Chapitre X

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- Allo Papa !

- Oui Caroline.

- Ben qu’est-ce que tu fous ? Tu devais m’appeler hier soir en arrivant.

- Excuse-moi ma puce, j’étais fatigué et j’ai zappé.

- Tu te rends pas compte mais Léa et moi, on était toutes les deux mortes d’inquiétude. J’ai appelé maman pour savoir si tu l’avais contactée et du coup, comme tu ne répondais pas à nos appels, on s’est retrouvé toutes les trois à ne pas dormir de la nuit. Tu déconnes. Vraiment. On ne peut pas compter sur toi.

- Désolé ma puce. J’étais ailleurs.

- Comment ça ailleurs ? Ben t’es où là ?


J’ai pris un savon, signe des temps que l’autorité parentale est en déclin. Caroline a le don de ne pas mâcher ses mots lorsqu’elle est en colère ; un héritage de sa mère à n’en pas douter.


- Ton ex ?

- Non, ma fille. Un sacré caractère. Mais je l’adore.

- Elle a de la chance. Moi, mon père ne m’aimait pas. Il attendait un garçon. Je suis passé du statut de l’enfant désiré lorsque j’étais encore dans le ventre de ma mère et qu’il ne savait pas, à l’enfant détesté lorsque j’ai pointé le bout de mon nez.


On frappe à la porte. Harmonie jette un drap sur sa nudité. Une jeune femme dépose le petit déjeuner à l’entrée de la chambre avant de s’éclipser discrètement.


- Le p’tit dej au lit, trop cool.


Je la regarde croquer à pleine dents le pain bourré de confiture.


- J’en profite. Ça me tiendra la journée. C’est quoi ton programme ? J’ai le temps de reprendre une douche ? J’ai adoré hier. C’était si bon.

- Tu peux. On doit libérer l’hôtel avant dix heures.

- Et toi, tu fais quoi après ?

- Ce matin, je n’ai rien de prévu. A treize heures, je prends le ferry.

- Tu embarques pour la Corse ?

- Oui.

- Tu m’emmènes ? Je n’ai jamais été en Corse.

- C’est compliqué. Ça ne va pas être possible Harmonie.

- Oui, je me doute. Mais j’aurai au moins essayé.

- Ce matin, je te propose de faire quelques magasins pour que tu puisses arriver à te gérer plus facilement après mon départ.

- Laisse tomber Patrick. Je vais surtout avoir besoin de trouver un centre d’accueil. Toute seule avec mon plâtre, je vais être à la merci de tous les salopards qui traînent. Et puis, si tu m’achètes des vêtements neufs, on va me repérer de loin. Franchement, ce n’est pas une bonne idée. Par contre, on peut peut-être aller chez Emmaüs ?

- Va pour Emmaüs.


Sous la douche, j’admire une dernière fois le corps d’Harmonie, ses cheveux mouillés qui collent le long de son visage, son sourire infini, plein de béatitude, ses seins émoussés, son pubis ruisselant, ses fesses toutes menues. J’essuie son corps avec une douceur contenue sur toutes ses parties intimes puis avec une énergie plus accentuée en passant sur son dos, ses fesses et ses jambes.

Je m’applique sur son visage. Elle se laisse faire sans rien dire se contentant de me regarder et son regard me prend les tripes ; un regard profond, triste et souriant en même temps, résigné et admiratif, heureux et malheureux. Je ne sais pas comment elle arrive à exprimer autant de sentiments divergents mais ce que je sais, c’est que j’en suis tout chamboulé. J’approche mes lèvres des siennes. Elle ne bouge pas, ni invité, ni repoussé, son regard toujours posé sur le mien. Je suis tout intimidé, je n’ose pas, je n’ose plus. Elle me sourit, son nez est presque collé contre le mien puis elle détourne la tête.


- Merci pour l’intention Patrick. C’était un instant magique mais je ne crois pas que ce soit une très bonne idée.

