Il était une boulangère

2 minutes de lecture

Je n’ai pas fait attention au temps qu’il faisait ce matin. C’est étrange : la météo, c’est presque toute ma vie. La femme sans âge à ma porte avant-hier, c’était pour une annonce et cette annonce, c’est moi qui l’avais passée sur un site pour trouver un locataire. J’avais oublié. C’est C. qui m’a rafraîchi la mémoire. Elle a dit « Tu te plaignais tellement de manquer d’argent pour les travaux, je t’ai dit de prendre un autre locataire et tu as trouvé l’idée intéressante ; ta maison est tellement grande ! Des locataires, tu peux franchement en prendre encore quelques-uns ! » Parfois, j’ignore ce que je ferais sans C. et ses bonnes idées. Comme j’ai été prise au dépourvu l’autre jour, j’ai dit à la fille « Repassez après-demain matin avant 9 heures » et j’ai refermé la porte. Elle s’est donc présentée ce matin. J’étais en peignoir, pas encore remise de ma nuit sans sommeil. Les petits n’étaient pas là ; sans doute les filles les avaient-elles déposés à l’école avant de revenir suivre leur cours dans leur chambre, sur leur écran d’ordinateur.

Quand cette femme sans âge est entrée, elle est allée tout droit vers la cuisine sans demander son chemin, a retiré son manteau en feutre gris, s’est assise avec le manteau sur les genoux et s'est servi sans embarras un café tiédi dans la cafetière posée sur la table. Sans que je ne lui demande rien, elle s'est mise à parler en ignorant complètement C., assise juste en face d’elle. Elle me regardait, moi, ses yeux accrochés dans les miens, comme s’il y avait un risque que, à la moindre distraction de sa part, je disparaisse. Elle a dit « Je m’appelle A., j’aime faire du pain, je crois que je suis boulangère. C’est comme ça qu’on dit, n’est-ce pas, pour les gens qui aiment faire du pain ? Je me lève donc tôt le matin mais ne vous inquiétez pas et voyez comme je suis légère ! Vous ne m’entendrez pas dans les escaliers. Parfois je pleurerai mais c’est parce que je fais un chagrin d’amour en ce moment. Enfin… je dis en ce moment mais cela dure depuis si longtemps que je ne sais plus. Alors, le loyer, c’est combien ? » C., ses cheveux blancs relevés en chignon, tirait sur sa cigarette puis recrachait la fumée d’un air imperturbable alors que moi, perturbée, je l’étais. Les gens qui pleurent me font peur. J’ai dit « Bonjour A., vous me faites peur, je dois vous avouer, mais je suis triste pour vous. Le loyer, c’est 400 euros pour une chambre non meublée et des cookies le jeudi ; cela vous va ? » Elle a acquiescé puis on a commencé la visite. Elle a trouvé la chambre parfaite. Je l’ai trouvée vraiment petite et insignifiante, tellement petite et insignifiante que j’ai peur qu’elle ne se perde dans ma grande maison et qu’on ne la retrouve jamais. C’est un phénomène assez étrange que j’ai déjà observé : il y a des gens comme ça, qui existent un peu moins fort que les autres et on a vite fait de les égarer. Les timides. Les craintifs. Les angoissés. Les blessés.

Les amoureux.

A. est amoureuse. Elle l’est désespérément. Elle me l’a dit avant de partir. Elle a dit « Si ça continue, je mourrai d’aimer si fort ».

Après, la porte d’entrée l’a aspirée et recrachée dans le matin pluvieux.

Elle emménage dimanche.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Maddy Duchesne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0