Chapitre II

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Cela fait une semaine qu’Eléna a quitté l’appartement. Ça change. Le silence a remplacé le tumulte ambiant. Plus de dispute, plus de reproche. Il ne reste que le téléviseur en sourdine dans le salon pour distiller un semblant de présence.

En partant, elle a reprit les quelques meubles qui lui tenaient à cœur et tous ses effets personnels. Les armoires sont vides, la penderie est déserte et ce ne sont pas mes maigres vêtements qui vont combler le vide.

Dans la cuisine, la vaisselle, un cadeau de sa mère, a disparu des placards. Il ne reste qu’une ou deux fourchettes, un couteau et une petite cuillère, un bol et une tasse à café fêlée, juste de quoi prendre le petit déjeuner. Dans la chambre, le matelas posé à même le sol, seul vestige de nos ébats amoureux, règne en maître esseulé. On a l’impression qu’un tsunami est passé par ici tant la pièce presque vide paraît démesurément grande. Le salon et la salle à manger sont restés intacts, tout comme la chambre de Caroline.

Le partage s’est fait sans chimère. J'ai reporté mon séjour. J’ai même accepté de lui donner un coup de main pour démonter les meubles, ranger ses affaires dans les cartons et charger le tout dans l’utilitaire qu’elle avait loué pour la circonstance. Et puis, on s’est quitté sur le bord du trottoir, un baiser sur chaque joue, comme de vieux amis et je suis remonté chez moi avec un léger pincement au cœur. Elle aussi d’ailleurs même si elle a tout fait pour le dissimuler.

Il faut dire que la dernière nuit ensemble a été particulièrement agitée, car contre toute attente, pour entériner notre rupture, Eléna a décidée de sortir le grand jeu. Elle s’est arrêtée sur le pas de la porte de la salle de bain, petite nuisette satin transparente, string blanc qui laisse deviner en filigrane son duvet noir toujours très bien entretenu, et lunettes sur le nez car elle sait que j’apprécie.

- Avec ou sans lumière ?
- Avec, je préfère et comme tu es ravissante ce soir, je ne veux rien perdre de ta superbe.

J’ai compris. Je ne sais pas pourquoi elle veut faire l’amour ce soir, probablement dans l’idée de me faire regretter notre séparation, parce que je sens que cette fois elle ne restera pas passive. Je ne sais pas si elle en a réellement envie, si elle s’oblige ou si elle a besoin une dernière fois de nos étreintes. Pour ma part, je me serais bien abstenu mais mon sexe en a décidé autrement.

Après vingt ans de vie commune, elle arrive encore à me surprendre, la veille de notre séparation, c’est fort quand même mais ça ne change rien. Eléna reste néanmoins une jolie femme, un peu d’embonpoint mais très léger, des seins opulents attirés par la pesanteur, des fesses affriolantes, un sexe façonné par l’épisiotomie à la naissance de Caroline. Et avec cette nuisette que je ne connaissais pas, elle est vraiment sexy.

Je retrouve mon Eléna des premiers jours, là où elle savait si bien se donner, sans rémission, sans honte, et sans vergogne. Un corps offert à tous mes fantasmes et à toutes ses frasques ; un partage total ou l’amour peinait parfois à trouver sa place conquis par l’intensité démesurée du plaisir.

Eléna gémit. Des bruits étouffés sortent de sa gorge. Je la sens au bord de la jouissance. C’est merveilleusement bon, excitant au possible. Je n’ai pas le souvenir d’autant de velléité de sa part.
Je ne comprends pas pourquoi il a fallu attendre notre séparation pour goûter une dernière fois aux délices de l’amour. Mais ici, maintenant, il n’y a plus d’amour, pas de baiser non plus ni même des petits mots doux. Non, il n’y a rien que du sexe pour le sexe, pour abreuver nos corps alanguis qui ne demandent qu’à entrer en résonance. Et dans le culte de l’extase, nous ne sommes pas si différents, elle et moi, encore faut-il qu’elle veuille bien, comme ce soir, s’en donner la peine.

Eléna s’est redressée. Elle rit toute seule en gémissant. Je sais ce qu’elle a en tête et elle sait aussi ce que j’adore. Ça fait des lustres que nous n’avons plus voyagé ensemble dans cet endroit insolite, toujours aussi étroit et merveilleusement accueillant. Son souffle s’est accélérée et dans la glace, je vois son petit minois, les yeux fermés, les lèvres entrouvertes, les mains crispés sur le rebord métallique du lit. La sensation est grandiose, sublime lorsque nos corps trouvent l’unisson. Je suis conquis, je suis vaincu, je l’avoue. Et pour calmer ma déroute, je reste stoïque, les yeux fermés, concentré sur l’immensité de ma défaite. Elena savoure sa victoire dans le reflet de la glace. Elle est adorable quand elle sourit comme cela, un peu espiègle, beaucoup malicieuse, très diabolique. Je reste encore un petit moment pour apprécier une dernière fois ce contact charnel, le graver dans ma mémoire jusqu’au moment inévitable où nous nous dissocions.

Allongés sur le côté, les yeux dans les yeux, mes mains qui frôlent son corps, ses doigts qui passent sur mon visage, nous nous regardons en silence conscient l’un et l’autre des chamboulements importants qui nous attendent.

Nous sommes passés à la douche l’un après l’autre et nous avons regagné le lit conjugal.

- Demain, c’est le grand jour. Je suis contente de partir et en même temps j’ai peur de regretter. C’est bizarre comment sensation, un peu d’excitation pour ce nouveau départ et le sentiment de perdre quelque chose d’important.
- Je ressens la même chose moi aussi. Je pense qu’on est passé à côté de notre couple et au moment ou on aurait pu peut-être redresser la barre, on n’a pas su ou on a pas trouvé le courage. On a laissé dériver en faisant à minima attention pour que Caroline n'en souffre pas trop et lorsqu’elle est partie en faculté, on ne s’est pas méfié ni l’un ni l’autre et tout a dérapé.
- On ne va pas revenir sur le passé. Le principal pour moi maintenant, c’est qu’on se quitte en bons termes. J’avais peur d’une guerre de chantier, de voir la rancune, la haine, la frustration poindre dans nos regards. J’avoue que ça m’aurait gavée. Je n’avais vraiment pas envie de ça.
- Je pense qu’on a fait le plus gros et pour une fois, on s’est pas trop mal débrouillés.
- Oui tu as raison. Bonne nuit Patrick.
- J’éteins. Passe une bonne nuit toi aussi Eléna et à demain.

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