Chapitre 5

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Maëlyne courait aussi vite qu'elle pouvait, dépassant même Esther. Comment avaient-ils pu être aussi stupides ?

— Marie est seule face à eux ? cria-t-elle.

Esther hurla par-dessus les cris de son fils.

— Oui, elle voulait essayer de les distraire pendant que je m'enfuyais. Elle... Je ne sais pas si elle tiendra longtemps.

— Reste là, tu ne peux pas emmener le petit.

Esther gémit, mais s'arrêta. Damien cessa de hurler.

La traversée de l'île paraissait interminable à Maëlyne. Pourtant, son entrainement régulier lui permettait facilement de parcourir les 4 km de large. Mais chaque minute perdue menaçait la vie de Marie. Hugues la devançait de quelques mètres, ses longues jambes lui permettant de plus grandes foulées.

— Allez, petite, on lâche pas ! cria-t-il sans se retourner.

— Je te suis parfaitement ! Pas comme certains druides...

Corentin et Xavier étaient à la traîne dans son dos. Ils suivaient la rivière. Il n'y en avait qu'une sur l'île qui se jetait dans l'océan. A ce niveau-là, les digues s'interrompaient, en partie remplacées par des grilles permettant le passage de l'eau. Ces grandes barres métalliques paraissaient solides. La magie des korrigans fonctionnait-elle dessus ? Elle n'avait jamais pensé à leur demander. Les lutins étaient loin devant, fonçant malgré leurs petites jambes. Enfin, les digues furent visibles. Soufflant profondément, elle accéléra. Elle devinait la silhouette de Marie qui envoyait des jets d'eau au travers des grilles.

Les korrigans s'installèrent autour d'elle et se mirent à danser étrangement. Avant que Maëlyne n'arrive, elle aperçut Marie tomber au sol sur ses genoux, les mains autour de sa gorge.

— Oh non... murmura-t-elle.

La sensation d'étouffement lui revint. Dahut semblait être adepte de cette attaque. Hugues s'installa à ses côtés et lui chuchota quelque chose. Gaël le rejoignit. Tous deux sortirent un carnet et commencèrent à écrire.

Qu'elle aurait aimé une magie plus rapide à utiliser ! Maëlyne, les poumons en feu, s'arrêta à leur niveau.

— Vous faites quoi ?

— On s'attaque au kraken.

Devant sa grimace choquée, Hugues reprit :

— A deux, nous ne sommes pas de taille pour lutter contre Dahut. Erige un bouclier.

— Un bouclier ? Mais ça ne protègera pas Marie... C'est trop tard...

— Eh bien, attaque Dahut si ça te chante, mais si tu ne fais de bouclier, on va bientôt tous être dans le même état.

Maëlyne hocha la tête et en fabriqua un qui les engloba. Elle avait besoin de temps pour réfléchir.

— Oh mais regardez qui voilà ! Tu t'es bien amusée aux portes principales ?

De l'autre coté des digues, Dahut éclata d'un rire froid.

— Tu me pensais vraiment assez stupide pour m'y attaquer ? Cette île est la mienne. Je connais toutes ses faiblesses. Il a été de mon devoir de la protéger pendant des siècles...

Marie était d'un blanc inquiétant. Elle s'effondra au sol telle une poupée de chiffon. Même inconsciente, l'étau liquide ne se desserra pas. Maëlyne frémit et envoya un jet d'eau en direction de la reine des abysses. Jet d'eau qui heurta de plein fouet un barreau qui les séparait.

— Tu essaies de m'attaquer ? demanda Dahut en levant un sourcil.

Maëlyne serra les dents et recommença. Cette fois-ci, le jet passa au travers, mais la princesse l'esquiva.

— Aidez-moi, Marie va mourir si vous ne faites rien, quémanda Maëlyne aux deux druides.

Hugues frémit, Gaël marmonna :

— Tonton ?

— OK, ça va juste la distraire un peu. Faut que tu aides aussi si tu veux qu'elle lâche Marie.

Maëlyne hocha gravement la tête.

Asi et Pertho ordonna le Grand Druide.

Aussitôt, Gaël se mit à tracer. Les deux autres druides les rejoignirent enfin.

— Aidez-les, supplia-t-elle, en continuant d'attaquer la reine des morganes. Celle-ci esquivait la plupart, mais au moins elle avait l'impression de faire quelque chose. Le kraken avait enroulé ses tentacules autour des barreaux et tirait dessus. Maëlyne l'observa avec inquiétude, mais secoua la tête. Le plus urgent était de sauver Marie.

