Interlude : Monroe

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Drago laisse l'eau dégouliner sur sa peau sans en ressentir la froideur. Le courant d'air glacial qui  traverse la salle de bain commune hérisse les poils sur son corps nu. Mais une fois encore, il ne ressent rien. Comme si tous les stimuli du monde extérieur se heurtaient à une carapace qui les diluait, les absorbait, avant qu'ils ne puissent l'atteindre.

Drago ferme les yeux. Il frotte ses cheveux ras et le savon irrite sa peau fragile, mais cela ne lui fait rien. Il ne ressent rien. Cela fait un mois que Lucius Malefoy est mort, et il ne ressent rien.

Lorsque les gardiens ont découvert le corps au petit matin, une enquête a été ouverte, bien entendue. Mais il n'y a pas eu de suites. Aucun inspecteur n'a voulu se déplacer, ouvrir un dossier et chercher des preuves pour élucider le meurtre de Lucius Malefoy. L'opinion publique acclamait déjà ouvertement le meurtrier, qui qu'il puisse être. Beaucoup regrettaient sans doute que Drago n'ait pas subi le même sort.

Aux questions, Drago n'a rien répondu, mais les gardiens n'ont pas vraiment insisté. L'absence d'arme du crime dans la cellule l'innocentait. Personne n'est allé chercher plus loin.

En revanche, l'incident a suffisamment excité les consciences pour justifier envers lui des mesures d'isolement. Aussi, depuis un mois, Drago prend-il ses repas tout seul. Il prend ses douches tout seul, après les autres. Il ne travaille pas et passe ses jours et ses nuits sous étroite surveillance dans sa cellule, qu'on a lavée à grande eau pour évacuer le sang.

Depuis un mois, Drago reprend des forces et lèche ses blessures. Il a eu tout le temps de réfléchir à ce que serait sa vie durant les dix prochaines années, à ce qu'il a vécu, et, surtout, à ce qu'il devra faire lorsque son isolement prendra fin. Monroe et les autres seront toujours là. Mais lui a changé. Drago Malefoy n'est plus. Monroe a tout fait pour cela. L'adolescent mort de peur qui est entré dans sa cellule trois mois plus tôt a cédé la place à quelque chose d'autre. Une créature sans émotion, sans autre but dans la vie que survivre. Un animal, en somme. Doué d'intelligence. A présent, il est temps pour Monroe de récolter les fruits de son travail...

Chassant les dernières gouttelettes d'eau de son visage, Drago se rhabille sans aucune gêne sous la surveillance du gardien et prend la peine d'échanger quelques mots avec lui. Il a appris à les connaître tous, petit à petit... Ceux qui le détestent. Ceux qui détestent Monroe. Ceux qui ont pitié de lui, ceux qui voudraient le voir mort, ceux qui seraient prêts à donner leur salaire pour que ces connards de Monroe et Malefoy s'entretuent... Oui, lentement mais sûrement, Malefoy a appris les rouages de la prison. C'est un microcosme, en fait. Un univers de poche où les tensions sont exacerbées, car sans cesse en friction les unes contre les autres. Il suffit de savoir quels leviers manipuler, quelles émotions susciter... Et on peut obtenir tout ce que l'on veut. Ce que Malefoy veut aujourd'hui, c'est Monroe.

Drago sort de la salle d'eau et le gardien qui l'accompagne – un dénommé Johnson, qui tente de faire son travail de la manière la plus impartiale qui soit – lui demande en guise de conversation :

– Prêt à retourner dans le grand bain ?

Aujourd'hui, Drago sort de confinement. Il répond :

– Puisqu'il le faut.

Le gardien hésite, comme s'il comptait lui donner une tape amicale sur l'épaule, puis il semble se rappeler qui il a en face de lui et se ravise. Malefoy sourit. Johnson fait partie de ces gardiens intimidés par son très jeune âge. Leur conscience éprouve des remords à voir un garçon comme lui, presque un enfant, jeté en pâture à Azkaban. Et puis ils aperçoivent la Marque des Ténèbres sur son bras, et les doutes se dissipent... Peu importe. Malefoy a besoin de les manipuler, pas de se faire aimer.

La première chose qu'il remarque en entrant dans le réfectoire, c'est que Monroe n'est pas là. Ses sbires sont pourtant rassemblés, au complet, et ils jettent à Malefoy un regard désintéressé lorsqu'il entre. Comme si, en l'absence de leur chef, le torturer n'avait que peu d'attrait. Il faut dire que les proies ne manquent pas... Pendant l'isolement de Malefoy, à combien d'autres prisonniers s'en sont-ils pris ?

