"Sous couverture d'or, poison gît et dort."

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"Sous couverture d'or, poison gît et dort."

Proverbe Français.

 Isobel était encore en route lorsqu'elle reçut un appel de Ferdinand. Elle décrocha immédiatement et la voix de son interlocuteur se diffusa dans l'habitacle, grâce à la technologie bluetooth de la voiture.

 « Votre Grâce, où êtes-vous ?

 — En chemin, à environ cinq minutes de la maison. Pourquoi ? »

 Le silence se fit un instant, alarmant immédiatement la jeune duchesse.

 « Ferdinand, que se passe-t-il ?

 — Rien qui ne puisse attendre cinq minutes. Dépêchez-vous, je vous attends devant l'entrée. »

 Il raccrocha sans lui laisser le temps de lui répondre. L'inquiétude la gagna et elle appuya sur l'accélérateur, roulant bien au-dessus de la vitesse recommandée. Elle mit deux minutes au lieu des six normalement nécessaires pour arriver devant les grilles. Se garant en trombe devant son bras droit, elle sortit de la voiture.

 « Allez sur le siège passager, Votre Grâce, je prends le volant.

 — Mais... Vas-tu enfin me dire ce qu'il se passe ?

 — Dans la voiture. Maintenant ! Obéissez, il n'y a pas une seconde à perdre. »

 Saisissant au ton de sa voix que ce n'était pas le moment d'être entêtée, elle obtempéra. Sa ceinture était à peine enclenchée que son chauffeur démarra à vive allure, dérapant sur les graviers de la route.

 « Votre père a été pris de convulsions une vingtaine de minutes après son repas, on a appelé une ambulance, mais le temps qu'elle arrive, il avait déjà fait deux arrêts cardiaques. Son cœur est reparti, mais son pouls reste très faible. Il a été transporté à l'hôpital Saint-Émilien, nous allons l'y rejoindre.

 — Est-ce qu'on sait ce qui a provoqué cela ? »

 Le visage de l'homme se ferma. Il regarda sa voisine avec inquiétude et lui prit la main pour la serrer en signe de sollicitude.

 « L'un des pompiers est spécialisé dans les poisons, après avoir posé quelques questions, il a compris que Maurice était le seul à avoir saupoudré son plat de safran. Il a examiné la poudre et découvert qu'elle sentait comme du persil... Il a tout de suite fait le lien avec les symptômes : c'est de l'œnanthe safranée.

 — De ... De la quoi ? C'est... qu'est-ce que c'est exactement ?

 — L'œnanthe safranée est une plante de la même famille que la cigüe. C'est extrêmement toxique, surtout quand on le mange.

 — Mais ... Comment est-ce possible. Cookie...n'aurait jamais ... Et ... Et il en a consommé beaucoup ?

 — Malheureusement oui, et d'après le pompier, vu la quantité que votre père a ingérée, ce n'est pas sûr qu'il survive... »

 Une peur glacée s'abattit sur ses épaules. Les larmes ruisselèrent sur ses joues sans qu'elle ne puisse les retenir. Elle peinait à croire ce qu'elle venait d'entendre. Son père ne pouvait pas mourir, c'était impossible !

 « Comment est-ce possible ? Cookie ne lui aurait jamais donné ça ! Sait-on au moins d'où venait le pot de safran ?

 — Une enquête va être ouverte, nous trouverons qui a fait ça. »

 Le ton de sa voix indiquait clairement qu'il en ferait une affaire personnelle et que le coupable allait regretter son crime. Elle se détendit un peu et s'efforça de réfléchir.

 « Tu as dit qu'il était le seul à en avoir pris, y avait-il quelqu'un d'autre avec lui ?

 — Oui, vos sœurs étaient là ainsi que leurs amis. »

 Alors Isobel comprit ce qu'il s'était passé.

 « Par amis, tu veux parler de Gustave et de Gaston ?

 — Ceux-là même. »

 La soudaine pâleur de son visage inquiéta Ferdinand.

 « Votre Grâce, que se passe-t-il ? Parlez-moi !

