Je vis plusieurs boucliers magiques se déployer pour protéger ceux qu'ils pouvaient, d'autres lançaient des sorts afin de neutraliser les dragons. Je devais m'activer !

  — Approchez-vous de moi ! hurlai-je en étendant ma propre barrière.
J'observais incrédules ces derniers tuer sans distinction soldats de l'Alliance et draquites.
  — Pourquoi est-ce qu'ils tuent leurs propres hommes ?

Pour toutes réponses j'entendis quelqu'un se questionner.

  — C'est quoi ce monstre ?

Loin au-dessus, planait le dragon le plus énorme qu'il m'ait été donné de voir. Un corps d'une trentaine de mètres de long sans compter la queue, pour le double d'envergure. Un seigneur dragon. Pourquoi était-il ici ?
  Un premier dragon s'écrasa, quelque part à l'extrémité gauche de mon champ visuel. J'en devinais au moins quatre autre dégringoler de la même façon, tandis que je me concentrais pour choisir le meilleur moment pour riposter contre le reptile qui piquait dans ma direction. Juste avant que je n'envoie un projectile électrique, un cercle magique s'ouvrit à sa droite, le choc lui fit perdre sa trajectoire et il s'abîma à terre bousculant cadavres et blessés qui n'avaient pas pu fuir.

  — Nous devons coordonner nos attaques pour une meilleure efficacité, transmit Ley télépathiquement.
  — Il a raison, tâchons de travailler par binômes.
  — Il n'y a personne ! s'alarma Mnémésyne.
  — Qu'est-ce que tu racontes? lui reprocha Drake.
  — Il n'y a personne sur ces dragons! Ils attaquent seuls! s'expliqua-t-elle.

 Voilà qui résolvait le mystère de ces attaques sans distinction. Des rugissements reptiliens se répandirent depuis le camp draquite. De nouveaux dragons se joignirent à la bataille, se jetant sur ceux déjà en vol qui nous harcelaient. Tous de tailles plus ou moins comparable, il était quasi impossible pour nous depuis le sol de savoir lesquels étaient montés ou non.

  — Que devons-nous faire?
  — Avons-nous le droit de nous attaquer à des dragons libres? Si nous nous contentons de défendre les pertes seront énormes nous ne sommes pas assez nombreux pour tenir sur la plaine et protéger le campement, s'inquiéta Ephédra.

  La situation ne cessait de s'envenimer. Les chefs d'escadrilles donnaient des ordres contraires, la panique et la désorganisation progressaient. Les joutes entre dragons faisaient des victimes en l'air comme au sol. Toujours dans l'attente d'ordres clairs de la part des généraux, la peur, la frustration et la colère montaient parmi mes confrères. Mon impuissance face à cet état de fait me faisait enrager.

  Tout à coup un hurlement assourdissant suivit d'un pic de magie, me glacèrent les sangs. Ce n'était rien en comparaison de la terreur qui suivit en comprenant la situation. Les dragonniers peinaient à conserver le contrôle de leurs montures qui tentaient de les faire chuter entre leurs attaques au sol. Ce dragon géant manipulait les autres depuis le début et à présent il se décidait à prendre part lui même au carnage.
  Ce monstre entama lentement sa descente, il ouvrit sa gueule béante au dessus des tentes draquites et souffla un panache de flammes vertes qui ravagèrent tout sur plusieurs dizaines de mètres. Le déplacement de l'air sur le passage du mastodonte fit voler tente et débris divers, générant des spirales de flammes vertes.
 En dépit de la distance, j'étais certaine d'entendre les supplications de douleur et les appels à l'aide de là où je me trouvais. La silhouette gigantesque entama une boucle lugubre pour le ramener vers nous.

  — Que peut-on faire face à ça? murmura télépathiquement Ephédra désespérée.
  — Aucun de nous n'a la puissance nécessaire pour affronter un dragon de cette trempe! s'exclama Angal.
  — Si nous nous unissons on peut, affirma Risha.
  — Mais pendant ce temps les autres feront des ravages, lui retourna Alia.
  — Il faut évacuer d'urgence la zone entière, déclara Drake.
  — Mais comment? questionna Akasha.

 J'écoutais leurs échanges distraitement, obnubilée par les iris sombre de la créature qui fondait si vite sur nous. Pourtant la scène me semblait se dérouler au ralentit. Il passa plusieurs mètres au dessus de moi, le seul déplacement de l'air suffit à briser mon bouclier et m'envoya rouler sur plusieurs pas tout comme les soldats, fuyards ou pétrifiés de peur. Dans son sillage les petits dragons suiveurs crachaient des boules de feu.
  Je me relevai aussi vite que possible afin de m'éloigner du cadavre qui m'avait réceptionné. L'immense dragon sombre aux reflets d'olivine revenait déjà à la charge, mais cette fois j'observai avec effroi ses mâchoires se desserrer pour projeter un panache vert incendiaire. Le jet de flammes vint droit vers moi. Qu'est ce que je pouvais bien faire face à une telle puissance? Mon sentiment d'impuissance ne fit que s'accroître, tout comme ma rage.

