03. L'Enfant Démon

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Deux mois s’étaient écoulés depuis que Mikazuki avait été arraché à sa terre natale pour être envoyé dans le lointain royaume de Pendragon.

Les attaques de brigands devenaient de plus en plus fréquentes sur les routes. Un terreau propice pour trouver du travail quand on était mercenaire. Encore plus aux abords de petits villages isolés délaissés par leur seigneur et des villes frontalières.

C’était près de l’une d’elles que les Ailes de Vanaheim avaient établis leur camp et qu’Alicia tint promesse en y allant faire affranchir ses derniers esclaves : Krom et bien entendu, Mikazuki.

Ces deux derniers attendaient dans la rue, tandis qu’Alicia faisait le nécessaire auprès des autorités compétentes pour obtenir les papiers nécessaires pour un affranchissement. Dans ce pays, il était aisé d’entrer en possession d’un esclave en vous facilitant même les démarches administratives. Mais pour l’affranchir, on était prêt à vous noyer sous une montagne de paperasses. Une tactique assez vicieuse, quoique souvent efficace, de dissuasion.

Ils étaient plantés en pleine rue depuis le petit matin et midi n’était plus très loin. Les passants proches les dévisageaient, surtout Krom. Difficile de passer inaperçu avec une carrure aussi imposante, surtout quand on était un orc. Ce dernier se mettait à grogner de manière menaçante quand quelqu’un avait l’audace ou la folie de le regarder de travers. Ladite personne préférait alors détaler comme un lapin plutôt que rester dans le coin, comme si elle venait de se rendre compte qu’énerver un orc armé n’était pas une idée brillante.

Ce ne fut qu’en début d’après-midi, après de multitudes de batailles administratives, quelques menaces envers des responsables peu coopératifs et une belle bourse remplie d’or en guise de pot-de-vin pour accélérer des démarches qui auraient pris des jours, qu’Alicia réussit à obtenir pour chacun un document officiel attestant de leur affranchissement. Un beau parchemin de valeur avec une belle signature et un sceau apposé pour démontrer son authenticité.

-Finalement, la liberté ne tient qu’à un parchemin…, commenta Alicia en donnant son parchemin à Krom. Vous devez le garder un an, pour prouver que vous avez été bien affranchis. Une fois l’année passée, vous pourrez en faire ce que vous voulez…

-Pénible ! grommela Krom en fourrant son parchemin dans sa besace.

-Je sais, Krom… Mais ce n’est pas moi qui fais les lois, dans ce pays. Mikazuki, si tu le permets, je vais garder le tien. Je pense que c’est plus sûr.

-Oui. De toute façon, je risque de l’abîmer ou de le perdre.

Alicia lui sourit et lui caressa affectueusement la tête, avant de décider d’aller chercher ensemble quelque chose à manger avant de rentrer. Mikazuki n’avait rien contre : elle mourrait de faim. Krom grognait, comme pour signifier qu’il aimerait être ailleurs, mais les gargouillis de son estomac le trahirent.

Ils se mirent donc à la recherche d’un endroit où ils pourraient manger avant de retourner au camp en-dehors de la ville. Leurs pas les menèrent au marché où ils trouvèrent de nombreux étals qui proposaient de la nourriture à manger sur le pouce.

-Ingénieux…, commenta Alicia. Ainsi, les gens se nourrissent tout en continuant de faire leurs achats.

Alicia en profita alors, tout en mangeant, pour regarder ce que les marchands proposaient. Et elle trouva presque de tout : nourriture à cuisiner, nourriture déjà cuisiné, bric-à-brac, quelques vêtements bon marché… Elle tomba aussi sur quelques objets baignés de magie, des armes et des armures toutes justes sorties de la forge, enchantées ou non…

Mikazuki observait tout cela avec un œil émerveillé. Cela lui rappelait ce jour où sa mère l’avait emmené en ville pour une journée de marché. Elle se souvenait des rires qu’elles avaient partagés, des choses que sa mère lui avait fait découvrir… Une belle journée, à l’époque… Elle voyait encore le sourire de sa mère dans ses souvenirs et les joies qu’elles avaient partagé ensemble.

Pourquoi les bons sentiments ne restaient-ils jamais longtemps ? Pourquoi la tristesse finissait-t-elle toujours par l’envahir plus ou moins fortement ? Aujourd’hui encore, la perte de sa mère laissait encore un grand vide dans le cœur de Mikazuki.

Alors qu’elle était perdue dans ses pensées, elle se rendit subitement compte que quelqu’un lui palpait le bras. Comme cet homme qui l’avait acheté dans son pays… Elle poussa un cri de terreur et, avec les réflexes acquis grâce à son entraînement, se dégagea avant de donner un coup de poing au hasard.

-Bordel de… !

Elle vit alors celui qui lui tenait plutôt le bras : un nain à la barbe d’ébène bien fournie avec un nez en forme de patate. Ce dernier se massait l’œil en enchaînant les jurons.

En entendant l’agitation provoqué, Alicia se tourna vers Mikazuki et la ramena derrière elle.

-Raclure ! Qu’est-ce que tu lui as fait ! aboya Alicia au nain.

-Mais rien ! assura ce dernier en grimaçant et en massant son œil endolori. Je regardais juste ta petite esclave, là.

Sitôt cela dit, son visage se fit plus radieux et sa voix, plus enthousiaste.

-Elle a l’air en bonne santé, comparé à d’autres que j’ai vu aujourd’hui. Tu veux pas me la vendre ? Je t’en donnerai un bon prix !

Il fixa alors Mikazuki comme n’importe quel commerçant ayant flairer une bonne affaire et prêt à tout pour acquérir le bien convoité. Apeurée, la petite fille se serra plus contre Alicia, qui faisait tout pour la soustraire au regard du nain.

