La dompteuse de fée

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- Elle est triste, ton histoire... (Déclara un enfant, au second rang.)

- Je vous avais prévenus qu'il s'agissait d'une histoire d'amour impossible. (Répondit Désirée, d'une voix lourde.)

- Donc, ce sont les fées qui sont les monstres dans l'histoire ? (S'enquit un homme.)

- C'est plus compliqué que cela. Regardez Sanaria... Disons que les fées se sont fourvoyées.

- Mais qu'est-il arrivé à Désirée, après ?

- Ah... Voilà une question intéressante...  Voulez-vous que je poursuive mon histoire ?

La majorité du public acquiesça et Désirée se lécha les lèvres.

- Comme vous pouvez vous en douter, notre jeune vampire fut longtemps inconsolable. L'on raconte qu'elle garda le corps de sa dulcinée dans les bras, sans bouger, pendant quatre jours et quatre nuits, avant de finalement s'en aller. Mais il s'agit là plus d'un détournement poétique. Après avoir accepté ce qu'elle était, ce qu'elle avait fait, Désirée décida de se mettre en chasse et de faire payer les responsables de tout cela : La sororité.

"Les deux femmes marchaient sous le couvert de la nuit, se déplaçant silencieusement, telles des ombres, aux abords d'un petit village montagnard. La plus petite des deux ne cessait de jeter des regards anxieux autour d'elle.

-  Plus de nouvelles de Maeva et Lyna... (Marmonna-t-elle d'une voix d'où perçait la peur.) Les choses se présentent mal...

- Ce sont des lâches, voilà tout. Elles n'ont jamais été totalement intégrée à la sororité. Nous devons mettre les bouchées doubles. Va t'occuper du village Vergan, je m'occupe de celui-ci.

- Et si c'était plus que cela ? Nous aurions dû nous assurer de leur mort quand elles sont tombées de la tour !

Syrielle ricana.

- Ne sois pas idiote, Velma ! La vampire n'avait pas encore scellé son pacte, la chute l'a tuée. Et Sanaria... (Elle renifla de mépris.) Cette imbécile est morte d'amour. Pathétique.

- Nous méprises-tu toutes ainsi ?

- Assez ! Va-t-en, j'ai à faire.

Velma plissa les yeux en réponse, affichant un air mauvais, avant de quitter la route. Syrielle attendit qu'elle soit partie avant de soupirer.

- Je suis entourée d'imbéciles. (Grommela-t-elle.)

Elle pénétra dans le village, désert à cette heure avancée de la nuit. D'un geste de la main, elle éteignit les torches qui flambaient sur leurs pylônes et se dirigea vers une maison, un peu à l'écart. D'un nouveau geste de la main, la bleue détourna l'attention d'un vigile, l'envoyant de l'autre côté de la route. Syrielle fit le tour de la maison, et regarda par la petite fenêtre de derrière qui donnait sur le salon. Là, allongée sur une couchette faite de paille, se trouvait une fillette d'une douzaine d'années, qui dormait paisiblement. Un sourire froid barra le visage de Syrielle.

- Voyons de quel genre de pacte nous aurons besoin avec toi, ma chère... (Murmura-t-elle.)

Une aura bleutée se matérialisa autour d'elle et ses yeux se mirent à luire tandis que des filaments de lumières s'échappaient d'elle, dansant dans les airs pour rejoindre la maison. Ils passèrent à travers le bois et la vitre, comme s'ils n'existaient pas, et descendirent, tels des serpents, jusqu'à la fillette avant de s'insinuer dans son crâne. Syrielle resta figée durant de longues secondes, avant d'émettre un bref ricanement, presque imperceptible.

- Je vois...

Elle rappela les filaments à elle et son aura s'évanouit progressivement. Elle s'accorda un instant pour reprendre son souffle, puis commença à analyser la maison. C'est là qu'un frisson la saisit. Quelque chose clochait. Il y avait une essence dans l'air. L'essence d'un être surnaturel, comme elle, mais elle ne parvenait pas à déterminer s'il s'agissait d'une fée ou d'un vampire. Elle plissa les yeux, jeta des regards autour d'elle.

- C'est vilain de fouiller dans la tête des gens. (Déclara une voix féminine au dessus d'elle.)

Syrielle leva les yeux. Son interlocutrice se trouvait sur le toit de la maison et était dissimulée dans l'ombre. Depuis combien de temps était-elle là, à l'épier ? Elle changea discrètement sa posture, prépara ses défenses. De l'autre, elle ne voyait que ses yeux, d'un bleu turquoise.

