12. Lovham – V : Chevalier de l’Abîme

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La chair se déchirait. Les cris bestiaux et le son du métal qui s’entrechoque résonnaient entre les parois de ce grand colisée bâtit sous la ville. Déferlant de divers passages, diverses portes ou fissures, des Errants armés affluaient en vague au même endroit et se jetaient à corps perdu pour attaquer un Ryô couvert de blessure et prit d’une rage folle typique de ses crises dû au Souffle du Démon. Sous les faibles lueurs de lanternes diffusant une lueur verdâtre froide, ses vêtements en lambeaux et armé de son katana, de ses poings, de ses jambes et même de ses dents, il frappait, tranchait, arrachait… Les cadavres d’Errants s’accumulaient tels des grains de sable qui formaient peu à peu une dune. Tous ceux qui osaient s’attaquer à lui ne rencontrèrent qu’une mort violente dès l’instant où l’un d’eux avait le malheur de croiser son regard.

Tuer, tuer, tuer… et rester en vie !

C’était tout ce qui importait pour le moment. Qu’importe les blessures, tant qu’il pouvait encore tenir debout, ainsi que son arme, il devait continuer à abattre ce qui se présentait devant lui. Jusqu’aux derniers.


Dans les gradins du colisée, un petit public assistait à ce massacre unilatéral. Essentiellement de jeunes gens. Plus jeunes – à peine une douzaine d’années, que celui qui leur offrait cette prestation aussi spectaculaire que morbide, de sombre vêtus à l’identique, visages en partie dissimulés par leurs capuches. À leurs côtés, quelques hommes et femmes eux aussi vêtus de sombre avec capuche, à la différence qu’ils portaient tous un masque à l’apparence différente.

-C’est un monstre…, déclara une fille avec un mélange d’effroi et de dégoût, alors que Ryô venait de terrasser un Errant qui pensait pouvoir le surprendre par derrière.

-Je dirais plutôt un animal, personnellement, fit une autre avant de lâcher un rire faisant penser aux couinements d’une souris.

-Oui, une vraie bête sauvage, approuva un garçon avec un ton hautain. Mais il ferait un bon familier. Ou au moins, un animal de compagnie. Un dressage sera très certainement nécessaire, mais…

-Mesurez vos paroles, coupa un homme au masque de hibou. Vous n’observez pas une vulgaire bête destinée à vous divertir, comme vous êtes trop habitué à voir, mais le potentiel aboutissement de ce que à quoi nous aspirons.

-Ça !? s’indigna le garçon. Allons, Maître ! Un peu de sérieux ! Cette… chose n’a pas les connaissances ni les attributs nobles nécessaires à…

L’homme au masque de hibou poussa un long soupir sonore, tout en faisant signe à ce garçon de se taire et se leva pour faire face à son assemblée.

-Combien de fois devrais-je répéter mes leçons ? N’écoutez-vous donc pas vos instructeurs, lorsque ces derniers vous font cours ? Dans un avenir proche, ne vous étonnez pas d’être coincé dans une éternelle médiocrité… Ouvrez donc ce qui vous sert d’oreilles, cette fois. En espérant que mes paroles trouveront enfin un endroit où se tasser, dans cet espace vide qu’est l’intérieur de votre crâne.

Le garçon baissa alors la tête, honteux, sous les rires moqueurs de ceux ses camarades.

-Ce garçon, insignifiant pour vos yeux apparemment d’ignares, a attiré à lui, sans le vouloir ou non, l’intérêt de cette noble essence que sont les Ténèbres, poursuivit l’homme au masque de hibou à l’attention de tous, accompagnant son discours de gestes grandiloquents. Les Ténèbres se moquent bien de votre force ou de votre vertu. Seul l’affinité que vous avez pour Elles, consciemment ou non, vous donne grâce à Leurs yeux. Cette grâce qui lui permettre ; qui vous permettra, éventuellement, de Les contempler dans Leur forme la plus pure. Et peut-être, je dis bien peut-être, avoir l’immense privilège de vous élever et atteindre des sommets que nul ne peut imaginer !

