Chapitre 1

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Maëlyne coupa le moteur et se retourna. Un coup d’œil aux visages déterminés de Marie et d’Esther lui confirma qu’elles étaient prêtes. Maëlyne déglutit. Plus aucun retour en arrière ne serait possible après ce qu’elle s’apprêtait à faire.

— On y va, annonça Arganthaëlle à ses côtés.

Prenant une grande inspiration, Maëlyne s’extirpa du véhicule et se rappela de ne pas le verrouiller. Le calme régnait dans la rue résidentielle, la pénombre entrecoupée par les lampadaires. Elles avaient attendu près de trente minutes qu’un des derniers couche-tard éteigne sa télévision et daigne quitter son canapé.

Un chat surgit brusquement devant elles. Maëlyne sursauta et Marie poussa un cri en saisissant la main d’Esther.

— C’est qu’un kazh[1], bougonna Arganthaëlle. Faut pas vous effrayer pour si peu, va !

Devant le regard perdu de Maëlyne, la tante précisa :

— Un matou, quoi !

Elles se placèrent devant la porte de la maison.

— Vous êtes prêtes ? demanda Arganthaëlle.

Quand elles acquiescèrent, elle sortit un papier de sa poche sur lequel elle avait tracé deux runes. Maëlyne tritura machinalement son collier qui l’empêchait de porter une queue de poisson à longueur de journée. Et si ça ne fonctionnait pas ? Elle secoua la tête. Ridicule, elles avaient testé le sortilège auparavant.

Ehwaz, Thurisaz, chuchota la vieille femme.

Aussitôt, le verrou tourna dans un cliquetis. Arganthaëlle se redressa et poussa la porte du plat de la main. Elle s’ouvrit en silence. D’un geste, la tante leur fit signe d’entrer, sa mission terminée. Marie resta à l’extérieur pour surveiller les alentours tandis que Maëlyne et Esther retirèrent leurs chaussures et pénétrèrent dans la demeure. Elles avancèrent à pas de loups jusqu’à l’escalier.

Elles posèrent un pied sur la première marche, en retenant leur souffle. Le bois s’abstint de craquer. La chance était avec elles ! Lentement, elles montèrent. Arrivées à l’étage, elles hésitèrent devant les portes fermées.

Sur la pointe des pieds, Maëlyne se dirigea vers celle entrouverte. Elle attendit que ses yeux s’acclimatent à la pénombre environnante pour distinguer un grand lit d’où provenaient deux profondes respirations. Elle secoua la tête en direction d’Esther. La morgane se plaça à côté et poussa la porte qui grinça.

Maëlyne fronça les sourcils. Esther haussa les épaules, l’air de lui signifier qu’elle ne pouvait faire autrement. Au fond de la chambre trônait un berceau dans lequel un bébé s’agitait.

— Damien, souffla Esther, son émerveillement perceptible.

Alors qu’elles s’approchaient, l’enfant ouvrit ses yeux et se mit à hurler sans pour autant sembler les voir. Maëlyne se figea. Esther se pencha et caressa son visage.

— Tout va bien, je suis là… Je suis venue te chercher… Enfin… mon bébé…

Des sanglots entrecoupaient ses paroles. Damien n’arrêtait pas de crier. Comme s’il n’entendait pas les mots de réconfort. Une voix d’homme retentit dans la chambre à côté.

— Isa, le petit pleure… Va voir ce qu’il a.

Maëlyne saisit la main d’Esther et l’éloigna du lit. Elle chercha où se cacher dans la pièce. Pas de rideaux. Elle entraina sa camarade dans un recoin et lui intima de se baisser. Ainsi accroupies, elles étaient à demi dissimulées par la commode. À condition que personne ne regarde dans leur direction. Se mordillant les lèvres, Maëlyne caressa le bras d’Esther espérant la calmer. Cette dernière renifla avant de se taire quand des pas lourds s’approchèrent. La lumière du couloir éclaira la pièce. Une femme pénétra, hagarde.

— Hugo, Hugo, tout va bien… Tu as perdu ta tétine, c’est tout.

La mère d’accueil fouilla autour du petit avant d’attraper l’objet et de lui enfourner dans la bouche.

— Voilà c’est fini, fais dodo maintenant.

La brune se retourna sans jeter un regard autour d’elle. Lorsqu’elle franchit le seuil, les épaules de Maëlyne se relâchèrent. Elle faillit se relever, mais Esther l’arrêta d’un mouvement de tête.