- Sanaria ? (Hésita-t-elle.)

L'autre laissa échapper un petit rire avant de s'avancer. Syrielle se figea.

- Désirée... (Souffla-t-elle, tétanisée.)

La vampire flottait au dessus de l'air, et descendait, tel un ange, vers la fée, posant sur elle un regard de prédateur.

- Tu n'imagines pas combien de fois j'ai vu ce moment dans ma tête.

- Tu devrais être morte...

- Je devrais être mariée. (Répliqua-t-elle.)

- Bah voyons...

- Tu vas payer, pour tout ce que tu nous as fait, Syrielle.

La bleue frémit malgré elle. C'était pourtant idiot. Désirée ne pouvait rien contre elle...

- Tu n'es qu'une créature impie, qui n'a aucun autre droit que mourir. Et ta petite amie était une folle. Une vampire et une fée... Hérésie !

- Je saurai bien assez tôt tes raisons, très chère.

Désirée dévoila ses crocs, qui grandissaient jusqu'à dépasser de sa bouche tandis que ses yeux se mettaient à luire. Mais au lieu d'être rouges, comme ceux de tous les vampires, ils demeuraient d'un bleu turquoise. Syrielle ne savait quoi en penser. Elle remarqua derrière Désirée des bûches, une hache et un pic de bois. Elle sourit.

- Empale-toi la main. (Dit-elle d'une voix posée mais autoritaire.)

Ses yeux se mirent à luire et des filaments dansèrent entre les deux femmes, partant de la fée pour s'insinuer dans la vampire, comme les fils d'une marionnette. Désirée s'empara du pic en l'arrachant du sol et le regarda longuement. Syrielle s'était rapprochée, un sourire suffisant sur les lèvres.

- Immédiatement. (Ordonna-t-elle.)

Elle planta ses jambes devant Désirée, la dominant de sa taille et de son regard hautain. Celle-ci leva les yeux vers elle avant de lui offrir un sourire narquois.

- Mais, à tes ordres.

Aussi vive que l'éclair, Désirée s'empara de la main de la bleue et planta le pic dedans jusqu'à ce qu'il s'enfonce dans le sol. Syrielle poussa un hurlement de douleur. Elle regarda sa main empalée avec horreur et incompréhension, le visage livide.

- Impossible ! Tu es une vampire, je suis...

- Je suis immunisée à tes charmes. Mais toi, tu n'es pas immunisée aux miens.

- Impossible... Impossible... (Répéta-t-elle, prise de panique.)

- Très possible. (Répondit Désirée d'une voix mutine.) Penche la tête sur le côté.

Syrielle obéit malgré elle, dévoilant son cou à son ennemie. Elle hoqueta, terrifiée.

- Non... Je... Je ferai ce que tu voudras, te dévoilerai tout ce que tu veux... Pitié...

Désirée tourna autour de sa proie, affirmant son emprise sur elle. Cette dernière tremblait, et elle ressentit beaucoup de plaisir à la voir ainsi, sans défense. A sa merci. De pouvoir la faire payer.

- Je saurais tout ce que je veux dès que je t'aurai goûtée.

- Pi... pitié... (Gémit Syrielle, en larmes.)

- Comme tu en as eu pour nous ? (Murmura Désirée à son oreille.)

Son nez caressa la peau à nue de la fée, humant son parfum.

- Je te trouve... Irrésistible... (Confia-t-elle.)

Désirée laissa échapper un grondement, une mise en garde, avant de planter ses crocs dans le cou de sa victime et de se repaître de son sang."

 

 

- Syrielle n'était ni la première, ni la dernière de la sororité à se retrouver aux prises avec Désirée. Après des mois, des années de traque, elle parvint à toutes les défaire.

Le silence s'installa. Tous regardaient la conteuse. Tous attendaient la suite.

- Qu'est-elle devenue ? (S'enquit une femme.)

Désirée l'observa un instant avant de répondre.

- Il n'y a pas de réponses précises. Certaines rumeurs disent qu'elle serait toujours en chasse, traquant les fées. D'autres qu'elle aurait rejoint son amour dans l'au-delà. D'autres encore qu'elle se serait exilée, loin d'ici. L'une d'elle faisait mention de ce château, où elle rôderait, la nuit. (Finit-elle d'un air taquin.)

Certains dans la foule échangèrent des regards, d'autres se tournèrent vers le château, que l'on pouvait apercevoir par delà les maisons.

- Mais, tout ça, ce n'est qu'une histoire, n'est-ce pas ? (Demanda un jeune garçon, d'une voix qui tremblait légèrement.)

