Bon, on fait quoi ?

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"Oh bah merde ! Oh bah non ! C'est con ça ! J'adore vos bouquins moi ! J'attendais la suite de vos romans avec impatience. Vous êtes pas cool hein ! Vous auriez pu vous bourrez la tronche un peu moins hier !

-Ben c'est à dire q..

-C'est-à-dire que rien du tout, vous vous êtes torchés comme un pochtron, résultat vous avez sortie un calepin sur lequel vous n'auriez rien pu lire du tout puisqu'il pleut comme vache qui pisse, vous êtes un idiot qui ne peut s'en vouloir qu'à lui-même.

-Ah ça...

-Ah merde, les regrets du defunt, j'avais zappé cette étape

-Pardon ?

-Oui bon, je vous explique, vous, vous allez pas vivre le même deuil que eux, là, en bas, vous, vous allez passer par le choc, la colère et après c'est regret ou mélancolie, ça dépent si vous avez envie de vous torturer toute l'éternité ou d'être en paix, ça c'est au choix

-Vous êtes pas sensé me présenter là-haut, qu'on pèse mon âme et que je finisse en enfer ou au paradis ?

-Oh bah merde ! Vous êtes Chrétien ?

-Pas particulièrement mais...

-Bah alors c'est vous le pro de l'histoire ! C'bien beau de s'être intéressé aux rois et aux reines mais vous auriez dû plonger votre nez dans l'histoire des religions mon ami ! Nan, en vrai, c'est vous qui créez votre propre enfer ou votre paradis, tout dépend à quoi vous consacrez votre âme de défunt, personne ne le fait pour vous ça, d'ailleurs c'est écrit partout ! Y'a que les humains qui ont interprétés ça comme ça les arrange. D'où votre vision Chrétienne. Mais je vous en veux pas, vous êtes un européen.

-Donc je dois faire quoi maintenant ?

-Oh bah comme tu veux tu choiz' ! Soit vous tournez en rond le restant de l'éternité en étant une âme torturée, soit vous vous pardonnez en vous disant ce que vous voulez et vous vous diluez, soit vous retournez dans ton corps."

Stephane était étonné, retourner dans son corps, réellement ? C'était possible ? Il se tourna vers son enveloppe corporelle et vis ce chauffeur de taxi, toujours en train de pratiquer son massage cardiaque.

"Retourner dans mon corps ? C'est possible ça ?

-Alors ça, c'est pas vraiment moi qui décide en fait. Il se trouve que vous avez du bol, là-dedans, c'est encore en état de marche, donc le gonz qui s'astique sur votre thorax peut vous sauver la vie, mais ça c'est vous qui voyez si vous voulez y retourner.

-Et les gens y retourne d'ordinaire ?

-Pourquoi cette question ? Est-ce que ça vous surprendrait ?"

C'est vrai ça ? Est-ce que ça le surprendrait ? Qu'est-ce qu'il avait à perdre au fond ? Le portrait qu'a dessiné la mort de lui n'était pas flatteur et il fallait bien reconnaître qu'à part à ses fans, il n'était pas sûr de manquer à beaucoup de monde.

"J'ai combien de temps pour décider ?

-Je dirais jusqu'à ce qu'il fatigue, pas sûr que votre enveloppe survive à votre transfert à l'hopital là.

-Je peux m'asseoir un peu pour réfléchir ?

-Bah faudrait que vous ayez des jambes et un cul pour ça, au cas-où vous avez pas remarqué, vous flottez."

A ce moment là, la seule chose que ressent Stephane, c'est un soulagement, déjà parce qu'il n'a plus le mal de crâne dû à la gueule de bois, ensuite parce qu'il n'a jamais été aussi léger. Son enveloppe corporelle lui semble faire des tonnes et il n'a absolument pas envie de la retrouver.

"Est-ce que j'aurais pu ête un meilleur père ?

-C'est-à-dire qu'à part en étant alcoolique et violent, vous n'auriez pas pu être pire, 'faut que je vous retrace votre histoire ?

-J'ai été si mauvais que ça ?

-A vous de juger..."

