Un amour interdit

8 minutes de lecture

" La jeune femme faisait les cent pas dans la pièce, passant d'une fenêtre à l'autre. Une ride caractéristique était visible sur son front, de celles qui apparaissent quand l'inquiétude grandit. Chaque fois qu'un bruit retentissait, elle allait d'un côté ou de l'autre pour essayer d'apercevoir quelque chose. Elle se figea soudain quand on toqua à la porte.

- Oui ?

Le battant s'ouvrit et un garde s'avança, s'inclinant respectueusement.

- Princesse, votre père, le Roi, vous rappelle qu'il ne reste qu'une heure avant le dîner. Il a demandé à ce que des vêtements soient préparés à votre intention et compte sur votre présence à l'heure. Les princes des contrées voisines seront là.

La jeune femme se pinça les lèvres, prise d'une furieuse envie d'incendier le garde, mais s'en retint, tout comme elle s'efforça de ne rien laisser paraître de sa gêne ou de sa déception. Elle afficha donc la mine qu'on lui avait apprise, à savoir légèrement hautaine et détachée.

- Étant donné qu'il vous envoie chaque heure pour me le rappeler, j'aurais bien du mal de l'oublier. Hélas. Dites-lui que le message est transmis.

- Il m'a demandé de vous escorter à votre chambre, afin que vous vous prépariez.

Une lueur sombre brilla dans le regard de la jeune femme, mais elle la dissimula bien vite.

- Accordez-moi encore un quart d'heure.

L'officier se dandina d'un pied sur l'autre, mal à l'aise.

- Votre majesté...

- Achnor, je vous saurais gré de bien vouloir accéder à ma requête. Cela restera entre nous.

L'homme marqua une hésitation avant d'opiner avec résignation.

- Bien, majesté. Je resterai dans le couloir, si vous avez besoin de quoi que ce soit.

Et il referma la porte. La princesse laissa échapper un long soupir.

- J'ai bien cru qu'il ne partirait jamais. (Fit une voix.)

Sanaria jeta des regards anxieux alentours avant de se détendre en apercevant Désirée venant à sa rencontre. Leur petit passage secret à elles... La jeune femme avançait de sa démarche gracieuse et langoureuse, affichant l'air mutin qui plaisait tant à la princesse. Ses cheveux noirs semblaient danser derrière elle, et ses yeux bleus pétillaient de malice. La princesse alla au devant d'elle avant de tomber dans ses bras. Désirée laissa échapper un petit rire en la serrant contre elle avant de l'embrasser à pleine bouche, passionnément.

- Désolée du retard, beauté... Le marché était particulièrement bondé, aujourd'hui.

Sa compagne secoua la tête, se blottissant un peu plus contre elle.

- Des heures que je t'attends... Mon père veut me présenter aux princes, me monnayer comme un vulgaire objet... Il se moque de ce que je peux ressentir.

- Je ne suis pas noble. Et je serais bien en peine de t'offrir un héritier pour le contenter...

- Qu'allons-nous faire, Désirée ? (Soupira la princesse.)

L'intéressée ne répondit rien, ses doigts perdus dans les cheveux argentés de son amante, songeuse.

- Désirée ?...

- J'ai tout quitté pour toi... (Souffla celle-ci.)

- Je le sais...

- Et je le referais, sans hésiter. (Elle marqua une pause avant de reculer pour plonger son regard dans celui de Sanaria.) Pars avec moi.

- Partir ? Mais où ?

- Quelle importance ? Tu te rappelles, quand nous avons débuté cette relation, il y a des années ? Quand mon père est venu au château pour vendre ses marchandises ? Nous rêvions de partir, de faire le tour du monde. D'être ensemble, peu importait l'endroit... Viens avec moi, Sanaria... Ne te marrie pas à un prince qui ne veut que ton royaume...

Elle enveloppa ses mains des siennes, ancra son regard dans le sien. La princesse ne pouvait pas se défaire de cette étreinte, ne le souhaitait pas. Sa bouche était entrouverte mais aucun son n'en sortait tandis que des souvenirs d'une époque plus douce, plus simple, jaillissaient dans sa mémoire. L'adolescente qu'elle était alors avait pensé à partir, à tout laisser tomber pour vivre un amour défendu. Mais alors, elle n'avait su si cet amour serait sincère. Et aujourd'hui... Mais son père ne supporterait pas sa décision. Il en mourrait.

- Épouse-moi, Sanaria. (Lâcha soudainement Désirée.)