Désirée observa l'enfant, les yeux plissés, avant de se pencher en avant.

- Les histoires sont toujours inspirées de quelque chose de vrai, ne crois-tu pas ? Mais ne craignez pas la vampire. Peu importe la version de l'histoire... Elle ne s'en est jamais prise qu'aux fées. (Elle fit claquer sa langue.) La nuit est déjà bien avancée. J'espère que cette histoire vous aura plu et je vous remercie de m'avoir écoutée jusqu'au bout. Bonne soirée, Volerive !

Désirée leva une main pour saluer la foule, qui applaudissait. Elle s'inclina avant de quitter la scène. Les discussions allaient bon train parmi les spectateurs, qui vidaient la place peu à peu. Cassandra se massa le menton, partagée. La soirée avait été plus agréable que ce à quoi elle s'était attendue, même si l'histoire n'était pas tout à fait celle qu'elle connaissait. Elle regarda autour d'elle et aperçut Désirée qui s'éloignait en direction des roulottes des forains. La jeune femme hésita, puis se pinça les lèvres avant de lui emboîter le pas. Elle rattrapa la conteuse juste au moment où celle-ci passait la porte de sa roulotte.

- Je ne connaissais pas cette version de l'histoire. (Dit-elle d'emblée.)

Désirée se retourna pour lui faire face, haussant un sourcil.

- Pardon ? (Elle sourit.) Oh, c'est vous. Comme je l'ai dit, il y a plusieurs versions de l'histoire.

Cassandra opina sans quitter la femme du regard. Il y avait quelque chose, dans ses yeux, qui l'attirait, mais elle n'était pas à même de définir précisément ce que c'était.

- Je ne voudrai pas vous déranger. (Continua-t-elle.) 

- Mais non, mais non. Je l'ai dit d'emblée : J'aime les histoires ! Voulez-vous entrer ?

- Volontiers.

Le mot était sorti sans même qu'elle ne s'en rende compte. Mais elle ne se fit pas prier pour autant et suivit la belle à l'intérieur. Car belle, Désirée l'était.

- Voulez-vous boire quelque chose ?

- Que me proposez-vous ?

- J'ai du café, du thé, de l'eau, des jus, quelques alcools...

- Du thé, cela fera très bien l'affaire.

Désirée opina et alla préparer du thé, qu'elle servit ensuite à son invitée.

- Pardonnez-moi, je vais me changer. (Dit-elle avec un sourire.) Mais, poursuivez, je vous écoute.

Elle traversa sa roulotte et tira un rideau pour arriver dans sa penderie, avant de la refermer. Cassandra l'imaginait sans peine se déshabiller, changer de vêtements pour se mettre à l'aise. Et elle rougit à cette idée.

Mais qu'est-ce qui m'arrive ?

Elle secoua la tête pour essayer de se remettre les idées en place.

- Dans votre version, les fées semblent être les méchantes de l'histoire et la vampire, l'héroïne. Pourtant, ce sont bien les vampires qui tuent pour vivre.

- Légendes. Ils ne sont obligés de tuer que pour la première morsure, au moment du pacte. Ensuite... Il y a des gens mauvais partout, que voulez-vous.

Elle marqua une pause. Au vu des quelques soupirs qu'elle émettait, Cassandra l'imaginait sans peine en train de se tordre dans tous les sens pour essayer de s'habiller sans faire bouger le rideau et se dévoiler.

- Quant aux fées, elles ne tuent pas pour sceller le pacte, c'est vrai, du moins, pas directement. Mais elles aspirent l'énergie vitale des personnes présentes. Plus il y en a, plus la puissance que la fée aura sera grande. Contrairement à ce que dit Syrielle dans mon histoire, les années de vies perdues ne sont pas sans conséquences. Les mortels sont affaiblis, sans force et meurent dans l'année, la plupart du temps. Ce n'est guère plus enviable. Et elles doivent parfois refaire le plein, elles aussi.

- Je n'avais jamais envisagé les choses sous cette angle... (Marmonna Cassandra d'une voix confuse.)

- Ne vous en faites pas, vous n'êtes pas la seule.

- Cela étant, je préfère une autre version de la fin.

- Laquelle ?

- Celle qui dit que Désirée ne faisait pas ça uniquement par vengeance, mais également pour faire revivre son amour perdu.

- Impossible. On ne peut pas ressusciter les gens. Même les êtres magiques ont leurs limites.

- Si vous le dites. J'avais entendu dire que le sang des fées avait des pouvoirs étonnants. Mais comme vous le dites si bien, il ne s'agit que d'une histoire.

