02. Les Ailes de Vanaheim

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Les jours suivants furent pluvieux.

Le groupe de mercenaires avait levé le camp pour se mettre en marche, afin de rejoindre leur prochain travail. L’or, à l’inverse de la pluie, malheureusement, ne tombait pas du ciel et Alicia, en tant que chef, avait la responsabilité de nourrir les bouches de ses hommes et de leurs familles.

Au début, Mikazuki, en plus d’un entraînement en vue d’en faire une pugiliste, était chargé des tâches ménagères telles que la cuisine, s’occuper des quelques bêtes qu’ils possédaient ou nettoyer le linge sale, souvent tâché par le sang.

À la tombée du jour, elle devait tenir compagnie à Ryô. Comme convenu et sur demande de sa mère, Ryô apprenait aussi à Mikazuki à lire et à écrire autant le pendragonien que la langue commune.

C’était quelqu’un, en apparence, de calme, mais la jeune fille sentait bien que la patience dans le domaine de l’apprentissage envers autrui n’était pas l’une de ses vertus. Il avait tendance à s’énerver et à hausser le ton quand elle ne comprenait pas quelque chose qu’il trouvait simple. Heureusement, Sophie n’était jamais loin pour prendre la défense de Mikazuki. La plupart du temps.

Sophie agissait en vraie grande sœur à son égard, ce qui changeait du fait qu’elle était la petite soeur. C’était de sa bouche que Mikazuki appris que les trois étaient des triplés, comprenant enfin pourquoi leurs visages étaient si semblables même pour des frères et sœur.

Elle nota également des traits communs avec Hela, l’autre fille à la chevelure blanche. Sophie lui expliqua, lors d’un repas, que Hela était leur cousine. Que la mère de cette dernière, leur tante, était morte en la mettant au monde et que depuis, la mère des triplés prenait soin d’elle.

Cette dernière était d’ailleurs très occupée car Mikazuki n’avait plus eu l’occasion de lui parler. Elle l’apercevait souvent de loin, à donner des directives aussi bien à ceux qui restaient au campement qu’à ceux qui partaient après avoir accepté un travail.

Elle s’estimait chanceuse de sa situation, car elle découvrit bien vite qu’Alicia n’hésitait pas à envoyer des enfants sur le champ de bataille. Pour beaucoup, des orphelins ou des fils et filles de mendiants qui avaient été recueillis un peu partout et qui cherchaient un moyen de gagner de l’argent.

Eux aussi devaient gagner le droit de rester. La seule éducation qu’ils recevaient, c’était l’art de la guerre. De nombreux enfants, souvent les plus âgés, qu’elle croisait affichaient fièrement leurs cicatrices gagnés lors de précédents combats. Leurs trophées.

Souvent, certains d’entre eux, quand ils avaient du temps libre, s’amusaient à persécuter les plus faibles ou ceux qui ne pouvaient pas, pour diverses raisons, se rendre sur le champ de bataille. Dont Mikazuki.

Plus d’une fois, ces « enfants » venaient la bousculer sans raison pendant ses corvées, en la traitant de « boniche » ou de « moins-que-rien ». Ils riaient en lui arrachant le linge fraîchement lavé pour le jeter sur le sol boueux et lui faire recommencer, ce qui lui valut plus d’une fois de se faire disputer. Ils prenaient un malin plaisir à lui cracher dessus par jeu ; à renverser exprès sa gamelle de nourriture sur sa tête. Et bien d’autres choses…

Quand il entendait parler d’eux, Mikhail se donnait pour mission de corriger ces « crétins », comme il les appelait. Nombre de ces enfants étaient plus âgés et plus grand que lui et pourtant, il arrivait à leur tenir tête du haut de ses dix ans. Après ces bagarres, il en sortait avec plusieurs bleus mais de l’autre côté, ses victimes s’estimaient heureuses de n’avoir que la bouche en sang et des dents cassées à la fin. Dans le meilleur des cas.

Mikhail possédait une force anormale pour un enfant et il n’était pas du genre à retenir ses coups. Si bien que quand ses poings s’abattaient, ceux qui avaient l’ouïe très fine, comme les créatures à longues oreilles nommées elfes, pouvaient entendre des os se briser.

Évidemment, il se faisait réprimander par les adultes quand il faisait ça. Surtout par sa mère, qui n’hésitait pas à le frapper en guise de punition. D’un autre côté, les actions du petit lui rendait un peu service : cela permettait d’encadrer un peu les trouble-fêtes.

Quelques jours plus tard.

Mikazuki venait de terminer son entraînement matinal. Malheureusement pour elle, son instructeur trouvait qu’elle était trop lente pour apprendre, à l’inverse des autres recrues. En conséquence, il la battait ou forçait les autres à la battre. Il avait beau prétexter que c’était pour son bien, tout le monde voyait qu’il prenait un certain plaisir à la malmener.

Quand venait le moment du déjeuner, Mikazuki était seule car les autres enfants craignaient de se faire aussi persécuter par les plus vieux s’ils la voyaient en sa compagnie.

Mais quand elle le pouvait, Sophie se joignait à elle pour la réconforter. Pour Mikazuki, cette fille était un peu son rayon de soleil dans sa nouvelle vie nuageuse. De temps à autre, Mikhail était aussi présent ainsi que Hela mais ils échangeaient très peu avec elle. À croire que c’était surtout sur demande de Sophie s’ils étaient présents…

L’un des rares jours sans pluie en cette saison, Sophie était seule pour lui tenir compagnie pour manger. Chaque fois que cette dernière voyait de nouveaux bleus et blessures sur Mikazuki, elle était horrifiée mais surtout peinée.

-C’est injuste…, dit-elle. Tu ne devrais pas subir tout ça. Je vais demander à Maman de te cantonner aux tâches ménagères.

