La fin de la téloche (fin)

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Avec un grand sourire, il répond à la question que lui a posée l’animatrice. Tous les projos sont braqués sur lui ainsi que toutes les caméras. C’est, parait-il, un grand acteur. Il vient faire la promo de son dernier film, une comédie. Il explique qu’il l’a écrite avec un pote et qu’il ne s’est fixé aucune limite, le but principal étant de s’amuser et de prendre énormément de plaisir. Il est jeune, beau, a plein de projets à ne savoir qu’en foutre. Est perpétuellement sollicité à droite et à gauche. Pété de tunes. Trop aimé pour un seul homme. Cela se voit d’ailleurs. Sa tête est comme un ballon d’hélium. Ses pieds ne touchent plus le sol. Et son nombril rayonne. Il parle de lui encore et encore. Il espère que le public va apprécier la farce et ressentir le pied qu’il a pris à la faire. Il dit qu’avec les autres acteurs et actrices, il y a eu une vraie complicité. Oui, il se verrait bien changer de registre dans un avenir proche. Jouer dans un film dramatique, un notaire veuf et inconsolable ou un chauffeur de taxi accroc aux jeux d’argent. Ceux qui animent l’émission le flattent continuellement et le regardent avec des yeux éblouis : Est-il vrai que vous avez réalisé cette scène sans doublure ? Depuis votre apparition dans une sitcom, vous n’avez cessé de connaitre le succès, jusqu’où irez-vous ? Ressentez-vous encore le trac ?

Il sourit, acquiesce, ricane. Il est haut, très haut, sur son petit nuage. Tout en bas, Le monde entier l’admire. Chaque banalité qu’il profère ressemble à une idée géniale : Oui, il adore manger une pizza en regardant la télé ; des fois, il s’interroge sur la raison de ce bonheur et puis, au final, il se dit qu’il faut l’accepter sans se poser de question ; Il fait parti de ces comédiens qui ont besoin de s’investir à fond dans un personnage sinon ça ne sert à rien… Chaque vanne qu’il lance est drôle. Les professionnels chargés de l’encenser, d’apprécier son humour et de promouvoir son film rient. Le public assis sur des estrades rit. Moi-même je ris au milieu de ce monde bon enfant et hilare.

Tout à l’heure, j’ai pénétré dans le studio sans encombre. Les types chargés de la sécurité ne m’ont même pas fouillé. J’allais m’asseoir au premier rang quand le chauffeur de salle m’a demandé gentiment de me mettre bien derrière. Il est vrai que je suis vieux à cinquante-cinq ans et qu’en plus j’ai l’air d’en faire soixante-dix. Pour une émission qui s’adresse aux jeunes, ce serait comme un crachat à la gueule des téléspectateurs que de montrer un vieillard. Opinant du chef, je me suis exécuté. Après tout, les dégâts que je provoquerais avec mes explosifs seront les mêmes quelque soit ma place… Du moins, je crois.

Je pense à Audrey. Où est-elle en ce moment ? A-t-elle refait sa vie ? Je l’espère en tout cas. Elle le mérite. Elle a tellement perdu de temps avec moi. Je l’imagine en train de lire un bon bouquin, allongée sur un canapé pourvoyeur d’assoupissements fugaces. Elle n’a jamais aimé la télé. Je pense à mes parents. Ma mère, dans le lit conjugal, en train de supplier la Mort de mettre fin à sa douleur. Mon père, dans la salle de séjour, les yeux fixés sur le petit écran gueulard. Que regarde-t-il ? Certainement une émission politique où chaque intervenant feint d’être l’opposant de celui qui vient d’exposer son avis, qu’il soit journaliste, politicien ou spécialiste de je ne sais quoi. Alors qu’au fond et sur le fond, ils sont tous potes, ayant les mêmes intérêts et rigolent intérieurement de cette parodie de débat. Qui parmi le public présent en est dupe d’ailleurs ? Les acteurs sont si médiocres, le spectacle si prévisible. J’imagine qu’un résistant doit se trouver dans le studio. L’émission passe en direct, comme la mienne. Comme les journaux d’informations en continu, voix perfide des dominants, qui instillent la division, l’isolement et la peur. Comme certains jeux qui offrent des sommes mirobolantes à celui ou celle qui se montrera le plus bête ou le plus méchant. Fabrique à merde coulante et pustuleuse. Je pense aux autres membres du commando. Combien sont-ils ? Combien sommes-nous ? Trois ? Cinq ? Dix ? Combien d’hommes et de femmes ? De jeunes et de vieux ? Combien en train de perdre leurs moyens ? Combien au contraire farouchement déterminés ? Je pense à mes frères et sœurs de désespoir. Je pense à la déflagration qu’ils vont causer. Au sublime événement qui va suivre et auquel je n’assisterai pas.

Sourire aux lèvres, la star prend une inspiration profonde.

C’est l’heure.

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