Le silence s'installa entre elles. La princesse ne savait pas quoi répondre, prise au dépourvu. C'est alors qu'on frappa à la porte. Elle sursauta et se retourna.

- Princesse ? (S'enquit une voix étouffée.) Cela fait plus de vingt minutes. Il faut y aller.

- Oui, un instant...

Elle revint vers Désirée, mais celle-ci était repartie. La jeune femme se mordit les lèvres, les yeux embués de larmes qu'elle s'efforça de chasser. Après une longue inspiration, elle ouvrit la porte et emboîta le pas au garde."

Désirée laissa sa dernière phrase en suspend quelques secondes, s'amusant à noter les réactions que ce début d'histoire procurait. Après de longues secondes, une voix s'éleva.

- Que s'est-il passé après ?

C'était Cassandra qui avait parlé et la conteuse affichait un large sourire énigmatique.

- Avant de parler de la suite, il me faut revenir plus en détail sur la relation de nos jeunes femmes. Sanaria était la fille du Roi, et Désirée une fille d'un riche marchand qui venait d'un pays au nord. Les deux jeunes adolescentes n'étaient de fait pas destinées à se rencontrer, encore moins à partager quoi que ce soit. Et pourtant, elles s'étaient retrouvées à jouer ensemble, une véritable complicité naissant entre elles. Par la suite, cette complicité s'est développée au sein d'un amour d'adolescentes. Aucune des deux ne pensait alors que cela irait plus loin. Pourtant, les années passant, l'amour de Sanaria et Désirée n'avait cessé de grandir, à tel point qu'aucune des deux ne voulait renoncer à cet amour. Désirée suivait son père depuis ses dix ans, pour reprendre l'affaire familiale. Pourtant, elle n'hésita pas un seul instant à tout plaquer pour rester auprès de Sanaria, auprès de celle dont son coeur ne pouvait plus se passer.

La conteuse marqua une pause pour reprendre son souffle.

- Le genre d'amour à même de déplacer les montagnes. Le genre d'amour qu'une personne sur mille peut se vanter d'avoir ne serait-ce que connu. Mais reprenons notre histoire... Désirée, blessée, avait pris congé de son amante et celle-ci se retrouva obligée de se rendre au dîner prévu par son père, en compagnie des princes des royaumes voisins, le cœur en peine. Un dîner des plus maussades, vous pouvez vous en douter. Mais autre chose attendait notre jeune princesse à la fin de cette soirée, alors qu'elle rejoignait ses appartements... Et ce qu'elle ignorait, c'est que des personnes s'intéressaient à elle depuis quelques temps. Des personnes particulières...

" Les pensées de la princesse étaient à des lieues des couloirs qu'elle arpentait machinalement pour regagner sa chambre. Les pas du garde qui la suivait comme son ombre n'étaient qu'une vague information qu'elle arrivait facilement à ignorer désormais.

Sa chambre lui parut terne et sans vie. Elle laissa son regard parcourir la pièce, s'arrêtant sur le lit à baldaquin aux tentures bleues. Elle n'avait jamais remarqué jusqu'alors que la teinte était exactement la même que l'iris si délicat, si beau, de Désirée. La jeune femme lui manquait affreusement, comme chaque fois qu'elle demeurait loin d'elle trop longtemps. Mais son départ précipité, l'éclat de mélancolie qu'elle avait capté dans son regard ne faisaient que la rendre plus malheureuse encore, la culpabiliser. Le dîner avait été une épreuve aussi et en cet instant précis, elle n'avait qu'un seul désir, se blottir, nue, dans les bras de son amante, sentir sa peau chaude contre la sienne, son parfum entêtant, enivrant. Mais elle savait qu'elle passerait cette nuit seule, loin de celle qui comptait tant pour elle, bien plus qu'elle ne voulait l'admettre. Désirée était...

Un reflet à la lueur des torches attira son regard vers le lit. Elle s'approcha d'un pas lent, prudent, et rabattit les tentures pour découvrir un écrin accompagné d'une lettre. La princesse resta immobile un long moment, incapable de bouger, de savoir quoi faire. En son for intérieur, elle savait précisément ce que contenait l'écrin et qui l'avait déposé là. Ce qui l'angoissait, la terrifiait même, était cette lettre à son nom. Quel message contenait-il ? Était-ce une déclaration, ou bien un adieu ? Elle l'ignorait, craignait de le découvrir. Craignait de ne plus jamais la revoir... Était-ce la réponse à la grande question qu'elle se posait en secret ? Elle hésita encore de longues minutes avant de finalement se saisir de l'enveloppe, brisant le cachet pour la lire à la flamme vacillante des torches.
Chère Sanaria,
Je savais que ma demande te mettrait mal à l'aise. Mais je ne la regrette pas. Jamais je n'ai été aussi sûre de moi. Je t'attendrai. Une journée, une année ou une vie, là où notre idylle a commencé.
A toi pour toujours,
Désirée.

