09. Lovham – II : Errance en ville

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-Mikazuki… Mikazuki ! MIKAZUKI !

La jeune fille ouvrit subitement les yeux, prit une profonde inspiration comme si elle renaissait. Avant de tousser fortement puis de vomir sur un sol déjà poisseux. Sa tête tournait tel un tourbillon. Elle était désorientée, voyait flou. Se relever fut un tour de force avec son sens de l’équilibre désorienté…

-Doucement…

Glissant et manquant de retomber, elle se cogna contre un mur et s’y appuya, le temps de remettre toutes ses idées en place. Les monstres… La ville… Le nuage sombre… Les autres… Les autres !

Son esprit s’éclaircit subitement ! Où était les autres ?

Il examina alors l’endroit où elle avait atterri, qui n’avait absolument rien à voir avec son point de départ. Elle se tenait debout dans ce qui semblait être une ruelle sombre et sale, envahie de déchets de tout genre, dont certains paraissaient douteux.

-Tu as l’air de bien aller. Heureusement…

Mikazuki sursauta en tournant la tête pour voir qui lui parlait. C’était la femme en blanc.

-Qu’est-ce qui se passe ? Où est-ce que je suis ? Où sont les autres ?

Mikazuki commençait à faire une petite crise de panique mais la femme posa sa main sur son épaule :

-Calme-toi… Respire. Lentement puis profondément. Comme te l’a appris Ryô.

La logique voudrait que Mikazuki se méfie d’une entité qu’elle était la seule à voir et entendre, mais étrangement, elle lui fit confiance sans la remettre en doute. Lentement, elle tenta de reprendre une respiration via des exercices de respiration appris avec Ryô, pendant sa formation.

-Bien. C’est parfait.

Une fois calme, Mikazuki commença à marcher, avec précaution, pour sortir de cette ruelle infecte, suivie de près par son apparition ou quoi que pouvait être cette femme.

-Je dois retrouver les autres…, dit-elle une fois hors de la ruelle. On doit se regrouper… C’est ce qu’on doit faire si on se sépare…

Elle eut enfin un aperçu de la partie de la ville dont elle foulait le pied depuis quelques instants. Des rues larges, entièrement pavés, et éclairées par une lueur froide provenant des lanternes, de grandes maisons de briques… De manière générale, l’endroit dégageait un certain charme ; une certaine élégance mais aussi une aura inquiétante sous cette nuit sans étoiles, pourtant éclairée par la pâleur inquiétant de la Lune.

Les bruits inquiétants qu’elle perçut lui rappelèrent alors qu’elle n’était pas dans un endroit sûr. Elle espérait ne pas tomber sur des monstruosités comme les « chiens » de tout à l’heure. Elle pria presque, tout en faisant rouler les perles de son nenju entre ses doigts.

-Tu restes avec moi ? demanda-t-elle à la femme en blanc en la regardant avec un regard légèrement apeuré.

-Toujours, assura cette dernière.

Ainsi, Mikazuki commença son exploration.

Elle ne les voyait pas mais elle entendait les bruits, souvent de pas et assez lourds, et tout autre chose qui ne pouvait être émis que par un être vivant. Elle ne s’avança pas à penser que cela était forcément humain. Pas après ce qu’elle avait vu un peu plutôt…

Les rues qu’elle empruntait étaient bien vides, ce qui fit naître un sentiment étrange en elle. Un mélange entre le soulagement et l’inquiétude. Elle avait le sentiment d’être observée mais elle avait beau regarder autour d’elle, en dehors des quelques bruits qu’elle percevait, il n’y avait pas de signes clairs d’une présence vivante. Malgré cela, elle se risqua par moment à toquer à la porte de certaines maisons dans l’espoir de voir une présence un minimum rassurante via la vision des propriétaires. Mais en guise de réponse, elle n’eut qu’un silence de mort. Ce qui ne fit qu’accroître sa peur de l’endroit.

-Garde la tête froide, Mikazuki, lui dit la femme en blanc. Tant que tu n’as pas retrouvé les autres, tu dois avancer.

-Oui… Oui, tu as raison.

Elle s’accorda un instant pour se ressaisir et recommença à mettre un pied devant l’autre pour reprendre son exploration.

À quelques reprises, elle se rendait compte qu’elle tournait en rond. Certains chemins qu’elle suivait avaient une certaine logique et étaient simple à suivre. D’autres étaient plus chaotiques et la forçaient à faire des détours à rendre fou, alors que la destination imposée se situait tout droit. Par exemple, à un moment, elle vit une grande place au bout d’une rue, mais une cavité sans fond s’était formée au beau milieu et elle dut trouver un moyen de la contourner. N’ayant pas de ruelles proches à portée, elle allait être obligé de faire un détour qui allait lui prendre un peu de temps, sans compter que des bruits peu rassurants et proches se faisaient entendre de ce côté. Aussi vérifia-t-elle l’ajustement de ses cestes avant de s’y aventurer…

Au détour d’une ruelle, elle l’aperçut. L’une de ces choses à forme humaine, drapées dans des haillons, en train de se taper le front contre un murmure en poussant des grognements dignes d’une bête sauvage. Mikazuki devait passer par là ou son détour risquait de se faire plus grand. La créature ne semblait pas faire attention à ce qui l’entourait. En marchant à pas de loups, peut-être pourrait-elle passer inaperçu…

Pendant qu’elle prenait garde à chacun des pas qu’elle faisait, la femme en blanc passa devant. À cet instant, Mikazuki donné tout l’or du monde pour pouvoir se déplacer sans être vu ni entendu à volonté, comme l’autre le faisait.

Quand elle passa derrière la créature, elle eut quelques frissons de terreurs alors qu’elle entendait très clairement les grognements de cette chose. Une part d’elle lui demanda de presser le pas, alors que l’autre la suppliait de prendre son temps pour ne pas attirer l’attention. Par sûreté, elle préféra suivre les conseils de l’autre.

Elle dépassa la créature et la gardait à l’œil tout en avançant à pas feutrée, tandis que l’autre s’entêtait à faire du mal au mur avec son crâne.

-SKOUICC !!

-HAAAAA !!!

Sortant de nulle part, un rat était passé entre les jambes de la jeune fille, l’effrayant au passage, avant de filer pour disparaître. Malheureusement pour elle, son cri attira l’attention de la créature, qui hurla à sa vue.

-Non, non, NON !