-Non, ça ira, assura Mikazuki de façon peu convaincante en essayant de cacher un bleu. Je dois juste faire plus d’efforts pour ne pas ennuyer les autres…

-Mais ce n’est pas une question d’ennuyer les autres ! C’est pour ta sécurité que je…

Sophie n’eut pas le temps de terminer sa phrase que quelqu’un la bouscula et la fit tomber par terre.

C’était l’un des enfants qui s’en prenaient à Mikazuki.

Lorsque cette dernière se leva pour aider son amie, un autre vint lui flanquer un coup de poing au visage pour l’envoyer à terre. Ils avaient déjà été violent auparavant mais jamais à ce point ! Du moins, en dehors des demandes de l’instructeur…

Elle tenta de se relever, la bouche en sang, lorsqu’elle vit le plus âgé de la bande s’avancer vers elle. Les autres l’appelaient Drum et c’était une véritable brute qui adorait s’en prendre à plus faible que lui, surtout les plus jeunes. Il avait pris Mikazuki en grippe dès son arrivée, sous prétexte qu’elle était tout le temps fourré dans l’entourage de la chef mais surtout, parce que c’était une étrangère.

-Alors, la parasite ? C’est bon, ce que tu manges ? Hein ? Alors que tu fais rien pour le mériter !

Sans crier gare, il lui donna un violent coup de pied à l’estomac alors qu’elle était encore au sol, lui faisant vomir ce qu’elle venait de manger. Sophie se débattait au sol tandis que les petits camarades de Drum la retenaient en rigolant. Et bien sûr, aucun adulte dans les parages et les autres enfants préféraient détourner le regard pour ne pas être mêlés à ça. D’habitude, Drum se contentait de coups retenus sur Mikazuki pour ne laisser que des bleus et de légères coupures mais aujourd’hui, il semblait avoir envie de frapper de toutes ses forces.

-T’as pas le droit de manger la nourriture qu’on gagne ! T’as même pas le droit d’être ici ! La chef aurait dû te laisser avec tes petits copains ou te revendre ! Avec l’argent, on aurait pu se payer pleins de choses ! Parasite ! Sangsue !

Tout en la couvrant d’insultes, il la piétinait avec rage alors qu’elle tentait de se protéger au moins le visage avec ses petits bras maigres. Alors que les coups lui pleuvaient dessus, son nenju qu’elle prenait soin de cacher s’échappa de ses vêtements. Quand elle s’en rendit compte, elle voulut tendre le bras pour l’attraper mais Drum lui écrasa la main avec un rire sadique et ramassa l’objet.

-C’est quoi, ce truc ? Une babiole de ton pays ?

-Rends-le moi !

Mikazuki se releva d’un bond et lui sauta dessus pour lui reprendre son bien mais ne reçut à la place qu’un coup de genou dans le ventre.

-Oh, ça a l’air d’avoir de la valeur pour toi… Ce serait bête qu’il se casse…

À la prononciation de ces mots, elle comprit ce qu’il projetait de faire. Elle tenta de se relever, tandis que Drum entamait déjà le mouvement pour briser le précieux trésor de la petite fille. Tout ce qui lui restait de son pays natal mais surtout, de sa défunte mère. Elle tendait le bras avec la force du désespoir. Les larmes lui montèrent aux yeux car au fond d’elle, elle savait qu’elle n’y n’arriverait pas à temps.

-TOUCHEZ PAS À MA SŒUR, BANDE D’ENFLURES !

Ces cris stoppèrent net Drum et Mikazuki, qui se retournèrent pour voir Mikhail débarquer en hurlant et dégager ceux qui maintenaient Sophie au sol à grands coups de poings violents dont il avait le secret. Dans sa rage, il en plaqua même un au sol pour le rouer de coups au visage.

-Sale petit…

Drum s’apprêtait à accourir aider ses complices et donner une leçon au sale crétin qui osait s’en prendre à eux, même si c’était le fils de la chef. Mikazuki était sur le point d’avertir Mikhail du danger, lorsqu’elle vit Ryô débarquer de nulle part et, sans sommation, venir asséner un coup de pied dans la rotule de Drum et le mettre à genou. Criant de douleur et fou de rage, il se releva et tenta de répliquer par un revers du poing, que Ryô évita avec aisance. Le petit garçon lui saisit alors le poignet. On aurait pu croire que Drum se serait dégager facilement, étant plus imposant qu’un enfant de dix ans, mais ce ne fut pas le cas. À croire que Ryô disposait d’une force hors norme. Profitant de sa position de force, il donna un coup si violent au bras de Drum… qu’il le lui cassa en deux, faisant ressortir l’os de sous la chair. Drum hurla de plus belle, en plus de pleurer comme un nouveau-né en se roulant par terre. Ryô vint ensuite lui attraper l’autre main qui tenait le nenju de Mikazuki pour le lui reprendre, mais Drum refusait de lâcher prise et à trop forcer, l’objet risquait de se casser. Elle vit alors Ryô prendre un à un les doigts de sa victime et, avec une effroyable facilité, les lui cassa pour qu’il lâche prise. Les cris n’en furent que plus forts, si bien qu’ils attirèrent enfin des adultes.

À leur arrivée, ils attrapèrent et maîtrisèrent Mikhail qui avait transformé le visage de l’un de ceux qui s’en prenaient à sa sœur en viande saignante. Par contre, nul n’osa s’approcher de Ryô lorsqu’ils virent ce qu’il avait fait à Drum. Le garçon se releva tranquillement et rendit brutalement son bien à Mikazuki.

-Surveille tes affaires, lui dit-il sèchement avant de repartir.