-Ce n’est plus une esclave ! Elle est affranchie ! Alors bas les pattes !

-Quoi ? Tu as affranchie une marchandise d’une telle valeur ? Mais ça va pas bien, dans ta tête ! Tu sais combien ça peut rapporter, ce truc !

En son for intérieur, Mikazuki n’avait pas aimé qu’il la traite de « truc ». Et Alicia non plus, si on en jugeait le visage effrayant qu’elle avait adopté. Mais ce ne fut pas elle qui fit quelque chose mais Krom, qui attrapa le petit être par le col pour le soulever bien au-dessus de sa tête. Le spectacle d’un nain agitant ses petites jambes au-dessus de la tête d’un Orc ne manqua pas d’attirer l’attention de la foule.

-Lâche-moi ! Lâche-moi ! lui ordonna le nain. Stupide créature verdâtre !

-J’en fais quoi, patronne ? demanda Krom à Alicia.

Alicia jeta un regard méprisant au nain et répondit avec froideur :

-Donne-lui une leçon. Mais à l’écart et sans le tuer.

Krom semblait être déçu par la dernière instruction mais il marmonna un faible « d’accord » avant d’emmener le nain, qui demandait pathétiquement grâce, dans une ruelle à l’écart de tous.

Pendant environ trois ou quatre minutes, on pouvait entendre provenir de la ruelle les bruits de violents coups, entrecoupé de suppliques comme « Pitié ! PITIÉ ! », « Non, non, NOOOOON !!! » ou encore « Non, pas le nez ! PAS LE NEZ ! Par tout ce qui est beau et sacré, tout sauf le nez ! SAUF LE NEZ ! ».

Même si les passants se doutaient bien de ce qui était en train de se passer, personne n’osa intervenir ou appeler la garde. C’était tellement plus simple de tourner la tête… Quand Krom revint, les mains un peu en sang, qui n’était évidemment pas le sien, tout le monde retourna à ses occupations comme si de rien n’était.

-C’est fait, patronne, dit-il à Alicia.

-Bon travail.

Alicia caressa la tête de Mikazuki et la félicita de ne pas s’être laissé faire contre ce nain, une preuve pour elle que son entraînement servait. La petite fille lui sourit en retour.

Ils traînèrent ainsi encore jusqu’en milieu d’après-midi. Puis, estimant qu’ils avaient suffisamment traîné ici, Alicia déclara un retour en direction du camp.

Mikazuki trouvait cela dommage. Elle aurait aimé rester un peu plus longtemps, malgré cette rencontre déplaisante avec ce nain.

Le soir venu, dans la tente d’Alicia.

Une fois de plus, Mikazuki y avait été convié pour partager son repas avec la famille d’Alicia. Une fois les estomacs remplis, Alicia raconta sa journée en ville à ses enfants : Mikhail et Sophie riaient de l’histoire du nain, raconté par leur mère. Hela sourit un court instant mais semblait penser à autre chose. Ryô, pour sa part, ne semblait pas s’intéressé plus que cela à l’histoire et se coucha dans le lit sans dire un mot.

Passer autant de temps avec eux était plaisant, mais Mikazuki se sentait un peu mal à l’aise : elle pensait que les enfants d’Alicia auraient aimé profiter davantage de la présence de leur mère. Dans le cas d’Hela, de sa tante. Après tout, ils ne la voyaient que le soir, s’ils avaient de la chance et si elle n’était pas à l’extérieur à batailler pour nourrir toutes les âmes dont elle était responsable.

Évidemment, Mikazuki garda ces pensées pour elle-même.

-Maman ! Maman ! On pourra aller en ville, nous aussi ? lui demanda Sophie en sautillant après le récit de sa mère.

-Je ne sais pas, Sophie… J’ai des réunions à organiser, une revue des troupes et…

-On peut y aller par nous-même ! On est assez grands, non ?

Alicia prit le temps de réfléchir avant de soupirer et de répondre :

-Il est vrai que vous êtes assez grand… J’imagine qu’il n’y pas de mal à vous laisser y aller.

-Et puis, si on nous cherche des ennuis, on saura se défendre ! ajouta Mikhail en bondant le torse.

-Très bien, très bien… Hela, tu veux y aller avec eux ?

-Si cela ne t’ennuie pas, ma tante.

-Bien. Te savoir avec eux deux me rassurerait. Pour veiller sur Sophie. Et pour veiller à ce que Mikhail se tienne bien.

-Hé ! s’indigna Mikhail.

Tous se mirent à rire puis Alicia se tourna vers Mikazuki :

-Tu veux y aller aussi ?

Confuse, elle ne sut pas quoi répondre et bégaya une réponse incompréhensible.

-Elle ira. Et moi aussi !

Ryô venait de lancer cela alors qu’il se redressait.

-Et pourquoi toi aussi, je te prie ? demanda sa mère avec un air sévère qui avait sans doute pour objectif de le dissuader.

-C’est moi qui m’occupe de l’éducation de la petite, non ? Voir comment les gens de Pendragon vivent en fait partie. Tu n’es pas d’accord ?

Alicia semblait réfléchir en regardant Mikazuki puis répondit :

-J’imagine que oui. Très bien, Ryô. Tu peux l’emmener en ville. Mais toi, tu devras revenir plus tôt au camp pour te reposer. Tant que je ne t’ai pas trouvé un guérisseur, je ne veux pas que tu fasses de folies.

-Oui, maman…

-Et ne roule pas des yeux en me parlant !

Une fois cela décidé, tout le monde alla se coucher en pensant à la journée de demain.

