Harpocrate tel un médecin parlant d'effets secondaires. Si vous envisagez vraiment ce à quoi je pense... Ce sera la chose la plus horrible qu'il ait jamais vécue. Et il en sortira changé. Vous aussi.

– Et vous ?

Harpocrate sourit :

– Je flirte avec ces choses-là depuis bien assez longtemps, déclare-t-il. Elles me connaissent, et je les connais aussi. Je sais comment les tenir à l'écart.

Harry secoue la tête. Alors, brusquement, Harpocrate lui agrippe la main :

– Amenez-moi ce dont j'ai besoin, monsieur Potter, susurre-t-il. Et nous aiderons votre ami.

Comme dans un rêve, Harry se voit franchir la porte de l'apothicaire pour s'enfuir.

Il fait froid, dans les rues de Londres. Harry erre toujours. Pendant un instant, il a peur de s'égarer et de finir par hasard devant la porte de Malefoy. Comment réagirait le Serpentard, alors ? Mais non, c'est une autre porte qu'Harry trouve. Celle-là aussi, il l'a franchie de nombreuses fois. Trop nombreuses pour qu'il veuille bien l'admettre.

Harry entre ce soir-là encore, et la chaleur réconfortante des tentures et de l'encens l'accueille, comme à chaque fois. Pourtant, si l'on y prête attention, la moiteur capiteuse des parfums ne suffit pas à cacher la véritable odeur qui règne ici. Une odeur de renfermé, de sueur, et de corps pressés les uns contre les autres...

Harry regarde autour de lui. Une femme d'une quarantaine d'années finit par l'apercevoir et se précipite vers lui, un verre d'absinthe à la main :

– Monsieur ! dit-elle en omettant volontairement son nom, même si elle l'a parfaitement reconnu.

La discrétion est de mise, dans ce genre d'établissement.

– Voilà un moment que nous ne vous avions pas vu, minaude-t-elle avec un sourire de chat. Vous nous avez manqué. J'envoie chercher Anna-Lise ?

Anna-Lise... Harry visualise la jeune femme dans son esprit. La vingtaine. Un teint de lait, de beaux cheveux bruns bouclés, de grands yeux noisette... Comme Hermione. Anna-Lise ressemble terriblement à Hermione. C'est pour cela qu'il l'avait choisie, bien sûr.

La femme en face de lui le ramène soudain à la réalité. Sans doute a-t-il acquiescé à sa requête sans s'en rendre compte, car il se retrouve assis dans un des confortables sofas de l'entrée, le verre d'absinthe à la main, et la silhouette d'Anna-Lise se trouve soudain en face de lui, lui tendant la main pour qu'il la suive.

Harry la contemple quelques instants. Il voit ses formes pleines qui ont été siennes, l'espace de quelques heures ou de quelques nuits, de si nombreuses fois... Il voit le sourire sur ce visage qui ressemble tellement à elle... Et, brusquement, ce n'est plus le visage d'Hermione qui s'impose à son esprit. Oui, encore une gorgée d'absinthe, et tout devient clair.

Harry contemple la mère maquerelle. Les mots se perdent dans un vague accès de honte, mais la tenancière semble comprendre et renvoie la fille :

– Peut-on faire autre chose pour vous, ce soir ? propose-t-elle en s'asseyant suavement à ses côtés.

Devant son hésitation, elle caresse sa joue et redresse une mèche de ses cheveux, comme devant un jeune enfant :

– Nous voyons passer toutes sortes de choses ici, monsieur, dit-elle tendrement. Nous sommes très tolérants. Parlez, et je vous garantis que nous trouverons ce que vous désirez. Cela ne franchira jamais ces murs.

Alors, Harry laisse ses pensées s'exprimer :

– Vous n'auriez pas plutôt... Un homme ? demande-t-il en peinant à réaliser que c'est bien lui qui prononce ces mots. Blond. Mon âge, les yeux clairs. Les cheveux courts.

La tenancière sourit :

– Attendez-moi ici.

Elle revient quelques minutes plus tard, accompagnée d'un jeune homme qu'Harry aurait pu croiser n'importe où, sans se douter une seule seconde de sa profession.

