LETTRE

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Inaya

Lorsque j'achève enfin ma lecture, je repose la lettre d'Aaron sur le sol de ma chambre, les yeux embrumés de larmes. Je n'arrive toujours pas à réaliser l'ampleur de ce que je viens de lire, toutes les épreuves qu'Aaron a dû traverser à un âge aussi jeune, toute la force qu'il a dû puiser en lui-même pour ne pas se laisser dépérir. C'est juste invraisemblable. Inconcevable. Inimagineable. Et une partie de mon esprit ne peut s'empêcher de penser que mes propres problèmes sont vraiment ridicules à côté.

Je prends mon téléphone et appelle Aaron. L'appareil sonne, mais il ne décroche pas. Je réessaie une seconde fois, puis une troisième, mais toujours rien. Je repense à sa lettre, aux mots si forts qu'il a employés, les idées noires qu'il a évoquées, et l'inquiétude monte soudainement en moi.

Alors je n'ai pas le temps de le réaliser que je me relève spontanément, étouffe rapidement le bout de papier dans la poche de mon jean, puis je m'empresse de dévaler les escaliers pour me diriger vers la porte de l'entrée. Et alors je cours aussi vite que possible vers sa cité. Parce que je réalise seulement maintenant que si je consens délibérément à l'écarter, je ne me le pardonnerai absolument jamais.

* * *

Debout, devant la porte de son immeuble, je recompose le code secret qu'il m'avait préalablement confié. Il pleut des cordes dans sa ville et j'ai oublié de prendre de quoi me couvrir sous la précipitation, alors mes doigts ne cessent de trembler, en plus d'être complètement trempée de la tête aux pieds. Mais je finis néanmoins par y arriver. Alors je m'empresse d'entrer et de monter les escaliers.

  • Aaron !

Je toque à la porte de son appartement, en vain.

  • Aaron ! j'insiste alors, d'une voix plus élevée.

Mais personne ne se manifeste.

L'angoisse s'instille de nouveau en moi, et je décide d'opter pour une méthode plus radicale.

Je me mets alors à frapper sa porte comme un bourrin.

  • Aaron ! je m'écrie. Je t'en supplie, ouvre-moi !

Mais toujours personne.

Un frisson me parcourt l'échine et mes membres se raidissent. Une bouffée de chaleur envahit mon corps, mon pouls s'accélère et j'ai de plus en plus de mal à respirer. Je fais de mon mieux pour inspirer l'air autour de moi avec avidité, mais je crois que le désespoir est en train de me gagner. Je suis en train d'imaginer le pire.

Une vie sans ses moqueries.

Une vie sans ses étourderies.

Une vie sans sa chaleur.

Une vie sans son ardeur.

Une vie sans lui.

Et je sais d'ores et déjà que je ne pourrai jamais y survivre.

  • AARON !

Je hurle dans un dernier espoir.

Mes poumons sont en feu, mes joues en larmes, mes jambes en coton, mais je continue de hurler, encore et encore. Si c'est le prix à payer pour me racheter, alors je continuerai sans hésiter. Je continuerai sans jamais m'arrêter. Parce que je serai prête à tout pour sauver mon être aimé.

  • Inaya ?

Une voix masculine à moitié assoupie me ramène instantanément à la réalité.

Une voix que je pourrais reconnaître entre mille.

Sa voix.

Je relève alors la tête, toujours aussi chevrotante, et j'écarquille les yeux.

  • Aa... ron ?

C'est la première fois que je le vois comme ça.

Il a les yeux rouges et des cernes noirs sous-jacents.

Soit il n'a pas dormi, soit il a pleuré.

Ou peut-être les deux.

Peu importe, je déteste le voir dans cet état.

Il me fixe un instant, complètement déconcerté par ma présence, – et probablement aussi par mon apparence –, avant de répliquer :

  • Inaya... mais qu'est-ce que tu fais là ?

Mais j'ai la gorge serrée.

L'estomac noué.

Et je me contente simplement de le scruter.

Il passe alors sa main dans ses cheveux pour les ébourrifer, avant de rajouter :

  • Je suis désolé, je me suis endormi... mais pourquoi est-ce que tu n'as pas sonné ?

Je réprime un rire nerveux.

Il n'a pas tort.

Je crois que j'ai vraiment paniqué.