 — Gaston ... Gaston... Oh, ce n'est pas possible ! Je... Je suis presque sûre que c'est lui qui est derrière tout ça.

 — Expliquez-moi ! »

 Elle lui raconta son altercation de la matinée et la menace qu'il lui avait murmurée. Quand elle releva les yeux vers l'autre homme, à la fin de son récit, il lui fit soudain peur. Son visage était complètement fermé, ses yeux brillaient de fureur et ses mains serraient tellement fort le volant que les jointures pâlissaient. Quand il réussit à se calmer suffisamment pour lui répondre, il se tourna vers elle à son tour.

 « Soyez assurée, Votre Grâce, que je vais prendre très au sérieux cette affaire et que je vais accorder un soin tout particulier à Mr Legrand. Au vu de ce que vous venez de me livrer, il est même mon suspect numéro un. »

 Ce furent les derniers mots qu'il prononçât avant de se murer dans le silence. Lui, comme elle, réfléchissait aux implications que cela engendrait. Ils comprirent que cet homme était prêt à tout pour l'épouser, y compris recourir au meurtre. De ce fait, il fallait trouver un plan pour lui couper l'herbe sous les pieds.

 Arrivés à l'hôpital, on leur annonça que Maurice était encore au bloc opératoire. On leur demanda donc d'attendre en salle d'attente qu'un médecin vienne les voir. Ils prirent place tous les deux sur l'un des sièges disponibles.

 « Tu m'as bien dit que Jade et Laura étaient avec père quand les pompiers ont emmené papa pour l'hôpital ?

 — Oui, c'est exact.

 — Elles sont où maintenant ?

 — Toujours chez vous. Elles ont dit qu'elles préféraient attendre les nouvelles depuis la maison plutôt que dans l'inconfort, qu'on daigne les informer de son état de santé. Sur le moment, nous avons tous trouvé ça logique. Bizarre, tout de même, mais logique.

 — Ils vont sans doute masquer les preuves de leur méfait ou en tout cas essayer de faire porter le chapeau à quelqu'un d'autre... Je te parie qu'à notre retour toutes les preuves pointeront vers la cuisine.

 — Je le crains fortement. »

 Un bruit de course se fit entendre. Odessa accourut auprès de son amie pour la prendre dans ses bras.

 « J'ai couru dès que j'ai su ! Est-ce que vous avez des nouvelles ?

 — Non pas encore... On attend qu'il sorte du bloc.

 — Tu tiens le coup ?

 — Bof, pas trop non...

 — Tu veux en parler ? »

 Après avoir lancé un petit coup d'œil à Ferdinand pour lui demander son accord, Isobel lui raconta toute l'histoire en commençant par l'épisode de la matinée. Quand elle eut fini, Odessa pestait, jurait, insultait et promettait mille souffrances et mort aux quatre malfrats.

 « Il faut faire quelque chose ! On ne peut pas les laisser faire ! »

 Ferdinand sourit. Il aimait bien cette petite, avec son tempérament de feu et son indéfectible loyauté envers sa supérieure.

 « J'ai peut-être une idée, mais je ne suis pas sûre que Sa Grâce l'accepte.

 — Dis toujours, Ferdinand, dis toujours. Je suis arrivée à un stade où je pense être capable de faire à peu près n'importe quoi pour contrecarrer les plans de mes sœurs et de mon épouvantable fiancé.

 — N'oublie pas Gustave ! Je ne suis pas franchement sûr qu'il soit tout blanc celui-là ! Il a l'air idiot comme ça, mais qui ne nous dit pas que ce n'est pas un génie du crime ! Si ça se trouve, c'est même lui le cerveau de toute cette sordide machination ! Ce petit ... »

 Heureusement, le médecin arriva et empêcha la jeune femme de poursuivre son monologue mélodramatique.

 « La famille Lemarchand, s'il vous plaît ?

 — Ici Monsieur.

 — Vous êtes sa fille ?

 — Oui.

 — Votre père est actuellement en soin intensif et son état se dégrade très vite. Il faudra vous préparer au pire mademoiselle.

