Briser ses chaînes.

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Nouvelle inspirée de la chanson « I want to break free » du groupe Queen.


 Jean Martin était assis face à son assiette et se demandait ce qu’il avait bien pu faire dans cette vie ou dans une autre pour mériter tous ces reproches. Il mâchonnait tranquillement la blanquette de veau que Corinne avait cuisiné. Il se disait qu’il n’était pas mauvais ce plat et qu’il en reprendrait bien une seconde fois, même s’il était au régime. Mais soudain une pluie de critiques s’abattit sur lui, sans crier gare.

 Il ne participait pas à la vie de la maison. Il ne faisait que mettre les pieds sous la table en rentrant du travail. Il ne faisait aucune tâche ménagère. Il dépensait tout leur argent en outils de bricolage hors de prix alors qu’il ne l’emmenait jamais en vacances.

 Le quarantenaire ne saurait même pas dire quel avait été l’élément déclencheur de cette dispute, si tant est qu’on puisse la nommer ainsi.

 De plus, il laissait souvent Corinne seule à la maison pour aller voir ses amis qu’elle n’aimait pas car ils avaient une mauvaise influence sur lui. Ils buvaient trop, ils aimaient trop les femmes, ils étaient égoïstes et grossiers.

 Jean continuait de manger durant le monologue de son interlocutrice. Il n’écoutait plus depuis au moins dix minutes et pourtant les reproches gagnaient en dureté.

 Il ne l’aimait pas assez. Il ne l’avait jamais aimé comme elle l’aimait. Elle qui avait tout sacrifié pour lui. Surtout sa carrière de chanteuse, mannequin ou actrice plus que prometteuse dans sa jeunesse. Elle avait tout abandonné pour être avec lui. Ses rêves et ses envies de gloire. Aujourd’hui, elle le regrettait amèrement vu comment il la traitait. Elle valait mieux que ça.

 Au fil des années, Jean avait appris à se taire lorsque Corinne était dans cet état. Cela faisait maintenant plusieurs décennies qu’il la connaissait. Il savait se soumettre à cette femme quelque peu tyrannique. Maintenant, il préférait ne rien dire plutôt que d’aggraver son cas.

 Cependant les agressions verbales redoublèrent d’intensité et de méchanceté.

 De toute façon, ce n’était qu’un bon à rien. Un imbécile. Un misérable. Un raté. Et ça, Corinne l’avait apparemment toujours su au fond d’elle.

 Jean ne pourrait dire lequel de ces mots était le plus douloureux mais il sentit la colère commencer à bouillir dans ses veines. Ses mains se crispèrent sur le bord de la table de la cuisine. Certes, l’homme était tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Il avait un prénom banal, le nom de famille le plus commun de France. Il faisait un travail dans lequel il ne s’épanouissait pas mais il ne méritait pas qu’on le traite de la sorte.

 Pourtant Corinne continuait de cracher son venin. Sans elle, il ne serait rien. Rien de plus qu’un pauvre comptable sans perspective, du moins. Et s’il avait réussi à obtenir ce poste, c’était grâce à elle bien-sûr.

 C’était à ce moment-là que Jean se leva d’un bond et en fit tomber sa chaise en arrière. Son visage était rouge de fureur. Une veine était apparente sur son cou. Corinne fut surprise durant un court instant mais rouvrit la bouche quelques secondes plus tard pour continuer son flot de méchanceté.

« Ça suffit maintenant !! » cria Jean en frappant son poing sur la nappe cirée.

 Corinne sursauta.

« Je n’en peux plus de tous tes reproches !! Tu ne fais que me rabaisser pour me soumettre davantage à toi. Mais ce temps-là est révolu ! »

 Il se rapprocha de sa tortionnaire son index droit pointé vers elle.

« Je veux me libérer de l’emprise que tu as sur moi ! Je veux me libérer de tout ça ! Tu es tellement prétentieuse ! Tu ne te remets jamais en question ! Jamais ! Est-ce que je t’ai demandé de tout abandonner pour moi ? Est-ce que je t’ai demandé de sacrifier ta vie professionnelle ? Pas que je sache ! Tu as fait tes propres choix ! »

 Sa colère ne redescendait toujours pas et pourtant Jean se sentait de plus en plus léger. Il pouvait enfin dire ce qu’il pensait de cette femme qui l’avait humilié pendant toutes ses années.

« Maintenant, il est grand temps que je fasse les miens ! »

 Corinne, quant à elle, n’avait jamais vu une telle rage dans le regard de l’homme lui faisant face. Elle n’était pas habituée à ce genre de comportement. Elle ne trouvait rien à répondre. Du moins pour le moment.

« Je suis fatigué de toi et tes perpétuelles remontrances. Tu n’es jamais contente ! Et je ne te rends clairement pas heureuse. Mais tu sais quoi ? Je suis enfin tombé amoureux ! Pour la première fois de ma vie !»

 Les traits du visage de Corinne s’affaissèrent à cette révélation. Elle avait vieilli de dix ans en l'espace de quelques secondes.

« Ça t' en bouche un coin hein ? Et oui ! Je suis amoureux d’une femme qui passe son temps à rire à mes plaisanteries ! Et le plus beau c’est qu’elle m’aime en retour ! Alors que toi, je ne comprends pas ta façon de m’aimer. Si on peut appeler cela de l’amour… »

 Jean marqua une courte pause.

« Je t’ai donné tout ce que j’avais mais ça ne t’a jamais suffi. Il te fallait toujours plus. Encore plus. »

 Il était fier de lui. Pour une fois, c’était Corinne qui se taisait quand il parlait. Pour une fois, il lui avait cloué le bec. Il jubilait intérieurement de voir la moue renfrognée de cette femme tyran.

« J’ai besoin de prendre du recul. De briser mes chaînes. Même si vivre sans toi sera difficile dans les premiers temps. »

 Sans un mot de plus, il se dirigea vers la porte d’entrée et posa la main sur la poignée. Il la tira légèrement vers lui.

« Je passerai chercher mes affaires demain … Au revoir Maman… »

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