Chapitre 1 - Routine, cours d'anglais, découverte

6 minutes de lecture

6H00. Le téléphone vibre. Une musique : I love my life. Ironique. Je grogne et l’éteins. J'aurais préféré rester au lit. Mais ma vie de lycéenne m'appelle. J'allume la lampe sur la table de chevet. La lumière m'éblouit quelques secondes. Je prends mon téléphone et m'informe des dernières nouvelles sur Facebook pendant cinq minutes. Rien de bien passionnant. Quelques mêmes par-ci, par-là. Le délai étant écoulé, je me lève difficilement de mon clic-clac. Je pioche un peu au hasard des fringues dans mon armoire. Je me fiche complètement de mon apparence.

Une fois sous la douche, je rêve. Me fais des scénarios improbables sur ma future journée. Rencontre imprévue avec mon âme-sœur ? Un garçon ; une fille ? Dispute avec un ou une ami(e) ? Bonne surprise ? Mauvaise surprise ? La vie est tellement imprévisible.

Je passe ainsi plus d'un quart d'heure à rêvasser sous l'eau bouillante. Ma mère va encore se fâcher. Je m'en fiche.

Se brosser les dents. S'habiller. Se coiffer. Se maquiller. Saluer rapidement sa mère. Attendre le bus et les copains jusqu'à 7H20. Arrivée à 7H45 au lycée. 7H50, début des cours. Journée entière. 8H00 - 18H00. La totale. Cinq fois par semaine, mercredi compris. Voilà ma définition de routine.

16H55, dernière heure de cours. De l'anglais avec un professeur génial. Je l'adore. Assez charmant aussi.

Je rentre lentement dans la salle. A la hauteur du prof, je ralentis encore plus le pas. "Good afternoon !". Voix grave, sensuelle, envoûtante. Elle résonne dans mon esprit. Je réponds timidement à cette formule de politesse puis vais m'asseoir. Dernier rang, seule, côté fenêtre, contre le radiateur.

J'ai toujours détesté l'anglais. Du moins jusqu'à l'année dernière. Cela je le dois à ce prof là. Il a réussit à me faire changer d'avis sur cette matière. Non, pas matière - c'est trop scolaire ! Cette langue. Elle est envoûtante, sensuelle, intrigante. Un peu comme celui qui nous l'enseigne.

Ce soir, c'est atelier théâtre. Nous faisons toujours des cours sortant un peu de l'ordinaire à ce créneau-ci. C'est la fin de la journée, alors tout le monde est un peu fatigué. Moi comprise. Alors quoi de mieux qu'une heure de cours sympathique ? Je ne suis pas du tout contre. J'approuve ce genre de méthode. Si seulement tous les professeurs pouvaient penser ainsi...

Le prof, joyeux comme à son habitude, distribue nos textes. Il passe dans les rangs pour nous les donner. Ce que je trouve marrant, c'est qu'il s'amuse à surnommer ses élèves. En anglais bien sûr. Certains ont eut droit à : "Grumpy" ; "Sleepy" ; "Talker". Tandis que d'autres sont plus chanceux : "Beauty" ; "Cute" ; "Pretty". Puis vient mon tour. Je souris. Je sais déjà quel surnom il va me donner. Puisque je ne parle pratiquement jamais - pour ne pas dire pas du tout - ce sera "Bashful". C'est tout simplement affreux. Avec "Grumpy" et "Sleepy", on composera bientôt la nouvelle bande des sept nains de Blanche-Neige.

L'adulte pose le texte sur ma table tout en me disant :

« And here for the last. Princess. »

Je rougis en entendant ce surnom. "Princess", sérieux ? Personne ne m'avait jamais surnommée ainsi mis à part les gars un peu trop relous à mon goût du bahut ! La manière dont il a appuyé sur le dernier mot ne me laisse pas de marbre non plus. Pour en rajouter encore plus, mon prof me fait un clin d’œil.

Me sentant devenir extrêmement rouge, je détourne la tête vers la fenêtre. Une fois calmée, je me plonge dans la pièce de théâtre. Histoire basique. Une princesse en danger, son prince charmant vient la sauver, ils vivent heureux jusqu'à la fin des temps. Ridicule. On ne vit pas heureux pour toujours. Jamais. La vie est loin d'être aussi facile. Elle ne ressemblera jamais à un conte de fée. C'est impossible. Point final.

Au bout d'un certain temps, le prof nous demande qui veut "jouer" la première scène. Je regarde mes camarades dans la classe. Personne n'ose se désister. Je dois avouer que je les comprends. C'est assez humiliant comme situation. Lire un texte, en anglais qui plus est, tout ça, tout ça, faut oser. Embarrassé, l'adulte soupire tout en se passant une main dans les cheveux.

« On va interroger une personne qui ne parle jamais alors... »

Je palis. Je me sens en danger.

Il regarde les élèves tour à tour, se demandant certainement qui allait être sa petite victime du soir. Son magnifique regard cristallin se pose alors sur moi. Non ! Pitié non ! Ce passage en particulier est gênant ! Suivant la personne que sera choisie, je risque d'être charriée toute l'année avec ça...