Asi Pertho, scandèrent les druides.

Dahut frémit lorsque des runes vinrent se poser sur sa peau. Son regard se perdit dans le vide. Maëlyne se précipita en direction de Marie. Le lien liquide qui enserrait sa gorge avait enfin disparu. Son visage blanc semblait sans vie. Maëlyne approcha de sa bouche pour voir si elle respirait. Elle saisit son poignet. Un pouls battait faiblement.

— Accroche-toi Marie !

Et elle démarra un bouche-à-bouche.

— Bande d'incapables, tonna Dahut. Attaquez ces druides !

Des jets se fracassèrent sur le bouclier de Maëlyne. Trop occupée à tenter de sauver Marie, elle ne put le maintenir plus longtemps lors de la seconde attaque.

Un des druides poussa un cri paniqué.

— Maëlyne ! s'écria Hugues.

Elle ne prit même pas la peine de répondre. Seul le visage de son amie importait. Soudain, un jet d'eau la frappa dans le dos. Elle tomba sur le corps de Marie.

— S'il-te-plait, réveille-toi !

Quelqu'un la bouscula.

— Pousse-toi et fais plutôt un bouclier ! ordonna la voix essoufflée d'Arganthaëlle.

Cette dernière avait le visage luisant de sa course.

— Que lui est-il arrivé ?

— Dahut l'a étranglée. Elle a perdu connaissance.

La vieille femme acquiesça et approcha ses mains qui brillaient d'une lueur surnaturelle au-dessus de la gorge de Marie. Un jet d'eau les frappa.

— Bouclier ! rappela la tante.

Maëlyne le refabriqua aussitôt. Son inquiétude pour son amie prenait trop de place dans ses pensées. Le dernier bouche-à-bouche inutile qu'elle avait effectué au premier plan de son esprit.

— Tu peux la sauver ? demanda-t-elle dans un filet de voix.

— Laisse-moi travailler. Concentre-toi plutôt sur snos attaquants.

La jeune femme hocha la tête. La tante avait raison. Elle ne servait à rien à l'observer ainsi. Elle se releva et jeta un coup d'œil aux alentours.

Les morganes attaquaient ensemble son fragile bouclier. Dans un effort de volonté, elle s'efforça de le renforcer. Le kraken, pendant ce temps, en avait profité pour passer chacun de ses tentacules autour des barreaux et tirait sur ceux-ci. Sa force faisait vibrer la grille.

Les korrigans continuaient leur danse tout en marmonnant dans leur étrange dialecte. Se rappelant de la façon dont ils l'avaient ensorcelée, elle imagina qu'ils étaient en train de lancer un sort de leur cru. Pourvu que ça aille vite...

Une nouvelle offensive fit vaciller son bouclier. La sueur trempa ses tempes. Elle avait perfectionné son bouclier, mais elle ne pouvait pas faire beaucoup plus seule. Elle s'épuisait. Elle jeta un regard affolé en direction des druides.

— Je vais pas pouvoir tenir longtemps. Il faut qu'on trouve autre chose.

Hugues hocha la tête.

— Je sais. T'as une idée ?

— Attaquer ?

Ils n'avaient pas vraiment le choix. Abandonner n'était pas une option.

Le Grand Druide soupira.

— On va s'approcher d'elles. Préparez-vous. Maëlyne ne peut pas maintenir son bouclier indéfiniment. Xavier et Corentin, vous vous occupez des deux de droite, Gaël celle du milieu. Moi, je vais voir de quel bois se chauffe cette vieille peau.

Les yeux de son neveu s'écarquillèrent avec effroi, tandis que le bouclier de Maëlyne flancha une nouvelle fois.

— Tu attaques Dahut ?

Maëlyne opina de la tête pour montrer son accord, tout en consolidant son bouclier dans une grimace.

Hugues haussa les épaules.

— J'ai pas vraiment le choix. Puis Maëlyne va m'aider, hein petite ?

Elle déglutit et acquiesça. Il serra l'épaule de Gaël un instant.

— Tu vois ? Rien à craindre ! Et puis, je reste à côté de toi. Prêts ?

Toute leur équipe de bras cassés hocha la tête.

— Quand tu veux, petite...

Maëlyne inspira profondément et relâcha l'eau qui les protégeait. De violents jets d'eau les frôlèrent et s'effondrèrent derrière eux. Maëlyne leva le bras et en projeta un en direction de Dahut. La princesse des abysses s'écarta souplement, aidée par son agilité dans l'océan. Frustrée, Maëlyne recommença. Elle allait bien finir par la toucher !

