Le Tome Six : Chapitre 1

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 La créature suivait Tom de loin, avec méfiance ; ses yeux d’oursin géant le scrutant comme s’il était une proie curieuse à garder pour un encas ultérieur. Ce dernier songea que sa nature bestiale et maléfique devait l’empêcher de se faire des amis… Pourtant, il fallait croire que la présence d’un mot valait toujours mieux que la solitude de cette sombre région des Oubliettes qu’était l’outre-tome. D’autant plus que grâce à ce mot curieux qu’il suivait, l’animal gagnait de nouveaux qualificatifs : prudent, sur ses gardes, hostile… Et Tom était alors heureux, car ainsi son nom signifiait toute une gamme de choses différentes qu’il ne pouvait pas évoquer lorsqu’il était seul avec son point. Avec un peu de chance, peut-être qu’il y aurait même une place pour la créature dans son tome trois.

 Les deux compagnons délaissés arrivèrent enfin devant un nouvel horizon. Cette fois, aucun doute : ils quittaient l’outre-tome pour un biome bien défini.

— Méfie-toi des paysages avec une histoire déjà avancée, lança Tom à sa bestiole. Si tu t’intéresses d’un peu trop près à ce que tu vois, tu risques d’avoir envie de savoir comment l’intrigue finira.

 Il ignorait si la chose le comprenait ou non ("mystérieuse" était un des qualificatifs lui correspondant le mieux), mais il trouvait rassurant d’avoir un autre que soi-même à qui parler.

— Et je te le dis tout de suite : il n’y a pas de conclusion à ces mondes. Seulement de la frustration ou de l’abandon…

 Alors qu’ils avançaient, les contours de l’univers se dessinaient autour d’eux comme une pyramide de cartes qui s’écroulerait à l’envers ; les mots perçaient le silence, les idées donnaient une direction à leur marche, la promesse d’une intrigue leur apportait un peu de cœur au ventre… Et ainsi, au milieu des phrases détaillées, des lignes en pattes de mouche qui dressaient ce décor avec minutie dans les ténèbres, Tom et sa créature indéfinie semblaient plus abstraits que jamais.

 C’était par une nuit vaporeuse au clair-de-lune, tandis que le brouillard s'écoulait avec la volupté d’un nuage de lait dans une tasse de café fumant. Le fond de l’air était frais, sans être mordant : tout l’inverse des nombreux coyotes qui hurlaient dans les collines aux alentours, déchirant le repos des damnés de leur complainte sinistre. Tom et sa créature commençaient à hésiter à faire demi-tour… Ils ne voulaient pas risquer de faire tache sur ce tableau.

 Mais il était déjà trop tard.

 Une tour crochue émergea des brumes ; si fine par rapport à sa hauteur qu’elle en brinquebalait d’arrière en avant comme un métronome dément, ornée d’une lucarne en son sommet dont s’échappaient des rais de lumière verte et couverte d’une mousse noirâtre, infestée d’araignées velues… Peu de temps après avoir ainsi donné la couleur, le reste du château suivit son éclaireuse en flottant derrière elle…

 Tout droit vers Tom, qui comprit que cette fois, il était le mot de trop.

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