Vie nouvelle

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Le soleil était d’un seul coup très fort. Eveline ouvrit les yeux directement, réveillée, consciente qu’elle était dans le passé, dans la chambre d’Oskar, et qu’elle avait une mission à accomplir. Le reste devrait attendre.

Mais si le pantalon en toile noire était tout à fait utilisable, elle ne pouvait plus porter la blouse de la veille, une sorte de chemise avec des taches de couleur bleues et mauves. Elle sortit sur le couloir à la recherche d’un membre de la famille.

- Bien dormi ?

Yvette, la sœur d’Oskar sortait de la salle de bain. Plus âgée qu’eux, mais également plus âgée que Florian… et Eveline fronça les sourcils. Le temps était emmêlé.

- Oskar m’a dit que tu vas rester quelques jours avec nous. Du coup, tu auras besoin de quelques habits.

Eveline la regarda surprise, mais cacha vite sa réaction. Oskar la surprenait encore une fois, il aurait fait un voleur de temps beaucoup meilleur qu’elle…

Elle retrouva Oskar juste après, dans la petite salle à manger du rez-de-chaussée. La famille la regardait avec empathie, un brin de pitié aussi, mais personne ne posa aucune question. Oskar avait les yeux marqués de gros cernes.

Ah.

- Toi non plus, tu n’as pas une très bonne mine, lui dit-il quand ils furent sortis.

- Ce n’est pas évident… Mais qu’est-ce que tu as raconté à ta famille ?

- Que vous venez de vous faire expulser de la maison, et ta mère vient de commencer un travaille comme domestique chez une famille riche sur la côte… Elle a besoin de finir le mois pour t’envoyer un peu d’argent…

- Je n’aurais jamais pensé à une idée pareille !

Oskar la regarda inquiet. Était-il allé trop loin ? Mais Eveline était admirative :

- Tu es vraiment le meilleur ami dans ce monde ! Mieux même que… commença-t-elle et s’arrêta.

Elle ne lui avait jamais parlé de son Oskar. Elle ne lui avait jamais vraiment parlé d’elle. Lui non plus, d’ailleurs. Bizarrement, cela n’empêchait en rien leur amitié.

- Ils vont vérifier que tu es vraiment inscrite au lycée, sache-le….

- En principe…. ça devrait être bon…

Elle n’avait plus la libellule. Qu’est-ce qui allait se passer au lycée sans sa protection ?

- Tu n’es pas très sure… dit-il en baissant la voix.

Un garçon les avait rejoints : plus grand, brun, osseux, Eveline reconnut l’ami d’Oskar du kiosque de musique. Sa voix était en train de changer, il essayait désespérément de passer inaperçu. Eveline lui sourit avec empathie. Elle aussi préférait passer inaperçue… Surtout au lycée.

- Elle est ma cousine, au fait, dit Oskar en guise d’explication.

- Salut, moi c’est Augustin.

Ils passaient devant l’horloge au coin de la place centrale quand Eveline vit Anne-Lise attendre devant la banque. Elle fit signe à Oskar et partit la rejoindre.

Le ciel se chargeait de nuages gris, et malgré le soleil encore très fort, Eveline frissonna. Une femme était sortie de la banque et s’approchait d’Anne-Lise. C’était Alicia. Eveline se glissa derrière un groupe de passants. Anne-Lise avait un air abattu, absent, et se tordit de douleur lorsqu’Alicia lui toucha l’épaule.

Finalement, la femme la laissa, et son amie s’approcha avec le même air absent. Eveline vint à sa rencontre, mais Anne-Lise ne la regardait pas.

Eveline fit semblant de ne rien remarquer et parla de l’école. Petit à petit elle commença à réagir et finit pas esquisser un petit sourire.

- Nous allons au commissariat, dit alors Eveline avec sa voix la plus sérieuse.

Anne-Lise leva les yeux paniqués vers elle.

- Non !

- Ils vont finir par te tuer, murmura Eveline.

Cette petite info dans le journal n’avait jamais paru plus vraie que dans cette matinée.

- Elle va tuer mon père si je fais ça, dit Anne-Lise à peine audible.

Elles étaient sur le boulevard, arrêtées devant la pharmacie. Le vent s’était mis à secouer les branches des arbres au-dessus. Donc ce n’était pas son père qui allait la tuer, malgré tout le mal qu’il avait pu lui faire, ce n’était pas lui, et elle voulait le sauver… Eveline déglutit. Elle allait être tuée par Alicia, à cause de la trace de D’Arboras.

Oskar s’approcha d’elles.

- Venez, dit-il, je connais un endroit.

Ils se faufilèrent derrière la pharmacie, dans un ancien square duquel il ne restait qu’un banc noirci, des arbustes ensauvagés et herbes folles.

Eveline avait besoin de s’assoir. L’orage éclatait quelque part au-dessus de leurs têtes, des grondements ponctués de flashs de lumière. Mais ils avaient besoin de réfléchir.

- C’est Alicia, dit Eveline d’emblée.

Oskar était resté debout et regardait Anne-Lise avec une expression de douleur presque palpable. Anne-Lise gardait la tête baissée…

- Elle nous a menacée hier soir, dit-elle avec une voix à peine audible. Là, elle vient de retirer toutes nos économies… Si le banquier avait refusé, elle m’aurait tiré par les cheveux jusqu’à la maison…

- Elle est capable de pire que ça, murmura Eveline.

- Si je vais à la police, elle tue mon père…

- Nous allons rester avec toi, dit Oskar avec une voix qu’Eveline ne lui avait pas entendue auparavant.

Une voix qui venait des tripes, qui avait déjà muée, là, depuis le matin.

Anne-Lise hochait la tête avec dédain. Elle n’y croyait plus.

La pluie tombait maintenant en grosses gouttes, fouettant les feuilles autour. Ils étaient trempés tous les trois, mais ils ne bougèrent pas.

- Tu vas m’aider avec les devoirs de maths après les cours, dit Eveline. Nous allons rester au lycée le plus tard possible.

- Je demande à ma sœur de faire la vente caritative ce soir sur notre rue. Il y aura plein de monde jusqu’à tard, ils font souvent une petite fête après.

Sa sœur était volontaire dans une association.

- Et demain, on vient te récupérer devant ta maison, rajouta Eveline. Jusqu’à ce qu’on trouve comment te sortir de ça.

Anne-Lise se leva, les yeux encore quelque part dans son absence.

- Il faut rentrer en classe.

Ils allèrent vers le lycée, Oskar s’approcha d’Eveline et lui serra la main un instant comme pour lui remercier. Une décharge passa de leurs mains serrées, le long du bras et la fit trembler. Qu’est-ce que ça pouvait bien signifier ? Il marchait devant maintenant, à côté d’Anne-Lise, trempés tous les deux, unis par cette épreuve… Était-elle en train de tout mélanger ? Son monde, son Oskar, sa famille, avec celui-ci ?

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