Pendant ce temps, Hugues griffonnait sur son carnet. Dahut fut enfin touchée par un jet d'eau au niveau de l'épaule.

— Mais tu deviendrais intéressante, enfin...

Maëlyne ne répondit pas et poursuivit ses vaines attaques. Au moins le druide pouvait travailler dans le calme. Un cri étouffé surgit à sa droite.

Gaël au sol ne parvenait pas à se relever. Une puissante lance d'eau dans le torse le clouait sur place. Maëlyne leva les yeux un instant et trouva le même collier liquide autour de sa gorge que Marie. Celle-ci profita de son inattention pour l'attaquer de la même façon. Maëlyne posa les mains autour de son cou, sans savoir quoi faire. Déjà l'absence d'air lui insufflait un sentiment de panique.

Dahut ricana. Maëlyne jeta un regard affolé à Hugues. Il venait de lever le nez de son carnet. Elle aperçut le moment où il se rendit compte de l'état de son neveu. Il se précipita dans sa direction et marmonna trois runes en direction des morganes sans même vérifier leur efficacité.

Laguz Dagaz Isa !

Maëlyne aperçut l'eau autour de Dahut se transformer en glace. La reine des abysses esquissa une grimace agacée avant de pulvériser la masse glacée à l'aide de puissants jets. La pression autour de son cou se relâcha. Une faible inspiration lui permit de réfléchir plus efficacement. C'était simplement de l'eau. Elle pouvait l'absorber. Elle posa ses doigts sur l'étau et celui-ci traversa sa peau. Dahut, toujours occupée à se libérer de son carcan gelé, ne s'aperçut pas qu'elle était libre.

Hugues avait cessé de tenter de détruire l'étau à mains nues et griffonnait à vive allure dans son carnet. Maëlyne s'approcha.

— Je vais absorber l'eau. Occupe-toi d'elle ! dit-elle en désignant la morgane responsable de l'état de Gaël.

Quand le liquide disparut de la gorge du jeune homme, il inspira difficilement.

— ça va ? Tu devrais aller voir Arganthaëlle, proposa Maëlyne en jetant un coup d'œil à la tante toujours penchée au-dessus de Marie. Un pincement serra son cœur. Elle était encore incapable de dire si son amie s'était réveillée.

Un jet d'eau faucha ses jambes et Maëlyne s'écroula sur le sol, ayant à peine le temps de mettre ses mains en avant.

— Assez joué ! Vous vous prenez pour de grands magiciens, mais vous n'êtes que l'ombre des druides d'antan.

Elle enserra cette fois-ci la gorge de Hugues dans un lien liquide.

— Tire ! ordonna-t-elle à la gigantesque pieuvre.

Le kraken obéit et recula plus loin des digues, ses tentacules toujours agrippés aux barreaux. Cette fois-ci, l'un d'eux céda. Maëlyne observa la scène avec horreur tandis qu'elle absorbait l'eau autour du cou du Grand Druide.

Un sourire satisfait se dessina sur les lèvres de Dahut.

— Encore !

Le kraken recommença en même temps que la reine des abysses. Maëlyne fabriqua un fragile bouclier pour contrer l'attaque de la princesse. Un deuxième barreau lâcha sous la force du kraken. L'ouverture fut suffisante pour que les morganes franchissent la grille les unes après les autres.

— Je croyais que les korrigans allaient s'occuper du kraken, marmonna Maëlyne.

Les lutins marmonnaient toujours et encore sans qu'elle ne comprenne ce qu'ils faisaient. Elle sursauta quand elle aperçut Xavier se tourner vers elle les mains en avant, cherchant à la saisir. Son regard était vide.

— Non, arrête-toi !

Il ne sembla pas l'entendre. Maëlyne frissonna. Peu de chances que Hugues ait gardé sur lui les galets qui luttaient contre l'influence magique des morganes. Il ne lui restait qu'une solution. Elle se concentra sur son noyau magique. Il ne pulsait pas aussi rapidement qu'à l'habitude. Sûrement épuisé par ce long combat.

— Je t'ordonne de t'arrêter, répéta-t-elle, avec un soupçon de magie dans sa voix. Réveille-toi.

Aussitôt, le druide secoua la tête et l'étudia l'air hagard.

— Que ?

La jeune femme ne prit pas le temps de lui répondre et regarda autour d'elle. Avec horreur, elle découvrit que tous les autres druides étaient sous l'influence des morganes.

Hugues et Gaël se battaient avec énergie. Le jeune homme envoya un puissant coup de poing dans la figure de son oncle. Ce dernier saisit le bras qui l'attaquait et le retourna. Un "crac" retentit. Maëlyne frémit.

