13.

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Awilé cligna des yeux et reprit lentement conscience.

Une odeur d'iode se faisait sentir et elle avait l'impression que son corps bougeait de lui-même. Le fait de se téléporter deux fois dans la même journée avait certainement eu raison de ses forces.

Elle regarda le ciel bleu un court instant, sans essayer de se demander où elle se trouvait.

Et avec qui.

  • Tu es bien réveillée ?

Elle finit par se redresser légèrement sur ses coudes et se rendit compte qu'elle se trouvait à l'intérieur d'une pirogue d'une vingtaine de mètres, avec de longs et larges éperons à chaque extrémité. Tout autour, la mer ensoleillée brillait par endroits et de grands oiseaux marins planaient autour d'eux. Certains d'entre eux plongeaient leur large bec dans l'eau salée, en quête de sardinelles et de petits poissons argentés, avant de repartir avec leur butin en déployant leurs larges ailes.

Elle vit Malick debout non loin d'elle. Il était occupé à remonter un petit filet de pêche. Son torse nu et musclé luisait au soleil et elle tressaillit lorsque son regard croisa le sien.

  • Tu vas bien ? lui demanda-t-il à nouveau.
  • Euh... euh, oui, oui, je... je vais bien, balbutia-t-elle.

Elle se leva et fut brutalement saisie de vertiges. Elle tenta de prendre appui sur le rebord de la pirogue pour éviter de perdre l'équilibre.

Malick vint aussitôt la tenir par la taille.

  • Doucement, essaie de t'asseoir et de boire un peu, lui conseilla-t-il.

Il alla sortir une grosse outre en cuir d'une large besace, posée non loin, et la lui tendit. Elle la porta à ses lèvres et but quelques gorgées de l'eau fraîche qu'elle contenait.

  • Merci, Malick, la remercia-t-elle en essuyant ses lèvres avec sa main.
  • Comment t'appelles-tu ?

Elle se souvint qu'en raison de leur fuite précipitée la nuit dernière, elle n'avait pas eu l'occasion de lui dire son nom.

  • Je m'appelle Awilé. Je viens du village de Mawolo.

Malick se mit à la dévisager étrangement et elle ne pût s'empêcher d'activer son pouvoir de télépathie, pour tenter de savoir à quoi il pensait.

Tu cherches à lire dans mes pensées ?

Elle sursauta, les yeux écarquillés.

  • Tu... tu... tu sais lire dans les pensées aussi ?

Malick ne répondit pas et retourna défaire le filet de pêche, où se trouvaient une dizaine de mérous, dont la queue frétillait encore. Il remit aussitôt les alevins dans l'océan et revint s'asseoir en face d'Awilé.

  • Je ne sais pas lire dans les pensées. C'est juste que je sais combattre ou annuler les pouvoirs des awoularés.
  • C'est à dire ?
  • Je suis du clan Adabéré, qui se trouve au sud du royaume. Avec le clan des Kamassi qui se trouve au nord, nous sommes spécialisés dans l'art de la guerre et du maniement des armes. Mais nous sommes également des akawoussis.
  • Akawoussis ?

Il haussa un sourcil et elle comprit qu'il était surpris de son ignorance à ce sujet.

  • Ma tante n'a pas eu l'occasion de me parler de tout ça, lui expliqua-t-elle en soutenant son regard interrogateur. Je ne maîtrise pas encore mes pouvoirs et c'est seulement hier que j'ai découvert que je pouvais me téléporter. Je... je ne sais vraiment pas où j'en suis, ajouta-t-elle dans un murmure.

Il sembla compatir à son sort, mais garda le silence.

  • Si je comprends bien, je suis... une awoularé, c'est bien ça ?
  • Les awoularés sont des magiciens censés protéger l'humanité contre le mal et la mauvaise magie que pratiquent les akawoussis. Et ces derniers sont formés pour les tuer, afin d'assouvir leur désir de conquérir l'humanité.

Face à cette déclaration, le rythme cardiaque d'Awilé s'accéléra et une légère crainte s'instaura en elle. Cependant, elle reprit immédiatement courage et son visage refléta instantanément la détermination qui coulait désormais dans ses veines.

Elle se leva lentement, les sourcils froncés.

  • Si tu comptes me tuer, sache que je sais me défendre, le prévint-elle.

À sa grande surprise, Malick esquissa un sourire et elle ressentit curieusement - et pour la première fois - une certaine douceur émanant de lui.

  • Si je voulais te tuer, affirma-t-il, tu serais encore à Awalassi à la merci de Dassy et de ses hommes.
  • Attends... Qui est Dassy ? Et... tu veux dire que nous ne sommes plus dans le royaume ?

Awilé eut aussitôt une pensée pour sa tante Ilda, qu'elle n'avait pas réussi à joindre mentalement depuis son exil forcé. Elle espérait également que son amie Ouli était saine et sauve.

Son cœur se serra à l'idée qu'elle ne reverrait plus celles qu'elle considérait comme sa seule famille.

Malick s'approcha d'elle et elle recula machinalement de quelque pas, en faisant légèrement tanguer la pirogue.

  • Calme-toi, Awilé, lui dit-il en me tendant la main. Je ne cherche pas à te faire du mal.

La jeune femme haletait en raison d'une certaine anxiété qu'elle ne parvenait pas à dissimuler.

  • Tu n'as pas répondu à mes questions.

Malick la fixa si intensément qu'elle ressentit quelque chose d'indescriptible.

Comme des étincelles crépitantes qui parcouraient son corps tout entier et de l'intérieur.