  • Tu es toute trempée... poursuit-il d'une voix inquiète, tout en s'approchant.

Je sais que la raison m'intimerait de m'écarter à mon tour, mais je suis tellement bouleversée que je n'arrive même plus à me maîtriser. Alors au lieu de reculer, je fais un pas pour m'avancer, et je m'empresse de l'enlacer.

  • Inaya ? s'exclame-t-il, d'un ton mi-crispé, mi-alarmé.

Mais je n'en tiens pas compte.

Je continue simplement de sangloter, agrippant fièvrement son tee-shirt avant d'enfouir ma tête contre sa nuque. Et finalement, ça n'a pas tant l'air de le déranger. Il se met à m'étreindre en retour, silencieux, avant de passer ses doigts dans mes cheveux pour me caresser et m'apaiser. Et même si ça m'ennuie de l'admettre, je dois dire que cela fait parfaitement son effet.

  • Hé, Inaya... me susurre-t-il de sa voix douce. Tout va bien, je suis là...

Il ne réalise probablement pas l'importance de ces propos à ce moment-là.

  • Viens là... ajoute-t-il en m'intimant d'entrer dans son appartement.

Je le suis, toujours aussi cramponnée à son tee-shirt, et il referme la porte derrière moi avant de reporter son attention sur moi. Et sur mes cheveux ruisselants.

  • Inaya, tu vas attraper froid... je vais aller te chercher une serviette.
  • Non !

Ma réponse est quasi instantanée.

Et mes doigts sont enroulés dans le col de son tee-shirt pour l'empêcher de s'en aller.

Comme si mon corps avait réagi avant même que je ne puisse le réaliser.

Et Aaron a l'air encore plus chamboulé.

  • Inaya ? me demande-t-il.

Mais j'ai du mal à répliquer.

  • Qu'est-ce qui se passe ?

J'ai du mal à le lui avouer.

  • On t'a fait du mal ?

Lui avouer que je ne veux plus le quitter.

  • Je t'ai fait du mal ?

Mon cœur fait un raté.

Je hoche spontanément la tête pour le contrer.

Et il semble instantanément rassuré.

Un silence s'ensuit.

Je ne dis plus rien, et Aaron non plus.

Il comprend rapidement que je ne veux simplement pas en parler, et que j'ai besoin d'un peu de temps pour récupérer. Il n'a pas forcément besoin que je mette des mots sur ce que je ressens pour savoir comment se comporter avec moi. Et je crois que c'est une des raisons pour lesquelles je suis tombée amoureuse de lui.

Aaron m'enjoint néanmoins à retirer mes chaussures, et je finis par obtempérer par respect pour son intimité. Même si je sais qu'il ne me le demande pas du tout pour son propre confort, mais au contraire pour m'aider à me ressaisir.

  • Inaya... murmure-t-il alors.

Sa voix se fait plus grave, son ton plus inquiet.

Je relève la tête pour l'observer, et je remarque que ses prunelles se sont arrêtées sur le bout de papier que je viens de faire tomber en me déchaussant. La lettre qu'il m'a envoyé.

  • Inaya... reprend-t-il entre deux inspirations. Est-ce que tu l'as lue ?

Je vois à son expression qu'il semble apeuré.

Probablement par la réaction qu'il appréhendait depuis tout ce temps.

  • Oui... je finis alors par lui rétorquer, toujours pantelante.

Sa mâchoire se serre.

Il essaie de sonder mes intentions.

  • Aaron... j'ajoute en m'écartant d'un pas. Je...
  • Inaya...

Sauf qu'il se méprend probablement.

  • Je...
  • Inaya... attends... me supplie-t-il d'un air désespéré.

Alors je décide de le délivrer.

  • Je suis désolée...
  • Quoi ?

Le brun me regarde, abasourdi.

Et je ne peux empêcher les larmes de rouler.

  • Je suis tellement... mais tellement désolée pour tout ce que je t'ai fait...
  • Inaya...
  • Pour la façon dont je me suis comportée...
  • Arrête...
  • Pour avoir été une telle inconsciente...
  • Inaya !

Aaron s'empresse alors d'attraper mes deux joues pour me calmer. Il se met à essuyer mes sanglots à l'aide de son pouce, tout en soutenant mon regard.

  • Inaya... reprend-il.