– Voici Caleb, dit la tenancière, et l'homme incline la tête avec un léger sourire. Il va prendre soin de vous.

Harry ignore si la femme a briefé Caleb avant de l'amener, ou s'il fait seulement preuve d'une prévenance à toute épreuve, mais le jeune homme le conduit dans les escaliers sans le toucher ni lui adresser un seul mot, se contentant de son sourire posé. Harry en conçoit un soulagement intense. Son cœur bat à tout rompre, et il a l'impression que la totalité de son sang s'est concentré dans ses joues. Il n'a pas bu suffisamment d'alcool pour ignorer les signaux d'alarme de son esprit qui lui hurlent qu'il est devenu fou et qu'il ne sait absolument pas ce qu'il fait. Mais Caleb finit par ouvrir une porte au bout d'un couloir lambrissé, et Harry découvre une chambre confortable, très simple, où l'on a dressé un lit double entièrement blanc devant un feu de cheminée. Pas d'accessoires, pas de mise en scène bizarre. C'est aussi pour ça qu'Harry avait pu trouver refuge dans cet endroit, par le passé... Mais jamais avec un homme.

Caleb referme la porte et remplit deux verres de vin, disposés sur une élégante table basse :

– Tu en veux ? demande-t-il en prenant lui-même une gorgée.

– Non, répond Harry.

Il a la gorge sèche, pourtant. Il détaille l'homme.

Il est très beau. Impossible de se mentir là-dessus. Même objectivement, sans mettre en cause aucune forme d'attirance, Harry peut déclarer qu'il est très beau. Il a les yeux verts, clairs comme de l'eau. Le teint très pâle qui sied à toutes les personnes ayant les cheveux blonds. Un nez long et fin, des pommettes hautes, des traits harmonieux et saisissants, emprunts d'une légère dureté que contredisent ses lèvres fines, souriantes. Il porte effectivement ses cheveux très courts, et Harry se demande si la mère maquerelle lui a demandé de les couper pour l'occasion. C'est probable. A l'aide de la magie, il peut les faire repousser à loisir...

Il reste très différent de Malefoy, pourtant. Pourquoi est-ce cette image qu'Harry cherche à lui surimposer ? Il ose à peine se l'avouer. Il ose à peine réaliser ce qu'il fait, et ce qu'il s'apprête à faire...

Caleb sent son appréhension. Evidemment, il doit connaître ce genre de choses... Il s'approche doucement, sans intentions sur son visage, son verre à la main. Harry constate avec un léger agacement qu'il est plus grand que lui, plus grand que Malefoy, mais l'homme dispose d'une force surprenante, dans son regard, qui détourne Harry de ces pensées :

– Je n'ai jamais..., commence-t-il. Je n'ai jamais rien fait avec un homme.

Caleb hoche la tête. Comme sa patronne l'a annoncé, il n'y a aucun jugement dans son regard. Aucune moquerie, aucune condescendance, et rien susceptible de faire fuir Harry à toute allure. Il semble au contraire compréhensif et très calme. Posant son verre sur le rebord de la cheminée, il lui demande doucement :

– Et si tu me disais ce que tu veux ?

Harry est pris au dépourvu par la question. Des milliers de scénarios possibles se déroulent dans son esprit et tous le font mourir de peur – et de honte. Mais la douceur dans les traits du jeune homme semble soudain lui rappeler pourquoi il est venu ici. Ce qu'il a vu aujourd'hui. Son entretien avec Malefoy, et les émotions qu'il a éprouvées devant lui... Cette terrible et profonde empathie dans sa voix, dans ses yeux... Harry sait pourquoi il est là. Il est là parce qu'il veut Malefoy... Et parce qu'il a désespérément besoin de lui. Faim de lui, de toutes les façons possibles. Besoin de le serrer dans ses bras, de le sentir contre lui et de s'assurer qu'il est toujours là, qu'il est en vie, qu'il existe, tant qu'il respire encore...

Harry hausse les épaules, et même s'il se donne le sentiment d'être extrêmement maladroit, il avoue simplement :

– Je veux que tu te sentes bien.

Caleb hausse un sourcil, à la fois surpris et étonnamment charismatique, et Harry poursuit sans même s'en rendre compte :

– Mais je n'ai aucune idée de par où commencer...

