Chapitre 10 - L'exception

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Léo la regarda avec des yeux ronds, implorants. Dans d'autres circonstances, il aurait probablement été dubitatif, mais cet aveu étant sa dernière porte de sortie, il ne pouvait que s'y accrocher fermement. Alors il s'avança d'un pas incertain vers la damoiselle demandant plus d'informations. Sylas, lui, la regardait du coin de l'œil.

La pression du silence se faisant grande, la rouquine délivra son information.

— Bethie, suggéra t-elle. Bethie pourrait peut-être nous aider...

— Bethie WILDE ? L'aubergiste d'Equiviel ? Comment le peut-elle ?

— Hum...

Chloé semblait hésitante, embêtée. Elle ferma sa bouche gardant la tête baissée; elle n'était clairement pas décidée à parler ou bien à révéler quoi que ce soit sans la principale concernée. Étonnement, Léo n'en demanda pas plus, il céda sans broncher et d'une mine aussi inquiète que rassurée il essuya son front du revers de la main.

— Peu importe. Je peux bien garder ma curiosité de côté du moment que le problème est réglé. Chacun ses secrets après tout, d'autant plus que ce ne sont pas les tiens.

— Vous allez devoir nous attendre quelques jours, votre Altesse, informa Sylas. Equiviel n'est pas la porte à côté.

— Oui, bien évidemment. Faites, je ne suis plus à ça près. Si vraiment les choses s'aggravent je n'aurais qu'à dormir dans la serre, dit-il comme pour se décontracter lui même avec un léger sourire crispé.

— À part vous angoisser et vous fatiguer, l'Ombre ne pourra pas vous faire grand mal. Je vous déconseille juste fortement de faire d'autres rencontres politiques ou qui pourraient arranger l'ennemi.

— Il en va sans dire. Il n'y avait même pas à réfléchir.

*

La calèche et tout son attirail avaient été préparés avec hâte. Le prince les avait accompagnés jusqu'à cette dernière. Il les avait subtilement implorés avec toute son élégance et sa fierté, qui n'avaient presque plus lieu d'être, de revenir en présence de l'aubergiste par n'importe quel moyen. Si celle-ci refusait d'offrir son aide, son Altesse serait perdue et Sylas ne pourrait rien faire à part lui conseiller de peut-être renouveler toutes ses affaires qu'elles soient importantes ou non.

D'un sourire épuisé, il les salua dignement alors que la voiture se mit en route. Ni Sylas ni Chloé n'évoquèrent un pourquoi ou même le nom de Bethie. Cela ne l'empêchait pas de réfléchir pour autant. Ces exceptions magiques tel que les druides, elfes ou autres créatures, sont trop peu communes dans la vie courante; elles préfèrent se cacher entre elles comme les druidesses, les elfes, certaines races de fées ou bien encore une race de nymphes peu commodes.

La rouquine semblait stressée et peu enthousiaste de faire appel à l'aubergiste. Alors qu'elle regardait le paysage défiler derrière la petite fenêtre, elle se rongeait les ongles de la main. Le purificateur se posa alors bien plus de questions.

*

— Mais vous êtes déjà rentré, mes aïeux ! Comme quoi, ce Berkgolm n'était pas si difficile...

Bethie ne s'attendait pas à les voir de sitôt. Alors qu'elle servait ses clients, le balafré et la tachetée s'étaient accoudés au comptoir attendant leur tour; l'aubergiste les ayant vite remarqués leur avait adressé la parole avant même de finir de remplir une nouvelle pinte.

Cette fois-ci, elle portait un joli gros foulard rouge et blanc dans les cheveux qui eux étaient attachés en de longues couettes. Comme d'habitude, elle respirait la joie de vivre mais sans en faire trop. Il n'y avait pas à dire, la qualité de la boisson valait aussi le service.