La princesse relut la lettre une seconde, puis une troisième fois, avant de la laisser choir sur le lit. Une larme roula sur sa joue, mélange de soulagement et de tristesse. Désirée savait qu'elle...

Son amante la connaissait tellement mieux qu'elle ne se connaissait elle-même... C'était angoissant et tellement agréable dans le même temps. Elle se mordilla la lèvre en parcourant une dernière fois les lignes. Elle savait où la trouver. Ne restait plus qu'à...

Un cri retentit dans l'enceinte du palais. Des bruits de pas retentirent dans le couloir et la porte de la chambre s'ouvrit à la volée.
- Princesse, il y a du danger, restez ici !
Le garde avait à peine hurlé cette phrase qu'il s'en était retourné, refermant la porte dans un claquement sec. Sanaria resta interdite, hésitante, quelques secondes avant de rejoindre la porte de sa chambre. Des bruits divers résonnaient dans le couloir, filtrant à travers le panneau de bois, dans un brouhaha impossible à identifier mais qui ne faisait qu'accroître son angoisse. Elle prit une inspiration et tourna la poignée. Il n'y avait que les ténèbres et un silence oppressant. Nul être vivant n'était visible. Elle déglutit, peinant à respirer, mais se força à faire un pas, puis un autre, bravant l'interdit et sa peur pour s'avancer dans l'obscurité. Toutes les torches avaient été soufflées et un froid quasi surnaturel régnait, la faisant frissonner. Elle marcha pendant quelques minutes, n'osant pas franchir les portes fermées qui jalonnaient son chemin quand soudain, de nouveaux bruits retentirent, suivis de hurlements. Son sang ne fit qu'un tour et elle se précipita en direction de la chambre de son père qu'elle ouvrit à la volée. Tout était sens dessus dessous, ravagé, comme si une tornade avait traversé la pièce. Mais ce qui attira immédiatement le regard de la jeune femme étaient les corps inanimés des gardes, entassés au centre de la pièce. Elle s'approcha d'un pas nerveux, essayant de contenir les tremblements qui secouaient ses membres quand elle remarqua les deux yeux brillants qui la fixaient. Elle ne pouvait pas voir à qui ils appartenaient, la personne, ou créature, se murant dans les ombres. Elle déglutit et un rire résonna avant que quelque chose ne fonce sur elle. Sanaria se jeta sur le côté pour éviter l'objet qui atterrit avec un bruit mou contre le mur derrière elle. Elle resta prostrée un instant, tremblant des pieds à la tête. Quand elle osa enfin relever les yeux, la créature avait disparu. La princesse se retourna alors pour découvrir un corps sans vie, décharné, brisé. Le corps de son père. Elle lâcha un cri. D'horreur. De désespoir. La réalité sembla se fissurer autour d'elle alors qu'une bourrasque traversait la pièce, enlaçant les corps pour les relier à elle.

Elle cligna des yeux en reprenant conscience. Sanaria se trouvait dans sa chambre. Elle hoqueta et la porte s'ouvrit prudemment. Un garde la toisa longuement.

- Princesse... Tout va bien ?

Elle le dévisagea sans comprendre.

- Vous avez crié.

Elle frissonna.

- Tout va bien...

Le garde fronça les sourcils, sceptique.

- Vous êtes sûre ?

Elle ne répondit rien et il n'insista pas.

- Bon... Votre père vous attend dans sa chambre. (Dit-il avant de quitter la pièce.)

 La jeune femme attrapa sa couverture et la posa sur ses épaules, dans l'espoir de se réchauffer et de faire cesser les tremblements qui ne cessaient de l'agiter. En fermant les yeux, elle revoyait le corps sans vie de son père... Et les deux trous en travers de sa gorge.

A travers la fenêtre, trois femmes fixaient la princesse avec intérêt, postées sur la tour face à la sienne.

- Enfin. (Fit la plus grande des trois, avec un sourire.)"

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mirlina ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0