– Et si tu commençais par ça ? demande Caleb.

Il s'approche. Il reste quelques instants immobile, le temps de laisser Harry assimiler leur soudaine proximité. Puis, très doucement, il effleure son visage et lui ferme les yeux. Alors seulement, Harry sent la pression de ses lèvres se refermer sur les siennes.

Les premières secondes, il ne réagit pas. La sensation est étrange. Ce n'est pas si différent des baisers qu'il a déjà connus, finalement... Le contact d'une bouche contre la sienne, la chaleur de l'autre... Harry réalise brusquement ce qu'il est en train de vivre, et un frisson électrique le saisit : anticipation, sursaut ou prise de conscience, il ne saurait le dire, peut-être les trois à la fois...

Caleb a prévu cela aussi. Il a descendu ses mains sur ses épaules sans cesser de l'embrasser : rien que de petits baisers tendres, superficiels, légers, emprunts d'une ferveur très douce qui donne soudainement à Harry l'envie de fondre en larmes sans qu'il ne comprenne pourquoi...

Il est totalement perdu. Et seul depuis si longtemps. Depuis combien de temps n'a-t-il pas senti ainsi une étreinte amie autour de lui, la caresse d'un baiser, d'un réconfort qui semble sincère, même s'il devra payer pour l'avoir ?

C'est habité par toutes ces pensées qu'Harry finit par répondre aux baisers de Caleb. Du bout des lèvres d'abord : une simple pression à son tour. Caleb se recule alors, avec dans ses yeux un sourire vrai, authentique, comme un encouragement qui fascine Harry et le laisse totalement désarmé lorsque Caleb l'embrasse à nouveau, plus intensément. Cette fois, Harry a entrouvert les lèvres, et il découvre pour la première fois la langue de l'autre qui l'effleure simplement, l'appelle, le caresse, timidement d'abord, jusqu'à ce qu'il lui réponde. Harry mêle alors sa langue à la sienne, et leur baiser devient profond, passionné, tous deux haletant cramponnés l'un à l'autre, leur souffle se mélangeant tandis qu'ils goûtent à ce plaisir simple, cette première union...

Harry ne réalise plus ce qu'il fait. Il n'y pense plus, ne veut plus y penser. Cela ne vaut pas la peine qu'il y pense. Il se sent bien, tout simplement. Les yeux fermés, il ne vit que pour les sensations que ses sens lui procurent : ces lèvres sur les siennes, cette langue qui allume un feu en lui, et ce corps chaud et fort pressé contre lui, toujours un peu plus...

Sans qu'il ne s'en rende compte, Caleb et lui se sont rapprochés. Le jeune homme blond l'enlace désormais fermement et Harry a passé ses bras autour de son cou pour faire de même. Leurs corps ondulent comme s'ils voulaient se fondre l'un en l'autre, et Harry sent son propre désir, ardent comme il ne l'a jamais été, pour la première fois confronté directement au désir de l'autre à travers la mince épaisseur de tissu qui les sépare...

Harry perd pied. Il n'a jamais senti l'érection d'un autre homme tout contre la sienne, et cela a quelque chose de nouveau et vertigineux. Il réalise que ce qu'il vit à cet instant, c'est concret, c'est réel. Il peut le sentir, il pourrait même le toucher s'il le voulait... Le veut-il ?

Caleb cesse de l'embrasser à cet instant et le regarde dans les yeux, comme s'il avait lu dans ses pensées. Comme s'il voulait l'évaluer, le rassurer, juger s'il était prêt. Harry suspend son souffle. Il dévisage l'autre homme sans savoir quoi faire, attendant qu'on le guide, qu'on lui montre quelle sera la prochaine étape. Il se sent vulnérable, mais pour une raison étrange, il ne trouve plus cela aussi détestable ou aussi effrayant.

Doucement, Caleb se recule et commence à défaire le lacet qui noue le col de sa tunique. Il la fait passer par-dessus ses épaules, puis laisse à Harry tout le loisir de l'observer, tel un animal sauvage que l'on cherche à apprivoiser. Ensuite, toujours timidement, mais avec cette fermeté brûlante dans le regard qui cloue Harry sur place, Caleb défait un à un les boutons de la chemise du jeune homme et la fait glisser jusqu'au sol.

