Chapitre 13

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« Au fait, tu habites seul ? »

Depuis un moment, j’avais envie de poser cette question à Aaron.

« Ouais, me rétorque-t-il nonchalamment.

-Ah bon… »

Sa réponse plutôt brève ne me satisfait pas. Je me surprends alors à poursuivre la conversation :

« Et c’est pas difficile ? Avec les cours à côté… »

Il s’interrompt un instant, m’adresse un regard sceptique, avant de finir par hausser les épaules :

« Non, pas spécialement. C’est pas comme si c’était nouveau pour moi.

-Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Aaron semble également étonné par ma curiosité excessive puisqu’il arque un sourcil.

« Détends-toi, repris-je. Je cherche juste à passer le temps. »

Je suis une piètre menteuse. Certes, la perspective de passer le trajet entier du bus dans un silence ne m’enchante pas, mais je sais qu’au fond, une infirme partie de moi souhaite connaître les réponses à toutes ces questions.

« J’habite seul depuis la seconde.

-Oh. »

Là, je ne m’y attendais vraiment pas.

Je scrute le brun d’une bouche béante, que je m’empresse de refermer dès que je m’aperçois de son ouverture exagérée.

« Désolée de ma réaction, tenté-je de reprendre en balbutiant, c’est juste que c’est pas commun…

-Je sais, répond-il d’un ton ferme. Je suis habitué.

-Et tes parents ? »

Sur ces mots, le chauffeur du véhicule freine brusquement. Je manque de me prendre le siège me succédant en pleine figure, lorsqu’Aaron retient mon front par sa main.

« Est-ce que ça va ? » me demande-t-il, tout en dirigeant ma tête vers le dossier du siège pour la stabiliser.

Un peu déconcertée par le choc, je me contente d’acquiescer timidement :

« Oui, merci… »

Il finit par retirer sa paume et je prends une profonde inspiration pour calmer les battements vifs de mon cœur.

« Ce conducteur est taré… » murmuré-je.

En m’observant, Aaron esquisse un sourire et prend un ton un peu plus rassurant :

« De toute façon, on est arrivé. »

Je m’empresse de sortir du bus pour respirer l’air extérieur. Aaron me précède et je réalise alors qu’il n’a pas répondu à ma dernière question. Où sont ses parents ? Que font-ils dans la vie pour laisser leur enfant mineur vivre seul en appartement ? Toutes ces interrogations se chamboulent dans ma tête et ne peuvent s’empêcher d’attiser davantage ma curiosité. Cependant, je décide de ne pas insister. J’en ai suffisamment appris pour aujourd’hui et je n’ai pas envie de l’embêter avec tout ça.

« On y va ? s’écrie le brun, me levant de mes pensées.

-On y va ! »

Nous marchons depuis plusieurs minutes maintenant lorsqu’Aaron finit par m’indiquer un grand bâtiment sombre dans lequel il m’incite à entrer. Malgré mon appréhension, je franchis le seuil. C’est un espace coloré que je découvre, teinté de différentes lumières et regroupant de nombreux appareils.

« Une salle d’arcade ? m’exclamé-je.

-C’est ça ! Alors ?

-J’avoue que je n’y avais pas pensé.

-Tu t’imaginais autre chose ? Un endroit étrange et mal fréquenté, peut-être ? »

Bingo.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le fait d’avoir décidé de mon plein gré d’inviter Aaron ne m’a pas fait baisser ma garde pour autant. Même s’il se montre particulièrement sympathique avec moi, il reste un inconnu à mes yeux. Un garçon, qui plus est.

« Désolée ! C’était plus fort que moi ! »

Il s’esclaffe et m’adresse un sourire.

« C’est bon, je vais pas le prendre personnellement.

-Merci…

-Bon, tu veux commencer par quoi ?

-J’en sais rien, tu choisis ! »

Pour être honnête, je ne me rends quasiment jamais en salle d’arcade. Les éclairages de l’espace et la foule abondante m’oppressent assez facilement. Mais aujourd’hui, je vais faire un effort, en espérant seulement ne pas me ridiculiser devant lui.

« Ok, viens au panier de basket alors ! reprend-il.

