Et si le passé avait déjà été changé ?

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Anne-Lise Marcelin, 15 ans, vient d’être retrouvée poignardée sur un terrain vague dans la petite ville de T. Le corps a été retrouvé par un agent de nettoyage de la ville un peu avant 5 heures ce matin. L’adolescente, bonne élève, vivant seule avec son père après la mort prématurée de sa mère, avait disparu hier soir de son domicile. L’investigation est en cours, mais toute personne susceptible de détenir des informations utiles sur cette affaire est priée de s’adresser à la police, au 09.08.92…

Eveline leva les yeux à la recherche de la date de l’article : 5 juin 1993. Elle était de nouveau dans sa vie, à l’abri si on peut dire, et hantée par l’histoire de cette fille qui avait eu son âge il y a 25 ans… 25 ans d’écart, c’était énorme. Ils vivaient dans la même maison. Elle n’avait pas halluciné.

Mais si elle pouvait de nouveau faire des sauts dans le temps, elle pourrait lui parler, essayer d’empêcher ça. Ça devrait être une bonne nouvelle, elle pourrait au moins essayer de la prévenir.

Or, elle n’en comprenait rien. Quel était cet étrange pouvoir ? Était-ce seulement vrai ? Eveline regarda de nouveau l’article devant elle. Une photo toute noircie, à peine visible, montrait le visage d’Anne-Lise avec un regard grave, directement vers l’objectif. Tout semblait réel. Si réel et si impossible à la fois, qu’Eveline avait la migraine.

Oskar s’approchait avec une pile de livres dans les bras. Ils étaient dans la bibliothèque municipale, avec Sophie aussi, à qui Eveline avait tout raconté. Elle était partie à la recherche de quelques livres qui, selon Sophie, pourraient leurs être utiles. Utiles ? Elle n’y croyait pas vraiment.

Oskar s’arrêta à leur table, c’était presque la seule place libre. Heureusement pour eux, pensa Eveline amèrement. Il était encore avec son t-shirt de sport et une vague brume de sueur sur son visage. Il lui jeta un regard préoccupé et mit ses livres au milieu.

- Ça va, Eveline ?

Comme on demande à un malade. Ses yeux noirs un brin inquiets.

- Mhmm, répondit-elle et pensa à ce deuxième Oskar qu’elle avait vu lors de son premier saut dans le temps.

Elle ne lui avait toujours rien dit de ce qu’elle avait vu. Si c’était vraiment un saut dans le temps, le Oskar qu’elle connaissait ne pouvait pas l’aider avec ce qu’elle avait pu voir en 1993...

Mais était-il vraiment pareil ? Il lui ressemblait énormément, certes. Peut-être un parent proche ? Et une deuxième Eveline qu’est-ce que ça donnerait ? L’idée était trouble.

Était-ce le bijou de sa grand-tante qui aurait pu l’envoyer dans le temps ? Et comment ? Elle sentit la libellule palpiter doucement dans sa main. Depuis qu’elle avait vu l’annonce de la mort d’Anne-Lise, elle n’arrêtait pas de tourner le pendentif dans tous les sens.

Et cette fois, elle eut comme un sentiment bizarre, comme un battement de cœur un peu différent, lorsqu’elle réalisa que la libellule avait aussi bougé dans sa main la première fois.

Elle leva les yeux. Tout autour était pareil, Oskar était toujours assis là avec ses livres, une main passée entre les cheveux à les décoiffer, sa chemise à rayures boutonnée jusqu’au cou. C’était juste Sophie qui tardait.

- Eveline, lui dit-il doucement après un moment.

Elle le regarda par-dessus la pile de livres.

- Tu as vu Anne-Lise ?

Stop cardiaque. Comment il pouvait être au courant ?

- C’est Sophie qui t’a raconté ?

- Sophie qui ?

Il était sérieux en plus. Et Eveline réalisa. Elle baissa les yeux sur la table, devant elle il y avait bien des journaux, mais ils n’étaient plus les mêmes. Pourvu qu’elle fût arrivée avant.

- Nous sommes quel jour aujourd’hui ? demanda-t-elle dans un souffle sans le regarder.

- 4 juin.

- 93 ?

- Oui ?

- Ah, non ! le cri lui échappa.

Pas le temps de rajouter autre chose, car Anne-Lise passait entre les tables le regard tourné, comme si elle faisait exprès de ne pas les voir.

Eveline la regarda les joues brûlantes. Pas juste un peu rouges, mais rougies rouge pivoine. Oskar, lui, il n’avait des yeux que pour Anne-Lise.

