Le petit Colt

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Depuis combien de temps ce fichu radio réveil grésillait-il ? Ses contacts étaient oxydés depuis des mois, et je ne voyais pas pourquoi dépenser une petite fortune pour acheter un nouveau modèle qui ne tiendrait pas six mois. L'obsolescence programmée était l'une des sept plaies qui s'abattaient sur l'Union, avec la perte des valeurs, des bonnes vieilles valeurs.

Je me levai, encore habillé de la veille. Chemise froissée, gilet au cuir râpé, holster à la ceinture, mais sans mes flingues. Mon stetson au pied du lit était encore humide. Il avait dû pleuvoir cette nuit. Je dormais toujours du côté de la fenêtre, par habitude autant que par principe. Un cambrioleur qui tenterait l'aventure aurait d'abord affaire à moi, même si Gladys ne lui aurait certainement laissé aucune chance.

Sa place était froide. Elle avait dû se lever depuis au moins une bonne heure, laissant trainer ses bas de la veille et une culotte rouge vif dont j'avais un vague souvenir. La soirée avait été arrosée, et elle s'était terminée en apothéose, comme il se doit ! Avec Gladys, inutile d'aller au saloon pour faire le French Cancan jusqu'au lever du jour !

Je m'apprêtais à extirper une chemise propre du placard, exposant toute mon intimité au voisinage s'il avait eu l'audace de regarder trop fixement par la fenêtre, lorsque la sonnette de l'entrée reproduisit les premières notes de l'hymne national.

Je plongeai à plat ventre sous le lit, en extirpai mon Smith & Wesson à 6 coups que je plaçai soigneusement dans le holster qui ne m'avait pas quitté jusque-là. Je repérai un jean froissé dans un coin de la pièce. La sonnette retentit une nouvelle fois, avec plus d'insistance, massacrant ainsi les premières notes de l'hymne. J'enfilai hâtivement le jean un peu trop serré avant de me précipiter vers la porte d'entrée.

Comme l'exige la coutume, je dégainai mon arme et me plaçai à derrière le mur à droite de la porte avant de lancer un viril : "Ouais, qu'est-ce que vous voulez !".

- "C'est moi, John Doe, t'as deux minutes ?"

Je rengainai mon arme et ouvris la porte, la main sur la crosse.

John, un vieux de la veille d'une quarantaine d'années, comme moi, avait les traits tirés. Ces épais sourcils cachaient à peine les rides qui se formaient au-dessus de son nez proéminent, et ses lèvres épaisses laissaient apparaitre des dents noircies par la chique.

Il cracha au sol, frotta poliment le chicot de ses santiags, et fit tournoyer nerveusement son colt à son doigt.

- "Ne fais pas le timide avec moi", lui dis-je. "On se connait de longue date, et je sais que quand ta main tremble sur ton flingue, c'est que tu as besoin d'un service. Entre, et prenons un verre. J'ai le gosier sec, je viens de me lever !"

- "Désolé, je ne pensais pas que tu dormirais encore si tard ! La nuit a dû être difficile !" dit-il en rengainant son arme.

Au loin, une rafale d'arme automatique se fit entendre.

- "Ah les jeunes ! " soupira-t-il. "Toujours à s'esclaffer pour un rien, ils me mettent hors de moi !"

- "Il faut les laisser se faire leur expérience. Souviens-toi, nous n'étions pas mieux à leur âge, et je les trouve plutôt sages par rapport à nous. Il suffit de voir à quel point ils acceptent de ranger leurs armes à l'école. Jamais je n'aurais accepté d'aller en cours sans au moins ma winchester !"

- "Tu as raison" fit-il, en retournant bruyamment une chaise en bois devant la table de la cuisine "Le système éducatif en fait des lopettes, il faut bien qu'ils se rattrapent ! Fichus intellos, ils pourrissent la jeunesse !"

- « Je ne te le fais pas dire !"

Je lui remplis son verre d'une rasade de whiskies, et versai le reste de la bouteille dans le mien.

- "Fais vite, je suis en retard pour mon inspection du mur ce matin. Les chicanos profitent de la nuit pour se faufiler, et avec les milliards que le président a investis dedans, ce serait bête de se faire envahir à nouveau à cause d'une grasse matinée !"

John dégaina son arme et tira une rafale par la fenêtre. Emporté par son enthousiasme, je ris à ma propre blague et tirai moi-même une rafale, mais vers mon propre plafond. Du plâtre tomba dans nos verres et j'entendis la voix de Gladys, au-dessus, crier par-dessus l'écho du vacarme : "Calmez vos ardeurs les garçons ! Je suis avec un client !" Le bruit de ses talons s'approcha des trous de balles auxquels elle colla un de ses magnifiques yeux verts.

John rengaina vivement son arme rougissant légèrement.

- "Désolé M'dam, on va être plus discrets !"