-M…merci…

Elle le vit s’éloigner sans rien dire de plus, mais remarqua vite qu’il titubait. Il avait la main sur sa poitrine et semblait avoir du mal à respirer.

-Ryô ?

Elle se précipita vers lui lorsqu’il tomba à genou sur le sol boueux. Les adultes, paniqués, hurlaient qu’ils faisaient une crise. Certains emmenèrent les enfants à l’abri tandis que d’autres l’entourèrent en lui demandant d’essayer de se calmer. Les respirations fortes de Ryô se transformèrent vite en grognements bestiaux effrayants. Quand l’un des adultes posa sa main sur l’enfant, ce dernier la dégagea violement… avant de lui sauter dessus et d’essayer de lui saisir la gorge avec ses dents ! Par chance, sa victime eut la présence d’esprit de se protéger avec son bras. Ils durent se mettre à quatre pour enfin maîtriser l’enfant qui se débattait comme un démon et le ramenèrent sous la tente de sa mère, alors qu’on redirigeait les blessés vers les médecins de fortune pour se faire soigner.

Mikazuki n’avait rien de grave, comparé aux autres. Sophie, au grand soulagement de son amie, n’avait rien. Mikhail, pour sa part, n’avait que des blessures légères mais on l’emmena à l’écart, alors qu’un adulte lançait qu’ils attendraient le retour de la chef pour qu’elle s’occupe de lui.

L’état de Ryô inquiétait un peu Mikazuki. Lorsqu’elle demanda à Sophie si cela lui arrivait souvent, cette dernière baissa la tête avec un air triste :

-Ça fait un mois, avoua-t-elle. Maman dit que ça doit être une maladie qui vient de la famille de Papa… Il devient violent mais après chaque crise, il s’affaiblit encore plus. Depuis, elle cherche un guérisseur ou un mage pour l’examiner.

Sophie se mit à pleurer.

-Je veux pas ! lui avoua-t-elle. Je veux pas le perdre aussi ! Je veux pas perdre mon grand frère !

Mikazuki ne comprenait pas complètement pourquoi Sophie tenait tant à son frère, qu’elle trouvait froid, intimidant, effrayant et à présent, bien plus violent que Mikhail. Mais d’un autre côté, cet amour fraternel n’avait rien de si surprenant. La pensée de son propre grand frère lui traversa l’esprit…

Alicia, à son retour, fut immédiatement prévenu des évènements s’étant déroulé. Mikhail s’en était sorti avec une tape sur les doigts, l’état de son aîné la préoccupant bien plus.

Mikazuki accompagna Sophie dans la tente, quand la mère de cette dernière s’y était précipité pour voir comment allait son fils. Ce dernier avait une poussée de fièvre et respirait fort. On lui avait posé un tissu trempé sur son front pour faire baisser la température. Ryô essaya de se redresser péniblement pour accueillir convenablement sa mère, mais cette dernière le força à rester allongé et lui ordonna de garder le lit jusqu’à ce qu’il se sente mieux. Le garçon grogna mais ne s’opposa pas à la décision de sa mère.

Ce soir-là, Mikazuki dût l’aider à manger, chose qu’il n’aimait pas. Pareil lorsqu’il fallait essuyer son corps transpirant. Mikazuki avait déjà vu le corps d’un garçon nu, ayant autrefois l’habitude, quand l’occasion se présentait, de prendre des bains avec son frère aîné. Mais contempler celui d’un garçon qu’elle connaissait à peine… Elle était un peu mal à l’aise mais Ryô, pour sa part, semblait n’en avoir cure. Une fois changé, il alla s’endormir sans dire un mot. Même pas de remerciements ! Mikazuki le trouvait peu reconnaissant et de plus en plus antipathique. Certes, elle lui était reconnaissante pour ce qu’il avait fait pour elle, plutôt dans la journée, mais son comportement, qu’elle trouvait désagréable, l’empêchait de vraiment l’apprécier.

Le lendemain, trois messages parvinrent à Alicia via aigles voyageurs.

L’un de ses hommes partit en quête d’aide pour Ryô semblait avoir trouvé un vieil alchimiste s’y connaissant en breuvage médicinal. Ce dernier vivait en périphérie d’une petite ville, à deux jours de voyage de leur emplacement actuel.

Un autre avait entendu parler d’un médecin qualifié d’excentrique par certains et de fou par d’autres, mais très érudit sur le soin des non-humains. Toutefois, ce dernier vivait, avec sa famille, sur les routes et l’homme d’Alicia l’avait trouvé à un lieu assez éloigné de la position du campement actuel. Toutefois, le médecin était disposé à venir examiner Ryô.

Enfin, le dernier message l’informa que son expéditeur avait eu vent de l’efficacité de sa bande et voulait l’engager, avec la promesse d’une belle somme en récompense.

Alicia consulta par la suite une carte, afin de noter la position de ses hommes ainsi que le point de rendez-vous donné par son potentiel client. Par chance, celui-ci se situait non loin de l’endroit où vivait l’alchimiste. L’occasion de faire d’une pierre deux coups, pensait-elle.

Elle envoya alors un message à son potentiel client pour l’informer de sa venue et de l’intérêt qu’elle portait pour le travail qu’il lui proposait. Elle en envoya ensuite un second message à l’homme qui avait trouvé l’alchimiste pour le prévenir de sa venue. Enfin, le troisième message demandait à celui qui avait trouvé le médecin de l’escorter, lui et sa famille, jusqu’à elle.

La fièvre de Ryô avait un peu baissé et le faire voyager n’allait vraisemblablement pas poser de problèmes.