— Je finis avec mon client et je viens à vous. Les êtres curieux et moi-même avons hâte d'entendre votre récit ! s'exclama t-elle tout sourire.

Mais voyant l'attitude de la petite qui semblait inconfortable avec la situation, Beth eut un doute. Une Chloé qui ne clame pas haut et fort qu'elle a tué une bête affreuse, qui dit à peine bonjour, la tête rentrée dans ses épaules et le regard timide vers le sol n'était absolument pas normal. Même malade elle se serait vantée.

La dame ne perdit pas son sourire pour autant bien que celui-ci se réduisit de moitié. Elle continua son service et pressa son pas vers les deux compères une fois fini. Doucement, elle rapprocha sa tête d'eux et parla à voix basse.

— Ce n'est pas exactement pour ça que vous êtes revenus, n'est-ce pas ?

— Non, avoua Sylas. Disons que nous avons besoin d'une chambre... exceptionnelle, pour cette fois, délivra-t-il en insistant délibérément sur le mot "exceptionnelle" censé la désigner.

Et cette insistance marcha à merveille. Elle perdit instantanément son sourire, pour de bon, et une mine sérieuse vint recouvrir son visage. Ses sourcils étaient aussi légèrement froncés que ses lèvres pincées. Elle se baissa un peu plus à leur niveau en regardant du coin de l'œil les oreilles voisines.

— Bien évidemment. Ma meilleure chambre est justement libre, suivez moi je vous prie.

Silencieusement, ils l'accompagnèrent jusqu'à une petite chambre de l'auberge ressemblant en tout point avec celle dans laquelle Sylas avait pu dormir. Bethie ferma la porte à clef et s'assura que les fenêtres étaient fermées. Puis elle se retourna vers les deux aventuriers et croisa les bras sur sa poitrine, haussant un sourcil inquiet et quelque peu fâché.

— Je vous écoute, lança t-elle. J'imagine que ce n'était pas un Berkgolm, ai-je tort ?

— Encore une fois, vous tapez dans le mille. Non ce n'en était pas un. Et cette autre créature peut s'avérer bien plus mortelle qu'on ne l'imagine utilisée comme elle l'est.

— Ca ne me dit toujours pas de quoi vous parlez.

— C'est une Ombréssaress. Une Ombre plus vulgairement. Il y a fort à parier qu'elle ne soit pas simplement l'œuvre de druidesses, races elfiques, fées ou autres nymphes dans le style à moins qu'elles ne se soient alliées avec une entité démoniaque.

— Mh, acquiesça-t-elle. Je doute que les druides, étant pacifiques, voudraient se lier à quoi que ce soit. Les elfes eux, sont soit morts, soit cachés au fin fond des plus grandes forêts enchantées et ne veulent plus avoir affaire à la société humaine. Quant aux fées et aux nymphes... À moins que le Prince ne se soit attiré leurs foudres, cela me semble peu probable en effet. Mais une entité démoniaque ? Autant parler d'Asmodée.

— Asmodée ? s'étonna-t-il. Vous venez de l'Ouest ?

— Sylas, d'où je viens n'a pas d'importance dans le contexte actuel, rétorqua-t-elle très vite. L'Alrune, Cali, Asmodée ou peu importe comment tu préfères l'appeler, serait sur le dos de Léo Théodore BALMUND ?

— Oui, et sa merde prend en puissance. Ca fait peut-être une semaine où même deux mois qu'elle le suit partout où qu'il aille dans sa demeure. La nuit elle l'empêche de dormir, serpente à ses oreilles, et le jour elle écoute et lit.

— Peu rassurant... avoua-t-elle.

— Léo a dit qu'une troupe de soldats allait se faire massacrer avec un village entier si tout est remonté jusqu'aux oreilles de Cali, parla finalement Chloé. Et qu'il ne pouvait plus empêcher ça, que ce serait trop tard.