Le soleil était tout juste levé lorsque Mikazuki fut réveillé par une Alicia qui avait terminé de s’habiller et qui s’apprêtait à partir. Sophie se réveilla juste à temps pour dire au revoir à sa mère, pendant que ses frères et Hela étaient toujours endormis.

Dès qu’Alicia fut partie, Sophie ne se gêna pas pour réveiller les autres en faisant autant de bruit que possible. Ce qui lui valut des injures de la part de ses frères. Mais elle semblait s’en fiche : elle était trop impatiente d’aller en ville avec eux tous.

Pour cette sortie, Sophie avait choisi ses habits les plus beaux et voulu même en prêter à Mikazuki pour qu’elle soit jolie. Au début, cette dernière refusa mais face à l’insistance de Sophie et à sa tête boudeuse, Ryô s’énerva et força Mikazuki à accepter pour en finir !

Ce fut ainsi que celle-ci se vit être affublé d’une jolie robe colorée, bien qu’elle n’était pas de la première fraîcheur.

Une fois en ville, ce petit groupe d’enfants ne passa pas inaperçu, en partie à cause de leur couleur de cheveux inhabituelle de Ryô et sa famille et des traits du visage exotiques de Mikazuki. Pour cette excursion, ce fut Sophie qui s’imposa comme chef de groupe, désireuse d’explorer tout ce qui était possible dans cette ville. Le quoi importait peu voire pas du tout, seul le comment semblait trouver grâce à ses yeux.

Bref, son enthousiasme était débordant au point que Hela avait du mal à le modérer. Sans compter qu’elle veillait aussi à ce que Mikhail ne s’attire pas d’ennuis avec les gens, étant donné son caractère parfois explosif, même avec des inconnus.

Ryô préférait rester en arrière, en compagnie de Mikazuki. Elle avait maintenant l’habitude de s’occuper de lui et à force, elle parvenait à voir quand il était fatigué ou ne se sentait pas bien. Et ce matin-là, Ryô était quand même assez pâle.

-On devrait rentrer, non ? demanda-t-elle inquiète.

Ryô la dévisagea un court instant puis se mit à regarder sa sœur :

-Pas question. Sophie a l’occasion de s’amuser. Pas question de lui gâcher son plaisir.

-Mais… Madame Alicia va s’inquiéter si ton état empire.

-Laisse-moi gérer ma mère et observe, plutôt. C’est aussi pour ça qu’on est là.

Mikazuki était perplexe. Observer quoi ?

Ryô poussa un soupire d’exaspération mais expliqua :

-Regarde comment les gens vivent, comment ils se comportent, comment ils parlent… Comprendre où tu es te permettra de savoir quoi faire. Parler la langue ne suffit jamais. Ce n’est qu’une première étape. Vivre avec la population locale, quel que soit le temps, te permettra de comprendre comment elle marche et plus tard, de l’exploiter. Indispensable, que tu décides de partir d’ici ou non.

Mikazuki savait que Ryô, malgré son âge, était plus mature que les autres enfants mais pas qu’il était capable d’une telle réflexion. On aurait presque dit un adulte…

Les autres devant commençaient à prendre un peu trop d’avance et il fit presser le pas à Mikazuki. Malgré cela, ils peinaient à les suivre, surtout lorsque Sophie les entraîna dans le marché. À présent, les deux à la traîne devaient aussi composer avec la foule assez compacte ce matin-là. Mikazuki se faisait bousculer de toutes parts, accompagné d’une insulte ou deux d’adultes qui ne se gênaient pour les bousculer sans ménagement pour passer. Ryô aussi subissait cela, à la différence qu’il reçu un coup de pied d’un homme transportant un cageot de légumes qui n’avait pas le temps d’attendre ni celui de contourner le garçon.

-Dégage de mon chemin, avorton ! cria l’homme en disparaissant l’instant d’après dans la foule.

-Grosse brute ! lui hurla Mikazuki en tentant de rejoindre Ryô.

Ce dernier avait été jeté assez violemment au sol, mais visiblement pas assez pour que quelqu’un ne daigne venir voir s’il s’était blessé. Le garçon se releva seul et enleva la poussière et saleté sur ses vêtements, pendant que Mikazuki vérifiait qu’il n’avait aucunes blessures. Fort heureusement, il n’avait rien, ce qui soulagea la petite fille. Qui sait comment aurait pu réagir Madame Alicia…

-Là ! Chope-là !

Soudain, quelque chose lui obstrua la vue. Un sac en toile. Elle s’apprêta à crier mais une grande main calleuse fut plaquée là où se trouvait sa bouche.

-Attrape l’autre aussi, crétin !

-Lâche-moi, sale… !

Un court instant, Mikazuki reconnu la voix de Ryô. Lui aussi se faisait enlever. Elle se débattit autant que possible mais son ravisseur la tint en respect en lui donnant quelques coups, tout en courant avec elle sur l’épaule. Des passants hurlèrent à l’enlèvement et demandèrent qu’on prévienne la garde, mais tout cela fut inutile. Les ravisseurs ne furent jamais attrapés et disparurent dans une ruelle avec leurs victimes…

Alors qu’elle de faisait balloter depuis un moment, une odeur nauséabonde vint lui assaillir les narines. Un mélange d’odeurs qu’elle reconnaissait, tel que celles d’excréments, d’urine, de nourriture qui avait pourris et d’autres choses immondes qu’elle ne pouvait identifier.

Après cette course folle, Mikazuki fut jetée sur un sol dur, froid, humide et poisseux comme une malpropre, poussant un léger cri de douleur à la réception. Elle entendit également qu’on jetait quelque chose à côté d’elle. Au cri poussé, elle reconnut Ryô.

-Hé ! Attention avec la marchandise !