Je peux sentir son souffle ardent dans ma nuque.

  • Tu as eu la bonne réaction...
  • Quoi ?

Je le scrute à mon tour, incrédule.

  • J'ai dépassé les bornes, et tu t'es simplement protégée...
  • Mais...
  • Certes, tu ne pouvais pas deviner mes antécédents... mais même si tu en avais conscience...
  • Quoi ?
  • Mes antécédents ne justifient pas la réaction que j'ai eue avec toi, Inaya...

Je continue de le scruter, silencieuse, mais surtout émerveillée par la sincérité dont il fait toujours preuve, et sa capacité à accepter de se remettre en question. Une autre raison pour laquelle je suis tombée amoureuse de lui.

  • Alors arrête de te blâmer...
  • Aaron...
  • C'est plutôt moi qui devrais m'excuser...

Ce n'est pas comme s'il ne l'avait pas déjà fait une dizaine de fois dans sa lettre.

  • Aaron... je lui souffle alors.

Il me sonde, en attente de la suite de ma phrase.

Et une fois de plus, la raison me quitte pour laisser place à la passion :

  • Je t'aime.

Ses prunelles cobalt s'écarquillent.

Je crois qu'il ne s'attendait pas à une telle confession.

Un nouveau silence pesant se joint à notre conversation, et je commence presque à regretter d'avoir succombé à mes émotions. Je tente d'éviter le regard du brun, mais lorsque je l'accroche de nouveau, je réalise que son expression a brusquement changé. Il a l'air si apaisé. Si satisfait. Un sourire mutin se dessine au coin de sa lèvre, et je prends alors conscience que nous ne sommes plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Ses prunelles descendent progressivement des miennes pour se diriger lentement vers mes lèvres. Et je comprends instantanément ce qu'il s'apprête à faire. Alors je ferme les yeux. Et je n'ai pas le temps de mouvoir mes lèvres que je décèle vaguement sa voix appeler mon prénom à travers mes oreilles bourdonnantes, et je perds connaissance dans ses bras.

* * *

Lorsque je me réveille, ce n'est plus le visage d'Aaron, mais son plafond que j'observe en face de moi. Je me redresse spontanément et je constate qu'une serviette humide est posée sur mon front, et qu'une couverture en laine recouvre entièrement mon corps. Je me remémore alors ma perte de connaissance, quelques minutes plus tôt, juste avant que les lèvres d'Aaron n'effleurent les miennes, et le rouge me monte aux joues. L'adrénaline est brusquement retombée et maintenant je n'ai qu'une envie, c'est de m'enterrer six pieds sous terre.

Je laisse échapper un profond soupir. Puis je m'extraits de la couverture et je m'apprête à me relever, lorsque je suis interrompue dans mon mouvement :

  • Bien dormi, princesse ?

C'est Aaron.

Il se tient dans l'embrasure de la porte de la chambre, les bras croisés.

  • Je t'avais prévenue que tu allais attraper froid...

Je fronce le nez.

  • C'est bon, ce n'est pas comme si j'avais dormi des heures non plus !
  • Tu plaisantes, j'espère ?

Quoi ?

Contre toute attente, en constatant ma réaction, Aaron se met alors à glousser de rire. Et puis il se redresse légèrement pour m'indiquer du doigt l'horloge fixée au mur de son hall d'entrée.

  • Tu as dormi toute l'aprèm, Inaya...
  • Quoi ?! je m'écrie en bondissant du lit.

Cependant, mes jambes me lancent de douleur et je manque trébucher.

Mais Aaron me rattrape de justesse à l'aide de ses bras.

  • Attention, tu es encore fragile... tu avais un peu de fièvre, tout à l'heure.
  • Mer... merci...

Lorsque je retrouve mes appuis, je retire instantanément mes mains de celles du brun. Je me suis peut-être emportée tout à l'heure, mais maintenant que j'ai retrouvé mes esprits, je ne suis plus aussi à l'aise à l'idée d'entretenir un tel contact physique avec la gent masculine. Ça me rappelle automatiquement l'agression de mon cousin. Même si avec Aaron, c'est différent.

  • Pardon, déclare-t-il alors en m'arrachant à mes pensées.

Mince.

Je ne veux surtout pas qu'il prenne mal mon geste.

Ce n'était qu'un simple réflexe, après tout.