— Quel beau spectacle ! s'enthousiasma Dahut derrière elle.

La sirène avait troqué sa queue pour deux jambes à peine dissimulées sous son filet d'algues.

— Je t'avais prévenu. On ne peut pas se fier aux druides.

Elle s'avança pas à pas vers Maëlyne qui recula. Elle se figea d'effroi quand elle aperçut Hugues fracasser la tête de Gaël au sol.

— Non, pas ça...

Il fallait absolument qu'elle intervienne. Sans plus prêter attention à Dahut, elle s'élança vers eux.

— ça suffit ! ordonna-t-elle magiquement à Hugues.

Avec soulagement, elle le vit s'arrêter. Gaël, le visage ensanglanté, les yeux à peine distinguables, s'attaqua à son tour à son oncle enfonçant ses doigts dans ses orbites.

— Gaël, arrête !

Le jeune homme l'entendit et se figea avant de retirer ses mains.

— Oh ! Tu ruines tout ! gémit Dahut avant de lui envoyer de fins jets d'eau qui enlacèrent fermement Maëlyne au niveau des bras, des mains et des jambes.

— Je...

— Tais-toi ! susurra la reine des abysses avant de lui ajouter un bâillon aquatique.

Ainsi emprisonnée, Maëlyne ne pouvait plus bouger. Elle absorba l'eau pour se libérer, mais aussitôt Dahut en rajoutait.

— On sait très bien que tu vas perdre à ce petit jeu-là. Reprenez, ordonna-t-elle aux morganes.

De nouveau, les druides s'attaquèrent. Même Arganthaëlle était touchée par le sort et se mit à marcher dans la rivière, s'enfonçant sans prendre conscience qu'elle se dirigeait vers les profondeurs de l'océan. Maëlyne avait envie de hurler. Mais que faisaient les korrigans ? Elle les avait déjà vu utiliser leur magie beaucoup plus rapidement. Surtout pour s'amuser à ses dépens. Apparemment quand il fallait quelque chose de sérieux, ils étaient moins efficaces. Arganthaëlle continuait d'avancer presque au niveau des quelques barreaux qui tenaient encore. Gaël était allongé sous Hugues qui le maintenait au sol, une main autour de sa gorge. Xavier et Corentin se frappaient à coups de poing. Des larmes jaillirent des yeux de Maëlyne.

Dahut eut un rictus satisfait.

— Je préfère que tu les voies tous mourir avant de te tuer. Après, nous irons nous occuper d'Esther. Il parait qu'elle a récupéré son mioche. Pas pour longtemps..

Maëlyne ferma les yeux, incapable d'en voir plus. Elle aurait aimé se boucher les oreilles pour ne plus entendre la voix froide de la princesse.

— Tu es faible... Incapable d'assumer tes actes ! Tout ça, c'est ta faute...

Soudain, les korrigans hurlèrent tous en même temps. Maëlyne ouvrit les paupières avec une lueur d'espoir. Ils entourèrent Dahut et cette dernière se figea, ses yeux roulant dans ses orbites.

Le roi des korrigans parla à la princesse.

— Toi, quitter Ys, traduisit Diwano. Vous, emmener elle.

Maëlyne comprit alors qu’ils avaient réussi à l’immobiliser comme la fois où ils l’avaient apporté à Morvar’ch. Les morganes s'approchèrent d'eux, prêtes à obéir, mais le regard furieux de leur reine les stoppa. Cette dernière parvint à lancer un jet en direction de ses assaillants. Aussitôt, ses sbires attaquèrent les lutins. Maëlyne chercha à se libérer mais l'emprise autour d'elle ne se desserrait pas. La magie de Dahut pas touchée par celle des lutins.

L'espoir qui avait habité Maëlyne se réduisit en cendres. Si même les lutins ne pouvaient les sauver, c'était fini. Elle espéra qu'Esther en avait profité pour s'enfuir. De nouveau, elle ferma les paupières et attendit la fin.

Les gémissements des korrigans emplissaient ses oreilles. Des bruits d'éclaboussure résonnaient. Un autre son aussi plus régulier. Comme si on poussait l'eau, dans un rythme régulier. Qu'est-ce que ça pouvait être ?

Maëlyne entrouvrit les yeux. Au loin, derrière les grilles, une barque avec des rames s'approchait. Une étrange clique en descendit. Elle reconnut la dernière personne. Arthur. Le druide qui avait été accusé à tort à la place d'Erwan.

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