— Je vois où est le problème et où est la demande, soupira Bethie d'un ton peu joyeux et même plus proche de l'irritation. Mais je ne ferai rien, je ne suis qu'une aubergiste. Je suis désolée.

— Mais réfléchis un peu plus ! Si Léo est exposé de la sorte, peut-être que tous les autres Royaume aussi ! s'exclama-t-elle. Déjà que nous sommes désavantagés dans la bataille mais si en plus elle peut déjouer tout le monde, c'est laisser la terre mourir en connaissance de cause. T'as moins de chances d'y passer en nous aidant qu'en laissant les choses couler. Et puis... pense à Anika, tenta-t-elle un peu plus de la convaincre. Elle se démène déjà assez comme ça entre la politique, ses conneries d'histoires de princesse et de prophétie, grommela-t-elle un peu plus.

— C'est de la manipulation, ça, jeune fille, rouspéta la femme.

— Qu'est-ce qu'elle va ressentir quand elle apprendra que tous ses efforts ont été réduits à néant parce que l'un des nôtres à choisi de ne pas aider pour sauver sa peau ? Hein ? s'énerva-t-elle un peu plus, angoissant d'un nouveau refus.

— Je n'ai jamais accepté la proposition, et au lieu de me juger comme tu le fais elle a accepté et compris ma position, se défendit-elle calmement malgré cette pointe de colère qui ne la quittait pas.

— Je sais bien que ta position est délicate... soupira-t-elle exaspérée. Et je sais aussi que c'est pas facile pour toi de quitter ton job plus d'une journée avant que tu ne le mettes sur le tapis et blablabla. Mais dis toi que... enfin.. Tout va recommencer quoi. Mais en pire. Je veux dire... mondialement. 'Fin tu comprends ? bégaya-t-elle en regardant Sylas du coin de l'œil, gênée dans ses explications.

Bethie l'épia longuement sans rien dire en gardant ses bras bien serrés contre elle. Puis elle posa une main sur sa hanche et se servit de l'autre pour pincer l'arête de son nez et soupirer bruyamment, longuement.

— Bien... Je dois des jours de repos à mes employés et j'ai des courses à faire à Slemorean de toute façon. Mais je ne garantis rien à part le fait d'essayer. Et je suis dans le droit de ne donner aucune information à mon sujet.

— Aucun problème, acquiesça le purificateur. Merci de nous offrir ton aide.

— Vous ne m'avez pas vraiment laissé le choix, il faut dire... soupira-t-elle. Nous partirons au milieu de la nuit. Je ne peux pas me permettre de fermer les lieux aussi facilement en pleine journée, et ce, même si le Prince attend.

*

Ainsi, ils s'en allèrent, comme promis par Bethie. Celle-ci se faisait néanmoins attendre. Elle leur avait demandé de l'attendre dehors ou dans la calèche, ce qu'ils avaient fait mais voilà bien une bonne dizaine de minutes que l'aubergiste restait à l'intérieur.

Quand soudain, une douce lumière blanche émana de dessous la porte, passant doucement au bleu avant de s'estomper jusqu'à disparaitre. Et ce n'est qu'après une petite minute que la tant attendue sauveuse sortit de son antre pour les rejoindre.

*

Le trajet avait été silencieux. Les deux femmes ayant dormi toute la nuit jusqu'au petit matin, Sylas n'avait pu grande conversation à recevoir. Alors il avait pensé, longuement pensé à ce qu'il avait vu plus tôt avant de somnoler et de lui aussi se laisser gagner par le sommeil.

La journée fut longue et peu dynamique. Pour ne pas perdre de temps, ils n'avaient fait aucune pause et étaient restés assis tout le long. Le professionnel avait raconté sa première rencontre avec un Melorcks ainsi que les créatures communes de la région. Il avait pu aussi expliquer son combat, et très demandé par Chloé, avec entrain, contre les goules qu'il avait abattues au cimetière. Les petites histoires qu'ils s'étaient contés entre eux leur permis de passer le temps jusqu'à la nuit. Entre les récits de barres et les potins du village, l'école de purificateur ou les petites aventures de Miss la rouquine : il y avait de bonnes anecdotes pour ce genre de voyages.