  • Non, ce n'est pas...
  • Non, reprend-il alors d'un ton plus ferme. Je n'ai pas été correct.

J'arque un sourcil, incrédule.

  • Je n'aurais pas dû essayer de t'embrasser, tout à l'heure...
  • Quoi ?!

Mes joues s'empourprent.

Je n'arrive pas à croire qu'il puisse lâcher une telle bombe aussi insouciamment.

  • Inaya... je ne suis pas en train de plaisanter... c'est important pour moi...

Aaron...

  • Je veux faire les choses bien avec toi, plus qu'avec n'importe qui...

Je crois que mon cœur va exploser.

En vingt ans d'existence, personne n'a jamais été aussi prévenant à mon égard.

  • Alors j'ai une requête à te demander...

Je ne sais pas ce qu'il s'apprête à me demander, mais le connaissant, il voudra probablement prendre son temps. Avancer à notre rythme, ne pas se précipiter dans notre relation pour éviter les mauvaises surprises... Pour être honnête, cette perspective me plaît bien. J'ai toujours été habituée à des hommes qui voulaient au contraire obtenir de moi ce qu'ils désiraient le plus rapidement possible, alors être confrontée au contraire fait plutôt du bien.

  • Aaron, je sais ce que tu vas dire... c'est bon pour moi, prends le temps qu'il te faudra.

Mais le brun ne desserre pas son expression.

  • Non, Inaya... je crois que tu n'as pas saisi...
  • Quoi ?

Je penche la tête, incrédule.

  • Je ne veux pas prendre mon temps, au contraire...
  • Quoi ?
  • Je veux t'épouser, Inaya.
  • Oh mon dieu.

Je laisse spontanément échapper ces propos, sous le choc total de la proposition d'Aaron.

Ce dernier ne réplique rien de plus, mais je sens qu'il tente de réprimer sa nervosité. Et probablement son appréhension aussi. Ce qui est normal. En venant à la rencontre d'Aaron aujourd'hui, je ne m'attendais pas à ce que la situation prenne un tel tournant. Je savais que je voulais lui déclarer officiellement mes sentiments, – à l'image de ce qu'il a fait pour moi dans sa lettre –, mais je n'avais aucune idée de la façon dont notre relation allait évoluer.

Je laisse échapper un soupir. En même temps, à quoi est-ce que je m'attendais ? Je continue de faire le parallèle entre le comportement d'Aaron, et celui des autres garçons ayant pu éprouver de l'intérêt pour moi. Dans le cas de ces derniers, l'engagement ne les intéressait pas réellement. Tout ce qu'ils souhaitaient, c'étaient les bénéfices qu'ils pouvaient tirer de moi.

Mais Aaron est différent. Il ne veut pas passer du temps à mes côtés pour satisfaire des fantasmes, mais parce qu'il apprécie la personne que je suis. Parce qu'il a des sentiments pour moi. Parce qu'il est amoureux de moi. Et moi, dans tout ça, je ressens la même chose. Je suis amoureuse d'Aaron. Et je veux passer le reste de ma vie à ses côtés. Alors pourquoi attendre ? Pourquoi attendre pour officialiser quand notre relation est pourtant si évidente ?

  • Inaya... reprend Aaron.

Non.

  • Si tu veux un peu de temps pour réfléchir...

Je n'en ai pas besoin.

  • Je sais que ce n'est pas une décision facile...

Au contraire, c'est très facile.

  • Oui.
  • Quoi ?

Aaron me fixe, déconcerté.

  • Oui, je veux t'épouser Aaron.

Son visage s'éclaircit instantanément.

  • Inaya...
  • Je n'ai pas besoin de temps Aaron, au contraire. C'est en restant loin de toi que je perds mon temps.

Il continue de me scruter, de plus en plus apaisé.

Alors il se rapproche d'un pas pour me rejoindre, avant de déclarer :

  • Pardon d'avance...
  • Quoi ?
  • Là, je ne peux vraiment pas résister...

Et il dépose un tendre baiser sur mon front.

  • Je t'aime, Inaya.

C'est la première fois qu'il me le déclare de vive voix.

Et je m'écroule de nouveau sous des torrents de larmes.

Sauf que cette fois, ce ne sont pas des larmes de désespoir. Mais des larmes de joie.

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