- "Dit celui qui s'en prend à la jeunesse !" Lui rétorquai-je d'un ton moqueur, en faisant tournoyer mon Smith & Wesson d'un air amical.

- "Tu as raison. Quelle femme quand même ! La mienne ne lui va pas à la cheville !"

Je rengainai mon arme et le menaçai fermement : "Fais attention à ce que tu dis, tu t'engages sur une voie dangereuse qui peut se terminer les yeux dans les yeux devant le Saloon !"

- "Jamais je ne te manquerais de respect Mike, ni à toi, ni à Gladys ! Et si tu devais en avoir l'impression, sois certain que ce serait que par maladresse ! J'ai trop d'estime pour vous ! Non, je voulais dire, ma femme, elle colle des drôles d'idées dans la tête de Bérengère, ma fille, elle veut qu'elle fasse l'université, tu vois, qu'elle devienne infirmière ou même docteur, mais c'est pas un boulot de femmes ça, il faut avoir des couilles pour mettre ses paluches dans les tripes d'un type qui pisse le sang ! Tu crois pas ?"

- "Peut-être, mais depuis que je vis avec Gladys, tu vois, je sais que parfois, les femmes peuvent avoir beaucoup plus de couilles que les mecs, et elles peuvent cacher un deringer dans des endroits que tu n'imagines même pas !"

- "Tu as mille fois raison, mec. Mais tu sais, donc, Mary est grosse depuis sept mois... On a été chez le gynocologue et il a dit que tout se passait bien. Mais il y avait quand même un risque, et il faudrait faire une césarienne, à l'hôpital..."

- "Ouais..."

- "Et comme la grande, Bérangère, elle entre à l'université, et que j'avais vraiment pas prévu qu'un petit chiard viendrait pointer son nez, ça va être très chaud pour pouvoir payer l'hôpital..."

- "Tu n'as pas une assurance ?"

- "Si, mais compte tenu de nos revenus, qu'on n'a pas de fils en âge d'étudier, ils considèrent qu'on a les moyens de payer nous-même... Si seulement elle n'avait pas déjà inscrit Bérengère... Mais tu me connais, je suis un gars fiable, et il y aura toujours du boulot dans ma partie !"

- "T'emballe pas ! J'ai confiance en toi ! Seulement, en ce moment, je n'ai pas de cash en réserve. Combien il te faut l'ami ?"

John mit sa main sur sa crosse, d'un air grave, et dit "Deux mille dollars..."

- "Gosh ! Ça n'arrête pas d'augmenter ! " Toussai-je.

- "La pénurie de personnel. Depuis qu'on a dégagé les lopettes chicano qui ne valent pas tripette, les prix se sont emballés ! Mais le président a promis une solution bientôt !"

- "Comme faire entrer plus de femmes à l'université ? J'espère que les gauchistes démocrates ne vont pas trop influencer Le président Donald sur ce coup-là. Le mur a été un bienfait, les exonérations de taxes aussi ! Pourvu qu'il continue !"

- "Mais dans le court terme, je risque de perdre mon petit gars..."

- "T'inquiète ! Tu as un peu de temps ?"

- "Oui, c'est la saison creuse en ce moment... Tu as un plan ?" Demanda-t-il en dégainant avec enthousiasme son colt.

- " Accompagne moi en patrouille. On devrait pouvoir choper quelques chicano à délester de leurs biftons, et si on a de la chance, on dégomme les passeurs et là, c'est le jackpot !"

John rengaina son arme, avala une dernière rasade de whiskies.

- "Je suis ton homme !"

Tous deux grimpèrent à bord du puissant pick-up Land-Rover de patrouille de Mike après avoir envoyé quelques salves en l'air pour fêter cette bonne journée.

Mike enclancha le contact et se tourna vers son ami, l'haleine toujours chargée de l'alcool de la veille et du matin.

- "Et comment tu comptes l'appeler le petit ?"

- "Colt Donald"

Tous deux opinèrent sentencieusement du chef alors que le véhicule s'ébranlait dans une bruyante et joyeuse pétarade.

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Je ne sais pas pourquoi, ce petit texte m'a été inspiré par l'actualité américaine, la façon dont leur président persiste à faire comme s'il pensait réellement que la cause des tragédies dans les écoles sont plus liées à la violence des jeux vidéos qu'au fait que tout le monde puisse se balader tranquillement dans les rues et les écoles avec des armes de guerre.

Que serait le quotidien des gens dans un pays où l'arme est devenue un objet sacré, de communication, d'expression au quotidien et où le sexisme (affiché fièrement pas ce président), l'homophobie et la peur ou la défiance envers les étrangers et l'étrangers sont considérés comme la normalité. Mais ce n'est qu'une portion de tout ce que ce type transgresse comme règles du bon sens ou de la bienséance, et du message d'individualisme, de haine et d'intolérance qu'il propage.

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