Et les voilà arrivés à destination.

Ils furent accueillis par plusieurs gardes royaux qui se tenaient plus ou moins droits, certains dormant à moitié debout.

— Nous vous attendions Sir LOCBARD, Lady LAROUSSE et Madame. Son Altesse le Prince vous attend dans ses appartements. Il ne se sentait pas bien alors il ne vous a pas attendu et nous a chargé de vous transmettre ses plus sincères excuses, leur annonça-t-il.

Chloé tira une affreuse grimace. Certes elle n'avait pas de nom, mais devait-elle subir encore aujourd'hui ses mots d'enfant ou elle avait autrefois voulu être appelée ainsi ? Et puis elle était fatiguée, et grincheuse, et ennuyée, et stressée et beaucoup de choses en somme.

— Et vous êtes resté là, comme ça, à nous attendre, comme des arbres morts au milieu du chemin, not' retour ? questionna-t-elle exaspérée.

Mais voyant que ceux-ci ne répondaient pas et que les deux adultes avançaient le pas, elle suivit à son tour et râla une dernière fois.

— Non mais ils sont totalement fous ces soldats !

*

Accompagnés jusqu'à la chambre par un des gardes, ils découvrirent un Léo endormi, cauchemardant et gémissant. Surprise par l'atmosphère pesante de la pièce, Bethie fut prise de violentes secousses et de relents qu'elle contint tant bien que mal avec dignité et force.

Tous trois prirent le temps de s'approprier à nouveau les lieux; en tout cas, c'était le cas du professionnel et de la nouvelle équipière car Chloé se sentait seulement mal à l'aise et ne ressentait rien d'aussi oppressant comparé aux autres. Un long soupir pour lancer la conversation brisa le silence.

— Le temps de préparer le rituel, il sera l'heure de Tenebrae, expliqua-t-elle. Je préfèrerais que vous me laissiez faire cette partie du travail, intima-t-elle en commençant à sortir quelques éléments de son sac en peau de bête.

— C'était donc pour ça le temps infâme que tu as pris avant de nous rejoindre ? la questionna-t-il, en haussant un sourcil accusateur.

— Bien évidemment. Et pour quoi d'autre sinon ?

— Mh.

Sylas n'en fit rien et ne dévoila rien. Il invita l'adolescente à rejoindre le chevet du beau au bois dormant en silence; elle s'exécuta et l'aubergiste enchaina.

La femme pulpeuse sortit tout d'abord 5 bougies qu'elle aligna en une rangée parallèle au mur. Elles étaient assez espacées pour être indépendantes mais pas assez pour qu'un animal plus gros qu'un oiseau puisse s'y faufiler. Elle prit un premier cierge et l'approcha près de son visage, elle y murmura silencieusement quelque chose puis mit fin au processus en soufflant doucement sur la mèche. Elle fit de même pour chacun d'entre eux. Ensuite, elle sortit quatre autres bougies dont elle en aligna trois à la suite et avec la dernière, elle forma la pointe du triangle. La forme finie, elle se positionna entre elles et le mur. Face aux calbombes, elle inspira profondément et expira de tout ses poumons sans lâcher du regard celles-ci.

Avec beauté, elles s'allumèrent comme une seule et même entité qui flamboyait comme mille sur seulement une parcelle du mur froid, comme une lueur angélique et rassurante.

— C'est l'heure ? demanda Chloé totalement subjuguée par une magie si simple et qui pourtant nécessitait autant de préparation et de patience.

Les yeux des deux spectateurs pétillèrent comme la lueur de ces bougies.

— Oui, acquiesça-t-elle avec sérieux et détermination. Nous pouvons commencer.

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