Drago retient le rictus qui lui monte aux lèvres. Ce genre de types le débectent, et pas à cause de ce qu'ils lui ont fait. Non, ils le débectent parce que ce sont des gros durs qui n'hésiteraient sans doute pas à tabasser le premier type un peu efféminé qui croiserait leur chemin... Qui le violeraient et lui infligeraient les pires sévices, rien que pour affirmer leur virilité... Alors qu'en fait, leur attirance pour les rapports homosexuels forcés devrait leur faire se poser quelques questions.

Sans hésiter tout à coup, sans la moindre peur dans son cœur, Drago se dirige vers eux et soutient leurs regards d'imbéciles surpris lorsqu'il leur demande :

– Où est Monroe ?

– Pourquoi, il t'a manqué ? réplique grassement le plus grand – Lewis.

Devant son manque de réaction, Peters consent néanmoins à répondre :

– Il est en travaux forcés, dit-il. Jusqu'au mois prochain. Il a frappé un gardien, et du coup, il bosse une heure de plus que nous le matin, une heure de plus le soir. Mais ne t'en fais pas, je suis sûr que ça ne l'empêchera pas de te rendre visite cette nuit.

Malefoy sourit :

– Qu'il essaie.

Il part rejoindre la file d'attente devant le réfectoire, avale sa nourriture, débarrasse ses couverts. Avant de sortir avec les prisonniers auxquels on va l'enchaîner pour la journée, il s'arrange pour passer à côté de Johnson :

– Monroe est aux travaux forcés ? lui glisse-t-il directement.

Le garde se méfie :

– Pourquoi ? Ça t'intéresse ?

Drago tache de prendre son air le plus vulnérable :

– Je veux simplement savoir s'il y a une chance pour qu'il soit trop épuisé cette nuit pour...

L'expression d'horreur sur le visage de Johnson lui indique qu'il a fait mouche. Une fois encore, Drago se retient de sourire. Pour la première fois de sa vie, il se sent vraiment l'âme d'un Serpentard. Sournois, insensible, calculateur. Johnson se déchire entre la pitié, le dégoût et la gêne, tout juste ce qu'il faut pour lui faire avouer :

– On l'a collé tout seul à la rénovation de la façade sud... A l'extérieur. Il doit se les geler, mais c'est bien fait pour cet enfoiré. Il... il te laissera tranquille, au moins pendant la journée. Et je viendrai faire une ronde dans ton couloir la nuit.

Drago acquiesce d'un air reconnaissant :

– Merci, Johnson.

Puis il se laisse conduire jusque dans l'Enfer des mines, où l'ébauche d'un plan s'élabore rapidement dans son esprit.

Tandis que Drago creuse, il a l'esprit tout entier tourné vers le chantier de la façade sud, qu'il n'a aperçu qu'à une seule occasion : son entrée à Azkaban.

Le maniement de la pioche lui est devenu familier. Il est ancré dans ses muscles, comme le mouvement régulier d'un balancier. Drago ne souffre presque plus lorsqu'il travaille ainsi comme un forçat – principalement parce que ses blessures se sont toutes refermées – mais aussi parce que l'entraînement commence à payer. Durant son mois d'isolement, Drago a continué à exercer son corps, comme il l'aurait fait si on l'avait conduit dans les mines. Il faut qu'il se hisse à la hauteur de Monroe. Et, surtout, il faut qu'il soit en bonne forme pour l'affronter. Il ne pourra y avoir deux confrontations. Une seule devra suffire. Une seule, une seule occasion...

Le soir venu, Drago guette les bruits du couloir en espérant que Johnson tiendra parole. Il ne pourra pas se débarrasser de Monroe si ce dernier se rend dans sa cellule cette nuit. Car s'il doit l'éliminer, il doit le faire sans laisser de preuves. Personne ne doit pouvoir prouver que c'était lui. Il a trop d'ennemis en ce monde, trop de gens qui seraient ravis de le condamner pour meurtre au Baiser du Détraqueur, ou pire, d'étendre sa peine à perpétuité... Drago ne peut pas se permettre cela. Il doit tuer Monroe sans laisser de traces. Comment tuer un homme au beau milieu d'une prison de haute sécurité ?

Johnson lui a fourni la réponse à cette question, mais maintenant... Il ne reste plus qu'à attendre le lendemain. En espérant que Monroe ne se montrera pas.