Mikazuki sursauta en entendant quelqu’un crier mais se raidit lorsqu’elle reconnut la voix. On lui retira alors brusquement le sac en toile qu’elle avait sur la tête. Elle avait vu juste. Elle était à présent nez-à-nez avec le nain qu’elle avait croisé la veille, amoché par les bleus et les coupures. Sans parler de son nez déjà disgracieux de base qui maintenant ne ressemblait plus à rien…

-Héhéhé ! ricana en inspectant le visage de la petite fille. Franchement, cette femme ne sait pas quelle occasion en or elle rate en te gardant. Mais moi ! Moi, je sais comment t’exploiter à bon escient.

Derrière le nain, deux hommes se tenaient debout et réclamèrent l’argent qu’il leur avait promis pour l’enlever pour lui. Le nain leur donna alors une bourse remplie à chacun et leur ordonna de ficher le camp maintenant qu’il n’avait plus besoin d’eux. Les ravisseurs, ravi d’avoir été payé, ne s’attardèrent pas outre mesure et s’en allèrent, alors que d’autres nains vinrent pour attraper Mikazuki, lui attacher les mains et la traîner plus loin dans les égouts.

-On fait quoi de celui-là, patron ? demanda l’un des gredins nains en donnant un léger coup de pied à Ryô, encore au sol.

-NON ! cria Mikazuki alors qu’on l’emmenait. Laissez-le tranquille !

Le nain avec le nez en forme de patate enleva le sac en toile de la tête du jeune garçon et le regarda de plus près. Il réfléchit un moment puis dit :

-On l’emmène aussi. C’est toujours des sous en plus… Quoiqu’avec sa couleur de cheveux, on peut espérer en tirer un peu plus que la moyenne.

Il leva alors Ryô et le força à avancer en le bousculant un peu. En réponse, Ryô, qui faisait à peur près la même taille que le nain, lui donna un coup de tête bien violent dont le bruit résonna dans les couloirs des égouts.

-Espèce de… ! Mon nez ! Il m’a pété mon nez déjà cassé !

En effet, le nez du nain, déjà un peu amoché par ce que lui avait fait Krom la veille, était en train de saigner abondement. Pendant qu’il pestait et jurait, son sous-fifre se permit de corriger le garçon avec une matraqua qu’il portait sur lui, sans trop l’abîmer non plus. Il restait une marchandise de valeur, malgré tout. Une fois bien maté, il traîna Ryô à son tour dans les égouts tandis que l’autre tentait d’arrêter les saignements avec un mouchoir en soie.

Les deux enfants furent emmenés profondément dans ces souterrains malodorants, escortés par ces nains aux mauvaises intentions qui chantonnaient gaiement en marchant. Mikazuki gesticulait pour tenter de se défaire vainement de ses liens, tout en insultant dans sa langue natale les nains qui traînaient Ryô sur le sol et qui devaient s’arrêter régulièrement pour le « calmer ». À grands coups. Leur patron leur criait bien de ne pas trop l’abîmer, même si on sentait qu’il aurait bien aimé se l’autoriser après ce qu’il lui avait fait.

Après un temps qui parut interminable, ils arrivèrent à une planque de fortune : des barricades en bois monté à la va-vite, des tentes, un feu éteint et quelques lanternes pour éclairer le lieu. Là, deux autres nains étaient en train de faire l’inventaire d’objets qui faisaient un peu tâche avec l’endroit : tableaux, argenterie, bijoux et autres bien de valeurs étaient entassés dans un coin.

-Alors ! leur hurla le nain au nez cassé. Vous avez terminé de répertorier tout ce qu’on a volé ?

-Presque, patron. On… Heu… Patron, votre nez…

-QUOI, MON NEZ ?! IL A QUOI, MON NEZ !? TU LUI VEUX QUELQUE CHOSE, À MON NEZ !!?

-Heu… Non, non. Rien, en fait.

-EXACTEMENT ! ET VOUS ! FOUTEZ-MOI CES GOSSES QUELQUE PART ! ET QUE QUELQU’UN ME DONNE DE QUOI SOIGNER MON NEZ !

Mikazuki et Ryô furent donc jetés dans un coin, sous bonne garde. Ryô avait un œil bien enflé, une blessure sévère à la tête et on ne comptait plus les coupures et les bleus.

-Ryô ! Ryô ! Ça va ? lui demanda Mikazuki, inquiète.

-Comme quelqu’un qui va faire regretter amèrement à cette ordure de nain de pas m’avoir tué…

La petite fille eut un frisson de terreur lorsqu’elle vit son regard qu’elle trouvait terrifiant. Un regard qu’elle n’avait vu, jusqu’à présent, que dans les yeux d’adultes haineux. Si elle ne le connaissait pas un peu, elle aurait écouté sans réfléchir cette petite voix dans sa tête qui lui disait de le craindre.

Ryô balaya l’endroit du regard et semblait réfléchir. Il fixa alors l’un des nains qui était chargé de les surveiller, assis sur un tabouret, son couteau pendant maladroitement à sa ceinture. Le jeune garçon profita d’un court instant où il leur tournait le dos pour murmurer à Mikazuki qu’ils allaient devoir attendre avant de saisir leur chance pour s’échapper. Elle hocha la tête, alors plus rassuré qu’il ait retrouvé un peu de sang-froid et un visage moins effrayant.

Plus tard, le chef de la bande vint les voir, le nez bandé grossièrement. Ce qui accentuait l’aspect déjà ridicule qu’il possédait de base. Sans crier gare, il vint donner un violent coup de pieds dans l’estomac de Ryô non pas une ni deux mais trois fois, au point où le jeune garçon finit par vomir ce qu’il avait mangé ce matin.