Il y eu quelques applaudissements des disciples, ce qui ne déplu pas au maître et à son ego.

-Mais… Maître…, fit timidement une fille. Nous, nous avons suivis des enseignements qui nous poussent à toujours contempler l’Abîme ou l’Abysse et nous peinons a déjà toucher du doigt l’essence des Ténèbres. Alors comment lui pourrait… ?

S’en suivit alors une élévation d’approbations assez discrète de la part de ses pairs.

-Permettez, Maître Owl, que je réponde à votre place, intervint une femme avec un masque de chat.

-Faîtes donc, Maître Feline, fit l’homme au masque de hibou d’un geste courtois de la main et un zeste de soulagement dans la voix. Je me sens venir une migraine insupportable, à devoir réexpliquer l’évidence à cette jeunesse déplorable…

-Allons, ne soyez pas si dur avec eux, cher Maître. Après tout, cela fait parte de nos attributions, de les éduquer.

- « Consolider l’éducation de base », corrigea Maître Owl. Si cette dernière est absente, à quoi bon ?

-Oh, Maître Owl ! Comme c’est vilain…

Les étudiants ignoraient s’ils devaient être choqué de la franchise de Maître Owl ou du fait que Maître Feline n’avait même pas ne serait-ce que tenté de le contredire.

Cette dernière se leva à son tour, contempla ce jeune homme, qui était tout à fait à son goût malgré son jeune âge, pensa-t-elle, affronter deux Errants massifs, qui ne comptaient que sur la force brute pour écraser leur ennemi commun.

-Chers élèves qui contemplez sans cesse les Profondeurs. Vous, que nous cultivons pour devenir des êtres avec des prédispositions aux Ténèbres afin de pouvoir, dans un premier temps, vous servir des ressources qu’Elles recèlent. Mais qu’en est-il des autres ? Des êtres et des créatures qui ne peuvent voir aussi clairement que nous tous ici présent ?

-C’est évident, Maître, dit un garçon avec assurance. Elles nous servent.

-Comme les bons petits toutous qu’ils devraient toujours être, ajouta le garçon hautain.

Des rires suivirent.

-Il y a du vrai, mes jeunes garçons, confirma Maître Feline. Mais ce que vous semblez oublier, tous autant que vous êtes, c’est qu’il n’y a pas besoin de méthode particulière pour Les contemplez. Nous Les contemplons chaque jour, que nos yeux soient grands ouverts ou non. Nous vivons avec, que nous le voulions ou non. Chaque fois que nous nous endormons, chaque fois que nous nous réveillons. Lorsque nous sommes seuls, en groupe, avec un amant ou une amante…

-Comment cela ? demanda la fille qui riait comme une souris.

-Les Ténèbres sont multiples ; omniprésentes, au même titre que la Lumière. Elles sont visibles… Invisibles… Tangibles… Intangibles…

Autour d’eux, ils entendirent une sorte de grognement léger et ils eurent l’impression que l’air devenait plus lourd.

-C’est ici que réside toute sa beauté que nous admirons tant ; à qui nous vouons un culte. Nous n’avons pas besoin de Les voir, de Les entendre ou de Les sentir pour subir Leur influence. Nous Les subissons, de gré ou de force. Et… Et… Han ! N’est-ce pas magnifique ?

Elle marqua un arrêt dans sa parole comme dans sa marche, faisant glisser ses mains le long de ses courbes, sa voix marquée par une excitation sexuelle à peine dissimulée, alors que l’un des Errants massifs tombait, éventré, au pied de Ryô.

-Ce garçon… Ce Majin… Sans prendre en compte ses prédispositions de par sa naissance, il a aussi, semble-t-il, côtoyé toute sa vie une part sombre de ce monde. Il n’est donc pas étonnant qu’en posant les pieds ici, en plein dans Leur domaine, les Ténèbres aient vu en lui quelque chose qui Les poussent à le posséder.

-Quoi donc ? demanda l’un des élèves, curieux.

-Qui sait ? Les voies des Ténèbres sont très souvent impénétrables…

-RAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!