Aux alentours de minuit – Drago s'est découvert un talent nouveau pour estimer les heures de la nuit – un homme passe devant sa cellule, et Drago reconnaît la carrure du gardien. Il ne cache pas son soulagement et lui adresse un hochement de tête reconnaissant, dans l'obscurité. Johnson répond de même. Drago sourit, surpris malgré lui d'avoir trouvé un type bien au milieu de toute cette folie... Comment Azkaban n'a-t-elle pas encore déteint sur Johnson ? Drago lui souhaite que cela n'arrive jamais.

Le lendemain, au petit déjeuner, Monroe est toujours absent et le gardien veille toujours. Sans hésiter, Drago s'avance vers Johnson et muselle ce qu'il lui reste de conscience. Concentrant ses forces, il s'élance et frappe le gardien en plein visage, sans prévenir, suffisamment fort pour épargner les os tout en laissant une marque bien visible.

Aussitôt, c'est le chaos dans le réfectoire : trois autres gardiens se jettent sur lui pour le maîtriser. Tandis que l'incompréhension s'étale sur le visage de Johnson, Drago lui murmure :

– Pardonne-moi.

Puis il laisse les hommes l'emmener, le guider jusqu'à des galeries obscures à grands coups de poing dans l'estomac, et le jeter dans un trou d'un mètre sur deux, ou aucune lumière ne pénètre et où ils l'abandonnent sans nourriture et sans eau.

Drago s'attendait à ce genre de traitement. Il reste prostré dans les ténèbres en laissant son horloge interne mesurer le temps. Il doit bien s'écouler deux jours et deux nuits, et Drago endure la soif comme toutes les autres sensations qui tentent de pénétrer son corps : la faim, l'engourdissement, l'odeur de ses propres déjections, et celle de dizaines d'autres prisonniers avant lui... Le dernier en date étant sans doute Monroe.

Lorsqu'on le tire enfin de là, Drago tremble sur ses jambes, mais il tient bon. Il devrait remercier Monroe, en vérité. Les épreuves qu'il lui a infligées l'ont rendu plus fort. Il sait désormais qu'il est suffisamment inhumain pour survivre à deux jours sans lumière dans un puits crasseux, sans crier et sans verser une seule larme.

Les gardes le font se déshabiller et le passent au jet d'eau, comme à son arrivée. Drago endure de manière plus stoïque que la première fois. Cela semble contrarier les gardes, qui prolongent le supplice plus longtemps. Aucune importance.

En guise de punition, Drago reçoit la moitié du croûton de pain qu'on était censé lui donner, et on le laisse boire l'eau répandue sur le sol. Alors seulement, il est traîné à l'extérieur où la lumière du jour le cueille par une froide matinée de printemps. Il fait gris, comme toujours à Azkaban. Mais Drago ne s'en plaint pas. Il sent le faible éclat du soleil sur sa peau, la force du vent, des éléments, l'odeur de la mer, et il savoure le fait de se retrouver dehors, au grand air, loin des mines, pour la première fois depuis plus de trois mois...

Lorsqu'on n'a plus rien, on apprend à se réjouir des plaisirs simples. Les gardes ne comprennent pas la satisfaction qu'ils lui ont procurée, et qui s'affiche sur son visage. Ils le poussent jusqu'à la façade sud où une silhouette solitaire est déjà à l'œuvre, sous la surveillance d'un seul garde. Monroe.

Lorsque le contingent s'arrête, le prisonnier fait de même et observe les nouveaux venus. Les gardes échangent quelques informations entre eux d'un air convenu. Drago ne voit que Monroe. A nouveau, comme en face de Johnson, il fait de son mieux pour prendre son air le plus vulnérable, pendant que le chef lui adresse son sourire de loup... Autant qu'il croie être le loup. Vas-y, crois-le autant que tu voudras. On verra bien qui sera le chasseur et qui sera la proie.

Les gardes s'en vont, et alors, celui qui surveillait Monroe désigne le chantier d'un signe de tête :

– Les pierres se sont écroulées sur tout ce pan de mur, dit-il en indiquant le flanc éventré de la forteresse. Il faut combler avant qu'une brèche ne se forme. Toutes les pierres sont au sol, tu as du ciment en préparation et des outils dans le chariot. Au travail.

Drago ne se fait pas prier. Il rejoint Monroe, toujours de son air craintif, et empile les pierres les unes sur les autres tout en réfléchissant très vite aux armes à sa disposition.