— Elle n’est pas partie se coucher, articula cette dernière silencieusement.

Plus de pas se firent entendre. Pourvu qu’elle ne descende pas l’escalier pour tomber sur Arganthaëlle ! Les doigts de Maëlyne se portèrent à sa gorge.

Finalement, un bruit de chasse d’eau résonna. Quelques instants plus tard, elle repassa devant la chambre, s’arrêta sur le palier, sûrement pour observer le petit. Enfin, la lumière du couloir s’éteignit. Maëlyne et Esther se relevèrent.

— On y va ? chuchota Esther.

— Attendons un peu qu’elle se rendorme.

Elles patientèrent ainsi de longues minutes. Maëlyne compta mentalement jusqu’à 500 avant de se diriger vers le bébé. Ce dernier ronflait paisiblement, emmitouflé dans une gigoteuse.

Esther tendit les mains vers lui et jeta un regard interrogatif dans la direction de Maëlyne. Elle hocha la tête. Aussitôt, la mère prit Damien dans ses bras. L’enfant gémit un peu, tétouilla plus fort, mais ne se réveilla pas. Avec prudence, elles passèrent devant la porte entrouverte de la chambre du couple puis s’attaquèrent à la descente des escaliers. À chaque pas, elles retenaient leur souffle. Arrivées en bas, elles retrouvèrent Arganthaëlle qui les attendait avec une mine sérieuse.

— Donne-le-moi le temps que tu enfiles tes chaussures, ordonna-t-elle à Esther.

Les lèvres de celle-ci se tordirent. Elle tendit l’enfant à contrecœur puis se baissa pour saisir ses souliers. Damien gémit de nouveau puis ouvrit ses paupières. Sa tétine tomba au sol. Maëlyne s’empressa de la ramasser, mais trop tard… Des vagissements résonnaient déjà. Esther le récupéra, remit le précieux objet dans sa bouche. Mais c’était fini. Le petit hurlait à pleins poumons. Une voix d’homme retentit en haut de l’escalier.

— Qu’est-ce qu’il a encore ?

Maëlyne, Esther et Arganthaëlle ouvrirent la porte et surgirent dans la nuit.

— Il a dû perdre sa tétine. Tu peux y aller ? gémit la mère d’accueil avant que la porte d’entrée ne se referme violemment.

Marie fit signe aux trois complices d’accélérer jusqu’à la voiture. Le cœur de Maëlyne battait à toute vitesse. Ce n’était qu’une question de temps avant que l’homme ne se lance à leur poursuite. L’allée s’illumina devant alors que la maison s’ouvrait de nouveau dans son dos. Des cris retentirent.

— Plus vite les filles ! les pressa-t-elle.

Maëlyne s’engouffra dans la voiture, Arganthaëlle à ses côtés. Marie et Esther se glissèrent sur la banquette arrière, Damien toujours pleurant dans les bras de sa mère.

— Attachez-vous, ordonna Maëlyne avant de mettre le contact.

Le père seulement vêtu d’un short se précipitait vers elles.

— Arrêtez-vous ! hurla-t-il.

Maëlyne recula pour sortir de sa place, les mains tremblantes.

La femme jaillit de la maison et courut derrière son mari.

— À l’aide ! s’époumona-t-elle. Ils sont en train d’enlever mon bébé ! À l’aide !

L’homme était presque arrivé à leur niveau. Maëlyne repartit précipitamment en marche avant. Son rétroviseur heurta la voiture d’à côté. Elle frémit au choc, mais appuya sur l’accélérateur. Elle observa avec soulagement la distance s’agrandir avec la maison. D’autant plus que des lumières s’allumaient dans d’autres pavillons. À toute vitesse, elle sortit de la rue résidentielle et tourna à gauche, puis se rappela qu’elles venaient du côté opposé. Haussant les épaules, elle continua tout droit. L’important était de s’éloigner. Dans le miroir, elle apercevait Esther qui tapotait le dos du bébé toujours hurlant.

— C’est bon, tu es avec maman désormais ! Plus rien ne pourra nous séparer ! Tout va bien, mon cœur…

Le petit ne sembla pas entendre.

— Mets-lui sa sucette dans la bouche, là ! Qu’il se taise un peu, bougonna Arganthaëlle.

Dans le rétroviseur, Maëlyne vit le regard noir qu’Esther jeta à la vieille femme.

— Il n’en veut pas. Il est traumatisé par tous ces événements. Le pauvre…

— On a pris du lait en poudre, rappela Marie en montrant l’énorme sac d’affaires qu’elles avaient acheté pour Damien. Tu veux que je lui prépare un biberon ?