Une nouvelle fois, la bande retourna sur les routes. Mikazuki restait avec Ryô, qui passa presque tout son temps à dormir dans le chariot transportant les affaires de sa famille. Il ne se levait que pour manger, faire ses leçons à la petite fille ou lire un peu pour lui-même. Malgré tout ce temps à se reposer, il semblait toujours fatigué, à la fin. La nuit, sa mère dormait près de lui, avec son frère et sa sœur, alors que Mikazuki retournait avec les autres enfants, qui lui demandaient comment allait Ryô. Elle se rendit compte, au fil des jours passés avec eux, que ce dernier possédait une certaine popularité chez les enfants de son âge ainsi que les plus jeunes. Particulièrement parmi les filles, qui le trouvaient très beau. Quant aux garçons, c’était sa force et sa capacité à tenir tête aux plus âgés qui lui valurent leur respect. Pour les enfants plus âgés, il inspirait essentiellement de la peur, encore plus après ce qu’il avait fait à Drum, qui ne pourrait plus aller sur le champ de bataille pendant des mois, au moins.

D’ailleurs, en parlant de Drum, ses petits compères laissaient Mikazuki tranquille depuis que Ryô l’avait corrigé…

Deux jours de voyage pluvieux plus tard, la bande arriva non loin d’un petit village.

Sur la plus haute colline des alentours se dressait une grande forteresse, où l’on pouvait voir de grands étendards flotter au gré du vent. Plus bas, on pouvait apercevoir un campement de soldats avec des étendards différents. Enfin, tout en bas, au même niveau du village et un peu à l’écart, une grande cabane avec un jardin où poussaient diverses plantes ainsi que quelques légumes. Selon l’éclaireur d’Alicia, il s’agissait là de la cabane de l’alchimiste mentionné dans la missive qu’elle avait reçue.

La bande établit son camp à l’orée d’une forêt proche tandis qu’Alicia, Stella et Astrid partirent pour rencontrer en premier lieu celui qui comptait se payer leurs services. Les trois femmes à cheval croisèrent un groupe de cueilleuses revenant des bois, qui les dévisagèrent du regard avant de presser le pas en direction du village. Ce genre de regard, Alicia s’en était habitué et cela ne la touchait plus, à présent. En revanche, Astrid ne pouvait s’empêcher d’exprimer ses envies meurtrières envers ce genre de personne, si bien que Stella dû lui rappeler de ne pas faire de vagues, pour le bien de tous.

Arrivé au campement, les femmes ne passèrent pas inaperçu : tous les soldats les fixaient à leur passage. D’admiration ou d’excitation, difficile à dire. Quand l’un d’eux leur demanda ce qui les amenait ici, sur un ton tout sauf plaisant, Alicia montra la missive qu’elle avait reçu quelques jours plus tôt et elles furent emmené à la rencontre de celui qui commandait.

Sous une tente imposante, elles rencontrèrent un homme avec une armure impeccable, qui n’avait visiblement presque jamais servis et une épée neuve qu’on devinait qu’elle n’avait que jamais été mise à l’épreuve. Et alors que ses hommes étaient couverts de boue rien qu’en marchant à l’extérieur, lui était propre comme un sou neuf. L’archétype même du noble qui semblait plus à l’aise pour commander que croiser le fer et qui ne souhaitait pas se salir pour quoi que ce soit.

-Ah ! fit ce dernier en voyant Alicia et sa suite. Je pensais avoir affaire au chef des Ailes de Vanaheim, pas à des messagères…

-Je suis la chef des Ailes de Vanaheim, lui lança froidement Alicia.

L’homme écarquilla les yeux de surprise puis toussa nerveusement avant de reprendre :

-Mes excuses. Je m’attendais à quelqu’un de plus… enfin, plus…

-Masculin ?

Les yeux d’Alicia furent aussi perçants que ceux d’un aigle, mettant cet homme de plus en plus mal à l’aise.

-Qu’importe ! s’écria-t-il pour passer à autre chose. Tout ce qui m’intéresse, ce sont vos compétences. Les vôtres et celles de vos hommes, cela va sans dire. On vous dit apte à vaincre bandits et créatures malines, mais que savez-vous de la conquête de forteresse ?

-C’est celle qui se trouve au sommet de la colline que vous visez ?

-Parfaitement ! Vous êtes perspicace pour une… BREF ! La forteresse appartenait à feu le comte de… Oh, cela ne vous intéressera pas. Tout ce dont vous avez besoin de savoir est que le propriétaire légitime repose à présent six pieds sous terre et que j’ai acquis ses terres légalement. Malheureusement, ses derniers et anciens vassaux me tiennent tête et refusent que je prenne ce qui me reviens. Et ils n’ont rien trouvé de mieux que de s’accaparer ma forteresse !

-Et vous n’avez pas assez d’hommes pour qu’ils s’occupent de la situation ?

-Bien sûr que si ! s’insurgea l’homme comme si Alicia venait de l’insulter. Mais je ne vais pas monopoliser autant de mes hommes pour quelques imbéciles loyaux envers un mort. Ceux que j’ai pris plus quelques mercenaires suffiront amplement !

Alicia comprenait surtout qu’il espérait faire des économies de ressources en agissant ainsi, aussi bien financières qu’humaines.

-Combien payez-vous ? demanda-t-elle, impatiente de repartir.

-Ceci !

D’un geste nonchalant, il lui lança à ses pieds une bourse pleine d’or. Alicia, contenant sa rage par rapport à un tel geste, la ramassa et compta le contenu. À peine trois cent couronnes d’or. Bien en-dessous de la valeur de la conquête d’un fort. Et de loin.

-C’est une plaisanterie ? lui demanda Astrid, furieuse.

-La moitié maintenant, l’autre quand le travail sera fait, se contenta-t-il de répondre.

-C’est bien trop peu par rapport au travail demandé, surtout !

L’homme éclata de rire.

