11 - Perdre le nord

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 "Putain" fit la lourde voix de Boris. Ce fut le dernier mot à atteindre mes tympans, avant que d'un coup sur l'arrière de mon crâne, l'un des associés du maître des lieux, ne me fasse tourner la tête.

Je ne devais pas avoir passé beaucoup de temps évanoui, car, quand je pris la peine d'entrouvrir les yeux pour me rendre compte de ma situation —fort inconfortable soit dit en passant— le soleil était toujours bas dans le ciel et l'air était encore frais.

J'étais enfoui sous un tas de gravats, de planches et de tôles qui limitaient fortement mes vélléités de mouvement et seule ma tête pointait à l'air libre. L'aéronef était apparemment en miettes et de ce que je pouvais en voir, Boris et ses associés n'étaient plus dans la pièce où j'avais perdu connaissance. À vrai dire, je n'avais aucun moyen de savoir où ils étaient, mon mal de tête ne m'aidait d'ailleurs pas à réfléchir.

À mes oreilles parvint alors, comme en bruit fond, ce qui avait dû me réveiller : des voix. Elles venaient de ce qui avait été l'avant de l'aéronef et appartenaient —à en juger l'accent— à des Austrasiens. Il me fallut une longue minute pour que mon esprit soit assez éveillé pour comprendre ce que ces hommes disaient.

— Bon, on les sort d'ici ?

— Ouais, on va les extraire, et puis direct' au poste militaire, 'sûr que l'lieutenant a vachement envie de savoir pourquoi un aéronef neustrien vient s'écraser dans nos champs en période de guerre, s'exclama en riant celui qui semblait être le chef.

— Et les restes de l'appareil, on en fait quoi caporal ? Demanda une troisième voix.

— On les laisse là, Théo. On y enverra une tractopelle pour tout ramasser. Bon, vous en avez compté combien ?

— On en a douze, dont certains blessés, l'équipage semble au complet, mais je me demande quand même pourquoi ils ont emmené ce sauvage.

Ses paroles furent immédiatement suivies d'un coup sourd, lui-même suivi d'un cri de douleur étouffé, c'était bien la voix du chaman.

— Probablement pour exorciser nos tours de gardes, avança, moqueur, celui qui devait s'appeler Théobald. Tous éclatèrent de rire et moi-même, je dus à grand peine me retenir de pouffer.

Visiblement, ils ne m'avaient pas trouvé, j'étais bien enterré dans les gravats et il faut dire qu'ils n'avaient pas l'air très efficaces, de plus, ils allaient enfermer Boris et sa bande pour espionnage, deux bonnes nouvelles. Mais aussitôt, je relativisai : j'étais blessé, bloqué dans un aéronef en rase campagne austrasienne, avec un Général, probablement ancienne connaissance, à retrouver dans les plus brefs délais. Pour pimenter le tout, je n'avais pas la moindre idée de l'étendue du réseau de Boris et de son influence dans les hautes sphères politiques austrasiennes. Ma situation n'était peut-être pas, tout compte fait, idéale. Plongé comme je l'étais dans mes réflexions, je ne remarquai même pas que les militaires s'en allaient, ce qui me fut indiqué par le doux ronronnement du moteur magnétique de leur véhicule.

Aussitôt le silence revenu, je concentrai mes efforts à extraire mes jambes du carcan de débris qui les maintenaient prisonnières, et figurez vous que c'était moins évident qu'il n'y paraissait.

Mais alors que je semblais bien parti sur la voie de la libération, je ressentis comme un petite douleur dans le haut de la nuque, et constatai rapidement que j'étais blessé — quoi de plus normal, me diriez-vous, quand on se fait assommer deux fois en moins de deux jours, surtout à mon âge, bien que je ne sois pas encore un vieillard.

Bref, une fois extrait de mon trou de débris, ce qui avait duré une bonne quinzaine de minutes, je m'empressai de me remettre debout. Il fallait que je m'encours d'ici au plus vite avant que la tractopelle n'arrive chercher l'aéronef.

Mais avant de partir, une chose, mon chapeau, enfin, le morceau de tôle qui s'y substituait le temps que je retrouve Marion.

Il était à l'arrière, trônant sur une commode dans une petite salle en ruine, comme tout l'aéronef d'ailleurs, et qui semblait être le salon privé de Boris. Mais à peine le pas de la porte franchi, je me figeai, non pas à cause du chapeau, non, mais à cause d'un bruit, un bruit de lourdes chenilles broyant le sol.

Un rapide coup d'œil à la fenêtre confirma mes craintes : la tractopelle était là, véritable monstre de métal qui roulait vers les restes de l'engin de sa démarche lente. Elle était arrivée plus tôt que ce que je ne pensais. Saisi d'un soudain élan de raison, je sortis de ma torpeur et, oubliant mon chapeau, je courus avec précipitation hors du vaisseau écrasé pour me perdre au travers des champs. Une fois hors d'atteinte, je m'assis au milieu des blés pour réfléchir et pour reposer mes poumons que je n'avais plus sollicités aussi rudement depuis un certain temps.

Il était indéniable que j'étais perdu, l'Austrasie profonde était connue pour ses champs à perte de vue et son manque de relief. La situation sur le moment me parut presque ironique : quel comble pour un trouveur aguerri que de ne pas trouver son propre chemin !

À cet instant, me vint une idée qui vous paraîtra évidente, sans doute, mais qui sur le moment m'apparut comme un éclair de génie. Je possédais une boussole, je savais où se trouve globalement la Neustrie par rapport au cœur de l'Austrasie, il me suffisait donc d'utiliser ma boussole. Je ne devais pas vraiment être dans mon état normal, pour ne pas y avoir pensé plus tôt.

Je pris la boussole au verso de ma montre à gousset. Mais hélas, le sort s'était joué de moi, lors de l'accident j'avais dû tomber dessus, et l'aiguille s'était cassée. Par chance, la montre fonctionnait encore mais le Nord n'était plus. Je dus donc m'orienter approximativement afin de trouver le nord-est et c'est la tête remplie de doutes et de questions que j'entamais ma longue marche vers la Neustrie, l'esprit embrouillé. Pour la première fois de ma carrière de trouveur, j'avais perdu le Nord, littéralement.

— Auteur: Romains122

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