Aussitôt, elle se mit à courir pour sortir de cet endroit exigu, la chose à ses talons.

Mikazuki, durant sa course, se fit cette réflexion : la créature était seule et non-armé. En étant prudente et dans un endroit plus espacé, elle pourrait peut-être sans défaire. De plus, elle imaginait mal cette chose abandonné la chasse. Surtout qu’elle gagnait dangereusement du terrain. C’était décidé ! Dès qu’elle quitterait cette maudite ruelle, elle se débarrasserait de son poursuivant !

Une fois une rue large atteinte, elle se retourna pour faire face à son poursuivant. Dès sortie de la ruelle, la chose bondit sur elle tel un prédateur se jetant sur sa proie avec une vitesse qui surprit la jeune fille. Mikazuki l’esquiva de justesse et juste après la réception de la chose, elle accourut pour lui faire perdre l’équilibre d’un coup de pied dans rotule, avant de frapper de toutes ses forces dans la figure de l’ennemi, l’envoyant au sol. La créature fut certes sonnée mais pas défaite. Cette fois, c’était son tour d’être l’assaillante…

Profitant qu’elle ne se soit pas relevée, cette fois, ce fut Mikazuki qui lui sauta dessus pour l’immobiliser et ruer son visage de coups. Au début, la créature se débattait, griffant par endroit son assaillante. Mais au fur et à mesure, son esprit combattif sembla mourir sous les coups. Après ce qui lui parut une éternité, Mikazuki ne sentit plus la créature se débattre en dehors des petits soubresauts qu’elle effectuait sous un coup. À la vue de ce qui restait du visage, elle ne s’avançait pas trop en pensant que cette chose était morte…

-Je peux le faire… Je peux le faire… Je peux le faire…

Se répétant ces paroles comme un mantra, elle laissa le corps de la créature au beau milieu de la rue et repris sa route, avec la femme en blanc à ses côtés.

Elle arriva finalement à la grande place qu’elle avait aperçu un peu plus tôt. À part une grande fontaine avec de somptueuses décorations, il n’y avait rien. Toujours de traces des autres.

-J’ai… besoin de… me reposer un peu…

Mikazuki s’assit contre la fontaine pour souffler, tandis que la femme fureter insouciamment aux alentours. Plus que la fatigue de sa marche, c’était la tension de son combat de tout à l’heure qui retombait d’un coup. En y réfléchissant, elle pensait qu’elle aurait dû être plus assidue aux entraînements de maniement des armes. Se battra à mains nues étaient bien plus laborieux quand on le mettait en pratique. Pourtant, à regarder, on pourrait penser que c’était plus simple et moins dangereux que de manipuler une épée, par exemple. Mais elle ne pouvait pas. Quelque chose en elle provoquait une sorte de sentiment de révulsion quand elle tenait une arme, qu’importe le type. Ce n’était que par défaut qu’elle avait opté pour le combat à mains nues, bien qu’on lui ait dit à de nombreuses reprises que cela convenait mal à un mercenaire allant sur des champs de batailles. Elle se disait, à ce moment-là, qu’elle ne prendrait que des boulots sans rapport avec la guerre, comme garde du corps ou des choses s’en rapprochant…

-Mikazuki… Pardonne-moi de t’extirper de tes souvenirs mais je crois qu’il faut que tu ailles et vite !

Surprise, elle leva les yeux en direction de la femme pour lui demander pourquoi, mais elle obtint malheureusement bien vite sa réponse.

Les mêmes créatures, provenant des rues alentours et se dirigeant vers elle. Elle en comptait une dizaine… Non, plus ! Et leur nombre ne cessait d’augmenter ! Elle n’avait aucune chance de défaire autant de ces choses ! La fuite était sa seule solution !

Apercevant une rue sans créatures, elle courut dans cette direction tandis que les autres, la voyant détaler, se lancèrent à sa poursuite. Malgré leur maigreur squelettique, ces choses faisaient preuve d’une bonne célérité. Mikazuki courut comme jamais elle n’avait couru et parvint à atteindre la rue mais ce qui devint vite une horde la talonnait. Elle se mit alors à emprunter les ruelles et les petits passages, espérant que ses poursuivants soient assez bêtes pour tous emprunter bêtement le même chemin en même temps. Ce qu’ils firent. Bon nombre se mettaient à obstruer, malgré eux, les passages par lesquels ils passaient mais certains parvenaient à se faufiler et continuèrent la poursuite.

Cela paraissait sans espoir. Mikazuki parvenait à maintenir une certaine distance mais ces choses semblaient déterminés, en plus d’être rapide. De plus, elle commençait à fatiguer. Le souffle court, les jambes qui devenaient lourde comme le plomb… Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne puisse plus faire un pas de plus.

-Hé !

Au bout d’une ruelle, elle aperçut… quelqu’un ! Une fille ! À peine plus âgée qu’elle !

-Viens par ici ! Vite !

Pas le temps de se demander si c’était une bonne idée ou non. Mikazuki rassembla ses dernières forces et courut sans se retourner ! Elle entendait ces choses courir, crier, hurler derrière elle mais elle se concentra sur sa course pour rejoindre cette fille.

-Suis-moi !

Sans réfléchir, elle obéit et toutes les deux, elles coururent en direction d’une petite chapelle, située plus haut dans cette rue. Chaque foulée était un véritable supplice mais l’abri providentiel était droit devant ! Encore un effort !

-Dépêche-toi !

La fille passa devant pour tambouriner aux portes et hurler qu’on lui ouvre vite. Mikazuki la rejoignit juste après et l’imita, tout en regardant derrière elles : les créatures n’étaient plus très loin et si elles les attrapaient, elles étaient clairement mortes !

L’une des portes s’ouvrit et la fille la tira à l’intérieur en vitesse.

-Aide-nous à barricader la porte !

Alors qu’elle poussait un banc, Mikazuki vint l’aider, tandis que, du coin de l’œil, elle vit un homme pousser une lourde armoire. Juste à temps ! Ces choses cognèrent de toutes leurs forces contre les portes mais fort heureusement, ces dernières demeurèrent solidement fermées.

-AH ! Dans votre face ! hurla la jeune fille, essoufflée mais avec un air victorieux, en donnant un coup de pied sur l’un des bancs qui bloquait la porte.

