Sandra aime les pendules. Depuis toute petite, leur mécanisme la fascine. Cela lui vient de son grand-père, horloger comme son père avant lui. C'est lui, Papi Fermont, qui lui a appris les ficelles du métier. Tous les jours, il lui montrait comment réparer et fabriquer ce qu'il surnommait des « trésors » dans son atelier.

Il suffit à Sandra d'y penser pour que les odeurs familières chatouillent ses narines. Enfant, les parfums capiteux de l'ammoniaque et du salicylate de méthyle lui donnaient mal à la tête. À trente ans, ils lui rappellent de doux souvenirs. Comme l'eau de Cologne de son grand-père. De lui, il ne lui reste qu'une vieille bouteille entamée, l'atelier et une horloge familiale cassée.

Sandra observe cette dernière en ce moment.

Papi Fermont lui a raconté son histoire une fois : la veille de son décés. Comme s'il avait pressenti qu'il ne se réveillerait pas le lendemain. D'une voix chevrotante, il lui avait partagé les aventures de cette horloge. Ses beaux-parents l'avaient offerte à son épouse et lui pour leur mariage.

Mamie Janine l'adorait. Elle en prenait grand soin. Dès que le mécanisme semblait faiblir ou qu'elle n'émettait plus son tic tac comme de coûtume, Mamie Janine pestait Papi Fermont de s'en occuper. Ce dernier s'exécutait non s'en râler, même si le comportement de sa douce le faisait sourire en secret. Même lorsque Mamie Janine a été hospitalisée, Papi Fermont veillait à cette vieille horloge qui ne payait pas de mine. Pourtant, elle valait pour ce couple sexagénaire tout l'or du monde.

Elle s'est arrêtée d'égrener le temps à minuit pile, dans une nuit chaude d'août.

Papi Fermont venait de perdre son épouse, son amie, sa confidente. Et, plus jamais il n'a touché à ce cadeau de mariage, symbole de leur amour. Maintenant, Sandra se trouve face à celui-ci, dans l'atelier de son grand-père. Elle hésite, effleure le cadran de verre froid.

Un sourire soulève la commissure de ses lèvres. Le premier depuis l'enterrement de Papi Fermont. Sandra secoue ses mains, tente d'en faire partir les tremblements qui les agitent. Les yeux plissés, elle se penche sur le trésor de ses grands-parents et ses outils.

Tic tac.

L'horloge cassée reprend vie, chantant la musique du temps et cet amour réunit dans l'au-delà.