-Vous pensez réellement que je vais payer une solde complète pour une bande de mercenaires qui comprend aussi de non-humains ? Estimez-vous heureux que je ne vous mette pas l’Ordre sur le dos ! Je connais personnellement des Inquisiteurs en manque d’hérésie à éliminer…

-Espèce de…, commença Astrid.

Il apparaissait clair sur son visage qu’elle aurait bien aimé sauter sur cet homme pour lui tordre le cou, si Stella ne la retenait pas. Alicia, qui restait en apparence imperturbable, soupira puis dit :

-Très bien. Nous vous fournirons des hommes à la hauteur de votre paye.

L’homme les regarda avec condescendance et les invita à partir, après leur avoir indiqué qu’ils lanceraient l’attaque demain au petit matin. Les trois femmes partirent donc, non sans qu’Astrid et Stella ne jettent un regard haineux envers cet homme.

-Saleté d’humain ! maugréa Astrid lorsqu’elles furent suffisamment loin. Cela me répugne de devoir prêter mon arme pour ce genre de raclure !

-Pour une fois, je rejoins ton sentiment, Sœur Astrid, approuva Stella. Dame Alicia, vous comptez réellement accepter son offre ? Je comprends que nous ayons besoin d’argent. Mais devoir combattre pour ce…

-Je comprends vos réserves, mes Sœurs. Mais nous avons accepté ce travail et nous l’accomplirons comme il se doit.

-Dame Alicia ! s’écria Astrid.

La concernée leva sa main pour faire comprendre à Astrid qu’elle n’avait pas son mot à dire.

-Comme convenu, continua Alicia, nous lui fournirons des hommes à la hauteur de sa paye

Astrid ne semblait pas saisir pourquoi sa Dame avait insisté sur ces mots, à l’inverse de Stella qui semblait plus rassuré sur les intentions de sa chef.

Avant de retourner au camp, elles firent un détour en direction de la cabane de l’alchimiste, alors que des nuages sombres s’amoncelaient. Elles virent une foule bruyante réunie à sa porte. Là, un vieil homme au visage bienveillant leur parlait tout en leur donnant diverses herbes ou décoctions.

-Tenez ! Avec ça, votre mari sera remis sur pieds en un rien de temps.

-Alchimiste ! Mon fils a de la fièvre depuis deux jours ! Je ne sais plus que faire !

-Donnez-lui ces herbes à mâcher. Attention, juste mâcher ! Et celles-ci, faîtes-en une infusion à lui faire boire. Si son état persiste après trois jours, revenez me voir !

-Alchimiste ! Ma serpe préférée s’est brisée pendant que je l’utilisais dans les champs ! Répare-la, je t’en prie !

-Va voir un forgeron pour ça, bougre d’âne !

Après avoir satisfait la demande de tous, en échange de quelques écus de cuivre, la foule se dispersa et l’homme était sur le point de rentrer chez lui, un sourire satisfait dessiné sur son visage. Alicia en profita alors pour l’interpeler :

-Alchimiste !

L’homme se retourna et son sourire disparu bien vite pour laisser place à un visage dur et bien moins amicale que tout à l’heure.

-Qu’est-ce que tu me veux ?

-Je cherche un remède pour mon fils. Il…

-Je peux rien pour toi ! Fiche-moi le camp !

-Je ne vous ai même pas dit de quel mal il souffre.

-Je sais. Et à titre personnel, je m’en fiche pas mal. À présent, déguerpis de ma propriété avant que je ne t’en chasse moi-même !

-Pourtant, vous étiez disposé à aider ces gens, un peu plus tôt.

-J’aide les humains ! dit-il en haussant le ton. J’ignore ce que vous êtes exactement, toutes les trois. Tu as l’apparence d’une humaine, peut-être une hybride ou quelque chose dans le genre. Mais j’ai vécu assez longtemps pour reconnaître les sales engeances que vous êtes, les non-humains. Je préfère encore embrasser un lépreux que donner l’un de mes remèdes à des erreurs de la nature tels que vous ! Alors qu’importe de quoi souffre ton bâtard, son sort m’indiffère et j’espère même qu’il n’y survivra pas ! Maintenant, dégagez de chez moi !

L’alchimiste rentra alors dans sa cabane en claquant la porte. Alicia fulminait de rage mais se retint de défoncer cette porte et d’aller donner une correction ce vieillard. Hors de question à présent que son fils doive sa vie à quelqu’un d’aussi méprisable ! Elle tourna les talons, rejoignit ses camarades et de retourner au camp. Non sans avoir donné un violent coup de pied dans une motte de terre pour évacuer sa colère avant de se mettre en selle.

Les remarques sur sa nature n’étaient pas rares depuis qu’elle avait immigré sur ces terres et à force, elle n’y prêtait presque plus attention. Mais au fond d’elle, une rage brûlante se réveillait à chaque insulte qui visaient l’un de ses enfants. Si cela n’avait tenu qu’à elle, cet alchimiste l’aurait payé de sa vie. Mais avec autant d’hommes armés non loin qui pouvaient s’en mêler et lorsqu’elle songeait à tous ces gens qui dépendaient d’elle, cela n’en valait pas la peine. Il ne restait plus qu’à espérer que le médecin qui viendrait dans les jours à venir serait plus apte à examiner son pauvre Ryô… En attendant, il fallait préparer ceux qui allaient participer à la bataille de demain.