Mikazuki put alors s’attarder sur l’apparence de sa sauveuse : une fille à la chevelure rousse soigneusement tressée, de son âge, et portant une sorte d’uniforme avec un soleil blanc brodé à l’avant.

-Tu as de la chance d’avoir croisé ma route lors de ma mission de reconnaissance, toi ! Sans moi, ces choses t’auraient… fait je-ne-sais-quoi.

-Sans doute, oui… Merci… Au fait, qui es-tu ?

-Moi ? Je suis…

-Liliane ! fit une voix derrière elles.

L’homme qui les avait aidés à barricader l’entrée était visiblement remonté. Une courte chevelure blonde, de blanc vêtu avec, lui aussi, un soleil blanc peint à l’avant de son plastron. Toutefois, sa tenue semblait imprégnée de sang sur son flanc droit, dû à une blessure. Et à la vue de la couleur, celle-ci datait un peu.

-Maître Loth ! s’écria la fille rousse en se mettant au garde à vous.

-Tu es sortie sans m’en informer !! Es-tu inconsciente ou stupide !?

-Mais… Maître… J’ai entendu les Errants s’agiter dehors. Et comme vous avez compris qu’ils n’agissent comme ça que lorsqu’ils croisent la route d’un humain… Je pensais que c’était peut-être l’un des nôtres en détresse ! Je voulais me rendre utile !

-En te mettant en danger !? Sans parler de… AAARG !

Il gémit de douleur en posant une main sur sa blessure et l’autre sur sa tête, tout en allant s’asseoir sur un banc proche.

-Maître ! s’écria Liliane.

-C’est bon ! Il faut croire que je ne suis pas complètement remis… Bon, passons. Qui est-ce ?

-Heu… Pour tout vous dire, je l’ignore.

Les deux regardèrent Mikazuki et attendaient visiblement qu’elle se présente d’elle-même.

Cette dernière reconnut l’uniforme qu’ils portaient : celui des membres de l’Ordre du Soleil Blanc. Sans doute des rescapés de l’une de leurs expéditions mentionnées par la vieille villageoise bossue.

-Mikazuki… Dans le doute, dis-leur uniquement l’essentiel. Inutile qu’ils en sachent trop. On ne sait jamais…

Le cœur de la jeune fille manqua un battement quand la femme en blanc apparut de nulle part pour lui souffler ce conseil. Elle détestait ce qu’elle venait de faire, mais ce conseil paraissait pertinent.

Elle leur expliqua alors qu’elle faisait partie d’un petit groupe de mercenaires qui servait d’escorte à une mage et qu’ils étaient tombés sur cette ville par hasard, avant de se retrouver séparé après avoir été engloutis par une étrange et épaisse fumée sombre. Elle préféra toutefois ne pas mentionner la voix qu’elle avait entendu peu après.

Si Liliane semblait parfaitement croire à cette histoire, le dénommé Loth ne parut qu’à moitié convaincu mais n’insista pas. Pour le moment, du moins.

-Nous aussi, peu après notre arrivée, nous avons été engloutis par une fumée sombre, fit Loth. Je me suis réveillé avec quelques-uns de mes hommes, dont Liliane.

-Vous avez des enfants dans vos rangs ?

-À son âge, ce sont plus des apprentis qu’autre chose. Ceci dit, et heureusement pour moi, elle se débrouille un minimum avec une arme.

Liliane, fière, bonda le torse.

Loth avait mentionné « quelques hommes », mais en balayant l’intérieur de l’église du regard, elle ne vit qu’eux deux et…

Au fond de l’église, face à l’autel, une femme semblait prier. Longue chevelure blonde-platine, une robe sombre et un châle de couleur identique.

-Qui est-ce ? demanda Mikazuki.

-Oh…, fit Loth comme s’il se rappelait subitement de sa présence. C’est elle qui nous a accueilli dans ce lieu saint. Et qui nous a expliqué que les créatures que tu as croisées plutôt se nomment « Errants ».

-Mais pourquoi ce nom ?

La femme devant l’autel cessa sa prière et vint se joindre à la conversation. Mikazuki vit alors que cette dernière avait les yeux bandés par un morceau de tissu déchiré.

-Ils sont nommés ainsi car, à force d’errer dans les Ténèbres, ils ont perdu ce qui faisait leur essence. Ils ont perdu de vue cette lueur donnant le pouvoir de marcher sans peur, même dans les ombres, que l’on nomme espoir. En attaquant autrui, elles espèrent retrouver cette lumière, quitte à l’arracher.

-De moins point de vue, ce ne sont rien de plus que des carcasses apathiques, jusqu’à ce qu’elles nous voient, commenta Loth.

-Prenez garde à vos paroles. Un Errant peut, par moment, avoir de la ressource et nous surprendre, s’il trouve une nouvelle raison d’être…

-Peuh ! De bien beaux mots pour décrire la monstruosité ! Pour nous, c’est simple : ce qui n’est pas humain est aberration et l’aberration ne mérite que l’oblivion.

Liliane approuva fièrement en hochant la tête.

Un discours typique d’un serviteur de Lumina, pensa Mikazuki. Finalement, elle avait bien fait d’écouter la femme en blanc et de ne pas avoir parlé en détail de ses compagnons, notamment de Celer ou de Ryô.

-Mikazuki…, lui souffla la femme en blanc. M’est d’avis que tu devrais rester avec eux. Du moins, le temps de retrouver les autres. Ce n’est pas l’idéal mais…

Mikazuki était réticente mais compte tenu de la situation, c’était peut-être un mal pour un bien. Elle se voyait mal faire face seule à la horde de monstres qui errait dans les rues de cette ville maudite…

Elle sentit alors un regard se poser sur elle. Ce n’était pas Loth, qui s’était levé, toujours la main sur la tête, pour voir avec Liliane ce qu’ils allaient faire, une fois dehors. Non, c’était cette femme de sombre vêtue. Son visage était tourné vers elle et malgré ses yeux bandés, Mikazuki avait l’étrange sensation que son regard la transperçait et qu’elle lisait en elle…

-Mikazuki, prudence. Cette femme n’est pas ordinaire.

Jusqu’ici, la femme en blanc lui était d’une précieuse aide et de bons conseils. Il n’y avait aucune raison de douter maintenant de sa parole. Mais l’instinct de Mikazuki lui souffla également que cette étrange femme en sombre n’était pas une menace. Du moins, pas dans l’immédiat.