Les cris bestiaux de Ryô ramenèrent l’attention de l’assemblée sur lui, alors qu’il venait de décapiter l’Errant imposant qui lui donnait du mal. Le corps sans vie de la créature tomba lourdement sur le sol et il dut prendre appuie sur son arme pour ne pas faire de même. Il était épuisé et son corps, meurtri par de nombreuses blessures, dont certaines qui paraissaient graves. La lame de son katana aurait pu paraître comme neuve et étincelante à son arrivée dans cette ville, était à présent entièrement recouverte d’un sang sombre et visqueux, en plus d’être ébréché à de nombreux endroits, la lame menaçant de se briser à tout moment.

Lui-même le savait : si l’ennemi continuait déferler ainsi sur lui, ce ne serait qu’une question de temps avant qu’il ne se fasse tuer.

Il redressa la tête, pour lancer un regard haineux à l’attention de ceux qui l’observaient depuis les gradins, depuis qu’il avait mystérieusement atterrit ici. Une envie dévorante de les rejoindre, les attraper et les forcer à leur en dire plus sur cet endroit l’envahit, juste avant celle de les massacrer à mains nues ou non. Ne lui restait qu’à déterminer s’il comptait faire ça rapidement ou prendre tout son temps. Mais sa réflexion sur le sujet allait devoir encore attendre. D’autres Errants venaient de pénétrer dans l’arène via une grande grille grand ouverte. Plus que la fatigue, c’était la lassitude. La lassitude d’affronter encore et encore les mêmes ennemis, qui plus est faibles et se contentant d’agiter leurs armes n’importe comment dans l’espoir vain de toucher quelque chose. Ce genre d’ennemi n’était jamais une menace, mais pouvait devenir une nuisance à mesure que le nombre augmentait, à l’image des cafards.

Ryô devait réfléchir et vite. Il n’était pas en étant de poursuivre un long combat et s’engouffrer tête baissée là où s’échapper ces monstres, en caressant l’espoir de déboucher dans un lieu sûr, était suicidaire, à ses yeux. Peut-être que s’il trouvait un moyen de grimper dans les gradins, il pourrait…

Soudain, il eut l’impression que sa tête subissait des coups de marteau sur une enclume. Des murmures chaotiques semblaient résonner dans ses oreilles. Puis, subitement, quelque chose attira son attention, mais plus encore, celle des Errants. Glissant sur leurs pieds, une épaisse fumée sombre semblait s’échapper… Ryô n’en cru pas ses yeux. Il crut d’abord que les Errants, qui a stoppé leur course pour voir d’où venait l’origine de cette fumée, fixait le vide. Mais après quelques instants, ce qu’ils regardaient prit de l’ampleur, accompagné de bruits semblable au verre qui se brise sous une multitude de chocs répétés. L’espace était en train de se briser comme du verre. Littéralement. Quelque chose frappait pour sortir. Ou entrer. Un Errant se traîna vers cette espace en train de s’émietter en poussant des râles proches de l’agonie. Lentement, il leva sa main osseuse, comme poussé par une envie de toucher.

Puis, dans un fracas qui se fit entendre dans toute l’arène, une main brisa l’espace et saisit le crâne de la créature. Une main enveloppée dans le gantelet d’une armure. Une main qui pressa la tête qu’elle venait de saisir et qui la pressa comme on presserait un fruit trop mûr. Après cela, celui à qui appartenait cette main s’extirpa de l’endroit d’où il venait, en brisant l’espace déjà fragilisé comme on ferait passer un corps trop à travers une vitre fine.

Il était massif ; imposant. Son armure était effrayante ; faite pour inspirer l’effroi aux plus impressionnables. Difficile de croire qu’elle aurait été vraiment conçue pour protéger son porteur. Peut-être une armure d’apparat ? Mais Ryô balaya bien vite cette idée, quand son porteur commença à s’avancer dans sa direction et qu’il put voir que cette armure avait déjà bien servie, à en juger par les nombreuses éraflures et le début de rouilles qui s’installaient dessus, notamment au niveau des nombreuses pointes qui se dressaient de part et d’autre de cette assemblages d’acier. Mais qu’importait l’apparence que cette armure donnait à celui qui l’apportait.