 — Est-ce que vous pouvez me dire ce qu'il a subi comme traitement ?

 — Du fait d'un blocage de la conduction électrique entre oreillettes et ventricules, votre père a été intubé et ventilé dès son trajet dans l'ambulance. Après un massage cardiaque, on lui a administré de l'isoprénaline pour augmenter la force contractile de son cœur. Sur le plan neurologique, il a présenté des crises convulsives incontrôlables, et ce, malgré l'administration par voie intraveineuse de médicaments antiépileptiques. Après un lavage gastrique que nous lui avons prodigué d'urgence à son arrivée, une assistance cardio-respiratoire a été mise en place. On a aussi voulu lui insérer une sonde destinée à stimuler la contraction des ventricules, mais son activité cardiaque est entre temps revenue à la normale avec un rythme de 60 battements par minute. Ce qui était plutôt positif. Malheureusement, à cause d'une insuffisance circulatoire aiguë, ses fonctions du foie et des reins ont été altérées.

 — Est-ce que cela signifie qu'il va devoir se faire greffer ?

 — Pour l'instant nous n'en sommes pas encore là. Ses organes n'ont pas encore lâché. Nous attendons de voir comment son état évolue. Il s'est également produit une coagulation intravasculaire disséminée ce qui provoque des caillots qui obstruent de nombreux petits vaisseaux sanguins, son flux sanguin vers les organes est donc ralenti et cela peut aussi provoquer un AVC si l'un d'eux atteint son cœur. À tout cela, vient s'ajouter une détresse respiratoire aiguë, il est donc encore sous assistance respiratoire. On l'a placé dans un coma artificiel pour le moment et on attend de voir comment cela va évoluer.

 — Est-ce qu'on peut aller le voir ?

 — Je crains que non, pas pour le moment en tout cas. Revenez demain, nous vous dirons ce qu'il en est. Les visites sont néanmoins strictement limitées de treize heure à treize heure trente et de dix-huit heures trente à dix-neuf heures trente. C'est ainsi, afin de nous permettre d'effectuer les soins et assurer la surveillance des patients.

 — Je vous remercie Docteur.

 — Soyez patiente et courageuse, nous espérons pouvoir vous en dire plus demain.

 — Quand saurons-nous s'il est tiré d'affaire ?

 — Sous ving-quatre à quarante huite heures. 

 — Encore merci pour votre travail.

 — De rien. Rentrez chez vous, vous ne pouvez plus rien faire ici. Votre père a besoin que vous vous reposiez et que vous soyez forte pour la suite. »

 Après l'avoir encore une fois salué, le médecin retourna à son travail, laissant la jeune femme dévastée par ces nouvelles. Ferdinand passa son bras autour de son épaule, elle se tourna contre lui pour pleurer. Il était rongé par la frustration et la colère, serrant les dents pour se retenir d'exploser.

 Odessa n'en menait pas large non plus. Elle fulminait auprès d'eux, tournant comme un lion en cage, elle malmenait mentalement les coupables de ce crime. Elle regarda le secrétaire dans les yeux et lui fit comprendre dans un échange muet qu'il fallait partir, maintenant. Il hocha la tête et l'entraîna à sa suite jusque dans la voiture. Le temps que tout le monde soit installé et les ceintures bouclées, les larmes d'Isobel s'étaient taries.

 « Qu'allais-tu proposer Ferdinand, avant que nous soyons interrompus pour entendre ces terribles nouvelles ?

 — Tout d'abord, nous devons empêcher Gaston de récidiver. Ensuite, il faut vous mettre hors de sa portée. Si j'ai une idée pour la première partie, je crains de n'avoir rien de très brillant pour la suite.

 — Commençons par le début, on avisera ensuite.