-Excusez-moi, fit la jeune fille. Mais j’ignore votre nom…

La femme en sombre eut un sourire triste et s’inclina légèrement avant de lui dire :

-Mon nom… Oui… J’en ai eu un, à ma naissance… Il y a fort longtemps… Puis, j’y ai renoncé pour un autre… puis un autre… et encore un autre. Puis, quand est arrivé la fin, il n’était plus.

Elle se retourna et contempla l’autel devant lequel elle priait un peu plus tôt.

-On peut ainsi dire qu’aujourd’hui, je n’ai plus de nom…

Mikazuki ne put s’empêcher de compatir. Elle pensait que vivre sans nom devait être pesant. Et triste…

-Vous n’avez pas envie d’en trouver un ? demanda-t-elle à cette femme en sombre.

Cette dernière la « regarda ».

-Vous n’y avez pas pensé ? demanda à nouveau Mikazuki.

-Si…, avoua-t-elle. Mais je n’en ai jamais trouvé un qui me plaise…

-Je vois…

La femme « regarda » Loth et Liliane observer l’extérieur par une fenêtre, sans doute pour voir si les Errants étaient toujours devant l’église ou non loin.

-Si vous le désirez, je pourrais vous en trouver un.

Ses yeux étaient cachés mais les légers mouvements du visage de cette femme laissaient une certaine surprise.

-Tu… ferais ça pour moi ?

-Bien sûr. Comme me l’a dit Ryô – mon… ami, je pense, « Vivre sans nom revient à n’avoir eu qu’une existence éthérée dans ce monde ». Quoique… Ce n’était pas exactement de lui mais d’un érudit dans un livre…

La femme en sombre eut un petit rire.

-Tu as l’air d’avoir une grande considération pour lui.

-Oui. Il m’a appris tout ce que je sais. C’est un peu… mon second grand frère… Même si lui doit me voir que comme une petite fille qu’on lui a refilée…

-Je suis persuadée que tu dois tenir une place particulière dans son cœur…

Au fond d’elle, Mikazuki espérait que cette femme ait raison. Depuis son arrivée à Pendragon, Ryô était la personne avec qui elle pensait avoir noué le lien le plus fort.

-Jeune fille !

Loth venait d’interpeller Mikazuki, ce qui la tira de ses réflexions.

-Nous allons partir d’ici ! Si tu veux venir avec nous, c’est maintenant !

-Ah… D’accord !

Puis, Loth se tourna vers la femme en sombre.

-Et vous ?

Celle-ci secoua légèrement la tête.

-Je vais demeurer encore un moment ici, avant de partir.

-Seule ? Vous…

-Ne vous inquiétez pas. Je sais me débrouiller face aux Errants.

Loth la regarda d’une manière suspicieuse. Finalement, il n’insista pas davantage et quand Liliane eut fini de dégager ce qui servait de barricade à la porte, il s’y dirigea sans se retourner. Liliane, elle, héla Mikazuki. Mais cette dernière se sentait mal de partir en laissant cette femme ainsi…

-Ne t’inquiète pas, lui dit cette dernière.

Elle s’approcha et posa sa main sur l’épaule de la jeune fille.

-Nos chemins se recroiseront sans doute. D’ici là, peut-être m’auras-tu trouvé un nom…

Elle sourit à Mikazuki, qui le lui rendit faiblement.

Liliane la héla de nouveau, en ajoutant qu’ils allaient la laisser si elle traînait trop. Mikazuki salua donc la femme en sombre et rejoignit les autres. Des adieux auraient peut-être été de circonstances. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de croire qu’en effet, leurs chemins se recroiseraient. Un jour.

Ainsi, Mikazuki et ses nouveaux compagnons poursuivirent leur exploration de cette étrange ville, veillant à soigneusement éviter les Errants qu’ils pouvaient croiser çà et là. Ils avaient l’impression que la zone d’habitation où ils se trouvaient s’étendait encore et encore à mesure qu’ils marchaient. Ce qui ne plaisait visiblement pas à Loth, qui aurait aimé pester à plein poumons mais il se retint. De plus, s’agiter lui faisait tirer sur sa blessure.

Il ne manquait jamais une occasion pour s’en plaindre, tout en se demandant pourquoi cette dernière s’acharnait à refuser de se soigner, depuis le temps. Sans parler de ses maux de tête de plus en plus fréquent depuis qu’il avait mis les pieds dans ce fichu village, selon ses propres mots. Tout cela le rendait irritable et irritant. Irritant aux yeux de Mikazuki car, pour Liliane, son supérieur n’était juste pas dans la meilleure des humeurs et pour elle, c’était parfaitement compréhensible à la vue de la situation. Ce qui ne convainquit nullement Mikazuki…

Après ce qui parut une éternité, ils finirent par tomber sur ce qui ressemblait… à un parc. Enfin parc… La végétation semblait ici reprendre ses droits sur l’espace imposé par les bâtisseurs de cette ville. Si l’endroit avait été, ne serait-ce qu’un jour, un carré de végétation prévu pour embellir et donner un peu de verdure parmi les pierres et les briques, à présent, tout cela donnait l’impression de faire face à une forêt luxuriante ; touffue, sauvage. Une découverte assez singulière, mais cette ville ne l’était pas tout autant ?

Ce parc, tout du moins l’entrée devant laquelle ils se trouvaient, donnait sur un bois, sombre et sinistre comme dénué de couleurs. Rien de rassurant, en somme.

-Maître Loth… Vous comptez vraiment allez là-dedans ? lui demanda Liliane, peu rassurée.

-Du courage, Liliane ! tonna presque Loth. Comment espères-tu vaincre les ennemis de l’humanité si tu trembles pour si peu !

Sans ménagement, il la poussa pour qu’elle passe en premier, malgré l’inquiétude évidente qu’elle affichait. Membre de l’Ordre ou pas, elle restait une enfant. Qu’elle tremble de peur dans cette situation était compréhensible ! Même un adulte en ferait autant ! Et puis, pourquoi était-ce à elle de passer devant ? N’était-ce pas le rôle d’un supérieur de montrer la voie à suivre pour les autres ? Dans tous les cas, que ce fut dans le but de la punir pour avoir « oser » exprimer de la peur ou pour la forcer à s’endurcir et faire preuve de courage, Liliane devait passer devant.

-Toi aussi, dit-il à Mikazuki sur un ton qu’il s’imaginait autoritaire. Dépêche-toi !

