10

3 minutes de lecture

A force de rester figé sur la blancheur insupportable de ces maudits murs, je me dis qu'il serait peut-être temps de me l'accaparer, cette virginité impure.

L'idée d'y coller un autre papier peint ne m'emballe pas bezef.

Ras le bol, des papiers peints.

J'avais commencé à graffiter mais j'ai finit par trouver ça moche.

D'où l'idée de les peindre.

Mais pas bêtement, comme un vulgaire peintre de murs.

Non.

Plutôt comme un peintre. Un vrai.

Considérer le mur comme une toile. Que voilà une idée qui me plait.

Oui mais j'y peints quoi, du coup?

Tiens! Un arbre.

Why not.

Un arbre qui s'élèverait à l'infini du plafond.

Courbé à l'angle droit. En partance vers le ciel.

Un arbre magique. Un arbre à rêves.

Un arbre acrobate.

J'en serai la graine.

Le roi des glands.

J'ai tout. La peinture, les pinceaux, l'idée de génie, la fugurance de l'envie, mon talent de génie, l'humilité.

La totale.

Dont acte.

Je me suis collé de la peinture partout mais le résultat a de la gueule.

Tu le verrais, tu penserais pareil.

Un bel arbre.

Vraiment.

Sans me vanter.

Enraciné aux plintes.

Offert au plancher et promis au ciel.

Un enchevêtrement de branches. Tortueuses à souhait.

Un arbre à l'esprit labyrinthique.

Le singe est ravi.

Moi aussi.

Si.

Je suis ravi.

J'ai vaincu le vide de mon intérieur.

L'esprit s'est enraciné.

Il se dresse en quête d'absolution.

Il cherche l'absolue certitude.

Celle d'etre un hetre dans une lumière d'ombre.

Un jour, son souhait sera exhaucé.

Un jour où jamais.

Le temps est capricieux.

Un sale gosse.

Un jour.

Peut-être.

Le singe lui, il s'en fout.

Il s'est déjà perché sur une branche, à bouffer des bananes.

Je sais pas où il les a trouvé, d'ailleurs.

Mon arbre, il ressemble bien plus à un chêne qu'à un bananier, quand même!

Il me vexe, l'animal.

Brave bête peut-être mais carrément vexant.

Quand il s'y met.

Mais à contempler mon oeuvre, je me suis rendu compte que mon singe avait raison.

Y a des bananes, dans mon arbre.

Des bananes et à peu près tout ce qu'on veut bien y trouver.

Même un passage secret.

Qui mène direct au colimaçon.

Baalbek.

Le site greco-romain.

Des ruines en veux tu en voilà.

Pourquoi j'y repense, d'un coup?

Quel drôle de souvenir.

J'étais seul, à ce moment là.

Seul face à la mémoire des pierres.

Seul face à l'histoire.

J'adore les histoires.

Et les pierres adore les raconter.

C'est dans leur nature.

Et y en avait qui me causaient particulièrement.

Je m'étais alors isolé du groupe pour mieux entendre.

J'étais seul.

Bercé par le murmure antique des fantômes bâtisseurs.

J'étais seul.

Isolé.

En contemplation.

Et c'est là qu'il s'est pointé.

Quoi donc? Tu veux savoir? Attends, je vais te le dire.

Un varan.

Un balèse.

Tu penses: Un varan femelle pleine. Avec un bide à drainer le sol.

Et c'est pas marrant, un varan. Surtout les femelles. Surtout quand elles sont oeuvées.

Hyper agressif, normalement, ces machins là. La bestiole va chercher à protéger son territoire. Tu vois le topo?

Or, j'étais sur son territoire.

Et seul.

Une proie facile.

Elle était à quoi... Vingt mètres, guère plus.

Le temps d'une pensée, j'évalue mes chances de survie en cas d'attaque.

Zéro.

Rien par où grimper. A moins d'être un singe.

Hurler? Appeler de l'aide? Je ne ferai qu'exciter le saurien encore plus.

Et alors?

Et alors?

Alors, Zorro s'est pas pointé.

Du coup, j'ai pas bougé.

Le varan non plus.

On s'est maté, droit dans les yeux pendant facile deux ou trois minutes.

Ca parait pas, comme ça. Mais c'est très long, deux ou trois minutes, dans ces cas là.

C'était du temps immobile.

Et pour elle, et pour moi.

Et curieusement, j'ai pas flippé.

J'aurais du, normalement.

Mais non.

J'étais d'un calme olympien.

Sur de l'issue.

Et le varan ne ressentait aucune hostilité à mon encontre.

Comment je le sais?

Tout simplement parce-que pendant ce laps de temps, j'étais moi-même un varan.

Ou tout comme.

Et nos esprits se sont reconnus.

Pendant qu'elle me fixait, je lui souhaitais une longue vie et une descendence digne.

De sa noblesse.

De sa beauté d'âme.

J'étais un varan.

J'étais comme elle.

Porteur d'une mémoire très ancienne.

Tout comme elle.

Tout comme ces pierres, qui disaient plus rien.

Deux à trois minutes sans bouger. Avec un varan qui devient toi.

A garder ton sang froid. Tout comme lui.

Tranquillement.

Puis tranquillement toujours, il a quitté mon regard, comme on quitte un frère d'âme.

Ce n'est qu'ensuite que je suis redevenu ce que je suis.

Humain.

A sang chaud.

Enfin.

Je crois.

Ca fait longtemps maintenant, que ça s'est passé.

Drôle de souvenir.

Vraiment.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Michel Dulac ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0