-Sale petit con d’enfoiré de morveux ! pesta-t-il en le rouant ensuite de coups de pieds. Toi, je vais pas te vendre à n’importe qui ! Je te trouverais quelqu’un qui adore torturer les gosses ou s’amuser avec eux jusqu’à ce qu’il les casse !

Il avait beau avoir dit plutôt qu’il ne fallait pas abîmer la marchandise, ce nain était particulièrement remonté contre Ryô et au fur et à mesure des coups, il ne semblait plus se préoccuper de faire attention à ne pas trop le blesser. Lorsqu’il s’apprêta à le frapper à la tête, Mikazuki, ne supportant plus de voir ça, s’interposa et reçue le coup à la place, bien que la force de ce dernier la repoussât contre Ryô.

-Bordel ! s’écria le nain en se rendant compte qu’il venait peut-être d’abimer un bien qui pouvait lui rapporter beaucoup.

Si les yeux de Mikazuki pouvaient faire du mal à ce moment précis, elle ferait souffrir ce nain sans une once de regret. Celui-ci en resta là. Pour moment. Il avait visiblement d’autres choses à faire avec ses hommes, comme voir comment ils allaient faire sortir leur butin hors de la ville sans se faire remarquer.

Les deux enfants attendirent et attendirent, ces nains étant toujours aux aguets. Celui qui les surveillait, un peu moins. Un moment, tous, sauf ce dernier, se réunirent autour du feu qu’ils rallumèrent pour manger un peu et boire. Celui qui gardait les enfants grommela et marmonna dans sa barbe qu’il a avait hâte de se faire relever.

Ce fut cet instant que Ryô choisit pour agir. Sans un bruit, il se glissa lentement vers le nain. Il attendit un peu puis, lorsqu’il fut sûr que les autres ne prêtaient pas attention à ce qui se passait, Ryô lui subtilisa lentement son couteau, en prenant bien garde à ce que son propriétaire ne se rende compte de rien. Une fois en possession de l’arme, il trancha ses liens aussi vite que possible avant de s’occuper de ceux de Mikazuki. L’autre nain n’ayant encore rien remarqué, Ryô pointa du doigt l’entrée du tunnel par lequel ils étaient arrivés et souffla à Mikazuki de s’y diriger sans faire de bruit. La petite fille obéit et, à pas de loup, se dirigea vers la sortie, Ryô la suivant de près.

Mais à peine firent-ils quelques pas qu’ils entendirent des cris derrière eux :

-Où vous croyez aller comme ça, petits… !

Le nain qui les surveillait s’était retourné et les avait vu en train d’essayer de s’échapper. Il bondit alors de son tabouret et tenta d’attraper Ryô, qui était le plus proche. Mais au lieu de courir plus vite, ce dernier se retourna et fondit sur le nain, surpris de sa réaction. À tel point qu’il ne put réagir à temps lorsque Ryô se servit du couteau qui lui avait pris pour le lui planter dans le ventre tout en le renversant. Le nain se mit à crier de douleur et tendit la main pour attraper le garçon par les cheveux pour le dégager. Du moins, c’était son intention avant que Ryô ne lui tranche la gorge de sang-froid, avec une rapidité et une efficacité effroyable. Tous étaient sans voix par ce qui venait de se passer, surtout Mikazuki.

-SALE MORVEUX ! TU ES MORT ! hurla le nain au nez difforme.

Ryô se remit à courir, couvert de sang, attrapa la main de Mikazuki au passage et s’enfuirent dans ces tunnels nauséabonds et putride par endroits. Il lui faisait mal au bras, à la tirer si fort pendant leur course. Mais elle devait faire fi de la douleur car la fuite était le seul moyen pour échapper à leurs ravisseurs et à un retour à une vie privée de liberté. Elle qui venait de la retrouver, la perdre de nouveau lui apparut insoutenable… Elle continua donc de courir, qu’importe la douleur pendant qu’il la tirait par le bras, qu’importe la fatigue aux pieds, qu’importe cette odeur atroce qui ne les lâchait pas… Tout en serrant le nenju de sa mère qu’elle continuait de cacher dans ses vêtements, elle pria pour continuer d’avoir la force de courir et de revoir la lumière du jour.

Cette course-poursuite dura depuis un certain temps déjà et les enfants peinaient à véritablement semer ces nains. N’ayant pas de lanternes ni de torches pour éclairer les endroits les plus sombres, les deux enfants n’empruntaient que des chemins où la lumière du jour filtrait par endroit et éclairait un peu ou ceux où des torches étaient accrochés aux murs et brûlaient encore un peu, sans doute laissés par les personnes qui descendaient dans ces égouts de temps à autre. Hélas, ces chemins étaient prévisibles et chaque fois qu’ils pensaient être à l’abri, l’un des nains les retrouvait et appelait les autres en renfort.

Après ce qui parut une éternité, ils parvinrent à atteindre une sortie située au bout d’un long et large couloir. Les rayons du soleil filtraient au travers d’une vieille trappe en bois, située en haut d’une échelle en bois usée par le temps et l’humidité. Mikazuki, n’en pouvant plus, tomba à genou sur le sol humide, tenant de reprendre son souffle qui lui déchirait les poumons. Ryô, essoufflé aussi, tenait encore debout et guettait le moindre signe de leurs poursuivant.

-Allez, on y est presque ! lui dit Ryô.

-Je… j’essaie, lui dit Mikazuki en essayant de réguler sa respiration.

-Dépêche-toi ! Ils vont pas tarder à… !

Soudain, Ryô tomba à genoux en se tenant la poitrine, peinant à respirer. Il était en train de faire une crise !

-RYÔ ! s’écria-t-elle en se précipitant vers lui.