Sans lui demander son avis, il la poussa aussi devant. Ainsi, ce serait deux jeunes filles qui allaient ouvrir la voie pendant que l’homme, certes blessé, restait légèrement en retrait. Si Mikazuki avait eu ne serait-ce qu’une once de respect pour Loth, celle-ci venait de s’envoler.

À contre-cœur donc, les deux filles ouvrirent la voie pour l’homme.

Les plantes et racines ajoutaient de la difficulté à l’avancée. Fort heureusement, par endroit bien dissimulés, on sentait sous les pieds ce qui restaient de chemins dallés prévus pour les visiteurs, formant des lieux de passages bien plus praticables. Il ne fallut pas longtemps pour que l’entrée du parc derrière ne se perde entre les hautes herbes, plantes et arbres. De plus, la pénombre sous les branches se prononçait au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les ténèbres de ces bois. Au moins, dans les rues, ils avaient pu profiter des lueurs émises par les lanternes disséminées un peu partout…

-Stop ! ordonna Loth. Pas un pas de plus !

-Pourquoi ? demanda Mikazuki.

-Ce n’est donc pas évident pour toi ? On n’y voit de moins en moins, dans ces fichus bois ! Pas question de faire un pas de plus en avant sans une source de lumière ! Liliane ! Tu vas faire demi-tour et nous ramener l’une des lanternes qu’on voit partout en ville. Je crois en avoir vu une non loin de l’entrée du parc, posé sur le sol. Pendant ce temps, cette jeune fille et moi-même allons fabriquer de quoi faire des torches. Pour avoir de la luminosité en plus.

-O…Oui, Maître.

La renvoyer en arrière seule ne rassurait clairement pas Liliane aux yeux de Mikazuki. Elle se proposa donc de l’accompagner pendant que Loth ferait les torches. Au début, ce dernier était réticent mais en regardant mieux sa disciple et voyant qu’elle tremblait toujours de peur, il accepta, non sans être agacé. Si bien qu’il les somma de ne pas traîner en route.

Les deux filles firent alors demi-tour, tandis que Loth commença à chercher du bois mort qui lui servirait à faire ses torches. Quand il fut hors de vue et hors de portée de voix, Liliane, tout en marchant, se tourna vers Mikazuki :

-Merci… Je… J’ai honte de le dire mais j’aurais eu trop peur d’y aller seul. Dans le noir.

-Pourtant, tout à l’heure, tu as pris le risque de sortir pour venir me sauver, lui fit remarquer Mikazuki.

-Parce que je voulais aider. Et puis, avec les rues éclairées, je n’ai pas eu peur. Enfin, jusqu’à la vue des Errants… Mais si cela s’était déroulé dans le noir complet…

Liliane baissa les yeux et resta silencieuse.

Curieuse, une fois qu’elles furent sorties du parc, Mikazuki lui posa la question :

-Lili, tu as peur du noir ?

-D’où tu me donnes un surnom ?! D’accord, je t’aime bien mais…

-C’est bon. On doit avoir le même âge. On va pas se disputer pour ce genre de détail…

-Qui te dit qu’on a le même âge ! J’ai treize ans ! Et toi ?

-Treize, aussi.

-Quel mois tu es née ?

-Le huitième de l’année… Heu… Je crois que dans ce pays, on dit que c’est le mois de La Justice ?

-Urg… Moi, je suis le mois des Amoureux… T’es plus vieille d’un mois… Bon, va pour Lili, si tu veux. Et pour répondre à ta question, oui, j’ai peur du noir. Depuis toute petite.

Tout en cherchant la lanterne, Lili lui expliqua :

-J’ai pas connu mes parents. Enfin, non. Pour être précise, je sais qui est ma mère mais je ne l’ai vu que deux ou trois fois et de loin…

-Pourquoi ?

-Ma famille sert l’Ordre et l’Église depuis leurs créations. Tous les membres de ma famille font partie de l’un ou de l’autre. Ma mère, elle était Inquisitrice, comme ses parents. Mais un jour, après une mission, elle est revenue enceinte de moi. Alors qu’elle n’était pas mariée. C’était un véritable scandale aux yeux de mes grands-parents. Et aussi, ma mère était du genre… on va dire « originale ».

Par « originale », la femme en blanc murmura à l’oreille de Mikazuki qu’on la considérait comme folle.

-Donc, ils ont décidé de la cloîtrer chez eux, le temps qu’elle accouche. Quand je suis venue au monde, on m’a vite séparé d’elle et confié à des nourrices. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de quand j’étais petite, mais je me souviens qu’elle venait me voir de temps en temps. Puis, un soir, j’ai surpris une dispute entre elle et ses parents. Elle voulait que j’aie une vie « normale » et mes grands-parents voulaient que je perpétue la tradition. Je devais avoir quoi ? Six ans, à l’époque.

Elle s’arrêta au beau milieu de la rue et renifla un peu, avant de secouer la tête pour se ressaisir.

-Après ça, Maman n’a plus eu le droit de me rendre visite. Soi-disant pour éviter qu’elle pollue mon esprit avec ses idées stupides et que, moi aussi, je devienne « une honte pour la famille Walker ». Quand j’ai eu sept ans, un soir, elle s’est glissée dans ma chambre et on s’est enfuis pour passer du temps ensemble. Une semaine entière où chaque jour qui passaient, j’étais avec elle. Je ne me souviens plus de tout ce qu’on a fait, mais je me souviens que j’ai aimé chaque seconde.

Elle baissa ensuite la tête, avant de poursuivre :

-Le huitième jour, mes grands-parents nous ont retrouvés. Accompagnés d’hommes armés. Ils ont fait arrêter ma mère pour mon enlèvement. Elle allait être jugée. Apparemment, notre petite escapade n’était qu’une faute parmi la longue liste qu’elle avait accumulée au fil des ans, depuis cette mission où elle est revenue enceinte. Heureusement, le juge a décidé de seulement lui retirer son titre d’Inquisitrice et qu’elle fasse un séjour dans un sanatorium.

-Je ne vois pas en quoi c’est une fin heureuse.