Ils sont torse nu, tous les deux. Ils se regardent, et Caleb caresse doucement la ligne des épaules d'Harry, son cou, ses lèvres. Il l'embrasse à nouveau. Il l'habitue au contact de son corps nu contre le sien. Lorsqu'il sent Harry se détendre, il laisse une de ses mains courir au bas de son torse et descendre sur son entrejambe.

Harry tressaille. Caleb le touche, et il n'interrompt pas leur baiser. Il l'effleure doucement à travers la barrière du tissu. Harry se sent durcir à nouveau, plus fort que jamais. A tel point qu'il n'arrive plus à s'interroger sur le sens de tout ceci. Caleb lui procure un plaisir qui anéantit tout, qui détruit l'espace et le temps. Il réalise à peine lorsque le jeune homme franchit la barrière de son vêtement pour le prendre en main et le caresser vraiment, faisant de lents allers-retours entre ses doigts agiles, fermes et doux. Harry gémit. Il cesse leur baiser et enfouit son visage dans l'épaule de Caleb, qui lui embrasse le cou. Le jeune homme sent bon. Il a une odeur d'océan, de fraicheur et de menthe. Sa peau est douce sous les lèvres d'Harry qui l'embrasse sans s'en rendre compte, réclamant par ce seul geste plus de contact, plus de caresses...

Caleb se rapproche de lui. Harry peut à nouveau sentir son désir contre le sien. Alors, sans être guidé, Harry tend à son tour la main vers le jeune homme qui l'enlace et glisse ses doigts sous la ceinture de son pantalon, sous ses sous-vêtements qu'il retire légèrement pour saisir ce qu'il recherche...

Une fois encore, l'acte est étrange. Harry n'a jamais tenu de sexe masculin autre que le sien. Il n'a jamais cherché à procurer du plaisir à un autre homme, comme il lui arrivait de s'en procurer à lui-même. Stupidement, il se trouve sans expérience, et l'angoisse revient de se montrer maladroit, de ne pas être à la hauteur...

Caleb pose doucement sa main libre sur la sienne et l'encourage à continuer. Lui aussi soupire dans le cou d'Harry. Alors, Harry laisse ses doigts aller et venir autour du désir qu'il sent durcir, et il trouve une étrange forme de plaisir dans le fait même de donner du plaisir.

Ils se tiennent tous les deux debout, chancelants, agrippés l'un à l'autre. Soudain, d'une simple pression, Caleb les fait se diriger vers le lit. Avant de s'allonger, il se déshabille entièrement. Ses chaussures sont d'abord abandonnées sur le sol, puis son pantalon et ses sous-vêtements. Caleb se tient fier et nu, devant Harry à la lueur des flammes, et même si Harry ne peut chasser les restes d'intimidation qui demeurent en lui, il éprouve à présent autre chose : un véritable désir qui hurle pour être assouvi. Il se déshabille lui aussi. Caleb doit sentir qu'un regard insistant lui procurerait de la gêne, aussi ne le détaille-t-il pas. Harry en revanche ne peut détacher les yeux du corps souple et musculeux qu'il a devant lui, ce corps si différent de celui d'Hermione, de Ginny, et de tous ceux qu'il a connus : le corps d'un homme, un corps à la fois semblable et différent du sien, et que pour la première fois il trouve à ce point désirable, magnifique, magnétique...

Le désir de Caleb apparaît évident, juste sous ses yeux, et Harry se rend compte avec stupéfaction que cela l'excite encore plus. Sans un mot, Caleb se penche sur lui pour l'embrasser, l'allonge sur le lit, et enroule alors son corps au sien dans une étreinte parfaite.

Pendant un long moment, ils restent ainsi : ils s'embrassent en laissant l'éclat des flammes souligner leur peau nue, ils découvrent le contact et le corps de l'autre, ils frémissent de plaisir lorsque leurs érections se frôlent... Et ensuite ?