-Merde…, marmonna-t-il. Pas maintenant…

Soudain, des voix s’élevèrent plus loin dans les tunnels.

-J’ai entendu crier ! Par-là !

-Dépêchez-vous, bande de limaces !

-Attendez-moi ! J’ai que des petites jambes !

Ils arrivaient ! Et à en croire les voix, ils n’étaient pas très loin. Le temps comptait et il fallait prendre une décision. Maintenant !

-Mikazuki… Fiche-le camp ! ordonna Ryô.

-Quoi ? Non, je vais pas te laisser…

-Réfléchis, idiote ! Je peux à peine bouger et ils arrivent ! Toi, tu peux encore courir et t’échapper !

-Mais…

-Je vais les retenir, le temps que tu sortes. Alors, vas-y… !

Elle le vit resserrer encore plus sa main sur sa poitrine, preuve que la douleur devenait de plus en plus forte. Elle ne voulait pas. Elle refusait de faire ce qu’il lui demandait. Il n’était pas la personne la plus gentille qu’elle connaissait mais Ryô, après tout ce temps, avait gagné une importance pour elle. Même si elle se doutait bien qu’il ne ressentait pas la même chose, elle le considérait comme son ami, presque comme un frère. Alors, l’abandonner ? Jamais !

-Je… !

Il ne lui laissa pas le temps de dire un mot de plus, l’attrapa par le col et lui donna un coup de tête. Le choc lui fit voir des étoiles et il lui fallut un instant pour comprendre ce qui venait de se passer.

-DISCUTE PAS ET FICHE LE CAMP ! hurla Ryô. Si tu tiens tellement à me sauver, sauve-toi d’abord et va chercher de l’aide !

Elle le regardait, au bord des larmes à cause de la douleur du coup porté plutôt et de l’idée de le laisser seul. Les bruits de pas se rapprochaient et finalement, il lui imposa sa décision en la jetant vers le chemin de la sortie.

-PARS !

Mikazuki le regarda se relever péniblement, luttant pour respirer normalement, serrant le couteau qu’il avait volé et se tenir debout dans ce tunnel pour faire face au danger. Elle versa une larme puis se leva… et comme il lui avait ordonné, elle courut en direction de la sortie. Elle entendit les nains arriver et hurler qu’ils ne leur échapperaient pas. Elle entendit leurs pas se précipiter derrière elle puis le cri enragé de Ryô, mais elle ne se retourna pas et continua de courir. Elle grimpa à cette échelle pourrissante aussi vite que possible, alors que des cris d’horreur, de douleur et d’agonie résonnaient derrière elle. Ceux des nains. Elle dut donner plusieurs coups sur la trappe pour qu’elle daigne enfin s’ouvrir et qu’elle puisse enfin sortir. Mais pas le reprendre son souffle ! Elle se remit à courir, courir aussi vite que possible. Tant pis si son corps criait au supplice après autant d’effort ! Elle devait faire vite ! Si elle traînait trop, Ryô… Ryô allait…

-AU SECOURS ! Quelqu’un, à l’aide !

Tout en courant dans les rues, elle chercha de l’aide quitte à épuiser son souffle encore plus. Qu’importe si elle passait pour une démente, le temps pressait. Après avoir hurlé dans les rues, elle fut arrêtée par deux gardes faisant leur ronde, qui lui demandèrent ce qu’elle avait à crier comme ça. Elle tenta de leur expliquer mais malheureusement, elle comprit vite qu’il se fichait de ce qui lui arrivait et qu’il voulait juste qu’elle se taise, pensant qu’elle n’était qu’une mendiante qui cassait les oreilles de tout le monde, à cause de son apparence sale et de son odeur désagréable. Elle n’en revenait pas : quelqu’un était en danger et ils refusaient de l’écoutaient à cause de choses sans importance ! Elle ne se gêna pas pour les insulter et dire qu’elle irait chercher quelqu’un d’autre. L’un des gardes n’ayant pas apprécié qu’une gamine l’insulte, il la frappa d’un revers du poing et commença à la piétiner, en lui disant de rester à sa place. Elle se protégea la tête du mieux qu’elle put, tout en se maudissant d’être si faible. Si elle avait eu la force nécessaire, elle serait restée défendre Ryô ou aurait pu tenir tête à ce garde qui la malmenait… Finalement, comme toujours, elle laissait le monde la malmener sans pouvoir faire quelque chose.

Tu veux changer, n’est-ce pas ?

Une voix avait résonné. Elle ne l’avait pas entendu grâce à ses oreilles. Elle l’avait entendu directement dans sa tête… Une voix inconnue…

-QU’EST-CE QUE VOUS LUI FAÎTES !

Cette fois, elle reconnue la voix ! Le garde avait cessé de la frapper et regarda en direction d’une rue. Mikazuki leva les yeux et, à sa grande joie, vit Alicia, accompagnée par ses deux autres enfants, de Hela et de quelques membres de la bande.

-MIKAZUKI !

Alicia se précipita vers la petite et n’hésita pas à bousculer le garde pour la prendre dans ses bras. Le garde, mécontent, était sur le point d’attraper son arme et son collègue allait suivre le mouvement mais les membres des Ailes de Vanaheim virent aussitôt faire bloc pour protéger leur chef. Étant en infériorité numérique, les deux gardes laissèrent finalement tomber et lancèrent que la gamine n’était pas leur problème, de toute façon, avant de s’en aller.

-Mikazuki ! Tu es blessée…, fit Alicia. Mais ! Où est Ryô ? Où est-il ?

Sophie était au bord des larmes alors qu’elle demandait pardon à Mikazuki en disant que c’était de sa faute, tandis que Mikhail essayait de la calmer.