-Parce que mes grands-parents, ces raclures, ont demandés à ce que ma mère soit interné à vie, en propageant des mensonges sur sa santé mentale. Ils disaient qu’elle était complètement folle et dangereuse, qu’elle m’avait déjà fait du mal ! Ils ont même convaincu certaines de leurs connaissances de les aider à crédibiliser leurs mensonges ! Bon sang ! C’était leur fille ! Mais le juge n’était pas dupe : il a bien vu que tout ce qu’ils voulaient, c’était qu’elle disparaisse du paysage, sans crainte qu’elle ne revienne un jour les embarrasser davantage. Du moins, c’est ce que je veux croire…

-Tu… l’as revue, après ?

Lili secoua la tête.

-Quand j’ai eu huit ans, poursuivit-elle, j’ai reçu discrètement une lettre, signée de sa main. Elle s’excusait, disait qu’elle devait disparaître un temps et qu’elle reviendrait un jour m’arracher aux griffes du reste de la famille pour que nous puissions vivre dans une petite cabane au bord d’un lac et, avec de la chance, en compagnie de mon père. J’ai pleuré à la lecture et quand ma grand-mère est venue voir ce qui se passait, elle a voulu m’arracher la lettre des mains quand elle reconnu de loin l’écriture de ma mère. Je ne voulais pas qu’ils l’attrapent par je ne sais quel moyen, alors j’ai jeté la lettre dans la cheminée et le papier s’est transformé en cendres en moins de deux. Ma grand-mère était furieuse…

Elle trembla.

-Pour me punir, elle m’a littéralement jeté à la cave, privée de lumière, en criant que j’étais bien la fille de ma mère. Elle avait interdit aux domestiques de me laisser sortir et de ne me donner que du pain sec et de l’eau, en guise de repas. Et encore, quand elle était de bonne humeur… J’ai passé deux semaines entières à moisir dans cette cave. Quand on m’a laissé sortir, j’avais la peau sur les os et j’étais mal en point. Un médecin, bien payé pour garder tout cela sous silence, a fait en sorte que je m’en remette. Depuis, ma famille me surveille au grain pour que je file droit et si j’ai le malheur de mentionner ma mère…

Elle se tut et, après une pause, repris sa recherche de la lanterne. Après un tel traumatisme, il n’était pas étonnant qu’elle craigne l’obscurité, pensa Mikazuki.

Après encore quelques minutes de recherche, ils mirent enfin la main sur la lanterne qu’ils recherchaient et sans tarder, elles repartirent en direction du parc, de peur de tomber sur des Errants.

Avec une source lumineuse entre les mains, revenir dans ce bois était moins effrayant voire rassurant. Bien vite, ils rejoignirent Loth qui attendait avec, à ses pieds, deux branches mortes auxquels il avait enroulé des morceaux de tissu enroulés au bout, assis dans la pénombre. Quand elles le trouvèrent, il était en train de marmonner en fixant les ténèbres qui lui faisaient face et malgré la lumière diffusaient par la lanterne, il ne semblait pas s’être rendu compte que les filles étaient revenues.

-Maître Loth ? fit Lili, inquiète.

Aussitôt, il se tut et resta silencieux. Sans bouger. De dos, on aurait pu croire qu’il était mort assis.

-Maître Loth.

Ce dernier eut un sursaut et se retourna brusquement, comme surpris de les voir.

-Ah… Vous… Vous êtes de retour… Avec la lanterne… Parfait, je… Pardon, j’étais perdu dans mes pensées… Bien, ne… Ne traînons pas !

L’inquiétude qu’elles pensaient s’être envolée revint au galop face au comportement étrange de Loth…

En utilisant la flamme contenue dans la lanterne, ils allumèrent les deux torches improvisées, augmentant sensiblement leur source de lumière, et s’enfoncèrent dans les bois. Ces derniers paraissaient déjà lugubres en y pénétrant et cela ne s’arrangeait pas avec l’absence de sons. On aurait pu pensés qu’un coin de nature pareil pourrait recéler de la faune comme des oiseaux. Mais rien. Un silence assourdissant, si on ne prenait pas en compte leurs bruits de pas dans la terre et le bruissement de l’herbe et des feuilles à leur passage.

-J’ai passé assez de temps dans la nature pour dire que c’est pas normal, ça…, déclara Mikazuki.

Les deux filles, torches en main, continuaient à ouvrir la marche tandis que Loth, avec la lanterne, la fermait. D’ailleurs, depuis leur retour, il était bien silencieux. Il se contentait de les suivre, le regard presque vide. Pour peu, elles auraient presque préféré quand il était énervé ; nerveux. Là, son calme ; son apathie faisait presque peur à voir.

-Chut !

Mikazuki fit signe aux autres de s’arrêter.

-Quoi ? souffla Lili, apeurée.

-Je ne suis pas sûre…

Elle tendit l’oreille. Ce n’était peut-être que son imagination… Mais si ce n’était pas le cas…

Elle fit quelques pas en avant, l’oreille toujours tendu. C’était léger. Ça pouvait être n’importe quoi ou juste une…

Elle fit encore quelques pas. Devant elle, encore des hautes herbes, des buissons, des arbres… et une obscurité toujours plus inquiétante. Mais aussi…

Oui !

C’était léger mais…

-J’entends quelque chose. C’est léger mais… Oui, ça vient de cette direction.

-Ça pourrait être n’importe quoi ! lui dit Lili. Amical ou pas ! Ou ça ne pourrait rien être du tout !

-Mieux vaut avoir une direction qu’avancer à l’aveugle, non ?

Elles se tournèrent vers Loth, pour voir ce qu’il en pensait. Ce dernier leva la lanterne et scruta la direction pointée par Mikazuki, avant de répondre :

-Si ça se trouve, ce sont nos compagnons que nous trouverons au bout, Liliane. De toute façon, rester ici n’est pas dans notre intérêt. Si nous devons avancer, comme l’a souligné cette jeune fille, autant avoir une direction… En route !

Bien évidemment, c’était elles qui passaient devant. D’un côté, il était plus rassurant que Loth soit plus réactif mais de l’autre, son autorité peu convaincante aux yeux de Mikazuki ne lui avait pas manqué.

Avec une plus grande prudence encore, ils avancèrent dans la direction du soi-disant bruit. Qui ne fut plus si « soi-disant » après de longues minutes de marche. Ils étaient lointains mais ils entendirent ce qui ressemblaient à des sifflements sonores. Il n’y avait pas qu’une source : les sifflements venaient de plusieurs directions… et ils se déplaçaient. Parfois, un certain type de sifflement suivait immédiatement un autre différent, comme s’ils se répondaient. Comme des signaux.