Désirée ne répondit rien. Cassandra finit son thé avant de se masser le crâne, prise d'un début de migraine. Le rideau s'ouvrit après quelques minutes. Désirée avait délaissé sa tenue de paysanne pour une  bien plus sexy et provocatrice, faite de cuir qui moulait son corps. Ses cheveux n'étaient plus argenté mais d'un noir de jais et ses iris étaient d'un bleu turquoise. Cassandra se redressa les yeux écarquillés en prenant conscience de ce que cela signifiait.

- Vous...

- Dis m'en plus, très chère, sur cette histoire de résurrection. (Fit Désirée de sa voix la plus  douce.)

Elle s'avança dans la pièce, ses bottes claquant sur le bois, rythmant sa progression comme les battements d'un coeur lors d'une traque.

Cassandra ne pouvait plus bouger. Elle perçut une voix dans sa tête, une mélodie qui la berçait doucement, agréable et comprit qu'il s'agissait de celle de Désirée.

- Vous êtes un vampire... (Souffla-t-elle.)

- Et toi, une fée, ma belle. Tu n'es pas la première à venir écouter mon histoire. Les fées adorent les histoires. Et tu n'es pas la première à venir te jeter entre mes crocs. (Dit-elle en lui caressant la joue avec tendresse.)

Cassandra avait du mal à réfléchir, subjuguée par la voix de Désirée, qui résonnait à ses oreilles et à l'intérieur de son crâne. La vampire fit danser son pouce sur ses lèvres et Cassandra l'embrassa, sans s'en rendre compte.

- Les fées sont prévisibles... Mes histoires les attirent, comme une mouche est attirée par la flamme. Au moment même où ma voix t'est parvenue, tu étais déjà ensorcelée. Le sang des fées m'a offert une immunité à vos charmes et vous a rendu vulnérables aux miens.

- Je ne fais pas partie de la sororité... (Articula maladroitement Cassandra.)

- Je le sais, j'ai détruit la sororité il y a des décennies.

- Je... ne vous ai jamais rien fait...

- Oh, tu penses que je vais te tuer ? (Elle se campa devant elle, plongeant son regard dans le sien.) Tu as oublié ce que je t'ai dit : Les vampires n'ont pas besoin de tuer. La sororité est détruite, mais pas ses membres. Même Syrielle... Elles sont toutes en vie.

Même si elle l'avait voulu, Cassandra n'aurait pu briser le contact visuel avec Désirée. Ses yeux étaient si beaux, si... hypnotisants... Désirée s'amusa avec sa proie, lui offrant de douces caresses afin de la détendre.

- Tout va bien se passer. Il va falloir que tu m'en dises plus au sujet de cette histoire de résurrection.

Cassandra ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Désirée lui tourna autour, puis déposa un baiser sur sa joue. La fée essaya de saisir ses lèvres. Un geste en partie inconscient.

- Chhhht, doucement. (Elle lui caressa le cou.) Ta chair est si tendre.

Cassandra regardait Désirée avec une ardeur, une envie, non dissimulées. Elle était totalement sous son emprise, sous sa coupe. Et au fond d'elle, elle adorait ça, même si elle était incapable de dire si cela venait d'elle ou de la vampire, qui manipulait ses désirs. Peut-être un peu des deux...

- Tu es impatiente, n'est-ce pas ?

Cassandra acquiesça, la bouche toujours entrouverte, les lèvres dansant avec sensualité sur la joue de son hôtesse. Celle-ci sourit.

- Une morsure, et tu seras mienne à jamais, comme les autres...

- S'il vous plait...

Cassandra ne se reconnaissait plus !

- Demande-le... (Souffla-t-elle avec volupté.)

La fée se mordilla les lèvres, emplie d'un désir qu'elle ne parvenait pas à saisir, mais qui lui était désormais vital, elle le savait.

- Je... Je le veux... S'il vous plait...

La langue de Désirée courut sur le cou de son invitée, qui frémit d'envie.

- Dis-le.

- Je veux être vôtre. Mordez-moi. (Dit-elle d'une voix affirmée et suppliante.)

Désirée laissa échapper un petit rire. Elle joua encore un peu avec sa proie, s'amusant à la titiller.

- Voyons ce fameux secret... Ressusciter une fée.

- Qu... Qui êtes-vous ? (Parvint à articuler Cassandra d'une voix rauque.)

Désirée ne répondit rien. Ses crocs sortirent et elle les planta dans la chair tendre et juteuse de Cassandra.

 

 

- Je suis la dompteuse de fée. Et tu es mienne, désormais.

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