Mikazuki lui raconta alors tout : l’enlèvement au marché, les retrouvailles avec le nain au nez à la forme de patate, les égouts… mais surtout le fait que Ryô lui avait ordonné de se sauver, alors qu’il était en pleine crise. En entendant cela, Alicia blêmit et demanda à Mikazuki si elle était capable de retrouver l’endroit d’où elle se serait échappée, ce qu’elle confirma d’un signe de la tête.

Sans perdre plus de temps, ils la suivirent jusqu’à la trappe et descendirent en prenant garde à ne pas casser l’échelle. Dans ce tunnel mal éclairé où elle l’avait laissé, ils furent témoin d’un spectacle horrible : des corps de nains sans vie, mutilés souvent de manière brutale. Certains étaient morts à la suite de nombreux coups de couteaux, d’autres avaient eu le crâne fracassé contre les murs… L’un d’eux avait même été noyé dans une flaque d’eau croupie. Un peu plus loin dans le tunnel, on pouvait entendre du bruit. Alicia fit signe aux enfants de rester ici, tandis qu’elle et ses hommes s’avancèrent avec prudence. Sophie tenait fermement la main de Mikazuki, inquiète et effrayée par ce qui pouvait se terrer plus loin. Mikhail ne le montrait pas mais lui aussi semblait inquiet. Hela, elle, tentait de faire bonne figure en gardant un calme à toute épreuve.

Soudainement, un cri de rage résonna dans le tunnel, provenant d’une voix plus que familière pour eux. Ryô !

Faisant abstraction des consignes d’Alicia, les enfants coururent ensemble pour rejoindre les adultes, regardant quelque chose d’horrible. Sophie et Mikhail se stoppèrent et plaquèrent leur main devant leur bouche pour s’empêcher de vomir et Hela détourna les yeux. Mikazuki, pour sa part, ne put détacher le regard : le nain au nez en forme de patate gisait sur le sol, horriblement mutilé, couvert d’entailles, les tripes à l’air, les côtes apparentes… Si son visage n’avait pas été plus ou moins identifiable, on n’aurait pas fait la différence entre son cadavre et une carcasse de viande provenant de chez un boucher. À côté, Alicia retenait Ryô, pris d’une sorte de folie, dans ses bras, couvert d’encore plus de sang que lorsque Mikazuki l’avait laissé. Aussi de son sang que de celui de ses victimes. Le garçon se débattait comme une bête, comme encore insatisfait du carnage qu’il avait perpétué. Au point où les mots de sa propre mère ne l’atteignaient pas quand elle lui demandait de se calmer. Finalement, quand il commença à se montrer violent envers elle, elle le maîtrisa et le soumit à l’aide d’une prise jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Tout du long, Mikazuki et tous les autres virent le visage empli de tristesse d’Alicia lorsqu’elle dut faire cela et tous, sans exception et sans le montrer, avaient le cœur déchiré. Ryô était à présent inconscient mais aussi calme comme s’il s’était simplement endormi après une journée éreintante. Alicia porta son fils aîné dans ses bras et ordonna un retour au camp. Dans le silence.

Ainsi, ses hommes l’escortèrent, elle et les enfants, à travers la ville. Les passants étaient horrifiés de voir un enfant couvert de sang, ignorant qu’une bonne partie n’était pas le sien, mais semblaient aussi désolés pour la mère qui le portait en le berçant un peu, comme s’il s’agissait d’un nouveau-né. En voyant l’état de Ryô, Mikazuki se sentit encore plus désolée de son impuissance…

En arrivant au camp, il y avait déjà une foule rassemblée pour accueillir Gastar, un membre de la bande parti depuis longtemps, qui était revenu parmi les siens en compagnie d’un médecin, le docteur Alcott, et de toute sa famille. Alors que Gastar se faisait disputer et insulter par de tous les noms par Stella pour être partit si longtemps en donnant trop peu de nouvelles, cette dernière aperçut Alicia revenir et se précipita aux nouvelles. Bien vite, la bonne humeur de retrouver l’un des leurs et d’accueillir de nouveaux compagnons disparue pour laisser place à de l’inquiétude. Le docteur Alcott fut sollicité pour soigner le fils de la chef de la bande de ses blessures et plus tard, l’examiner pour son mal. De son côté, on emmenait Mikazuki pour voir ainsi que soigner ses blessures plus légères, mais aussi pour qu’elle puisse se changer, se laver et manger quelque chose.

Plus tard dans la soirée, la nouvelle comme quoi Ryô était tiré d’affaire fit vite le tour du camp, provoquant un soulagement de la part de tous. Sophie, rassurée, vint proposer à Mikazuki de venir avec elle apporter son dîner à son frère aîné. Chose qu’elle accepta. Une occasion de voir de ses yeux comment il allait. Elles lui prirent du pain, de la viande séchée et de l’eau, en pensant qu’il voudrait sans doute quelque chose de facile à manger…

Alors qu’elles étaient sur le point de pénétrer dans la tente d’Alicia, elles surprirent une discussion en elle et le docteur Alcott :

-Vous savez de quoi souffre mon fils ? demanda Alicia.

Aussitôt, Sophie fit signe à Mikazuki de rester silencieuse.

-Oui, madame. J’ai eu, par le passé, l’occasion de côtoyer quelques Majins, quand j’étais sur un bateau en route pour ce continent.

-Et vous en êtes sorti vivant ?

-Heureusement pour moi, ceux-là avaient bon fond. Ils m’en ont bien appris sur eux et comment les soigner. Et ils m’ont parlé d’une maladie qui touche souvent « ceux qui n’ont pas le sang pur », comme ils le disent. Or, votre fils étant à moitié…

-Docteur, venez-en au fait. De quoi souffre mon fils ?