Et pour ne rien arranger, il avait recommencé à pleuvoir…

Au camp, pas de repos pour les braves ni les jeunes. Même par temps de pluie, hors de question d’annuler un entraînement. Toutefois, ce dernier était écourté pour réduire le risque que les enfants ne tombent malades. Car un malade coûtait du temps et des ressources pour le remettre sur pied. Si c’était vrai, Mikazuki se demandait ce que pouvait bien coûter Ryô avec son mal étrange, tandis qu’elle se séchait dans la tente d’Alicia. La pluie était plus froide qu’à son habitude et cette fois, elle était accompagnée d’un vent aussi violent que froid. Autant dire que les chances d’attraper un rhume, dans le meilleur des cas, étaient grandes. Une fois sèche, elle commença ses habituelles leçons avec Ryô. Ce soir, c’était leçon d’écriture.

Mikazuki avait bien assimilé l’alphabet pendragonien et l’alphabet commun mais avait encore du chemin à parcourir pour écrire convenablement dans ces deux langues. Ryô paraissait plus faible qu’avant mais sa sévérité dans son enseignement n’en semblait pas affectée.

-Tu as encore fait une faute !

Il lui donna un coup de baguette en bois sur la main, lui faisant lâcher sa plume.

-AÏE ! Pourquoi tu me tapes à chaque erreur !

-Parce que le corps retient mieux que l’esprit. Corrige-toi et reprends !

Elle grogna un peu mais obéit et se remit au travail. Elle se concentrait du mieux qu’elle le pouvait pour ne pas commettre d’erreur mais ce n’était pas si simple. De manière globale, les mots pendragoniens n’étaient pas si compliqués à écrire pour la plupart et le parler se faisait facilement, avec une bonne pratique. En revanche, si la langue commune était certes à la portée de tous oralement, c’était tout l’inverse pour l’écrit. En plus de l’alphabet, il y avait un syllabaire comportant ses propres caractères à retenir. Retenir tout ceci donnait à Mikazuki le tournis et si ça n’avait tenu qu’à elle, elle aurait abandonné depuis un moment.

Mais l’abandon n’était pas une option pour Ryô et son caractère impitoyable. Toutefois, il savait aussi se montrer bon pédagogue : quand elle fautait et qu’elle n’en comprenait pas la raison, il prenait le temps de lui expliquer. Du moins, la première fois. Le faire patiemment tout du long aurait été sans doute mieux, pensa-t-elle. Par contre, il était sans pitié si après, on n’appliquait pas convenablement ses enseignements. Tout le contraire de l’instructeur de Mikazuki, qui n’essayait même pas de lui expliquer ce qu’elle faisait mal quand elle se trompait et qui se contentait de lui dire de faire comme les autres.

-Je ne suis peut-être pas faîte pour ça, dit-elle après avoir raconté cela à Ryô.

-C’est possible. Dans ce cas, on te cantonnera aux tâches ménagères. De toute façon, plus il y a de bras là-bas, mieux c’est.

-Mais Madame Alicia y croyait tellement… Je n’ai pas envie de la décevoir…

-Tu le fais pour elle ou toi, d’abord ?

-J’ai pas le droit de faire les deux ?

Ryô la fixa un moment avec un visage neutre et ne répondit pas, préférant retourner à sa lecture.

Après avoir fini ses exercices, elle les montra à son jeune précepteur. Ce dernier relut tout cela en silence puis repoussa le bout de parchemin usé. Il posa alors subitement sa main sur la tête de la petite fille et lui dit :

-Tu vois, quand tu peux…

Mikazuki était surprise. Elle ne l’avait jamais vu faire cela avec quiconque, hormis avec sa sœur Sophie ou sa cousine Hela. D’un geste, elle écarta rapidement sa main et le regarda en fronçant les sourcils :

-Je ne suis pas un chien !

-Techniquement, tu es encore une esclave. Donc, tu vaux encore moins qu’un chien.

Mikazuki fut choqué en entendant ces mots. Oui, elle le savait bien… Alicia lui avait clairement expliqué que, selon les lois de ce pays, elle était encore considérée comme une esclave. Et ce, jusqu’à ce qu’Alicia paye son affranchissemnt. Mais ce genre de démarche coûtait cher et ne se faisait pas partout. En repensant à tout cela, les larmes montèrent vite aux yeux de Mikazuki. Sa vie actuelle était certes légèrement mieux qu’auparavant, mais son statut n’avait guère changé. Ryô, encore une fois, lui caressa la tête :

-Arrête de pleurer. Ma mère fera aussi vite qu’elle peut pour changer ça.

La petite fille retint avec difficulté ses dernières larmes et le regarda. Son regard était confiant et assuré, comme s’il avait énoncé une vérité et non une éventualité. Cela suffisait à Mikazuki pour y croire, étrangement.

La leçon prit fin à la tombée de la nuit, quand Hela rentra dans la tente pour y allumer la lanterne, alors que Mikhail et Sophie ramenaient de quoi dîner, trempée jusqu’aux os à cause de la pluie, qui n’avait clairement pas l’intention de se calmer.

-Saloperie de pluie ! On doit se contenter de viande séchée avec du pain, puisqu’on ne peut pas faire de feu ! Et encore, si le pain ne s’est pas noyé…

-Mikhail ! Maman t’a dit de ne pas être si grossier ! s’indigna Sophie alors qu’elle donnait sa part à Mikazuki.

-Rien à foutre ! Je dis ce que je veux, quand je veux ! C’est bien elle qui encourage les autres à dire ce qu’ils pensent, non ?

-Elle dit aussi que la politesse n’est pas faîte pour les chiens, sombre crétin, marmonna Hela en allumant une autre lanterne pour faire plus de lumière.

-Répète un peu, pour voir !

-Quoi ? Tu es sourd, en plus d’être débile ?

Sur ces insultes, Mikhail se jeta sur Hela mais cette dernière l’arrêta dans sa course par un revers du poing avant de l’étrangler par derrière avec son bras. Mikhail avait beau se débattre, il ne parvenait pas à se libérer de l’étreinte de sa cousine. Alors qu’il était sur le point de perdre connaissance, Ryô, en se redressant sur le lit, intervint :

-Hela, je crois qu’il a compris. Lâche-le.