Ah.

Mince.

Attends, ce n’était pas le même Oskar.

Elle aurait dû le savoir.

Elle aurait dû contrôler ses sauts. Maintenant qu’elle avait une idée. Elle aurait dû le savoir déjà que c’était ce maudit bijou qui la projetait dans le passé.

Eveline se leva et courut après Anne-Lise.

Lors de cette soirée chez eux, elle lui avait dit la chose la plus stupide qu’une nouvelle camarade d’école pouvait dire :

- Je viens du futur. Non, je veux dire réellement, on habite cette même maison, mais dans le futur.

Elle a dû croire qu’Eveline était dingue. La discussion avait tourné au fiasco, mais au moins elle était moins à plaindre qu’Anne-Lise avec son abruti de père.

Eveline ne connaissais rien sur 1993, elle n’avait pu rien prouver. Maintenant ça a changé, elle savait quelque chose, et c’était pire.

- Ecoute, je suis désolée pour l’autre soir, lui dit-elle et c’était déjà la troisième fois qu’elle s’excusait pour ces fichus sauts dans le temps.

Anne-Lise la regarda avec de grands yeux.

- De quoi tu parles ? Quel soir ?

Bouche bée. Balbutiements. Excellent travail, Eveline ! La soirée chez eux s’était passée donc après… Mais après quand ? Ah, c’était déjà le 4 juin. Aujourd’hui même. Ce soir. Elle était chez eux juste avant que. Elle aurait pu la sauver.

Et si c’était son apparition chez eux qui avait empiré les choses ? Il l’avait bien giflée à cause d’elle. Si c’était Eveline qui avait provoqué sa mort ? Quel était son sort avant qu’elle n’intervienne ? Aucune idée. Et si tout était sa faute ?

- Tu es la fille de la classe de géographie, lui disait Anne-Lise avec le regard assombri. Tu sembles quelqu’un de bien même si tu es un peu bizarre.

Eveline la regardait pétrie de doutes. Comment la sauver ?

- Ne rentre pas chez toi ce soir.

Elle avait dit ça dans un souffle, l’implorant des yeux.

Anne-Lise la regarda étonnée un instant et lui donna une petite tape amicale sur l’épaule.

- Désolée, tu m’as mal compris. Tu n’es pas mon genre.

Grands yeux de surprise. Qu’est-ce qu’elle venait de dire ? Anne-Lise s’éloignait en tirant sur ses manches mais Eveline eut le temps de voir une tache bleue, presque violette, apparaitre sur son bras.

Oskar ! Lui il pourrait la tenir éloignée ce soir de son bourru de père. Eveline revint dans un souffle à leur table. Oskar était encore là, absorbé par un livre d’échecs.

- Oskar, lui dit-elle en baissant la voix, j’ai remarqué qu’Anne-Lise n’est pas bien.

Oskar leva brusquement la tête. Les joues légèrement colorées. Il attendait la suite.

- J’ai pensé que ça lui ferait du bien de se distraire. Penser à autre chose.

Il fronça les sourcils en replongeant dans son livre :

- Tu as vu ses bleus.

- Tu es son ami, dit-elle en insistant, il faut l’éloigner de son père ce soir.

- Elle ne vient jamais à une fête, ni pour étudier chez une copine. Elle ne sort jamais après l’école. J’ai déjà essayé tout ça, dit-il avec une tristesse qui continuait à lui colorer les joues.

- Alors c’est moi qui vais rester avec elle, dit Eveline avec conviction en ramassant ses affaires.

La libellule était posée sur la table à côté de son stylo. Eveline hésita un moment. Elle aurait juré qu’elle l’avait remise dans son sac. Qu’est-ce qu’elle faisait dehors ? Incrédule, elle la rangea avec le reste des affaires . La libellule glissa entre ses doigts, Eveline réussit à l’attraper de justesse.

Et paf ! De nouveau cette maudite libellule ! Elle devait vraiment apprendre à contrôler ces fichus sauts !

Sophie sortait d’entre les rayons avec un livre dans la main et une expression triomphante.

- Eveline, j’ai trouvé ce livre, il est génial !

- Chuuut ! leur firent plusieurs personnes à une table à côté.

Mais ses larmes débordaient déjà en deux traces brulantes le long de ses joues. Eveline ne pouvait plus chuchoter :

- Tout est ma faute ! Il l’a giflée à cause de moi ! J’aurais pu la sauver, Sophie, j’étais là le même soir ! J’étais avec elle ! Maintenant je suis revenue, c’est trop tard !

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