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Classieux, le hall.

De grands miroirs aux reflets flatteurs. Hypocrisie du réfléchissant. Des plantes vertes magnifiques. Bidons. Félonie du copié- plastique.

L'ascenceur.

Laisse tomber l'ascenceur!

Y a des tas de gens qui rêveraient d'avoir ça. Pour y vivre. C'est malheureux mais c'est vrai. Du cousu main. Avec moquette et tout et tout. Des miroirs, encore des miroirs. Tout autour. On s'auto-mate. Bienvenue au royaume de l'égo masturbatoir.

Sans hésiter, Folo appuie sue le 6.

Ca monte.

Sans bruit.

Un palladium à l'éternel destin. Ascendant. Descendant. Ascendant. Descendant. Ainsi va le dominus.

Il est tendu comme un arc, Folo. J'aurai pu dire comme un string mais ça fait moins de circonstance.

Sixième étage.

Un couloir, spacieux. Miroitisé, climatisé, aseptisé. Un couloir de clinique. Il fait froid dans le dos.

Les portes sont numérotées en chiffres d'or. Folo les flaire une à une.

Attends, je te la refais.

Il flaire les portes une-à une.

Comme un clébard.

Tu le crois, ça?

Puis il s'arrete. la patte dressée. La truffe au vent.

- C'est là. Sobretise-t-il.

Porte 667.

On échappe à la bête , mais de peu.

A vue d'ouïe, pas un chat.

Mais qu'est-ce qu'il foutait là, ce foutu félin? Ca rime à rien, cette histoire. Ca m'énerve!

Je sors l'ouvre-toi. La serrure dit "Amen". Sans pêne. Je suis l'empereur des serrures. Le pape du passe-partout. le grand Manitou de la vertevelle.

On entre. Prudemment.

Te dire que l'appart est vide, tu peux me croire, c'est pas une vue de l'esprit.

vide. Complètement.

Aucun meuble. Avec juste une moquette. Impeccable. Ca sent la désertion. Selon moi, depuis au moins un lustre.

La fenètre est ouverte. Folo s'y précipite.

- Vous voyez en bas, la bagnole bleue? C'est son pneu qui s'est mangé la balle. D'ici, l'angle de tir est parfait. Ca s'est joué à ça, qu'il ait raté son coup.

- Donc, tu penses que le tireur était à cette fenêtre...

- Je pense pas. J'en suis sur. Instinct du chasseur. Dommage qu'il se soit fait la malle, parce-qu'il faut le retrouver et l'abattre.

Il plaisante vraiment pas, Folo. On dirait un soldat d'élite.

- Pour moi, il est déjà mort.

- Ok.. Mais en attendant, on fait quoi?

- Attends un moment.

A quatre pattes qu'il se met, Folo. Le museau dans la poussière. Il renifle le moindre centimètre tout autour de la fenètre. Remonte la plinthe. S'arrete. Renifle à nouveau. S'arrete encore. Recommence. Un sourire carnassier bavouille sur ses babines.

- Il reviendra. On va l'attendre.

- Sans blague! Et tu le sors d'où, ce "il reviendra"?

- Je l'ai flairé. je crois qu'il aime cet appart. Il doit s'y sentir bien.

- Se sentir bien au milieu de rien... Il est barjot, ce mec.

- Assez en tout cas pour avoir voulu m'abattre. Allez hop! On se met en planque.

A peine dit qu'un bling intrusif se fracasse. Suivit d'un bzzzz et d'un clack.

J'onomatopise pour que tu visualises bien.

Tu verrais la tronche à Folo.

Une fois de plus, ça l'a frolé.

Une balle, tu l'auras deviné. Même la fenètre ouverte, elle a brisé une vitre. Le clack, c'est le mur qui a morflé. Faut tout te mâcher sinon tu piges que dalle, avec ta vue basse.

Ca va que j'ai la dent dure.

La tronche à Folo, donc.

Livide, qu'il est.

Tellement que même un bidet aurait l'air d'un guadloupéen, à coté.

Et quoi d'autre?

Je sais plus.

Ha si.

La porte qui s'ouvre.

Pile au moment du bzzz.

Toute seule. Comme une grande.

On flippe.

Pas Folo. Qui réagit. A la vitesse d'un chien au galop.

Il m'engueule.

- C'est bien toi, qui l'a refermée, cette putain de porte, non?

- Oui. Que je réponds. Et correctement.

- Non. Pas correctement. Tu l'as mal enclanchée. Crétin!

- He! Ca va hein! Je sais quand-même refermer une porte.

- Tu l'as mal enclanchée, je te dis. Avec ce genre de porte, tu dois lever la poignée quand tu la fermes. Tu l'as fait?

- Non...

- Voilà! Alors, ta gueule!

L'enfoiré! Il passe ses nerfs sur ma pomme. Gratos.

Je suis à deux glaviots de lui balancer une salve bien sentie. Genre "La tienne avant la mienne". Mais il en est plus là, Folo. Il flaire encore partout. Si ça se trouve, il a la queue dressée. Mais bon.