L’intéressée regarda son autre cousin et haussa les épaules, avant d’enfin lâcher prise. Mikhail tomba à genou sur le sol légèrement humide et se mit à tousser fortement, avant de reprendre lentement son souffle.

-Tu…me…le…paieras, lança-t-il entre deux inspirations.

-Mais oui, mais oui…

Les enfants mangèrent calmement, par la suite. Ryô termina en premier et se coucha tout de suite après, suivit de Mikhail qui s’installa sur une paillasse à même le sol. Après avoir lavé les gamelles avec de l’eau de pluie, Sophie demanda à Hela de leur raconter des histoires, du moins jusqu’au retour de sa mère. Hela était la plus instruite après Ryô et selon Sophie, c’était elle qui apprenait aux plus jeunes à lire et écrire, une bonne partie des adultes n’en étant pas capables car eux-mêmes analphabètes. Hela accéda à la demande de Sophie et prit un vieux livre de conte que possédait sa tante. Mikazuki connaissait quelques histoires de son pays, que sa grand-mère ou sa mère lui racontaient lorsqu’elle était enfant, mais aucune venant de Pendragon.

Hela, après qu’elles se soient installées sur le lit tout en évitant de réveiller Ryô, décida ensuite de leur raconter l’histoire d’Ulberth.

C’était l’histoire d’une petite fille qui emmena au petit matin son plus jeune frère en forêt, afin d’apporter de la nourriture pour un certain Ulberth. Mais le petit garçon se rendit vite compte que plus ils s’enfonçaient dans les bois, plus ces derniers semblaient inquiétants voire effrayants. Après ce qui fut une longue marche, ils finirent par tomber sur une vieille cabane perdue dans ces bois, aux planches pourrissantes et couvertes de mousse. La petite fille, plus guillerette que jamais, toqua à la porte de cette cabane, qui semblait être sur le point de s’écrouler au moindre souffle de vent. Le petit garçon, lui, était de moins en moins rassuré, surtout que cette partie de la forêt était anormalement sombre. Il supplia alors sa sœur de partir et cette dernière s’énerva. Elle s’énerva, s’énerva, s’énerva, au point de pousser son petit frère au sol pour le rouer de coups… avant de lui fendre le crâne avec une pierre posé au sol.

Mikazuki trouvait déjà cette histoire horrible, mais la façon dont Hela la racontait accentuait son côté terrifiant. Et ce n’était pas encore la fin…

Après avoir tué son frère, du bruit se fit entendre depuis la cabane. Un mélange de grognements et de rugissements animal. La cabane se mit à trembler. Des coups résonnèrent sur la porte. Depuis l’intérieur. Les coups devinrent de plus en plus forts. Puis, dans un grand fracas, la porte s’ouvrit. Peu après, une grande main… Non, une grande patte poilue et griffue sortit des ténèbres de l’intérieur de l’habitation. Et là, la petite fille, toujours le sourire aux lèvres, salua la chose qui vivait dans la cabane en l’appelant Ulberth. Elle s’excusa ensuite de ne lui apporter qu’un enfant bien maigre par rapport aux autres fois mais qu’avec le sac de nourriture qu’elle avait apporté en plus, son repas serait décent…

Sophie et Mikazuki étaient collé l’une contre l’autre, terrifiées. Hela, avec son sourire presque reptilien, semblait jubiler de l’effet escompté de sa lecture.

Ce fut à ce moment qu’Alicia rentra dans sa tente, trempée jusqu’aux os. Ce qui n’empêcha pas Sophie de se jeter dans les bras de sa mère, plus qu’effrayée, lui racontant ce qu’avait fait Hela. Sa mère soupira et la rassura en lui disant que ce n’était que des histoires, faisant de même avec Mikazuki, ce qu’elle apprécia grandement même si elle n’était pas sa fille.

La pluie se faisant plus forte, Hela et Mikazuki restèrent dans la tente pour la nuit. Le lit n’étant pas assez grand, Alicia et Sophie dormirent avec Ryô tandis que Hela et Mikazuki dormirent comme Mikhail sur une paillasse installée sur le sol, heureusement bien moins humide qu’à l’extérieur. La nuit fut bruyante, à cause des gouttes s’écrasant sur la toile de la tente, et froide, à cause d vent, mais Mikazuki préférait dormir à l’abri que sous une pluie glaçante, comme à son arrivée dans ce pays.

Au lever du soleil le lendemain, la pluie continuait inlassablement de tomber. Le sol était si boueux que les pieds s’y enfonçaient aisément jusqu’aux chevilles. Les troupes étaient sur le départ et l’assaut contre la forteresse était imminent. Le noble était bien entendu resté en arrière, dans son armure plus voyante qu’autre chose, s’imaginant sans doute déjà s’attribuer tous les mérites d’une victoire plus qu’évidente à ses yeux. Après tout, même si la forteresse était imposante, il n’y avait que des hommes sans chefs qui l’occupait, sans lui. Peut-être que dans son esprit, quelques ordres bien placés suffiraient et que tout coulerait de source. Il commença même à se demander si l’emploi de mercenaires n’était pas une mesure préventive excessive.

En parlant de mercenaires, il vit arriver Alicia, en compagnie de Stella et d’Astrid mais surtout accompagnée d’une troupe d’hommes et de femmes, humains comme non-humains. Il n’y aurait eu aucuns problèmes si le commandant n’avait pas remarqué que ces mercenaires ne possédaient pas tous un équipement digne de ce nom : leurs armes étaient de confection allant de médiocre à correcte, la plupart n’avaient que peu, voire pas du tout, de protections… Sans compter que c’étaient, pour la grande majorité, des jeunots qui n’avaient participé qu’à une voire deux batailles, tout au plus. Sans parler des quelques enfants parmi eux !