« Cordelia tient ! »

Je veux mourir. Pitié, choisissez le garçon le plus potable de la classe pour que ce moment humiliant passe beaucoup plus vite !

« Quelqu'un pour lire avec Cordelia ? »

Aucune réponse. Je panique.

« Vous êtes crevés hein ? Bon, eh bien Cordelia, ça sera entre toi et moi alors. »

Pardon ? Est-ce qu'il y aurait un bouton "STOP" pour arrêter le temps et faire en sorte que je puisse m'enfuir en courant ? Non ? Mais qu'est-ce qu'il a avec moi ce soir ?

Ravalant ma salive, je baisse les yeux vers mon texte. Si je devais donner la traduction du passage, cela donnerait ça :

« Rose ! Rose, je vous en prie, rejoignez-moi !

(Rose sort du château)

‑ Oh ! Edward ! Je mourrais d'envie de vous revoir !

(Rose se jette dans les bras d'Edward)

‑ Oh Rose, la prunelle de mes yeux, ma rose sauvage, ma raison de vivre ! Pourquoi la vie doit-elle être aussi cruelle ? Pourquoi votre père, Ô grand et bon souverain de ce royaume n'accepte-t-il pas notre amour ?

‑ Mon cher et tendre Edward ! Je dois vous avouer que même pour moi, sa propre fille, ses choix et ses pensées restent un mystère ! Si seulement, Ô combien seulement ! (Rose se redresse) Quelqu'un approche ! Vous devriez vous en aller. Je n'ose imaginer le drame que cela causerait s'il s'agit ici d'un laquai de mon père et qu'il vous découvrait ! Partez. Partez vite, Ô élu de mon cœur !

(Edward embrasse la main de Rose)

‑ Quand vous reverrais-je ?

‑ J'enverrai une domestique à votre recherche. Allez ! Ne risquez pas plus longtemps votre liberté en ce lieu !

(Edward quitte la scène) »

Le passage se termine ici. Je n'aime pas ce genre d'histoire d'amour. C'est tellement niais. Mais étrangement, lorsque je lisais les répliques de Rose, j'ai eut l'impression de devenir le personnage. Le surnom reçu un peu plus tôt devait y être pour quelque chose également. "Princess" hein... J'aime beaucoup finalement.

La sonnerie indiquant la fin des cours se fait entendre. Alors que tout le monde range ses affaires à la hâte, moi, je prends un petit peu plus mon temps. J'aime être dans cette salle. Pas besoin de se presser. C'est pas comme si je me réjouissais de rentrer chez moi. Bien au contraire.

Alors que je déposais mon sac sur mon épaule, je remarque qu'un élève est resté pour discuter avec notre professeur d'anglais. Étant d'un naturel très curieux, je me surprends à écouter ce qu'ils se disent. L'élève sort alors de son sac un livre et s'exclame :

« J'ai vraiment adoré ! »

L'adulte sourit et ajoute :

« J'ai d'autres exemplaires à la maison. Si tu comptes m'en acheter un, un jour... »

L'adolescent hausse les épaules puis dit au revoir au prof. Je remarque alors qu'il ne reste plus que lui et moi. Moment gênant. Je passe alors devant son bureau et regarde le fameux livre. J'écarquille les yeux face à la surprise. C'est son livre ?! Je reste plusieurs secondes à la contempler. Comme n'avais-je pas fait pour remarquer que mon prof préféré était écrivain ?

« Cordelia ? Tu as quelque chose à me demander ? »

Sa voix grave et envoûtante me sort de mes pensées. Je lève alors les yeux vers lui. Ses iris bleus me fixent intensément. Il me sourit. Moi aussi.

« Ah, euh, oui... »

Je désigne le livre.

« C'est vraiment vous qui l'avez écrit ? »

Non mais quelle question stupide ! Si c'est son nom qui est écrit, c'est que c'est forcément lui qui l'a écrit ! Qu'est-ce que je peux être conne parfois…

« Et oui ! Tu veux le lire ? »

Battements de cœur accélérés. Un écrit, il n'y a rien de plus personnel. Ce sont les pensées, les fantasmes, les questions les plus intimes. C'est comme si on lisait, sondait, l'esprit de l'auteur. Suis-je réellement capable de découvrir sa vie privée ? Certes, j'apprécie énormément ce prof et j'adore lire également. Mais…

« Avec joie. »

Je ne réfléchis pas toujours avant de parler.

Le livre m'attend sagement sur le bureau. Un peu hésitante au début, je le prend en tremblant légèrement. Pourquoi ? Moi-même je ne saurais l'expliquer. Je regarde la couverture. Son prénom et nom. « Mathis Dôrin ». Le nom de l'auteur est déjà personnel. Le titre : « Rester enfant ». Encore quelque chose d'intime. Cela renvoie peut-être à son rêve, son idéal ? Je lirai le résumer plus tard.

Je range le bouquin dans mon sac.

« Au revoir ! » Dis-je en sortant.

Je m'éloigne, le cœur battant la chamade. J'ai hâte de rentrer chez moi.

Annotations

Vous aimez lire Blanche Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0