L'histoire de Stephane, depuis la naissance de ses enfants défila devant ses yeux, il y avait tellement d'amour dans leurs yeux à Alice et lui à la maternité, au moment de la naissance de Léo. Stephane vendait quelques livres à cette époque, mais on était loin des best sellers d'aujourd'hui, le style était encore hésitant, un peu fuyard, mais son éditeur croyait en son potentiel, le faisait retravailler des chapitres entiers, il sentait que Stephane avait sa ligne, son filon. Le salaire d'Alice les nourissaient tous les deux, tous les trois, elle était assistante de direction, on était très loin des fantasques d'aujourd'hui. Il avait passé deux mois à transformer leur T2 pour créer un espace juste pour Léo, Stephane s'était donné 1 an, soit pour que sa carrière décole, soit pour qu'il retrouve un travail afin d'avoir un appartement plus grand.

Au bout de 7 mois, après 15 mois de travail sur son dernier roman avec son éditeur, il avait achevé un livre dont il était fier ; un style précis, direct et extrêment bien documenté, ce mélange de faits historiques et de romance avait emballé le public et son éditeur avait vraiment mis les moyens pour que ce soit le cas : publicité télévisuelle dans des formats magazines, envoi auprès de dizaines de réalisateurs pour encourager une publication cinématographique, forum, présentation au Goncourt... La totale.

Lorsque son éditeur l'avait appelé pour lui annoncer une adaptation en série s'il était prêt à écrire deux nouveaux livres autour du personnage principal, Stephane était en train de cuisiner avec Alice, ils n'en revenaient pas, tous les deux, sa femme en avait pleuré de joie avec lui,

Pour le goncourt, ce fut raté, en revanche, 8 mois après, la suite sortait et il signait le contrat avec le réalisateur, il n'était pas encore célèbre et sa femme et lui n'avaient pas encore pu emménager dans un appartement plus grand, mais au moins, il avait participé de moitié à tous leur frais, ce qui n'était pas arrivé depuis tellement longtemps, il avait beaucoup écrit, mais son absence totale de célébrité ne l'avait pas privé de temps avec sa femme et son fils.

Les mois suivants, il gardait le même rythme d'écriture mais était consultant sur le tournage de la série, reprenant certains détails dans l'attitude, les tenues, pour une cohérence parfaite d'époque et d'évènements, son fils était à la crêche, toute la journée, sa femme au travail, lui en tournage ou à écrire, il ne prenait plus le temps de jouer avec Léo mais souriait encore, après plusieurs heures d'écriture, de voir sa femme gazouiller avec leur fils. A cette époque, Alice le regardait encore avec des yeux pleins d'amour.

La sortie de la première saison a coïncidé avec celle du troisième roman de la série et tout est devenu hors contrôle, il allait de promotion en promotions, de séance de dédicace en séances de dédicaces, de villes en villes, Alice restait à la maison, maintenant à flot leur famille. Stephane commença à découvrir les affres du succès et la fatigue qu'il entraîne, mais il commença aussi à voir les regards changer autour de lui, des inconnus devenir de plus en plus tactile, surtout des femmes. Lorsqu'il rentrait à la maison, Alice était épuisée d'avoir gérer seule un enfant de 2 ans, elle s'écroulait sur le canapé, leur vie de couple coulait avec l'émergence du succès. Entre la série, la vente des livres, les produits dérivés, les promotions, très rapidement, Stephane pu acheter la maison de leur rêve, une magnifique villa d'architecte avec vu sur l'Océan, juste avant l'entrée à l'école primaire de Léo, gonflé d'argent, il insista lourdement pour qu'Alice cesse de travailler afin de s'occuper de Léo : maintenant qu'il remplissait son rôle d'homme, à elle de remplir son rôle de femme.

Le refus d'Alice avait créé un froid, une distance, quand à lui, il était toujours aussi peu à la maison, et quand il rentrait, sa femme le regardait comme un inconnu, alors qu'à côté, durant les tournées, d'autres femmes lui parlaient comme si elles l'avait toujours connu... Alors Stephane en laissa rentrer une un soir dans sa chambre d'hotel, une autre la nuit suivante, et ainsi de suite.

En rentrant à la maison, il se rendait compte que sa femme aussi devenait une inconnue pour lui.

Puis il fut invité à la soirée des meilleurs auteurs de son éditeur, un cercle très fermé, une soirée de luxe dans laquelle il n'aurait jamais cru rentrer. Il invita sa femme et s'y présentèrent tous deux. Alice était magnifique, dans une robe fourreau rouge splendide qu'il remarquait à peine. Il laissait sa femme au milieu de la salle pendant qu'il se concentrait sur le relationnel, jusqu'à ce qu'un homme vienne aborder Alice et qu'ils s'eclipsent tous deux discuter sur le Roof top.