Mais ce qui inquiétait vraiment Ryô, c’était ce labrys démesuré que cet homme traînait sur le sol. Entièrement en acier, son double tranchant absurdement grand… Un homme normal serait bien incapable que de ne serait-ce que soulever une telle arme. Et pourtant… c’est ce qu’il fit.

Il leva son arme au-dessus de sa tête et il poussa un cri. Pas celui d’un humain ou d’un animal. Un cri sonore qui résonna en écho de manière surnaturelle. Ryô en était convaincu : ce qui se dressait devant lui n’avait d’humain que le physique et rien de plus.

-Par les dieux… C’est incroyable…, marmonna Maître Owl en voyant cette chose en armure. En lire des descriptions est une chose, mais… Je n’aurais jamais cru que je pourrais en contempler un de mon vivant…

-M…Maître, fit l’un des élèves. Qu’est-ce que c’est ?

-Ceci… Ceci est sans nul doute l’une des plus belles créations offertes par les Ténèbres, mes enfants. Une entité pure née en son sein, dont le but est simple : conquérir ou détruire ! Une preuve que les Ténèbres veulent posséder ce jeune homme ! Et que si Elles ne peuvent l’obtenir, alors il doit périr ! Admirez, mes enfants ! Admirez tous… un Chevalier de l’Abîme !

Le Chevalier bondit. Un bond si haut qu’il paraissait irréaliste, encore moins avec une armure et une arme de ce poids ! Et pourtant, il était là, à plusieurs mètres du sol, et se préparait à abattre son arme alors qu’il commençait à retomber. Ce saut était surprenant mais Ryô pouvait l’esquiver. Ce qu’il fit aisément. La lame du labrys s’écrasa au sol dans un fracas assourdissant et fendit le sol avec une aisance effrayante. Dire que rien n’était normale avec cette chose aurait été le plus beau des euphémismes. Mais l’attaque ne s’arrêta pas là ! Le Chevalier, avec une célérité déconcertante compte tenu de son aspect massif, fit traîner la lame sur le sol et tenta une frappe ascendante, qui manqua Ryô de très peu. Il fut très surpris et si son instinct ne lui avait pas crié de reculer plus qu’à son habitude, il aurait eu le visage fendu en deux. Mais le Chevalier n’avait pas fini ! Son attaque à peine terminée, il enchaîna en effectuant une charge d’épaule, pour lui rentrer violemment dedans et le renverser. Ryô ne l’avait pas vu venir et finit au sol. Il avait eu l’impression qu’un taureau l’avait chargé. Il eut à peine le temps de reprendre son souffle qu’il vit le Chevalier lever son arme à deux mains et commencer à l’abattre. Il roula alors rapidement sur le côté et entendit l’arme s’écraser dans le sol dans un nouveau fracas. Celui-ci trembla même un peu.

Ryô se releva rapidement, serrant de toutes ses forces son arme. Cela n’avait plus rien à voir avec les monstres qu’il combattait plutôt. Cela n’avait même rien à voir avec tous les combats qu’il avait mené dans sa vie. Aujourd’hui, à l’aube de sa seizième année de vie, il était face à un adversaire qui défiait toute logique qu’il connaissait et qui lui apporterait la mort au moindre faux pas. Aujourd’hui, alors que la Mort planait au plus près de lui, paradoxalement, il se sentit plus vivant que jamais !

-Intéressant, dit-il avec le sourire. Montre-moi donc ce que tu as dans le ventre, saleté !

Sans penser à une stratégie pour vaincre, il fondit sur son ennemi, mû par un mélange d’euphorie et d’ivresse du combat, qu’il goûtait vraiment ici pour la première fois. Une ivresse dont il espérait qu’elle ne disparaisse pas tout de suite.

Son adversaire désigné, lui, ne fit que pousser un cri animal, avant de repartir dans un assaut qui n’était au final qu’une extension de sa nature destructrice.

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