  "Brise les chaînes que tu t'impose et libère tout ton potentiel!" m'intima une voix inconnue dans mon esprit.

  Tout mon corps répondit à l'injonction, sans que je sache vraiment pourquoi. Je sentis ma magie augmenter de façon exponentielle, telle une vague rayonnant depuis mon cœur. Une aura protectrice m'enveloppa toute entière, m'épargnant une mort douloureuse.
  Cette onde s'étendit et heurta avec fracas le poitrail du géant. Surpris il ravala ses flammes et reprit un peu d'altitude. Il me scruta de ses yeux d'onyx et expira avec violence un rugissement dans le but de me faire ployer sous la pression. Instinctivement j'esquivais me propulsant rapidement à plusieurs mètres en l'air. J'ignorais exactement ce qu'il était en train de se produire, mon corps entier irradiait d'un flamboiement éclatant, une paire d'aile immatérielles apparut dans mon dos me maintenait en l'air.

  — Sahiane, tu vas bien ? s'inquiéta Angal.

Je repoussais à plus tard mon questionnement et le sien, la seule chose dont j'étais certaine c'était que cet état ne durerait pas.
  Je me devais d'en profiter pour éloigner ce dragon de la plaine et permettre au plus grand nombre de fuir.
Je raffermis ma prise sur mon épée et me jetais sur lui lame en avant.

  Il amena sa patte gauche à ma rencontre, le choc fut si rude qu'il me coupa la respiration, heureusement ma lame transperça sa cuirasse avant de s'enfoncer presque de moitié. Je pris appuie sur son membre pour l'extraire et revins aussitôt à la charge.

  Je le harcelais d'une dizaine d'attaques du même types, prenant garde d'esquiver ses ailes membraneuses, ses griffes et ses crocs. Je savais les dégâts minimes mais mon objectif était de l'aveugler de colère au point de devenir son unique cible.

  Je me téléportais une trentaine de mètre en arrière et lançais un éclair à sa rencontre. Un rugissement de rage répondit au fracas du tonnerre et il s'élança à ma poursuite. Je filais aussi vite que je le pouvais, esquivant les boules de feu émeraudes qui se dissipaient dans l'atmosphère en la surchauffant.

  Une fois assez éloignée je me retournais et commençais les incantations afin de positionner des points d'ouvertures pour différents cercles magiques. Tout cela en alternant attaques magiques et piques à l'épée volant en tout sens autour du dragon, l'occupant pour qu'il ne détecte pas mes cercles et les brise avant leur activation.

  Mes compétences à esquiver sans dommages diminuaient rapidement. J'avais encaissé un coup de queue qui m'avait sans doute brisé plusieurs côtes malgré mon bouclier et le fait qu'il m'avait seulement frôlé. Après avoir ressoudé les os la douleur restait intense à chaque respiration, mais au moins je ne risquais plus de me déchirer un organe. Il me fallait un tout petit peu plus de temps.

  Je me jetais à pleine vitesse vers sa tête dans l'espoir de transpercer sa boite crânienne. Il anticipa ma démarche, me retrouvant face à une gueule béante qui s'emplissait de flammes vertes destinaient à me tuer. Je reculais autant que je le pus pour l'éviter, mais c'était impossible d'y échapper complètement.

  Même si le jet ne me frappa pas directement, la simple chaleur radiante qui toucha ma jambe gauche la brûla gravement en dépit de mon aura protectrice. La douleur me submergea, mes poumons se vidèrent dans un cri qui se mua en rage. Je laissais celle-ci monter en moi, elle augmenta un peu la puissance de mes pouvoirs. Davantage et je perdrais leur contrôle, ils me dévoreraient. Mon adversaire tenta de profiter de ma blessure pour me gober toute entière. En une fraction de secondes j'échappais de ses mâchoires en un saut de téléportation et prononçais le dernier mot de mes incantations.

  Je visualisais dans mon esprit le réseau de point d'ancrage de mes cercles et comparais ce dernier à la position du dragon.

 — Kido, murmurai-je me concentrant sur mon invocation.

  Quatre cercles magiques d'un bleu électrique apparurent autour du colosse. De chacun sortit un élémentaire de glace, délicates nymphes évanescentes mais redoutables, elles attaquèrent aussitôt le dragon. La puissance combinée de ces esprits réussie à emprisonner en quelques instants le poitrail du grand reptile sombre, mais celui-ci brisa cette glace par sa seule force. Mes invocations formèrent de multiples épieux avec lesquels elles bombardèrent ses ailes. Leurs mouvements empêchèrent la plupart de causer des dégâts, cependant certains firent mouche. Obligeant le dragon à se déplacer, l'amenant exactement où je le voulais.