J'irai pas vérifier.

- On attend encore. Il va revenir.

- Ok. Mais on se planque.

- Pourquoi faire? Il sait qu'on est là, non? Il va revenir. Avant la fin de la nuit.

- Dis donc! Tu joues les madame Soleil, maintenant? Tu le connais? T'es en connexion avec lui?

- Et lui avec moi, Ducon. Il m'a encore tiré dessus, je te rappelle.

- Sur toi? Ca aurait pu etre sur n'importe lequel d'entre nous, je te ferais remarquer. T'es mégalo, en plus?

- Non. C'est moi qui suis visé. Je sais pas encore pourquoi mais de ça, j'en suis certain. Tout comme je suis certain qu'il rode dans le coin. Je sens son odeur. On bouge pas.

- Ok.Tu fais un peu chefaillon mais ok. On bouge pas.

Un silence.

J'aime pas le silence.

Surtout à répétition.

Je tente.

- Je me mettrai bien devant la téloche, moi.

- Tu déconnes?

- Ben non. On passe notre temps à attendre. Et y a le cosmique qui ricane sans-arrêt. y aurait la télé, au moins, ça brasserait le vide. Ca rendrait le silence plus sonore. Faut bien s'occuper, quoi. Il me met mal à l'aise, cet appart.

J'arrive à rester calme. Un exploit. déjà.

J'attends.

Et j'ai ça en horreur.

Dans un putain d'appart vide, en plus.

Là, c'est plus l'horreur. C'est l'abime de l'effroi.

Et pourtant, je reste calme. Impérial.

Mon regard s'égare autour de la pièce.

Combien de vies sont venues s'échouer sur ces murs sans mémoire? Combien de remords, de fatalités, d'espoirs vides de sens? Combien d'existences pitoyables se sont émiettées dans ce trou à rat? Combien de rires, de larmes, de cris. De joie ou de rage. Combien sont morts dans cette saloperie de cube? En contemplant le spectacle d'un monde qui s'écroule. Qui se fissure. En route pour la grande dimension.

"Nous ne sommes plus dans la matrice."

Qu'est-ce qu'il voulait dire, Folo?

Tiens! Et si je lui posais la question? Ca meublerait. Puis après, je cuisinerai Quasimodo. Histoire de savoir qui il est et d'où il vient. Ca me crispe, de pas savoir.

Pas le temps.

Une fois de plus.

- Chhhht! J'entends du bruit.

Un léger craquement. A peine imperceptible.

Folo a l'oreille droite qui frétille.

Reniflage en direction de la porte.

Position d'attaque.

Une lame dans la main.

Une autre entre les dents.

Prêt à bondir.

je suis pas pour les armes, moi.

Mais ça me rassure que Folo soit équipé.

Le paradoxe du vide qui veut pas l'être.

L'inconscience du con qui se rend pas compte.

Le craquement se précise.

Folo se fait plus canin que jamais.

Ses crocs écument d'une rage contenue. Il grogne.

Un grognement rauque.

Lourd de menace.

Des secondes passent.

Interminables.

Plus rien.

Plus rien, ça veut dire plus de bruit. Le silence reprend son épaisseur.

On est trois couillons au taquet. Aux aguets. Inquiets.

Surtout moi.

Mon estomac s'est retourné comme une crèpe.

J'ai grave envie de pisser.

Pas le moment. J'en suis conscient. Ma vessie, beaucoup moins.

Je souffre dans ma chair.

Elle écope comme elle peut mais qu'à la fin elle va finir par se casser.

Chair amie, me laisse pas tomber.

Par pitié, me laisse pas tomber.

La fuite me dirait bien.

Fuir comme un cloporte.

J'en ai pas honte.

C'est l'instinct.

Ca remonte du tréfond des sphincters.

Ca colle aux miches.

A tous.

Depuis la nuit des temps.

Si tenté que le temps puisse avoir une nuit.

Je cherche une issue.

Des fois que ça déraperait.

La fenètre?

Six étages. Je suis pas convaincu.

Rien d'autre?

Non. Rien. A part la porte.

Pris au piège.

La nuit des temps fait sa ronde.

Elle égrène l'ultime à chacune de ses lunes.

Elle marche au pas.

De loup.

Le temps est un loup affamé qui resserre l'étau comme le vide resserre la nasse.

Les enfoirés.

Allez! On reste concentré.

Aux aguets.

Toujours rien.

On continue d'attendre?

Bon sang!

Depuis tout-à-l'heure, je passe mon temps à attendre.

Marre d'attendre!

Ras la houpette!

Bordel de nom de Dieu de pute vierge!

Ca me vrille le bide.

Trop de café?

Surement.

Je sais que j'en bois trop. J'adore ça. Mais j'évite le robusta. Trop costaud pour moi. Une vraie saloperie. Ca te transforme tes nuits en tringles à rideau. Il te joue de la trompette jusqu'à des cinq heure du mat'. Nuisance sonore caractérisée. En toute impunité. La sono tonne . Alcaloïde sound system. Le DJ est noir et se boit sans sucre. Mais c'est comme ça que je l'aime. Insomnie volontaire. Blanche sera la nuit.