Dévorant son fils des yeux, Esther marmonna :

— Si tu veux…

La rousse s’empressa alors de s’exécuter. Elle avait été tellement émerveillée par toutes les avancées faites pour s’occuper d’un enfant. Les poussettes et porte-bébés l’avaient ébahie. Le lait en poudre l’avait fascinée. Elle avait lu toutes les notices avant de décréter que ce serait extrêmement utile sur Ys, surtout si la chèvre — qu’ils avaient déjà achetée — ne produisait pas assez de lait. Loin de ces préoccupations matérielles, Maëlyne avait laissé l’ancienne gérante du palais sous-marin prendre les choses en main.

Quelques minutes plus tard, le petit Damien repu se rendormit contre sa mère.

— Merci… chuchota Esther, son regard émerveillé posé sur son fils.

Sa voix tremblait et elle renifla.

— C’est normal… On ne pouvait pas te laisser ainsi… souffla Marie.

— Oui, mais c’est gentil, tout le monde n’a pas compris mon urgence.

— Tu veux parler des druides ? C’est qu’une bande de poltrons ! s’exclama la tante.

Maëlyne esquissa un sourire.

— Je peux comprendre pourquoi ils sont effrayés. Un kidnapping d’enfants, c’est une solution définitive. Il n’y aura pas de retour en arrière pour nous…

Ya[2]… Qu’une bande de pleutres, bien ce que je dis ! Je suis bien mieux sur Ys que sur le continent !

— Merci, répéta Esther. Je… Sans vous, je n’aurai pas pu le récupérer…

— Puisqu’on te dit que c’est normal, renifla Arganthaëlle. Tu vas pas essayer de me faire pleurer, là ! On est bientôt de retour chez nous !

— C’est vraiment dommage qu’on ne puisse y aller toutes en même temps, se désola Marie.

— C’est le plus sûr… Le plus urgent, c’est que Damien soit loin ! rappela Maëlyne.

Elle se gara enfin devant l’ancienne maison de la tante où elles comptaient patienter en toute sécurité. Morvar'ch gambadait dans la cour. Il hennit de plaisir quand elles arrivèrent et se pencha immédiatement vers l’enfant. Ce dernier se tortilla sous le souffle chaud de l’étalon.

— Vous avez tout ce qu’il faut ? s’inquiéta Maëlyne.

Marie hocha gravement la tête en prenant le sac qui contenait les affaires du petit. Elle en sortit le porte-bébé et une couverture à Esther qui installa son fils.

— On est prêtes ! À tout à l’heure, promit Marie.

Les deux morganes enfourchèrent le cheval et s’éclipsèrent dans la pénombre. Maëlyne et Arganthaëlle à l’intérieur. C’était surréaliste de revenir dans cet endroit. Elle avait l’impression que sa première venue datait d’une autre vie. La maison habituellement peu fournie paraissait vide. Les plantes suspendues de la tante avaient migré sur Ys. Seul restait le poêle. Elles s’assirent sur le rebord de la cheminée. Il leur fallait attendre que Morvar’ch fasse l’aller-retour jusqu’à Ys avant de partir.

— Ça ne te manque pas ? demanda Maëlyne en désignant vaguement autour d’elle.

La vieille femme haussa les épaules.

— Ma maison ? C’est vrai que j’y ai toujours habité. Mais bon… ça s’est fait comme ça… C’était celle de mes parents. Je pense qu’ils seraient heureux de me savoir sur Ys. Et toi, le continent va te manquer ?

— Ma vie a été un tel bouleversement depuis la mort de Tristan. Je… Depuis que nous sommes sur Ys, j’ai l’impression qu’un poids s’est retiré de mes épaules et je regarde enfin vers l’avenir. Je….

Son téléphone portable sonna, diffusant la musique de Harry Potter. Maëlyne le chercha dans son sac, se demandant qui pouvait l’appeler à cette heure matinale.

Hugues…

Elle lâcha un soupir.

— Mais qu’est-ce que vous avez foutu ? Vous êtes malades ou quoi ?!

Maëlyne écarta l’appareil de son oreille.

— Tu parles de Damien ?

— Je veux même pas savoir comment il s’appelle. Je vous avais dit de ne pas vous lancer là-dedans ! Y a une fichue alerte kidnapping diffusée sur toutes les télés et putains de radios de notre pays !

[1] Chat en breton


[2] Oui, en breton.

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