Le premier obstacle est bien entendu le garde. Mais Drago ne s'en fait pas pour ça : il a reconnu Baxter, un ripou particulièrement dur en affaire avec les prisonniers, mais désireux de faire des affaires quand même. Si Monroe souhaite un petit tête-à-tête avec lui – et Drago est sûr qu'il le souhaite – il n'aura pas de difficulté à soudoyer le garde pour qu'il les laisse tranquille.

Maintenant, pour ce qui est de se débarrasser de lui... Malefoy a sa petite idée. Il y pense depuis que Johnson lui a dit que Monroe réparait le mur sud. Comment dissimuler un corps sur une île prison ?

Mais d'abord, ne rien précipiter. Drago doit maîtriser Monroe, et rien ne dit qu'il gagnera. En chemin, il a aperçu de longues plantes piquantes semblables à de la mauvaise herbe : de la Belle de Nuit, mais... Rien qu'il ne puisse utiliser sans se blesser lui-même. Non, la Belle de Nuit sera pour un autre usage...

Regardant autour de lui, Drago aperçoit la bétonnière qui tourne et concasse le ciment, l'empêchant de sécher... Il aperçoit les caissons prêts à recueillir le mortier, pour consolider les murs. Monroe l'interpelle tout à coup, aussi inspiré que ses sbires :

– Alors Malefoy, t'es content de me revoir ? Je t'ai manqué ?

Malefoy reprend son rôle et tressaille. En réalité, l'homme en face de lui ne lui inspire aucune peur. Rien que du dégoût, et une forme très particulière de haine. Une haine comme celle-là, Drago n'en avait encore jamais ressenti pour personne. Il ignorait même que ce sentiment existait. Aujourd'hui, il se dit que peut-être, c'était ce que le Seigneur des Ténèbres éprouvait. La seule chose qu'il ait jamais été capable d'éprouver... Une haine froide, posée, glaciale. Une haine qui ne porte pas atteinte aux facultés intellectuelles, mais qui se cristallise autour du cœur, solide et tranchante comme de l'acier. Une haine qui pèse comme la seule certitude en ce monde, la seule vérité juste...

C'est tout ce que Drago éprouve à cet instant, et peut-être Monroe le voit-il passer dans son regard, car son sourire s'agrandit. Il prend cela pour un défi... Quel imbécile.

S'écartant du chantier, Monroe essuie ses mains sur sa combinaison et part dire quelques mots à Baxter. Drago ne les entend pas, mais il imagine sans peine la teneur de leur discussion. Quelques minutes plus tard, Baxter lui jette un regard désintéressé, puis leur tourne le dos et s'en va, d'un pas nonchalant, faire un petit tour du côté des falaises.

Monroe attend jusqu'à ce qu'il soit hors de vue. Alors seulement, il se rapproche de Drago de sa démarche de prédateur :

– Alors Malefoy... ça te dit une petite promenade, rien que toi et moi ?

Drago ne répond pas. Il a profité de la conversation de Monroe pour rejoindre subrepticement la bétonnière. Il y a un caisson de bois, par terre, juste derrière lui.

– Tu crois que ta petite chatte a rétréci depuis que j'ai cessé de lui rendre visite ? lance Monroe, goguenard. Tu crois qu'on peut remédier à ça ? Avoue-le Malefoy, je suis sûr que tu bandes pour moi.

– Approche au lieu de danser, réplique Drago pour le faire réagir.

Monroe éclate de rire. Il ne se précipite pas néanmoins. Malgré son manque évident de subtilité, il n'est pas stupide. Et certainement pas homme à s'emporter facilement... Drago ne l'attirera pas dans le piège rien qu'en le provoquant : il faut qu'il frappe d'abord. Il faut qu'il ait l'air faible. Et désespéré.

Tendu comme un arc, Drago ramasse une pierre au sol et la lance d'un geste qu'il veut maladroit. Monroe s'esclaffe de plus belle et ça y est, enfin, il passe à l'attaque : il charge de toutes ses forces et Drago n'a qu'à retourner son élan contre lui pour s'esquiver et lui cueillir les jambes. Monroe s'effondre, droit dans le caisson. Sans hésiter une seconde, Drago active la commande qui déverse le ciment et remplit l'habitacle à moitié, tandis qu'il pèse de tout son poids sur Monroe pour l'empêcher de se relever.