Caleb le caresse avec la dextérité d'un expert. Ses baisers descendent le long de sa poitrine, de son ventre, pour finalement se perdre entre ses cuisses où ils jouent quelques instants avec la chair tendre de l'aine. Harry soupire d'anticipation. A cet instant, ça ne compte plus que Caleb soit un homme, plus rien n'a d'importance. Caleb le prend dans sa bouche, et tout devient plaisir et sensation. Une chaleur moite, omniprésente, parfaite. Un profond va-et-vient qui lui donne l'impression d'aspirer tout son être, que toute la douleur va à jamais disparaître, et que rien n'a jamais été plus juste que ce qui se passe à cet instant dans cette chambre, en ce lieu, en ce moment.

Caleb s'interrompt avant le moment fatidique. Ses baisers remontent doucement, et alors, Harry le fait reculer pour mieux le contempler. Sous la lueur trouble des flammes, c'est vrai qu'il peut ressembler à Malefoy... Le désir se contracte dans le ventre d'Harry tel une bête sauvage. Il le veut. Il veut cet homme. Il veut prendre Malefoy à travers lui, s'il le peut...

Caleb l'interroge du regard, alors Harry dit simplement :

– Je veux que tu te sentes bien...

Caleb lui prend la main et la guide entre ses cuisses. Harry hésite, mais timidement, et toujours sous ce regard de braise qui l'encourage sans appréhension, il insère un doigt entre les jambes du jeune homme. Ce dernier l'attire à lui pour l'embrasser. Sa main le guide toujours et l'entraîne plus profondément, décrivant de petits cercles qui détendent peu à peu ses muscles, jusqu'à ce qu'Harry insère un deuxième doigt, puis un troisième.

A ce stade, le désir s'est de nouveau fait jour dans les yeux de Caleb. Harry le contemple avec fascination tandis que le jeune homme se tort sous la pression de ses doigts. C'est lui qui fait ça. Est-ce bien lui qui fait ça ? Caleb ferme les yeux, et Harry voit Malefoy, et il voit tout le bien qu'il souhaiterait lui apporter, là juste sous ses doigts, de toutes les manières possibles...

Caleb lui intime alors de se retirer et il s'allonge sur le flanc, à moitié sur le ventre, totalement offert à lui :

– Vas-y, lui dit-il, la voix rauque.

Harry sent l'hésitation revenir au galop, mais Caleb lui presse la main :

– Tu ne me feras pas mal, lui assure-t-il. Je me sentirai bien.

Alors, Harry laisse courir ses doigts sur le corps couvert de sueur. Il ne quitte pas les yeux verts du regard tandis qu'il s'étend auprès de lui et le pénètre lentement, en douceur, obnubilé par son propre geste. Il est contraint de fermer les yeux lorsqu'il sent les chairs se refermer sur lui, et cette chaleur étroite, intense, qui pulse au rythme des battements de son cœur, et qui menace de le rendre fou...

Harry pénètre complètement, et Caleb laisse échapper un râle contre les couvertures. Harry se retire et recommence, une fois, deux fois, encore et encore. Le plaisir s'empare de lui et lui fait perdre la tête. Harry ne réfléchit plus : il prend confiance et s'unit au corps sous le sien comme s'il s'agissait de sa dernière nuit sur cette Terre, comme si le monde ne se résumait plus qu'à ce seul instant, et qu'il devait mourir si on venait à les séparer...

Le corps de Caleb ondule à la cadence de ses va-et-vient, magnifique, jeune et fort. Le jeune homme gémit et Harry trouve sa raison de vivre dans chacun de ces gémissements. Il voudrait que Malefoy gémisse ainsi. Il voudrait que Malefoy ait ces gémissements pour lui... Il voudrait tellement compter pour lui en ce monde, et occuper un jour cette place auprès de lui...

Harry se presse encore tout au fond des chairs de Caleb et le plaisir s'intensifie. Il monte par vagues, il le submerge tel un raz-de-marée jusqu'à ce que soudain, Harry rejette la tête en arrière et se laisse purement aller, comme il ne l'a plus fait depuis des mois et des mois : il jouit dans une extase puissante, vive et chaude, qui le saisit tout entier et le laisse tremblant de tous ses membres, agité de va-et-vient compulsifs. Sous ses doigts, Caleb jouit à son tour, ce qui relance des ondes de plaisir dans le corps d'Harry toujours uni au sien...

