D'un côté du miroir

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Tu es là, belle Rose. Tu avances, et tes pas craquent sur les feuilles mortes. Tu sursautes quand une souris terrifiée se faufile entre tes pieds. Ou bien était-ce une araignée ? Tu continues. Tu piétines malgré toi les restes de l'été, les restes de la vie presque immobiles. Il faut bien avancer. Tu regardes autour de toi avec crainte. Sur une souche, un papillon de nuit dévoile doucement les dessins noirs de ses ailes duveteuses. Le ciel est gris. Le sol est rouge. Quelques cailloux ont la blancheur des ossements.

Tu as peur.

Tu sens avec effroi qu'il te suit encore. Il t'a déjà attrapé. Son sourire carnassier plane encore dans l'air froid, entre les branches décharnées. Il avait été si dur, si rude, si près de toi. Les petits cheveux de ta nuque se dressent. Il avait pourtant l'air si gentil... Tu secoues la tête. Tu ne veux pas te souvenir.

Tes collants sont sans doute filés, ta seule bottine, crottée. Ton chignon de feu, autrefois si bien arrangé, est désormais tout emmêlé. Tu ne devrais plus être très loin désormais. Mais tu es perdue, pauvre petite. Dans les bois, seule, dans le vide. Pas un oiseau ne chante dans cette forêt sans fin. Mais dans le silence, te guette le loup, tu le sais. Comment retourner au cimetière ? Comment retourner auprès de ta mère qui t'attend encore là-bas et doit s'inquiéter ? Mais tu ne retrouves pas le chemin. Fallait-il continuer après le gros rocher ? Ou tourner à gauche de l'arbre pétrifié ?

Soudain, elle surgit comme un spectre d’entre les arbres. Ses cheveux brillent dans la lumière blafarde de la fin du jour. Sa robe blanche frôle les feuilles mortes. Elle est mince comme un frêne et a la souplesse du renard. Ton cœur et tes pas se sont arrêtés. Mais vite, il faut la rejoindre ! Elle pourra sans doute t'aider. Tu voudrais encore courir, mais tes jambes sont lourdes. Voilà déjà des heures que tu erres. Tantôt courant comme une damnée, tantôt te traînant comme un poids mort, épuisée. Les ronces et le lierre griffent tes jambes et tes bras blancs.

Tu tombes.

Il faut te ressaisir, il faut te dépêcher, car elle disparaît déjà entre les bois — et la lumière avec elle.

Tu voudrais crier, mais ne parvient qu’à pousser un glapissement plaintif. Elle ne s'est pas arrêtée. Alors, tu rampes. Tes mains blanches s'agrippent aux racines noires et noueuses. Tu ne la laisseras pas s'en aller. Ça y est, tu es à genoux, tu es debout. Tu cours. Tu cours sans plus sentir les orties qui te brûlent, les enchevêtrements d'épines qui essaient de te retenir. Le halo doré s'éteint doucement entre les ombres des arbres. La chevelure flamboyante menace de disparaître. Tes muscles se tendent, tu cours de toutes tes forces ! Tu tends la main, tu touches presque les mèches couleurs de flammes, couleur de vie. Tu frôles le feu follets de sa chevelure.



Et puis, tu chutes. Elle n'est plus là. La forêt non plus. Tout est noir, tu te noies. L'eau t'a prise au piège. Tes jambes et tes bras s'agitent follement, te poussent vers le vif-argent de la surface. Ton visage s'auréole de petites bulles, qui dansent autour de toi. Il est là. Trop tard ! Il t'a rattrapée finalement. Couleur de deuil, le velours de son ombre t’engloutit. Ta course éperdue n'aura servi à rien. Le souffle te manque, alors même que ses longues mains monstrueuses se rapprochent. Ses doigts d'acier se referment autour de ton cou délicat. Ton corps s'agite, désespérément. La partie est finie.

Et puis, plus rien.



Tes paupières s’ouvrent brusquement. Tu es toujours dans l'eau. Tu fais une drôle de sirène, avec les lambeaux diaphanes de ta robe et tes mèches de cheveux qui flottent comme des rubans.  Il n'est plus là. Il n'y a plus que toi et l'onde sombre. Au-dessus, la lumière. Un mouvement. Une main de porcelaine joue à la surface et trouble l'eau. Tu sors de ta torpeur. Les rouages de ton corps se remettent en marche. Un frisson court du sommet de ton crâne à la plante de tes pieds. Tu veux la rejoindre, plus que tout au monde. Tu bats des bras et des jambes, d'abord maladroitement, puis aussi vite que tu le peux. Tu y es presque ! Tu ouvres la bouche, t'apprêtant à tout moment à goûter la goulée d'air salvatrice.

Tu es là, belle Rose. Tu avances, et tes pas craquent sur les feuilles mortes. Tu es de retour dans ta cellule de verdure. Tes cheveux sont devenus un peu plus ternes.

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