 — Dans ce cas ... Il vous faut vous protéger de lui. Vous allez déposer une main courante auprès de la police. Vous allez écrire un témoignage dans lequel vous décrivez la situation. Mettez bien l'accent sur le fait que vous n'êtes pas signataire du contrat de fiançailles, que vous n'y avez jamais consenti, qu'il vous harcèle, vous insulte et va même jusqu'à menacer la vie de vos proches. Vous allez ensuite relater l'état de santé de votre père. Et s'il le faut, afin d'appuyer vos dires, moi et les autres employés de la villa, nous pouvons également corroborer vos paroles dans une déposition annexe. Quand ce sera fait, nous enverrons la copie à Gaston pour lui faire comprendre que s'il arrive quoique ce soit à l'un d'entre nous, il se trouvera immédiatement dans la ligne de mire des forces de l'ordre.

 — Il me faut des preuves, non ?

 — Tant qu'il n'y a pas d'enquête, cela n'est pas nécessaire. De plus, Votre Grâce, n'oubliez pas votre statut. Qui pensez-vous que l'on croira ? Une duchesse respectable ou un comte ruiné à la réputation douteuse ? »

 Le premier sourire de l'après-midi apparut sur le visage de la jeune fille. C'était brillant ! Quelque peu déloyal, certes, mais leurs opposants n'avaient jamais joué dans les règles. Il était temps de botter en touche et de les prendre à revers. Elle donna son accord à Ferdinand qui lui rendit son sourire.

 Il mit le moteur en marche et prit la direction du poste de police le plus proche. Isobel joua à la perfection son rôle. Elle exigea de parler au chef et lui fit part du comportement alarmiste du comte de Rauzan et de ses complices. Elle exigea qu'une attention particulière soit portée à ce malotru et que des mesures soient prises pour qu'il ne l'approche plus.

 Une fois cette étape achevée, ils se rendirent dans un café pour réfléchir à la suite. Odessa commanda pour tout le monde et retourna à leur table avec les boissons. Isobel, qui n'avait toujours rien mangé, se goinfra de pâtisseries en tous genres. Après tout ce qu'elle venait de vivre, elle avait besoin de sucre pour se remonter le moral. C'était fort peu ducal comme comportement, mais elle s'en fichait. Là, tout de suite, elle avait besoin de réconfort et elle n'allait pas s'en priver.

 « Bon, j'ai peut-être un début de plan pour la suite.

 — On vous écoute Votre Grâce.

 — On organise un retour vers Galloway House, sans prévenir mes sœurs évidemment. Vous serez en sécurité là-bas, surtout si je n'y réside pas.

 — Et vous, où iriez-vous ?

 — Pour l'instant je l'ignore encore, mais le plus important, c'est de voir si mon père peut faire sa convalescence là-bas ! Je refuse de croire qu'il va mourir...

 — Comptez sur moi, je m'en charge.

 — Merci Ferdinand. »

 Odessa se redressa d'un bon, les faisant sursauter tous les deux.

 « Oh la la la la la la, je viens d'avoir une trop bonne idée ! »

 Elle était tellement excitée qu'elle sautillait sur sa chaise et tapait dans ses mains. Voyant qu'elle avait toute leur attention, elle s'expliqua.

 « Isobel, toi et moi, nous allons partir ensemble ! Je dois prendre plusieurs semaines de vacances depuis bien trop longtemps. Nous prendrons un billet en liquide et voyagerons sur différents vols de compagnies low-costs en faisant plusieurs escales pour brouiller les pistes. Ainsi, en perpétuel déplacement, ils ne pourront pas te retrouver aisément ! »

 Le plan fut approuvé par tout le monde et ils se séparèrent pour tout mettre en œuvre. Mais une autre idée avait germé dans la tête d'Isobel. Elle ne pouvait pas en parler devant Ferdinand, car il n'aurait jamais accepté. Odessa allait devoir faire ses nombreux voyages seule.

 Pendant ce temps, elle trouverait le moyen de convaincre Sevastian de l'emmener avec lui. Car qui mieux que la plus puissante mafia du monde pouvait la protéger contre son criminel de fiancé ?

 Après quelques secondes de réflexion, elle choisit de ne pas prendre le risque de lui demander son avis. Elle allait s'incruster sur son avion en catimini ! Une soudaine excitation bienvenue se diffusa dans tout son corps et elle se hâta d'agir.

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