Lettre de Pierre à Marie

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Mardi 16 février 1915  


Ma chère Marie,


Je ne sais comment t'annoncer la nouvelle, tellement il me peine de te faire souffrir. Nous sommes amis depuis tant d'années... Mais je ne puis te laisser plus longtemps dans l'incertitude. Jean nous a quitté, Marie, il s'en est allé, comme tous les valeureux soldats que cette guerre va compter. Je doute que cela rende ta peine moins pénible  d'apprendre qu'il est mort en héros, sur le champs de bataille, en combattant l'ennemi, durant les premières heures du conflit. Si je ne t'en ai pas tenu informé plus tôt, c'est qu'il comptait au nombre de nos disparus, dont certains corps n'ont été retrouvés que récemment.


Je suis si triste qu'il nous ait quitté avant de savoir qu'il avait donné la vie à son tour. Étant son meilleur ami et le connaissant depuis l'enfance, je peux t'affirmer que rien ne lui aurait fait plus plaisir que d'apprendre qu'il allait être père. Il t'aimait profondément Marie, je peux en témoigner. Il ne se passait pas un jour, depuis notre départ, sans qu'il ne me raconte les merveilleux moments que vous avez partagés ensemble, ainsi que les raisons pour lesquelles il était tombé amoureux de toi : ton calme, ta sensibilité, ton âme pure... Jean était persuadé d'avoir fait le meilleur choix en te choisissant pour femme. Il m'a avoué par la suite ne l'avoir jamais regretté. 


Je sais combien cette nouvelle risque d'assombrir ton coeur. Mais pour le petit qui vient de naître, pour les parents de Jean qui sont dans la douleur d'avoir perdu un fils et pour toi Marie, je t'en conjure, ne ferme pas la porte à la vie. Il te faudra sûrement du temps pour renaître, mais je sais que ton amour pour lui sera ce qui te permettra de vaincre l'adversité dans laquelle tu es plongée aujourd'hui. Yvette m'a informé que le petit homme était déjà bien vigoureux pour son âge et tu m'en vois heureux. Il sera comme son père, valeureux et vaillant. 


Si je t'écris cette lettre aujourd'hui, à la veille d'un jour qui s'annonce difficile, c'est que vois-tu, comme chacun, je ne connais pas l'heure de ma destinée. Mais si je dois tomber sous les balles de l'ennemi dans les jours prochains, ce sera au moins avec l'assurance que ces quelques mots te parviendront. Tu comprendras aisément que je ne puisse te donner plus de détails sur l'évolution de nos troupes. Mais sache qu'ici, la neige et la boue dans lesquelles nous pataugeons à toute heure du jour et de la nuit, ont remplacé les magnifiques champs de blé ensoleillés de notre village. 


Ici, il fait froid, très froid et humide. Malgré l'équipement censé nous protéger, les hommes souffrent d'engelures, d'infections de toutes sortes et malheureusement, lorsque la gangrène menace, il n'existe d'autre choix que l'amputation. L'insalubrité ambiante, à laquelle nous devons faire face au quotidien, est responsable de nombreux cas d'infestation qui minent la santé et le moral des soldats.


Je peux aujourd'hui t'avouer, sans honte, que pas un de nous n'imaginait connaître cela un jour. Marie, la guerre n'est que chaos, désolation et réveille les instincts les plus vils de l'être humain, nous livrant un face à face avec la mort dont nous ne sortirons jamais indemnes. Chaque jour, nos corps se tendent au bruit des obus qui explosent ou aux tirs des mitraillettes qui résonnent à quelques pas de nous. Je suis épuisé Marie, pardonne-moi de ne rien t'épargner, mais il faut que tu saches, que nos enfants sachent, que le monde sache, le sacrifice qui fut le nôtre. Dans l'espoir que les futures générations ne connaissent jamais cet enfer. 


Je t'en prie Marie, embrasse Yvette et les enfants pour moi. Dis leur à quel point mon amour pour eux est grand et jamais ne s'éteindra. 



Ton ami fidèle.


Pierre 





 











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