Lorsque Stephane remarqua l'absence de sa compagne, il la chercha paniqué et la trouva, riante et souriante, telle qu'il ne l'avait plus vu depuis des mois, là il la vu, belle, magnifique dans cette robe rouge et l'idée qu'un autre homme la fasse rire le mit hors de lui. Il s'approcha, s'excusa auprès de l'homme afin de récupérer sa femme et l'emmena danser sans la quitter des yeux une seconde. Ce soudain élan d'amour surpris Alice qui lui en rendit pourtant autant et ils ne purent se retenir d'aller faire l'amour dans les vestiaires plusieurs fois dans la soirée.

Trois semaines plus tard, c'était sans appel, Alice attendait un nouveau bébé et Stephane était fou de joie, ne se rendant même pas compte qu'il ne voyait pourtant déjà presque plus son fils depuis plus de deux ans. Alice finit de se laisser convaincre d'arrêter son travail avec sa nouvelle grossesse en établissant tout de même quelques règles, le droit d'avoir une nounou pour s'occuper des enfants, de pouvoir se consacrer à des loisirs ou à une activité associative et de reprendre, si l'envie lui en prenait, des études, dans le droit, parce qu'elle en rêvait.

Ses volontés furent accordées mais le quotidien ingérable de Stephane les transformer toujours de jours en jours en inconnu. Alice ne pouvait même pas lui parler de ses études, de ce qu'elle apprenait, des découvertes incroyables qu'elle faisait, Alice n'avait jamais été aussi seule au milieu de cette grande maison avec ses deux enfants. Quand aux enfants, les rares fois où Stephane était à la maison, il n'avait aucun contact avec eux, enfermé dans sa pièce d'écriture et les disputants s'ils osaient faire plus de bruits que ne pouvait en contenir la porte et les murs de son précieux lieu de concentration. Elle en venait à attendre les moments où il partait pour pouvoir seulement jouer avec ses enfants et les faire rire.

Dans la première année de la vie de Sophie, elle attendait les soirées mondaines, où son mari la regardait amoureusement et où elle le retrouvait lui, son corps, sa fièvre, sa peau. Puis elle n'eut plus que la sensation d'être la courtisane de son mari, elle décida d'arrêter les soirées mondaines.

C'est alors qu'elle recroisa Mathieu, un jour où elle allait retrouver Stephane chez son éditeur, cet homme qui était là, à cette toute première soirée des auteurs, qui l'avait fait tant rire et qu'elle n'avait jamais revu. La suite, Stephane la connaissait déjà, que trop bien.

"Oui mais ils n'ont manqués de rien !

-D'un mari et d'un père, peut-être ? Savez-vous que Léo a dit qu'il était votre fils à son école ? Sauf que, puisque personne ne vous avait jamais vu, on lui a demandé d'arrêter de dire des mensonges.

-C'est pas vrai..."

L'injustice de ce moment l'abatit, il n'osa pas s'imaginer ce que son fils, si jeune, si petit, lui, avait ressentit.

"Je suis un vrai connard

-Oh oui, mais je vous rassure, j'ai déjà vu pire. Vous êtes pas au point des tortionnaires, des dictateurs, des pédophiles...

-ça va, ça va, merci, j'ai compris. Je vais leur manquer si je pars ?

-Il se trouve que Mathieu est quelqu'un de très bien, il va remplacer la figure paternelle à la perfection. Léo se souviendra qu'il a eu un papa mais en regardant votre portrait à l'arrière de vos livres il ne vous reconnaitra pas, quand à Sophie, son mécanisme de souvenir n'est pas encore en place, donc elle pensera même qu'elle ne vous a jamais connu.

-Bah merde...

-Et Alice ? Elle ne vous intéresse pas ?

-Si Mathieu est quelqu'un de très bien, je ne suis pas inquiet

-Et pourtant c'est celle à qui vous allez manquer le plus. En fait, c'est surtout cette image de vous, écrivain en galère, soutenu par son épouse fidèle qui lui manquera le plus."

La mort posa un temps d'arrêt avant de s'esclafer

"Je suis con ! Forcément, ça lui manque déjà ! C'est déjà de l'histoire ancienne ! Hein poto ?!"

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