Je ruisselle des torrents d'angoisse.

Mes piètres tentatives d'auto-diversion font choux blanc. Qu'importent tes pensées quand tes sphincters te courrent après.

Je craque.

Sans demander l'avis à personne, je me dirige vers la porte. Même pas prudemment.

Rien à foutre.

Folo reste coit.

Le bossu a l'air d'etre ailleurs.

Tant mieux pour lui.

Nobody in the couloir.

Ca me laisse la pensée creuse.

je note au passage qu'on entend mieux les pensées creuses que les autres.

Question de résonnance.

Intimité du creux et du vide.

Et le vide vibre.

C'est le cerveau droit qui capte.

Le gauche lui, il s'en fout.

Ca fait bandouiller l'égo.

Qui du coup, te suggère d'autres idées.

Toutes aussi creuses.

C'est comme ça qu'on fait son trou.

La pensée libre elle, fout sa merde.

Faudrait songer à créer une police des pensées.

Tu circulerais avec ton attestation de pensée qui te donnerait droit à certaines considérations.

Forbidden la pensée libre, sans son attestation.

Tu refais pas le monde si t'as pas la golden card.

Sinon, où irait-on ?

Je m'égare.

Où que j'en étais?

Ha oui!

Nobody.

Godot s'est fait la malle.

En admettant qu'il eusse été là.

Folo ne dégrogne pas. Je le trouve presque inquiétant, à force. La sale bête!

Je conclus mon acte héroïque en repoussant la porte. Fièrement.

Le courage, c'est balayer le danger devant chez soi.

Le courage, c'est péter de trouille et d'y aller quand même. Bayard n'était qu'un sale fayot prétentieux.

Merde à lui!

Je repousse la porte, donc.

Et le Notre-Dame intervient.

Ca faisait longtemps.

- Attendez un peu avant de refermer, mon jeune ami. J'ai l'intuition qu'on n'a pas tout vu.

- Ha? Vous avez des intuitions, maintenant?

- Depuis toujours. Chez moi, ça se transmet de père en fils.

- Ha! Vous venez pas de nul-part. Me voilà rassuré.

Je raille.

Et vaut mieux ça que dérailler.

- Les racines ont toujours une origine. Toujours. La fameuse graine, vous savez... Qu'il me répond.

- La graine, je sais pas mais le grain, je le vois bien chez vous. Pas de problème pour ça.

- Vous vous moquez. Et vous avez tort. Je suis issue de la première graine, sachez-le.

- Oui. Bien sur. Remarquez que je ne suis plus à ça prêt. Je suis bien connecté avec Sirius, alors...

- A propos de Sirius... Regardez derrière la porte, je vous prie.

- Quoi donc, derrière la porte?

Je m'éxécute. Je mate. Et que vois-je? Dis... Tu devines? Non? Bon, je suis généreux. Je te redonne encore du temps. Mais tu me coutes cher, hein! Faut pas trop déconner avec le temps des autres. Et là, t'abuses.

Allez! Le temps du bon prince.

Tic tac tic tac tic tac tic tac.....

Toujours pas deviné? Faut encore prémacher? T'es un sans-dent, c'est ça? Tu me diras, c'est précurseur. Un jour viendra où l'homme sera sans dent. Pas la femme, A cause des pommes.

Son pêché mignon.

Mais l'homme lui, sera sans dents.

Il finira par tout gober.

Et la femme, qui se croira plus maligne, avalera le ver sans ciller.

Et là, Badaboum! Ce fera un grand pas pour l'humanité. Mais à reculon. La grande débandade. Le dérapage des premiers de cordée. Les petits génies du ciboulot. Les masters of the planete.

Les abrutis confiants.

Aveugles.

A baffer.

A coups de crampons.

Les cons!

Et va falloir qu'un sacré bon bout de temps se passe avant qu'un sapiens décode.

Les signes secrets.

L'occulte de l'humus.

Le message des étoiles.

Le verbe.

Ok! T'énerve pas.

Je te dis ce qu'il y a derrière la porte. Puisque faut tout te dire.

Le symbole.

Le même que j'ai sur le front.

Le triangle. Avec le point au milieu.

Le même je te dis.

Tu me crois, au moins?

Tracé à la craie.

A la va-vite. A l'arrache.

Il est tout de traviole, mais on le reconnait bien quand-même.

Le même.

Ca s'isocèle un max dans ma tête, là.

Décidément, plus je pige pas, moins j'arrive à suivre.

Là, je suis prêt à demander l'addition et à calter pour me faire pendre ailleurs.

Je ferai pousser des mandragores.

Dans le coulant du lacet, la mort a la main verte.

Folo n'a pas bougé d'un poil.

Il est tout grognon.

Il bave un peu, aussi.

Nostradamus me sourit d'un air entendu. Le sourire en coin. Satisfait.

Il murmure d'une voix oblique, comme pour lui-même.

- Je savais bien, qu'on n'avait pas tout vu.

Et comme ça devait arriver, je pars dans les vaps.

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