-Madame…

Le docteur Alcott prit une profonde respiration et répondit :

-Votre fils souffre d’une maladie que les Majins appellent le Souffle du Démon, qui provoque un affaiblissement de celui qui porte la maladie ou d’une montée soudaine et violente de son agressivité et de sa force. Dans de rares cas, comme pour votre fils, les deux symptômes coexistent. Cette maladie est rare chez les Majins de sang pur et son évolution se fait presque comme la varicelle chez les humains : une fois qu’on l’a attrapé, on ne peut pas l’avoir de nouveau. Ou plutôt, rarement. Mais d’après ce qu’ils m’ont dit, les enfants issus d’union entre un ou une Majin avec une autre race, c’est une toute autre histoire…

-Il… il n’y a rien que vous puissiez faire.

Le docteur Alcott poussa un soupire puis continua :

-Ils ont mis au point une concoction qui permet de régler le problème d’affaiblissement de votre fils. Je peux la préparer avec les bons ingrédients. Par ailleurs, par précaution, il vaudrait mieux que j’examine vos trois autres enfants.

-Deux, corrigea Alicia. Mikhail et Sophie. Hela est ma nièce et à moitié humaine donc aucun de risque.

-Je vois.

-Docteur… Ne peut-on rien faire pour les crises de violences ? Jusqu’à aujourd’hui, je pensais que c’était gérable mais maintenant qu’il a tué…

Le docteur resta silencieux un instant, puis dit :

-Ce que je vais vous dire ne tient que de rumeur. Même les Majins que j’ai rencontré n’étaient pas sûrs de ce qu’ils avançaient.

-Qu’importe ! Dîtes-moi !

-Selon eux, il existerait bien un moyen pour calmer ces pulsions. Les calmer, pas les supprimer. Une potion.

-Donc, en trouvant un alchimiste qui s’y connait en traitement pour les non-humains comme les Majins, nous…

-Non, non, madame. Ce n’est pas le genre de potion qu’un simple alchimiste peut confectionner.

-Mais alors, qui ?

Le docteur prit une nouvelle respiration, comme pour tenter de conserver son calme.

-Une Sorcière, madame.

-Quoi ?

-Je suis on ne peut plus sérieux. Ils m’ont dit qu’une potion spécifique créée par des sorcières auraient le pouvoir de calmer de tels symptômes.

-J’ai entendu des rumeurs sur ces Sorcières qui vivent caché sur ce continent, mais à entendre ceux qui en parlent, on tient plus de la légende ou du conte.

-C’est ce que je pense aussi. Mais ces Majins y croyaient dur comme fer. Moi, je reste sceptique mais ne rejette pas l’idée.

Alicia plongea son visage dans ses mains, comme abattue par la nouvelle.

-Même si je mobilise des gens pour trouver ces Sorcières, dans l’éventualité qu’elles existent, qui sait combien de temps cela prendra…

-Je suis navré de ne pas pouvoir faire plus, madame.

-Ne vous excusez pas, Docteur. Le fait que vous pouvez au moins atténuer son mal est déjà une bonne chose. Combien de temps vous faudra-t-il pour confectionner ce breuvage pour mon fils ?

-J’ai déjà la plupart des ingrédients dans mes affaires. Mais certains manquent et il faudra que je m’approvisionne auprès d’un herboriste ou d’un alchimiste. Après, pour la préparation, une demi-journée suffira pour en faire assez pour tenir une quinzaine de jours.

-Merci. Je vous donnerai de quoi acheter cela en ville demain. En attendant, vous et votre famille êtes la bienvenue parmi nous.

-Je vous remercie. Sur ce, je vais prendre congé.

Le docteur Alcott prit alors ses affaires et quitta la tente, non sans croiser les deux jeunes filles et les salua avant de rejoindre sa famille. Sophie et Mikazuki entrèrent alors et dirent à Alicia qu’elles apportaient de quoi manger pour Ryô. En omettant le fait qu’elles avaient entendu la conversation. Alicia les remercia et posa le repas sur la table, Ryô s’étant endormi.

Ce soir-là, Mikazuki fut autorisée à dormir dans la tente d’Alicia. Elle lui fit même une place dans le lit avec elle, Sophie et Ryô. Elle était un peu gênée de partager un lit avec un garçon et eut un peu mal à fermer l’œil de suite.

Allongée sur le dos et faisait rouler les perles de son nenju entre ses doigts, elle repensait à ce qui s’était passé aujourd’hui et ce qu’elle aurait pu faire. Ce qu’elle aurait dû faire. On lui apprenait à se battre, se défendre mais jusqu’ici, elle n’en faisait rien. Elle restait passive aux évènements, comme pour espérer qu’une situation allait se régler seule. Maintenant qu’elle était officiellement libre, comment comptait-elle rentrer chez elle, si elle n’était même pas capable d’empêcher qu’on l’enlève ? Qu’avait-elle fait, depuis que les Ailes de Vanaheim l’avaient recueilli ?

Ce soir-là, elle jura. Elle se jura de changer. Pour son bien. Pour montrer sa reconnaissance envers Dame Alicia qui l’avait sauvé d’une vie d’esclave et envers Ryô, qui lui a permis aujourd’hui de conserver sa liberté retrouvée.

Oui, elle devait changer et elle allait le faire.

Sur cette pensée, elle parvint enfin à s’endormir, non sans se blottir un peu contre ce garçon stricte et sévère qu’elle appréciait un peu plus qu’avant.

Ne t’en fais pas, Mikazuki… Tu ne seras pas seule. Je te soutiendrai toujours, même si pour l’instant, ma voix est encore lointaine…

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