  • Dassy est la sœur d'Ako, le chef de la communauté que tu as tué par inadvertance. Telle que je la connais, elle doit être en train remuer ciel et terre en ce moment pour nous mettre la main dessus.
  • Pour nous tuer?
  • Plus précisément pour nous planter une flèche en pleine tête. Pour assouvir sa vengeance.
  • Une agréable perspective, effectivement.

Awilé soupira et s'assit, les larmes aux yeux.

  • Ce n'est pas le moment de pleurer, Awilé, lui dit calmement son interlocuteur.
  • Tu crois que c'est facile ? rétorqua-t-elle, en levant la tête, furieuse. Ne pas connaître ses parents, avoir des pouvoirs qu'on ne maîtrise pas ? Du jour au lendemain, être là, au beau milieu de l'océan sur une pirogue à errer je ne sais où avec un parfait inconnu ?... Et tout ça après avoir échappé à la mort et que...
  • Je sais que ce n'est pas facile, Awilé ! Ce que tu as enduré en une seule journée, moi je l'endure depuis dix-neuf ans.
  • Que veux-tu dire ? lui demanda-t-elle à nouveau, mais d'une voix plus radoucie cette fois.

Elle ressentit soudain une certaine mélancolie.

  • Arrête de m'analyser, grommela-t-il.
  • Je suis désolée, mais je ne fais pas exprès de ressentir les émotions d'autrui.

Il sembla légèrement interloqué.

  • Cela fait aussi partie de tes pouvoirs ?
  • Oui, entre autres, répondit-elle en évitant de le regarder. Pourquoi je te parlerai de moi de toute manière ?
  • Tu n'as pas l'air de me faire confiance et pourtant, je n'ai pas hésité à te sortir des griffes de ces mercenaires ! Moi je t'ai fait confiance pour me téléporter avec toi et j'aurais pu te laisser sur la plage où se trouvaient les embarcations et partir seul ! Mais tu avais perdu connaissance après la téléportation, c'est pourquoi je t'ai porté dans mes bras jusqu'à cette pirogue. Et c'est pour cette raison que tu es là. Et en vie.

Awilé ne sut quoi dire et admit intérieurement qu'il n'avait pas tort. Elle éprouva aussitôt un sentiment de honte et s'excusa.

  • Je suis désolée. Tu m'as sauvé la vie et je n'ai pas été juste avec toi.
  • Awilé, tu n'as pas à t'excuser. La vie a eu beau m'endurcir, je sais parfaitement ce que tu ressens.
  • Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
  • Je ne veux pas en parler. D'accord ?
  • Très bien.

Elle se leva à nouveau et lui tendit la main.

  • On fait la paix ?
  • On était pas en guerre à ce que je sache, dit-il avec un semblant de sourire. Mais si tu y tiens.

Il serra sa main dans la sienne et un sentiment de volupté et de douceur la firent cligner des yeux. Elle reprit immédiatement ses esprits et retira sa main, un peu hébétée.

  • Malick, ne me serre plus la main, tu veux bien ?
  • Pourquoi ?
  • Bon ! Où sommes-nous ? Et surtout où va-t-on ? l'interrogea-t-elle sur un ton faussement innocent, tout en scrutant l'immensité de l'océan autour d'eux.
  • Je vois, j'ai compris, déclara-t-il sur un ton amusé. Je ne vais plus te toucher, mais à condition que tu ne lises plus dans mes pensées.

Elle lui sourit et admira la beauté de son visage, malgré les scarifications qui lui striaient la joue gauche.

Awilé ressentit soudain une vive douleur au niveau de son épaule droite et en baissant les yeux, constata avec horreur qu'une flèche la transperçait de part en part.

Malick la fit brusquement basculer en la tenant dans ses bras, tout en évitant de la blesser davantage. Au même moment, une nuée de flèches s'abattit dans la pirogue.

Il se serra contre Awilé, tout en s'inquiétant de l'état de la jeune femme.

  • Comment tu te sens?
  • J'ai... j'ai très mal mais je... je peux tenir le coup, murmura-t-elle, les dents serrés et le visage crispé.

Le jeune guerrier la regarda avec admiration et lui pressa la main, comme pour lui transmettre une partie de sa propre force. Il prit ensuite une forte inspiration, ferma les yeux et fit apparaître de manière astrale un carquois de flèches et un arc. Il les saisit aussitôt et se redressa, prêt à se battre.

Il abaissa lentement son arc lorsqu'il s'aperçut que leur embarcation était à présent cernée par une dizaine de pirogues gigantesques, avec dans chacune d'elles une dizaine de guerriers. Sur la plus grande d'entre elles, un homme de grande taille qui avait la stature d'un noble mais aussi celle d'un guerrier chevronné, l'interpella :

  • Qui êtes-vous? Des mercenaires d'Alkoulbé ?
  • Non ! D'ailleurs, nous avons fui cet endroit en pirogue, lui répondit Malick, qui ne baissa pas pour autant sa garde. Et vous avez blessé mon amie !
  • Qu'est-ce qui peut me prouver que vous n'êtes pas des mercenaires ?

Malick jeta un oeil du côté d'Awilé et constata qu'elle avait perdu connaissance.

  • Et vous ? Qui êtes-vous ? s'écria Malick en direction de son principal interlocuteur.
  • Nous sommes les gardiens de l'Île aux coquillages d'Abamey, répondit-il avec un sourire en coin, ce qui n'augurait rien de bon. Et vous êtes désormais nos prisonniers.

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