  Sur son passage j'activais mes cercles au fur et à mesure, libérant sur ce géant une multitude de projectiles de toutes natures qui le frappèrent. Lances éthériques, flèches enflammées, épieux de glace, serpents absorbeurs de magie. Tous les sorts d'attaques suffisamment importants que je connaissais y étaient passés. Chaque salve le malmenait, renforçant sa fureur.

  Il se débattait de plus belle, projetant en tout sens ses boules de feus que j'esquivais. La chaleur accumulée dans l'atmosphère généra des nuages d'orages. L'air se chargeait dangereusement d'électricité qui ne tarderait pas à prendre pour cible mon armure.

  Je décidais de prendre les devants pour tourner ça à mon avantage. L'orichalque qui constituait mon épée pouvait accumuler et retransmettre de l'énergie. J'avais déjà utilisé cette propriété pour conduire mes propres pouvoirs. Je me rapprochais le plus possible en dépit du danger et levais le bras.

  Le premier éclair me frappa. Sous le choc je crus perdre mon bras, la douleur de la tétanie tout comme la brûlure était immense. Je mobilisais toute ma volonté et ce qu'il me restait de magie pour le contenir dans ma lame avant de le relâcher sur mon ennemi. Je serrais les dents et continuais ainsi un long moment après l'enclenchement de mon dernier cercle. Il ne restait plus qu'un seul élémentaire pour me prêter main forte, je désespérais de réussir.

  Finalement le dragon couvert de plaie, poussa un râle et commença à perdre de l'altitude. Je l'accompagnais dans sa descente jusqu'à ce qu'il s'écrase au sol. Ma tête tournait, ma vision trouble depuis un moment déjà se brouilla complètement. Je n'avais plus de sensations dans tout le côté droit de mon corps. Vidée, le flux de magie stoppa brutalement, je sombrais inconsciente avant même de toucher terre.

  Une douleur atroce me tira de ma torpeur. Je voyais à peine et entendais tout juste. Tout mon corps n'était que douleur, mon bras droit me faisait si mal que je regrettais qu'il soit toujours relié à mon corps.

  — Je suis désolé, me murmura la voix de Styx dans mon esprit. La foudre a également endommagée tes yeux et tes tympans. J'ai pu en partie restaurer ta jambe gauche, mais pour ton bras il me faudra du temps. C'est mieux que tu ne puisses pas te voir pour le moment.

  — J'ai tellement mal, lui répondis-je simplement de la même manière que lui.

  J'aurais voulu mourir pour en finir, de ces horreurs, tourments et douleur. Connaitre une douzaine d'années de tranquillité dans ma prochaine vie, avant de retrouver mes fonctions de chef de confrérie en même temps que ma mémoire. Ce répit ne me fut pas accordé. Après quelques heures de chaos, les membres de l'état-major de l'Alliance jugèrent qu'il fallait profiter de ma victoire sur ce dragon pour obtenir la reddition de Draken.

  Ils envoyèrent Risha et Ephédra pour me transmettre leurs ordres. En dépit de mon état qui nécessitait plusieurs jours de traitement et semaines de repos. Ils exigèrent que je sois présente pour les négociations et me tienne à leur côté comme si je n'avais pas une égratignure. Il s'agissait pour eux d'un parfait moyen de pression. Ephédra tenta de les convaincre de l'envoyer à ma place sous mon apparence mais ils furent inflexibles.

  Les guérisseurs des quatre confréries présentes usèrent de toutes leurs capacités afin de me soigner. Après m'avoir récupérée inconsciente ils m'avaient installé dans une tente individuelle totalement isolée. De cette façon personne à part eux ne put me voir victime de violentes convulsions, ni m'entendre hurler d'agonie. Je tins mon rôle grâce à eux et aux sort de manipulation qu'ils m'appliquèrent pour m'obliger à marcher et tenir debout des heures durant en souffrant.

  Les draquites plièrent sous la menace. On découvrit bien vite que Draken était mort. Il avait d'abord perdu l'esprit en tentant de contrôler le seigneur dragon. Ce dernier brisa l'empereur, puis de rage choisit d'éliminer lui-même tous ceux qui souillaient les Monts de Cendres et leur seuil. D'abord en retournant les dragons des draquites avant de se jeter dans le combat.

  Les soldats heureux de ce dénouement plus rapide que prévu me surnommèrent la « Victoire éclatante ». Ils souhaitaient saluer l'apparence que me donnaient mes pouvoirs entièrement relâchés et contrôlés. Le récit de cette bataille et ce titre furent très vite connus à travers la galaxie.

  Les horreurs de cette bataille me hantèrent des siècles durant. Chaque évocation de la « victoire éclatante » me rappelait, les cris, l'odeur, les cadavres, les douleurs et ces mensonges à l'origine de cette légende. Les quatre confréries durent jurer de garder le secret sur mon réel état lors de cet accord. Cela nous marqua tous à des degrés différents. Aucun de nous n'oublierait jamais jusqu'où l'Alliance était prête à aller pour obtenir ce qu'elle désirait.