Les deux hommes se séparent. Caleb tourne son visage vers Harry, lui sourit, l'embrasse. Il ne dit pas un mot. Ne cesse pas un instant de le regarder. Leur sperme entache les draps et leur peau, mais il le laisse ainsi, témoignage de ce qu'ils viennent de vivre. Leurs bras et leurs corps sont encore enlacés, mêlant leur sueur, leurs odeurs. Harry est hypnotisé par ce regard si semblable à Malefoy et pourtant si différent. Dans ce silence empli d'une chaleur douce, il pourrait presque s'endormir, mais Caleb lui sourit :

– Tu m'as fait du bien, dit-il. J'espère que je t'en ai fait aussi.

Harry hoche la tête. Le jeune homme se redresse alors sur un coude pour mieux le contempler. Il dessine la ligne de sa mâchoire :

– Il a beaucoup de chance, déclare-t-il alors.

– Qui ça ? demande Harry.

– Celui auquel tu penses.

Harry perd pied. Partagé entre ses défenses qui se dressent automatiquement, et la vulnérabilité intime que leur rapport vient de lui livrer :

– Qu'est-ce qui te fait croire que je pense à quelqu'un en particulier ? s'entend-il répondre.

Caleb lui offre un regard d'une clairvoyance aveuglante, toujours sans le moindre jugement :

– Je l'ai vu dans tes yeux, dit-il.

Il l'embrasse :

– Sur tes lèvres.

Ses mains courent le long de son sexe :

– Dans ta façon de me toucher...

Harry gémit et s'approche instinctivement de cette caresse. Caleb reprend :

– Tu voulais absolument que je me sente bien, murmure-t-il. Je ne peux pas te dire à quel point c'est rare, ici.

Il s'autorise un dernier sourire, pas triste mais résigné, comme une forme d'acceptation :

– Il a de la chance d'être autant aimé. N'importe qui donnerait n'importe quoi pour être aimé de cette façon.

Ces paroles plongent Harry dans une brusque mélancolie. A nouveau, Caleb doit le sentir. Allongeant sa tête contre la sienne, il demande simplement :

– Est-ce qu'il sait ce que tu ressens pour lui ?

– Oui. Mais nous n'avons jamais rien fait ensemble... Il ne me prend pas au sérieux. Et même s'il me prenait au sérieux... Mon simple contact le révulserait.

Devant le corps de Caleb qui se tend, Harry ressent le besoin de s'expliquer :

– Il a fait un long séjour en prison... Il a été abusé, plusieurs fois, collectivement. Je crois que maintenant, tout rapport avec un homme doit lui apparaître comme une agression...

Le visage de Caleb se fait soucieux, sombre, compatissant. Incroyable comme ses émotions se devinent à ce point sur ses traits... Malefoy n'a pas ce genre de transparence. Même si tous deux semblent capables de la même empathie...

– Il risque d'avoir du mal à accorder sa confiance, déclare Caleb au bout d'un long moment.

Harry acquiesce. Alors, le jeune prostitué se redresse à nouveau et l'embrasse du bout des lèvres :

– Mais si tu l'aimes comme tu m'as aimé cette nuit... Il serait le plus idiot des hommes de te repousser.

Le lendemain, Harry a payé ce qu'il devait à Caleb et à la mère maquerelle. Il éprouve une sensation étrange. Pour la première fois de sa vie, il a fait l'amour avec un homme. Il doit reconnaître que cela remet en cause tout ce qu'il croyait savoir de sa sexualité, et de la sexualité en général. Mais cela conforte ses sentiments pour Malefoy.

Le Serpentard peut dire ce qu'il veut. Mais c'est son visage qu'il a vu cette nuit-là tandis qu'il jouissait dans le corps d'un autre. Ce sont ses lèvres qu'il a voulu embrasser, tout ce temps. Son corps qu'il a voulu étreindre...

Ce n'est peut-être que du désir, ou quelque chose de plus profond. En tous les cas, c'est inexplicable.

En le quittant au matin, Caleb lui a accordé un dernier baiser, et lui a glissé avec son sourire si tranquille : « Si tu le souhaites, tu peux revenir me voir quand tu veux ». Harry a acquiescé. Reviendra-t-il ? Peut-être.

Oui.

Oui, sans aucun doute, il reviendra.

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