La lutte qui s'ensuit est indescriptible. Des gargouillis et des bulles d'air s'échappent de l'endroit où le visage de Monroe a pénétré la substance. Il est tombé sur le côté, de profil, ce qui fait qu'une partie de son visage est immergée, tandis que l'autre est encore à l'air libre, lui permettant de respirer. Mais un peu de ciment a dû pénétrer sa gorge et doit commencer à durcir, maintenant...

Drago appuie et attend, il attend, encore et encore et encore, les secondes s'écoulent au rythme de son cœur terriblement lent, et à nouveau, Drago se rend compte qu'il ne ressent absolument rien. Il contemple le mortier faire son œuvre et durcir autour du corps de son ennemi, comme il a contemplé son père se vider de son sang, et sa haine froide n'exprime en retour qu'une froide satisfaction. Alors, enfin, Monroe cesse de se débattre, et des gémissements s'échappent de sa bouche entrouverte. La composition chimique du ciment doit déjà lui brûler la peau. D'ici quelques heures, il saignera à vif, puis sa peau se disloquera entièrement, et alors, ce sera au tour des muscles de fondre, de se dissoudre... Si Drago le laisse en vie.

Jetant un coup d'œil à l'horizon pour vérifier que Baxter ne revient pas, Drago réfléchit vite. Doit-il laisser Monroe en vie ? Il pourrait le tuer, là, tout de suite. Prendre une de ces pierres et lui fracasser le crâne. Mais alors qu'il imagine déjà la scène, quelque chose en lui le retient. Quelque chose qui n'a rien à voir avec de la pitié, au contraire. Après la sournoiserie, après la haine, Drago se découvre cruel. L'idée qu'il vient d'avoir le remplit d'une jubilation hystérique, qui lui donnerait presque envie de rire aux éclats sous le vent froid. C'est comme si de nouvelles dimensions s'ouvraient soudain devant lui, des univers sombres et sanglants, où il se trouve capable de commettre des choses qu'il n'aurait jamais imaginées...

Tirant le caisson derrière lui, Drago traîne le corps de Monroe jusqu'au mur où il a prévu de l'ensevelir, et le redresse. Là, il le plaque dans le creux de la paroi, sous l'œil écarquillé de son ancien bourreau qui le supplie de ses cris, à défaut de pouvoir parler. Drago l'ignore. Il ne ressent aucun besoin de fanfaronner ou de lui adresser de grands discours. Il n'en a pas le temps. Il empile les pierres les unes sur les autres de façon à former un espace à l'intérieur même du mur, puis il en comble la façade en partant du bas. Monroe ne cesse de hurler tandis que Malefoy ensevelit ses pieds, puis ses jambes, puis son torse... Au moment d'arriver au visage, des filets de sang s'échappent déjà du ciment solidifié, là où la peau brûlée s'est égratignée...

Pris d'une nouvelle inspiration, Drago regarde autour de lui, ramasse une branche d'un des rares arbustes qui parsèment l'île, et la creuse du bout de sa truelle, pour qu'un liquide puisse s'y écouler. Il approche le tuyau improvisé du visage de Monroe :

– Ouvre la bouche, lui dit-il.

Monroe pince aussitôt les lèvres.

– Ouvre la bouche si tu veux boire, ordonne Malefoy en pressant plus fort l'embout.

Monroe obéit. Dans ses yeux à lui, il n'y a plus que de la terreur. Lui aussi n'est plus qu'un animal. Un animal piégé.

Stabilisant le tube, Drago construit le mur autour de façon à l'intégrer parfaitement au mortier : légèrement incliné vers le haut pour recueillir les eaux de pluie, et dépassant à peine de la paroi pour rester invisible. Puis il ménage quelques trous d'aérations, indétectables eux aussi, et termine son œuvre.

Pourquoi vouloir prolonger la vie de Monroe ainsi ? Drago l'ignore. Ou plutôt si : c'est cette haine au fond de lui qui lui dicte ses pensées, qui guide ses gestes. Cette haine que devait ressentir le Seigneur des Ténèbres...

Lorsque Baxter revient dix minutes plus tard, Malefoy a déjà entamé la rénovation d'une autre partie du mur. Le mortier a séché, et personne n'entend plus les cris de Monroe. Le gardien regarde autour de lui, éberlué, incapable de comprendre comment un de ses prisonniers a pu s'évaporer alors qu'il était sous sa surveillance.

S'approchant dangereusement de Malefoy, il demande :

– Où est passé Monroe ?

Drago recule dans un mouvement qu'il veut craintif. Le garde insiste, l'agrippe par le devant de sa combinaison. Composant ses traits, Malefoy lui retourne son regard le plus innocent.


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