-Je te suis. »

C’est la énième fois que le ballon que je lance rebondit sur le cercle sans entrer dans le filet. Aaron, de son côté, vient d’effectuer un score parfait et je me sens lamentablement humiliée face à mon adversaire.

« J’en ai marre, m’écrié-je en soupirant.

-Quoi, déjà ? On vient à peine d’arriver !

-C’est trop compliqué de marquer ! »

Le brun marque un arrêt pour me scruter attentivement.

« C’est parce que ta posture est mauvaise, affirme-t-il alors.

-Quoi ? Comment ça ?

-Commence par écarter tes jambes. Les pieds joints, t’arriveras à rien.

-Si tu le dis. »

Je m’exécute sans broncher.

Sans m’en rendre compte, Aaron s’avance derrière moi et place sa main sur mon épaule droite. Il est proche, très proche même. Je peux sentir son odeur boisée et son souffle ardent traverser ma nuque.

« Qu’est-ce que tu fais ?!

-Ton bras est mal placé. Si tu le positionnes mal, c’est normal que tu rates tous tes tirs.

-Oh… »

Il descend progressivement ses doigts le long de mon deltoïde et le rouge me monte aux joues.

« Là, ton coude doit être aligné verticalement avec le ballon.

-O…ok. »

Je suis en train de perdre mes moyens à cause de la promiscuité qu’il vient de créer et je n’ai qu’une envie, c’est qu’il recule. Pourtant, je ne peux pas permettre de l’offenser alors qu’il prend le temps de me délivrer de précieux conseils. S’il-te-plaît, dépêche-toi !

« L’angle me paraît correct, ajoute-t-il. Je pense que tu peux y aller. »

J’y arriverais mieux si tu me lâchais !

Sur ces mots, je ferme les yeux et je tire de toutes mes forces. Quitte à échouer une fois de plus, je préfère ne pas le voir. Et puis, ce n’est pas comme si le résultait m’importait réellement. La seule chose que je veux, actuellement, c’est retrouver mon espace vital !

La balle rebondit brusquement sur le sol, suivie d’un long silence pesant qui ne m’inspire rien de bon. Je me suis sûrement encore plantée.

« Inaya ! s’exclame Aaron, me tirant de mes rêveries.

-Laisse tomber !

-Ouvre les yeux ! Tu l’as fait !

-Quoi ? »

En ouvrant les yeux, j’aperçois le tableau affichant le score, avec le chiffre passé de zéro à un.

« J’ai… marqué ? demandé-je en bafouant. J’ai vraiment marqué ?

-Ouais ! (Il se met à applaudir.)

-Oh mon dieu ! »

Je pousse un cri de joie strident qui me vaut le regard méprisant de plusieurs personnes autour de nous.

« Chut, marmonne Aaron. On va se faire virer si on parle aussi fort !

-Oups, pardon. C’est juste que je suis si heureuse, je n’arrive pas à me contenir ! »

Le brun m’adresse alors un sourire :

« Tu vois, quand tu veux. (Il croise les bras.) Par contre, tirer les yeux fermés, c’est du jamais vu. Y a vraiment que toi pour faire ce genre de choses… »

Je m’ébouriffe les cheveux, embarrassée. Sur ce coup, il n’a pas tort, j’ai été idiote.

« J’avais mes raisons… balbutié-je.

-La prochaine fois, évite. Sinon, tu vas avoir du mal à contrôler ta trajectoire.

-C’est noté…

-Tu veux réessayer ?

-Non ! m’écrié-je spontanément. J’ai eu ma dose de basket pour le mois entier ! »

Il se met à pouffer de rire en me scrutant. Je ne relève pas la moquerie et me retourne, à la recherche d’une nouvelle activité.

« Oh, si on allait là-bas ? »

Je pointe du doigt la table d’air hockey en face de nous.

« Pourquoi pas, dit-il. Mais tu risques encore de te plaindre de perdre.

-Quoi ? Tu crois que tu es infaillible ?!

-Presque. (Il me refait son clin d’œil orgueilleux qui m’irrite au plus haut point.)

-C’est ce qu’on verra ! Si je gagne, prépare-toi à en assumer les conséquences !

-L’espoir fait vivre ! »

Nous nous plaçons de chaque côté de la table et je pousse le disque la première.

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