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Une plage.

Je longe une falaise.

Haute.

Avec un peu de brume au sommet.

On est pas en été et les fins de journées sont humides.

J'ai huit ans.

Je marche à coté de maman.

Papa n'est pas là.

On est bien.

Et on dit rien ni l'un ni l'autre. Pour écouter.

Ecouter le souffle du vent et le ressac incessant des récifs harassés.

Je retire un peu sur le joint.

Je suis pieds nus.

Je fais gaffe à ne pas cogner mes orteils contre les galets.

Je l'avais fait, une fois. Et ça fait fouchtrement mal.

Je m'en souviens bien.

J'ai huit ans.

Je marche le long de la falaise. Je respire l'écume et les embruns. Je suis à coté de maman. Et papa n'est pas là.

On est bien.

Je suis dans une ouate, frangin, que t'imagine même pas. Tout limité que tu es. Pauvre gueux bas du front.

Je suis plongé dans une ouate stratosphérique au moins du huitième cercle. Y a comme un courant d'air dans ma boîte neuronispatiale. Ca décolle sec. J'adore ce souvenir. J'adore cette plage. J'adore maman. Quand papa n'est pas là.

Heureux que je suis.

Cette plage, je la connais bien.

On y va tous les ans pour les vacances de pâques.

Parce que c'est moins cher qu'en été.

Y a jamais personne, à pâques.

La plage est déserte.

Il fait pas chaud mais le soleil qui te prend en oblique n'est pas détestable.

Le vent balaie les cheveux d'un flux sauvage venu des eaux.

La mer colporte une mémoire ancienne.

La mémoire d'un coeur qui bat.

Une mémoire salée.

J'aime.

Je touche la main de maman.

On se regarde.

On sourit.

C'est simple.

Et c'est magnifique.

Je retire sur le joint.

Montée hydrolique.

Ca rigole plus.

On se rapproche du dernier cercle.

L'extase absolue. La béatitude du total lacher prise. Le bouddha céleste. La contemplation galactique. Vision des anges. Le vide cosmique.

Et merde.

Il ricane fort, ce con là. Aussi fort que le vent et les vagues. Il frigocide dans mon dos de petit garçon. Mais je suis bien quand-même. Bien avec maman. Bien avec les vagues. Bien avec le vent. Dans la ouate du neuvième cercle.

Le joint me repasse sous le nez. Mais je le prends pas. J'ai plus accès à mon corps physique.

Peut-être parce-que j'y suis plus.

Peut-être parce-que je suis sur cette plage.

Et que j'ai huit ans.

Et qu'en même temps je suis dans la brume des falaises.

Et que je touche la main de maman.

Du coup, il peut ricaner, le cosmique. Certes ça fait froid dans le dos mais ça m'empêche pas d'etre bien.

Et là, je suis bien.

Et merde au cosmique.

Rouge.

Rouge et noir.

C'est violent.

Ca vient d'un coup.

Papa.

Furieux.

Il a poussé maman jusqu'à la faire tomber. Violemment.

Il a enlevé son ceinturon pour me frapper avec.

Furieusement.

Je crie.

Maman crie aussi.

Mais elle ose rien faire, maman.

Elle crie. Comme moi je crie.

D'un coup encore, le rouge et noir est devenu noir.

Désespérément noir.

Un noir que je connais bien, aussi.

Et mieux que la plage.

Bien mieux.

C'est le noir du placard.

La terreur des ténèbres.

Non! pas le placard, papa! Pas le placard!

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