- Tu as probablement raison mais j’avais envie de t’embrasser, un peu comme hier soir et puis ...

- Et puis tu aurais regretté.

- Non hier je n’ai rien regretté.

- Pourtant c’est compliqué d’embrasser une fille de la rue, non ? Franchir la barrière sociale, passer de l’autre côté, quitter sa zone de confort pour un simple baiser.

- Je ne sais pas. Je suis perturbé. Hier matin, je ne me posais pas toutes ces questions. Je pensais aux filles que j’allais draguer sur la plage, à ces touristes en mal d’amour et de sexe. Et j’ai croisé le chemin d’une jeune femme surprenante, une femme différente qui déstabilise mes principes élémentaires en toute humilité.

- Approche ! Tu vois ? Ce n’est pas si sorcier mais je suis d’accord, on ne badine pas avec l’amour. Aide-moi à m’habiller maintenant.

- Tu as dit quoi ?

- Non, rien. Des conneries. Laisse tomber.


- °° -


- Gare-toi un peu avant. Oui, là. En Mercedes flambant neuve, chez Emmaüs, ça va interpeller.

Harmonie parcourt les rayons en terrain conquis. Je la suis, éberlué par ce monde inconnu. Ici, il y a une kyrielle d’objet en tout genre, du frigo aux vêtements et rien n’a réellement de valeur. Tout à déjà été utilisé. Ce que je jette habituellement pourrait très bien se retrouver ici, pour être réutilisé à un prix défiant tout concurrence.

Harmonie s’est arrêtée devant le rayon des sous-vêtements.


- Tu vas prendre ça ?

- Oui. Elles sont un peu grandes mais au moins je pourrai les retirer toute seule. Tu n’aimes pas ?

- Euh ben c’est à dire que ...

- Ce n’est pas pour faire la belle. C’est juste pratique et pas cher.


J’ai réglé la note ; cinq euros pour trois culottes, deux paires de chaussettes, une jupe pas trop moche, un pantalon et un colorant pour les cheveux. Je suis consterné. C’est la première fois que je mets les pieds dans ce type de magasin et franchement, je n’y étais pas à l’aise avec mes vêtements de marque, mes chaussures cirées, comme neuves, mon iPhone dernier cri.

Harmonie est enchantée. En sortant, elle m’a gratifié d’un baiser furtif sur la joue.


- J’arrête là sinon tu vas y prendre goût et … moi aussi.


Il est onze heures. On se met en quête d’un centre d’hébergement. Les trois premiers sont fermés. Le quatrième est saturé. Le cinquième, un centre pour alcoolique, une place vient de se libérer.


- Je peux vous prendre mais que pour quelques jours, une semaine tout au plus. Il faut savoir qu'ici, ce n’est pas de tout repos. Les gens sont à cran et la nuit ils se défoulent comme ils peuvent. Il faudra accepter.


Harmonie dépose son sac dans la pièce qui lui servira de chambre. Une pièce austère ; un lit, un lavabo, une armoire.


- Tu peux partir. Je vais être bien ici.


Je la serre dans mes bras. J’ai la gorge nouée.


- Tu es sûre ?

- Oui. Ne t’en fait pas pour moi. Ca va aller.

- Et si …

- Non ! Reste dans ton monde. Toi et moi on est trop décalé et je ne suis pas sûre d’être heureuse là où tu pourrais m’emmener et puis si j’y goûte de trop, je risque d’avoir du mal à réintégrer le mien lorsqu’il le faudra. Tu comprends ?

- Oui. Enfin Non. Je ne sais plus.

- En tout cas, merci pour ce que tu as fais. C’était trop bien. Le voyage, le resto, la douche, les papouilles. J’ai vraiment passé un super moment en ta compagnie. J’ai même adoré. Allez vas t’en maintenant. Tu vas être en retard pour le ferry.

- °°° -

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