Un seul nom.

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Mon cauchemar n'est pas le pire de tous et pourtant vous trouverez difficilement pire.

Vous en trouverez sans peine des plus sanglants, violents ou terrifiants.

Mais ils ne seront, à l’instar de ce que la pornographie est à l’érotisme, que ce qu’est l’horreur d'un moment face à l’angoisse sourde d'une vie.

Le mien s’insinue, s’infiltre, pulse et bat, que je dorme ou que je veille. Il m’accompagne comme un vieux chien à la respiration sifflante, à la démarche lente et à l’odeur à l’épreuve de la prophylaxie : il a tellement passé de moments avec vous que, quelque soient ses défauts, vous ne pouvez pas vous imaginer vous en séparer. Brave bête, va.

Ce cauchemar me suffit. Je n’ai pas de souvenir, en presque un demi-siècle de vie, d’en avoir jamais fait un autre. C’est vrai, il ne me fait pas rêver en couleurs ni me réveiller en sueur. Ni cri ni tremblement.

Sa course m'accompagne depuis la fin de mon enfance, moment imprécis dans ma mémoire, au début de l’âge bête et des crises délirantes hormonales. D’ailleurs, je n’en ai pas fait. Je n’étais pas un adolescent à problème.

Il me colle au train depuis que j'ai pris conscience que la mort est au bout du seul chemin qui s’offre à toute existence. Je devais avoir treize, peut-être quatorze ans lorsque j’ai su que je voulais des enfants. Et j’ai construit ma vie pour cet objectif ultime.

Il m’a presque submergé le jour où j’ai appris la mort de mon père et où j’ai repensé à ce que je savais de lui. Vingt-trois ans de vie commune et si peu de souvenirs de ce qu’il était, de ce qu’il pensait de telle ou telle chose, de politique ou d’une recette. Est-ce que la Lune le captivait comme elle arrête mon regard ? Est-ce qu’il aimait rire, parce que la vie est une garce triste à qui il ne faut pas laisser croire qu’elle a gagné ? Je garde de lui la moitié de moi, aussi l’amour des livres alors que nous n’avons jamais parlé de cette sienne folie.

Il m’a envahi le jour où je suis arrivé dans un hôpital morne visiter pour la troisième semaine la première femme qui avait osé partager ma vie, qui m’avait ouvert la sienne sans retenue. Ce dernier jour dans cet hôpital où, lorsque je me suis présenté dans le vestiaire où des tenues de protection étaient disponible, une infirmière m’a répondu qu’il n’était pas nécessaire que je me change. Elle n’était plus là. Elle n’était plus. Je n’ai pas été autorisé à la voir à la morgue.

Il m’a sauté à la gorge sur l’appel d’une tante, étonnant après tant de temps, qui tout de go a commencé à m’engueuler parce que je n’avais pas pris de nouvelle de ce cousin dont j’étais si proche. Et c’est vrai que je l’avais oublié depuis… Depuis celle qui n'était plus, en fait. Je me suis retrouvé par terre quand elle m’a annoncé l’issue macabre d’une longue maladie… Je n’oublierai jamais sa réponse lorsque j’ai demandé quand auraient lieu les obsèques. C’était l’année d'avant. Personne n’avait essayé de me joindre et de toute manière je n’épluche pas les rubriques nécrologiques pour y trouver des nouvelles d’un cousin de dix-sept ans.

Il entretisse toujours mes jours. Il a fallu une affiche sur la façade d’un cinéma où je n’entrais jamais, faute de moyens, pour que je puisse l'incarner. Un chevelu en armure pour une fois à peu près réaliste, le regard vers le lointain et une devise sous le titre. Every man dies, not every man really lives. Chaque homme meurt, mais chaque homme ne vit pas vraiment.


Cette introduction vous a lassé ? Tant mieux ! Je garderai ma plus profonde blessure en moi. Pour moi seul. A moi seul.

Vous voulez vraiment continuer ?


Tant pis.


Je suis un peu déçu, mais c’est votre droit, après tout.


Voici mon pire cauchemar.


Lorsque j'aperçoit l'orée du sommeil, j'y retrouve des visages issus de mon passé. Ils m'attendent et me regardent. Parfois avec bienveillance, parfois avec colère, parfois ils restent dans l'indifférence. Alors je m'approche en marchant sur le sable (ne me demandez pas pourquoi il y a du sable). Ils ne sont pas immenses, ils sont juste là. Je peux rester à soliloquer un long moment avec eux, ce ne sont que des reflets de souvenirs, mais si je tends une main pour ne serait-ce qu'effleurer leurs traits, ils s'affadissent, s'éfritent et tombent en pluie de sable. Alors ma main aussi s'affadit puis s'éfrite et je rejoint le sable dans un sensation de vide immense. Alors la petite mort de la nuit me gagne entier.


Et si ?

Et si je n’étais sur Terre que pour y passer ?

Et si je ne laissais rien, rien derrière moi que quelque fragments d’os sur un lit de cendres, un bout de mandibule, une dent peut-être ?

Qui se souviendra de ceux que j’ai connus ou aimés ?

Qui se souviendra de moi ?

Qui portera mon nom ?

S’il n’y avait personne, j’aurais vécu pour rien.


Mon cauchemar n’a qu’un nom.


Oubli.


Mais maintenant que j'y pense... Vous, peut-être ?

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