-Monsieur Loth, est-ce que les membres de l’Ordre communiquent par signaux ? lui demanda Mikazuki.

-Des signaux gestuels, répondit-il. Pas auditives. Qu’importe les personnes qui sifflent, ils ne sont pas avec nous…

-Et pour autant que je sache, mon groupe à moi n’a jamais convenu de ce genre de signaux pour communiquer entre nous…

Il s’agissait donc d’autre chose et quoi que ce fût, eux et ça semblaient converger dans la même direction.

Quelques pas plus loin, ils entendirent des voix… Des cris ! Mikazuki les reconnut à mesure qu’ils avançaient !

-Zimmer ! Celer !

-Attends ! lui cria Lili.

Aussitôt, Mikazuki courut en direction des voix, malgré les protestations de Lili ou de Loth, sans prendre la moindre précaution. Surtout concernant les sifflements, qui se rapprochaient aussi.

Un sifflement court et puissant se fit entendre. Tout près d’elle. Différent des autres.

Soudain, elle pendant sa course, elle crut sentir quelque chose siffler au-dessus de sa tête. De suite, elle se jeta au sol pour s’y aplatir, lâchant sa torche qui manqua de mettre le feu aux herbes hautes. Elle releva la tête, regarda l’endroit où elle se trouvait quelques secondes plutôt et vit une flèche plantée dans un arbre ! Un peu plus bas et elle se serait plantée dans sa tête ou en travers de sa gorge !

D’autres sifflements courts et puissants suivirent, à répétition ! Prenant conscience que sa tête dépassait des hautes herbes, elle s’aplatit de nouveau au sol, manquant de recevoir une nouvelle flèche qui alla se planter dans une racine proche.

-LILI ! LOTH ! ATTENTION ! DES ARCHERS ! PLANQUEZ-VOUS !

Les sifflements se firent frénétiques, donnant une impression de panique ou d’agitation. Qui qu’étaient ces archers, ils savaient à présent que Mikazuki, Lili et Loth étaient dans les environs et qu’ils tireraient à vue ! Mais Zimmer et Celer étaient plus loin en avant ! Elle les entendait, sans doute en train de se battre pour rester en vie ! Elle devait les rejoindre !

En restant au plus près du sol possible, elle ramassa sa torche et avança sur ses quatre pattes, pendant que les archers continuaient de siffler dans la pénombre et que leurs flèches volaient quand quelque chose bougeait un peu trop. Pas facile de toucher une cible en mouvement mais pas impossible pour autant. Mikazuki devait se montrer prudente dans sa progression.

-Bordel ! Il en vient de partout !

-Tais-toi et continue de te battre, si tu veux vivre !

-Si on s’en sort, je promets de t’embrasser !

-N’y pense même pas, Zimmer !

-Trop tard ! Faut bien que je me motive !

Ils étaient là, tout près ! Plus que quelques mètres et…

-Mikazuki ! Sur ta droite !

Un nouveau sifflement !

-URG !

Elle s’arrêta net et vit un trait passer à toute vitesse devant ses yeux, avant d’entendre quelque chose se planter dans le sol. Une autre flèche !

-Uwaaaaarg !

Un cri, bien trop familier ! Celui d’un Errant ! De là d’où provenait la flèche ! Elle le vit alors, grâce à la lumière du feu, sortir de sa cachette, avec son arc et son carquois rempli de flèches sur son dos, et accourir vers elle, couteau à la main ! Il tenta de la frapper avec et elle l’évita avant d’effectuer une riposte d’un coup de poing dans la mâchoire, qui le sonna un peu. Ou du moins, c’était l’impression qu’elle eut. Il se mit à lui hurler dessus en levant son bras armé. Pensant à la torche, elle lui enfonça le bout enflammé dans sa bouche et le mit à terre. Il eut des soubresauts quand l’intérieur de sa bouche cramait, jusqu’à ce que la flamme s’éteigne. Après cela, Mikazuki le termina en écrasant son pied sur le crâne de cette chose. Elle avait l’impression de piétiner un fruit trop mûr. Elle dût s’y reprendre à plusieurs fois afin de s’assurer qu’il ne se relève plus jamais…

-Baisse-toi !

Elle vit Lili courir vers elle et la plaquer au sol, la sauvant d’une petite volée de flèches lui étant destinée.

-Hé ! J’ai vu de la lumière, là-bas !

-Quoi ? Arrête de délirer, Zimmer, et surveille tes arrières !

Mikazuki se redressa à moitié et cria dans leur direction :

-Zimmer ! Celer ! C’est moi !

-Mika !? s’écria Zimmer. Par les dieux ! Celer ! On l’a retrouvé !

-On se réjouira après ! Il y en a trop qui arrive et j’ai presque plus de flèches !

-Faut qu’on sorte d’ici !

-On va avoir besoin de lumière ! Mika ! Il faut que tu nous rejoignes !

Une nouvelle flèche la frôla et elle entendit des Errants se rapprocher.

-Plus facile à dire qu’à faire ! On…

-COUREZ !!

Loth, son épée en main et la lanterne dans l’autre, se faisait courser par une bande d’Errants, en plus d’éviter autant que possible de se prendre une flèche dans le dos, sur les flancs et devant. N’ayant nul besoin qu’on leur dise deux fois, elles se mirent à courir pour rejoindre les deux autres.

-Celer ! Zimmer ! On arrive vers vous ! Mais on a des Errants qui nous pourchassent !

-Des quoi ? Et comment ça, « on » ?

-On s’en fout, pour l’instant ! lui cria Celer. On se replie ! Mika ! Suivez notre voix et rejoignez-nous vite, qu’on se casse d’ici !

Tout en suivant la voix de Celer et celle de Zimmer dans cette obscurité malvenue, le groupe de Mikazuki fuyait les Errants sans s’arrêter, évitant certaines flèches et priant pour que les autres ne les atteigne jamais ! S’arrêter signait leur arrêt de mort ! Une chute malheureuse et c’était la mort ! Avoir ces sources de lumière, comme la torche ou la lanterne, était une invitation à la mort ! Ce genre de situation ne pouvait que mal finir !

-C’est quoi, devant !? cria Zimmer.

-C’est… Nom d’un chien ! Vite ! Par ici ! hurla Celer.

Ils pressèrent le pas alors que les Errants les talonnaient et que les flèches passaient bien trop près d’eux.

-Allez ! Encore un effort !

