Lycée, présent

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La matinée était parfaite, pas un nuage, un petit vent pour dissiper la chaleur du soleil d’été, et surtout, l’idée de retrouver ses amis. Sophie lui manquait et, après la journée en ‘93, sa vieille vie tranquille lui manquait aussi.

Eveline était devant le lycée et regardait le bâtiment central de La Poste. A la place des marronniers, il y avait un grand espace vide, comme pour le mettre en scène : vieilli, pas très beau avec ses colonnes lourdes, torsadées, et son petit balcon décoratif au milieu de la façade.

Derrière lui, il y avait plusieurs tours en verre. Une nouvelle allée le longeait et sortait dans la rue de l’autre côté.

Elle sourit aux deux : à l’ancien et au nouveau.

Sophie arrivait enfin, la même Sophie de toujours : sa frange blonde un peu trop longue, son tee-shirt rose, sa jupe plissée. Mais avec quelqu’un de nouveau, une fille d’une autre classe qu’Eveline ne connaissait pas. Elles arrivaient en rigolant.

- Sophie !

Elles allaient presque passer à côté sans la remarquer.

- Eveline ? répondit Sophie incrédule. Eveline ! Je pensais que tu étais partie !

- Partie ? Où ?

- Je ne me rappelle plus, bizarre. Je suis si heureuse que tu aies décidé de revenir !

Sophie la serra avec une affection sincère. Elle rigola, mais ses yeux étaient remplis de larmes. Ça lui avait tellement manqué d’être juste la vieille Eveline !

Surtout après la dernière soirée. Après la mauvaise surprise en revenant dans son présent.

Lorsqu’elle sortait d’entre les planches autour du terrain vague, encore secouée après la rencontre avec Alicia, elle avait presque heurté Florian qui rentrait avec sa copine.

Il avait eu un premier mouvement de rejet.

Bizarre.

Elle avait essayé de sourire, mais elle n’était pas au meilleur de sa forme.

- C’est surement une mendiante, avait dit Laura en tirant son frère vers la maison.

- Florian ! avait-t-elle crié.

Le regard de Florian revenant de loin, comme la reconnaissant avec difficulté, par une nuit de brouillard épais.

Cela faisait le plus mal.

Elle avait à peine regardé ses parents en rentrant. Elle n’aurait pas supporté de voir à quel point son voyage l’avait rendue étrangère à eux aussi.

Voilà. Fichus sauts.

Mais Sophie était maintenant avec elle, bras dessus bras dessous, contente de la voir de retour après ses aventures dans le passé.

Oskar était là aussi dans la classe, assis dans l’autre rangée, en se tournant vers elle avec curiosité.

Et puis monsieur Gabet, le professeur de français, avec sa chemise fleurie. Elle sourit. Exit les géométries dans l’espace, bienvenue monsieur Molière !

Et comme elle souriait béatement, les petits papiers du professeur crachèrent son nom.

- Mademoiselle Brown, dit le prof avec malice, j’aimerais que nous continuions la petite conversation de la dernière fois. Voudriez-vous me rejoindre devant la classe ?

Eveline passa devant le tableau en continuant à sourire, toute rouge, et sans aucune idée des devoirs qu’elle était peut-être censée préparer. Mais devant son Oskar, sa Sophie, et pendant sa classe de français.

Visiblement cela fonctionna. En retournant à sa place, elle vit le sourire admiratif d’Oskar.

Le prof, lui, marmonna :

- Nous avons encore du travail... 12 pour aujourd’hui. La prochaine fois il faudra arriver vraiment à me convaincre.

Cela n’importait plus.

Pendant la pause, elle put tout raconter à Sophie, lui dire à quel point son classeur lui avait été précieux. Elles étaient assises près de la fenêtre, à l’endroit précis où s’était tenu Oskar, l’autre Oskar, l’autre jour en ’93.

Mais elle ne se rappelait plus avoir rangé le classeur après leur discussion. Elle sortit son sac et chercha dedans avec fébrilité.

Mince !

- Je l’ai oublié.

- Tu as oublié quoi ? demanda Sophie.

- Le classeur ! dans la classe… ici. En ’93 ! cria Eveline.

Son cri passa presque inaperçu dans le brouhaha dans la classe. Sophie la regarda avec un soupir.

- Tu étais juste avec Oskar ? Personne d’autre n’est arrivé après ?

- On était seuls, mais je ne me rappelle plus après ! dit-elle avec dépit et des larmes coulaient déjà sur ses joues.

Sa journée en ’93 avait été tellement compliquée, que maintenant tout se mélangeait dans sa tête. Surtout le mauvais regard d’Alicia dedans. Pourvu qu’il ne soit pas arrivé entre ses mains.

Sophie la fit raconter pas à pas sa discussion avec Oskar.

L’autre Oskar entra dans la classe en la regardant étonné, elle avait encore les larmes aux yeux.

La pause était finie.

Elle devait lui dire la vérité. Là. Aujourd’hui.

Ce fut la pause suivante donc. Elle s’approcha d’Oskar.

- Tu viens dehors ? demanda-t-elle lorsqu’il leva les yeux.

Il la suivit sans un mot. Eveline sentit ses joues s’enflammer.

Dehors, sur un banc, brûlants tous les deux sous les regards des élèves qui s’exerçaient sur le terrain de sport, ils échangèrent quelques banalités.

- Je t’ai dit de drôle de choses l’autre jour, commença-t-elle.

Déjà elle avait arrêté de s’excuser. Mais cela était tout aussi difficile. La réaction de l’autre Oskar était encore si vive… et elle avait eu le classeur de Sophie pour prouver qu’elle n’était pas folle.

Elle se racla la gorge.

- Ecoute… dit-elle sans le regarder, ça semble complètement fou, mais il faut me croire, j’ai trouvé un pendentif qui peut me faire voyager dans le temps…

Silence.

Elle leva les yeux. Oskar attendait avec un regard incrédule. Surpris. Non, pas seulement. Tristement incrédule, comme lors d’une mauvaise farce de la part d’un vieil ami.

Eveline soupira. Il fallait aller jusqu’au bout.

- J’ai rencontré quelqu’un qui te ressemble énormément. Il s’appelle Oskar Lang comme toi, il était élève ici en ’93, filière S…. il jouait de la flûte.

- Etrange, ça n’est jamais sorti dans la presse, murmura-t-il.

- Quoi donc ?

- Qu’il jouait de la flûte.

La presse n’était jamais bonne nouvelle dit comme ça.

- Pourquoi ça aurait dû sortir dans la presse ? demanda Eveline presque inaudible.

- A cause de son accident.

Trou d’air. Le ventre noué.

- Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

- Il a été renversé par une voiture… Il est mort… Sur le trottoir dans la place centrale.

Blocage. Et les larmes qui attendaient le moment pour surgir, débordant en silence sur ses joues.

- C’était avant que je naisse, tu sais… C’est pour cela que je m’appelle comme lui.

Elle pleurait pour de vrai maintenant, avec de gros sanglots, sous l’emprise d’une douleur qui lui tordait le ventre.

Oskar toucha maladroitement son bras. Il était là, à côté d’elle. Elle se jeta contre son épaule et continua à pleurer.

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