À la vue de ce spectacle qu’il trouvait scandaleux, le noble accourut vers Alicia, la rage peinte sur son visage :

-Qu’est-ce que cela signifie ! hurla-t-il en désignant la troupe d’Alicia.

-Je ne comprends pas, dit cette dernière en feignant l’ignorance.

-Vous vous moquez de moi ? Je vous paye pour des troupes et vous m’apportez… ça ! C’est une honte !

-Je vous l’ai pourtant dit : « je vous fournirai des hommes à la hauteur de votre paye ». Pour ce que vous avez payé, voici ce à quoi vous avez droit…

Le noble fulmina encore plus face à ces explications insatisfaisantes et scandaleuses à son goût, en plus de les trouver stupide.

-Maudite catin ! s’écria-t-il. Je m’en vais vous…

À peine avait-il posé ses doigts sur la poignée de son arme qu’en un éclair, Alicia dégaina la sienne et fondit sur lui pour lui mettre sa lame sous sa gorge. La garde rapprochée du commandant n’eut même pas le temps de le rejoindre, Stella et Astrid leur ayant déjà barré la route.

-N’insultez ni ne menacez quelqu’un qui peut vous faire passer de vie à trépas d’un geste, lui conseilla Alicia avec un calme presque glacial. Ensuite, voici comment vont se dérouler les choses : soit vous nous payez la solde normale pour ce genre de travail soit vous vous contentez de ce que je vous donne.

Elle pressa un peu plus la lame de son glaive contre la gorge de ce noble à sa merci.

-Il existe aussi une troisième option, continua-t-elle. Une option ô combien désagréable pour vous : vous refusez les conditions que j’ai énoncé plutôt et votre tête ne sera plus attaché à votre corps…

-Si vous me tuez, mes hommes vous taillerons en pièces ! assura-t-il, bien qu’une certaine inquiétude dans sa voix le trahît.

-Qu’ils viennent. Mes meilleurs hommes attendent en bas de la colline et sont prêts à venir à mon signal ou au moindre incident étrange. Les cartes sont dans votre main. À vous de bien les jouer, si vous avez un tant soit peu de jugeote…

Alicia ne pouvait pas le voir sous cette pluie battante, mais elle imaginait bien ce noble arrogant transpirer à grosses gouttes en pensant que sa vie pouvait prendre fin à cet instant précis, d’un simple mouvement. Ce n’était pas le premier noble auquel elle eut affaire. La plupart, convaincu que tout leur était dû de par leur naissance privilégiée, se permettaient tout et n’importe quoi. Ils se croyaient invincibles ; intouchables. Mais dès l’instant où on leur montrait qu’ils n’étaient finalement que des hommes qui pouvaient saigner et donc mourir, ils se montraient étrangement plus humble et ouvert à une discussion d’égal à égal.

Ce fut donc après réflexion que le noble accepta d’augmenter la solde qu’il devait à la bande d’Alicia. Cette dernière fut satisfaite et rangea son arme, avant de faire signe à l’un de ses hommes d’aller chercher le reste de la bande, tandis que le noble ordonna qu’on apporte l’argent manquant.

L’assaut sur la forteresse se fit peu après que les formalités furent réglées. Et comme l’avait imaginé le noble, cela se fit assez aisément mais pas comme il l’avait imaginé : ses troupes arrivaient à rivaliser avec l’ennemi mais étaient incapables de faire une percée pour investir les lieux, sans compter que les archers sur les remparts, même s’ils ne touchaient pas toujours leur cible, mettaient une pression constante aux hommes en contrebas. Il fallut attendre l’intervention des Ailes de Vanaheim et de leur force de frappe surprenante pour briser cet immobilisme. Là où les soldats normaux suivaient à la lettre les formations militaires classiques, les mercenaires des Ailes de Vanaheim osaient sortir des sentiers battus avec des stratégies parfois osées. Comme envoyer une petite troupe avec à sa tête un Orc assoiffé de sang semer la discorde dans les lignes ennemis, pour permettre à leurs alliés d’enfoncer la ligne de défense affaiblis.

Une fois cela fait, pénétrer dans la forteresse pour s’en emparer n’était plus qu’une formalité.

Ainsi, la bataille fut terminée juste à temps pour l’heure du déjeuner. Une fois payés, les mercenaires laissèrent le noble et ses hommes occuper les lieux.

Bilan de la bataille : bien des morts inutiles chez des soldats bien entraînés mais mal dirigés contre quelques blessés chez des mercenaires aux expériences diverses mais usant de stratégies audacieuses mais qui se sont révélé payantes.

À leur retour au camp, ces hommes et femmes, humains et autres, fêtèrent leur victoire en piochant dans les réserves de bonne chair et d’alcool. Même ce temps pluvieux ne semblait pas pouvoir d’éroder cette euphorie durement gagnée. À moins qu’il ne s’agisse de la paye qu’ils allaient recevoir sous peu. Et il ne fallait pas oublier que cette victoire leur ferait une belle réputation.

Du haut de ses huit ans, Mikazuki voyait tout cela.

Un jour, elle aussi devra prendre ces risques pour obtenir en récompense cette joie éphémère d’avoir survécu après une lutte acharnée. Elle aussi trinquerait avec ces hommes et femmes unis par de puissants liens alors qu’ils avaient ôtés la vie à d’autres personnes, dont les familles ne les reverraient plus jamais…

Elle n’était pas impatiente d’arriver à ce jour. Mais c’était la nouvelle vie qui l’attendait et chaque jour qui passait l’en rapprochait inexorablement…

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