Plus loin devant eux, ils aperçurent Zimmer, tenant la porte arrière d’une maison grande ouverte et faisant de grands gestes pour les inciter à courir encore plus vite.

Loth se sentit alors pousser des ailes et bouscula les filles pour passer en premier et se mettre à l’abri, faisant alors tomber Liliane. Mikazuki fut sur le point de lui lancer tout son répertoire d’insulte, mais une flèche se plantant dans l’omoplate de Loth avant qu’il ne réussisse à se mettre à l’abri lui allait tout aussi bien. Avant que les Errants ne les rattrapent, elle aida Lili à se relever et coururent ensemble jusqu’à la maison. Une fois la porte passée, Zimmer la referma en vitesse et tous les trois, ils la barricadèrent avec tout ce qu’ils avaient sous mains. Cinq minutes plus tard, les Errants ne pouvaient plus pénétrer par cette entrée.

Le souffle court, Mikazuki était à deux doigts de s’écrouler au sol pour récupérer. Ce qui fit Lili.

-C’était moins une…, fit Mikazuki.

-Parle pour toi, oui…

-Quoi ? Qu’est-ce que… ZIMMER !

Malheureusement, avant de fermer la porte, Zimmer avait reçu une flèche en plein dans le flanc droit. Ça ne saignait plus mais il fallait traiter la blessure avant que cela ne s’infecte, surtout quand elle se rendit compte que la maison dans laquelle ils avaient trouvé refuge n’était en rien un exemple de propreté. Puis, Mikazuki se souvint que Loth avait été blessé aussi… et encore avant… Et qu’il avait pu soigner sa blessure ! Peut-être avait-il de quoi effectuer les premiers secours ! Elle lui en voulait encore de ce qu’il avait un peu plus tôt mais l’heure des règlements de compte allait devoir attendre !

-Loth ! Vous…

-BOUGEZ PAS !

Lili, ne comprenant pas l’agitation dans la voix de son maître, leva la torche et, de la lueur projetée par la flamme, il montra Loth, épée en main et sous le cou de Celer, à genoux au sol et sans défense.

-Tu t’es bien payé ma tête, jeune fille ! lança Loth à Mikazuki. Tu fricotes avec ces saloperies d’oreilles pointues !

Lili, choquée de voir que l’amie de Mikazuki était une elfe, regarda alternativement son maître et celle à qui elle s’était confiée.

-M. Loth, fit Mikazuki en levant lentement les mains. S’il vous plaît… Laissez-la partir.

-Tu plaisantes ?! Je suis un Inquisiteur de l’Ordre ! Je suis l’autorité face à la plèbe et le bras armé contre l’hérésie et le paganisme ! Et ça, sombre idiote que tu es, est une hérésie aux yeux de notre Déesse ! hurla-t-il en désignant Celer comme il désignerait un animal qu’il était sur le point d’abattre.

Son regard était celui d’un fou.

-Liliane ! Lève-toi et vérifie que l’autre n’a pas d’armes sur lui ! Ensuite, tue-le !

-Quoi ?

À son visage, Liliane ne cautionnait clairement pas cet ordre.

-Maître… Inquisiteur Loth ! Ce garçon…

-Il est avec l’elfe ! coupa Loth. Un sympathisant de ces choses ! Et les sympathisants, on leur réserve le même sort qu’à ces saletés de non-humains ! Et ça vaut aussi pour ta nouvelle petite amie, là !

-Inquisiteur…

-C’est un ordre ! Tue-les ! Que ta putain d’épée serve à quelque chose !... Non ! Attends ! Une mort par exsanguination serait trop douce pour ces traîtres… De la corde ! Cherche de la corde ! On va les pendre ! Quant à celle-là…

Il enfonça doucement la pointe de son épée dans le cou de Celer, la faisant légèrement saigner.

-Un bon feu de joie nous fera du bien… Allez, Liliane ! Remue tes fesses ! Ou je te le promets, ton avenir dans l’Ordre va tourner court, comme pour ta catin de… AAARG !

Aussi soudainement que fulgurant, Loth se tint la tête, comme si une douleur le foudroyait, et criait comme s’il souffrait le martyr, lâchant son arme qui tomba au sol dans un bruit sonore sur le plancher.

-Enfoiré !

Zimmer profita de l’occasion et accourut pour rentrer dans le lard de l’Inquisiteur et le faire chuter.

-CELER !

L’elfe saisit la flèche plantée dans son flanc et la retira d’un coup sec. Voyant ce qu’elle s’apprêtait à faire, Lili sortit son épée de son fourreau mais au moment d’accourir aider son maître, Mikazuki l’arrêta en lui portant un cou à la gorge, qui lui coupa le souffle, la plaqua au sol et l’immobilisa. Pendant que Zimmer se mit saigner, elle enfonça de toutes ses forces la pointe de la flèche directement dans le cou de Loth, qui ne put même pas hurler de douleur au moment de l’impact. Celer répéta le geste encore une fois ou deux, avant de le regarder se vider de son sang.

Alors que la vie quittait le corps de Loth, ses dernières pensées se tournèrent vers son père, un noble exigeant qui n’attendait rien d’un fils qu’il jugeait inutile. Un père qui, à l’aide de donations généreuses, fit entrer son fils dans l’Ordre. Son argent servit même à lui faire grimper les échelons pour qu’il devienne Inquisiteur, alors qu’il n’en avait pas les compétences ni la volonté propre de le devenir. Mais cela, son père s’en fichait bien. Tout ce qu’il voulait, c’était que ce statut pour son fils lui donne une meilleure image auprès de ses alliés et un pouvoir dont il pourrait disposer à loisir. Après tout, la chair de sa chair n'était pas en position de lui refuser quoi que ce soit. Le contraire irait à l'encontre du bon sens. Au final, son fils n’était que son pion sur son échiquier politique.

Ainsi, rendant son dernier souffle, celui qui fut l’Inquisiteur Joseph Loth maudit son père…

Celer, délaissant le corps, se rendit auprès de Zimmer et fit de son mieux avec ce qui lui restait comme fournitures pour soigner sa blessure.

Lili, toujours au sol, vit s’éteindre son maître mais n’essaya plus de se dégager de Mikazuki. À la place, elle fixa un instant le sol et lâcha quelques larmes.

Mikazuki, en la voyant ainsi, eut le coeur serré et relâcha son étreinte. Elle n'était plus nécessaire...

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