Un jour, j’ai rencontré une fille et on a discuté. Elle s’est empressée de me donner sa note de philo au baccalauréat, je n’ai pas bien compris. Ses phrases avaient beaucoup de sens, elle les lâchait d’un coup et parfois je ne saisissais pas tout. Elle faisait des efforts pour dire des choses brillantes, elle avait dû travailler dur pour cela. Je la sentais peiner avec ses mots savants, chaque proposition était une victoire à l’arrachée. C’était une intellectuelle laborieuse et cela la rendait revancharde.

Moi, je la trouvais jolie. Elle avait un visage délicatement doré par les beaux jours de septembre, des yeux ronds éclatants de bleu et de blanc, un débardeur noir à fines bretelles qui retombait négligemment sur ses épaules pointues et laissait entrevoir un grain de beauté lové au creux de sa poitrine menue.

Elle m’a parlé de son avenir de femme, de son futur métier, de sa place dans tout ça. Elle voulait être journaliste, marquer l’actualité de son empreinte. Elle ferait une grande école et travaillerait dans les meilleures rédactions.

Je l’ai écoutée mais je n’avais rien à lui offrir. Face à elle, il n’y avait personne. Une absence de personnalité.

Je crois qu’elle s’est arrêtée de parler parce qu’elle a réalisé qu’elle était seule. Elle a fini son Coca avec embarras et lorsqu’elle a reposé les yeux sur moi, je pouvais y lire la colère. Ses pommettes encore rosées par la gêne avaient quelque chose de charmant. Furieuse, elle conservait cette fraîcheur de jeune fille qui me plaisait tant.

Elle me détestait. Après s’être trouvée ridicule, c’était sa façon à elle d’exorciser la honte. Elle s’est levée un prétexte aux lèvres, elle est restée digne et courtoise jusqu’au bout. Je l’ai perdue de vue peu avant l’angle de la rue. À travers la fenêtre du café, la foule était dense.

S.D.