Le Day Club

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Un air mélodieux réveilla la jeune femme. Le chant familier s’insinua en elle en une réminiscence lointaine.I want to spend my life time loving you.[1]Son premier mariage, deux années avant de devenir veuve. Un regrettable accident de chasse. Cette musique résonnait durant l’enterrement dans la même église qui les avait vu s’unir pour le meilleur et pour le pire.

Linda ouvrit les yeux d’un seul coup. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas évoqué le souvenir de Lewis. Dans la chambre, aucun bruit n’était perceptible. Confuse, elle lâcha un soupir et se redressa. Debout, devant le miroir sur pied, son reflet jugeait son apparence d’un œil sévère ; Linda n’imaginait pas garder une seconde de plus les habits qu’elle portait la veille. Avec un peu de chance, l’armoire révèlerait quelques surprises. Et quelles surprises ! Des robes et des tailleurs de créateurs ainsi qu’une rangée d’escarpins. Incroyable, comment connaissaient-ils ses goûts ? Une fois sa nouvelle tenue enfilée, la jeune femme saisit le petit carton de bienvenue sur la table.

— Que mes désirs se réalisent, hein ? Voyons, que pourrais-je souhaiter ?

Linda se visualisa sous une pergola en bord de plage, sirotant un mojito. Un courant d’air l’enveloppa. Des embruns marins saturèrent l’atmosphère. Elle n’en croyait pas ses yeux. Assise au comptoir d’un bar en plein-air, son cocktail favori à la main, elle contempla l’océan à perte de vue. Exactement comme dans sa vision.

Elle passa donc des heures, peut-être des jours, à user de ce pouvoir exceptionnel jusqu’à réaliser tous les vœux de sa liste. Puis, comme à son habitude, Linda finit par se lasser d’obtenir tout ce qu’elle désirait avec autant de facilité. Où se trouvait la fierté là-dedans ? De plus, une fatigue croissante engourdissait ses membres. Le simple fait de penser requérait un effort conséquent. C’est ainsi qu’elle décida de retourner au Somnore Palace, à moins qu’elle ne l’ait jamais vraiment quitté. Elle ignorait tout du fonctionnement de cet endroit hors norme.


Dans le hall de l’hôtel, la réceptionniste, outrageusement sensuelle, dardait sur elle des yeux d’un vert pur ourlé de longs cils noirs – n’avait-elle donc aucun défaut ? – et vint à sa rencontre.

— Miss Summers, comment se passe votre séjour parmi nous ?

— Très bien, marmonna Linda, peu encline à discuter. Connaissez-vous un certain Phil ?

Son interlocutrice laissa entrevoir sa dentition parfaite.

— Bien sûr. Un de nos meilleurs clients. Vous le trouverez probablement dans le day club de la ville. En sortant, première rue à droite.

Linda sourcilla. Un day club ?

— Vous ignorez encore certaines de nos lois, lui expliqua l’hôtesse, mais tous les clients doivent respecter l’heure du couvre-feu. Par conséquent, les établissements d’ordinaire nocturnes n’ouvrent que la journée à Somnore.

— Mais…

Une sonnerie retentit sous le comptoir.

— Excusez-moi, Miss Summers. Le devoir m’appelle.

Et la jeune femme délaissa Linda, la tête emplie d’interrogations.

La devanture du club ne laissait rien paraître de ce qu’il abritait entre ses murs. Pourtant, une fois à l’intérieur, Linda se retrouva transportée dans une salle digne des meilleures boîtes de nuit. Sous les feux des projecteurs, cadencés par une musique entêtante, d’innombrables couples se provoquaient à coup de danses lascives dans une ambiance joyeuse où tous les excès étaient permis. Le verre d’alcool qu’on servit à la Linda dès son arrivée ne se désemplissait jamais. Ivre, elle oublia la raison de sa venue dans ces lieux et rejoignit la foule endiablée sans penser aux conséquences. Ici, il n’y en avait aucune, si ? À moitié nue sur l’estrade, elle se déhanchait entre deux individus quand elle remarqua soudain certains visages exaltés se déformer. Couverts de poils ou décharnés, d’une couleur improbable ou bien inhumains. Une laideur sans nom. Terrifiante ! Elle essaya de se concentrer sur ce phénomène, mais le monde tanguait autour d’elle. Des mains se posèrent sans vergogne sur sa poitrine, on lui chuchotait des mots salaces. Une claque sur les fesses. Elle étouffait au milieu de ces corps dépravés. Des monstres surgissaient de partout, prêts à l’emporter. C’est ainsi qu’une réminiscence surgit des tréfonds de sa mémoire fractionnée : la bête de ses cauchemars d’enfance se matérialisa à quelques pas d’elle. Elle l’attendait, incandescente. Les cris des danseurs se confondirent avec le sien.

Une main agrippa son bras et la tira à l’extérieur. Linda inspira l’air frais à plusieurs reprises. Ses vertiges s’estompèrent et les frissons sur sa peau la ramenèrent immédiatement dans le présent. Honteuse, elle ramena ses bras sur ses seins dénudés. Son sauveteur la couvrit avec sa veste.

— Phil ! Mon dieu… quelle horreur ! Vous avez vu ça ?

— De quoi parlez-vous, ma chère ?

— Mais… des monstres et… lui.

Elle se tut, grelottante. Ce qu’elle racontait n’avait aucun sens. L’abus d’alcool altérait sans aucun doute les faits. Un rire nerveux fusa entre ses lèvres glacées.

— Venez, je vous ramène à votre chambre, miss… ? dit Phil, serviable.

— Linda, souffla-t-elle.


[1]Chanson de Tina Arena et Marc Anthony pour le film Lemasque de Zorro.

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