PARTIE I - Dixième chapitre

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Eglantine n'avait pas répondu au message d'Harry. En fait, elle souhaitait encore qu'Harry n'ait pas comprit, et se cachait sous cette négation, ce refus de voir la vérité en face. Ce matin-là, lorsqu'elle s'installa sur son lit afin de rassembler les cours qu'elle avait au lycée aujourd'hui, elle avait peur d'affronter Harry, parce qu'elle affrontait la vérité horrifique de sa vie. La jeune femme n'avait jamais verbalisé ce qu'elle ressentait et elle était tétanisée de rendre ça encore plus réelle que ça ne l'était déjà si on lui demandait de s'exprimer sur le sujet. Son corps se tordait de douleur. Tout son être réclamait du repos mais elle n'en avait pas le droit. Elle étouffait déjà dans cet appartement, elle ne voulait pas que ça soit le cas au lycée également.

Elle rangea sa dissertation d'Economie dans son sac, la feuille froissée. Sa conclusion n'était même pas rédigée mais hier, elle avait été ravagée par la fatigue et elle sentait que son enveloppe corporel la lâchait, elle avait donc abandonné son devoir, se disant qu'elle pourrait le finir en Philosophie.

Elle rejoignit Juliette à l'intersection de sa rue, en roulant un joint et elle s'apprêtait à avoir une conversation compliquée avec elle.

_ Tiens, tu es donc vivante ? Ça fait trois jours que tu ne réponds à aucun de mes messages. J'ai eu peur Églantine pour toi. J'ai toujours peur de ce qui se passe dans ta tête. Cingla-elle

Églantine afficha une grimace de douleur.

_ Ça va, j'ai été beaucoup occupée ces derniers temps, je voulais te demander si toi tu allais bien ?

_ Pardon ? Occupée ? À quoi ? À te défoncer le cerveau avec toutes ses merdes ? Si tu veux savoir, non ça ne va pas, parce que j'ai l'impression que ma meilleure amie s'enfonce plus bas que terre et je ne sais plus quoi faire.

Églantine fut surprise du ton et des mots durs que Juliette balançait à son encontre. Surtout, que ce n'était pas vrai.

_ Je te dis que tout va bien, j'ai finis l'exposé avec Harry. J'ai passé pas mal de temps avec lui. C'est tout.

Elle fronça les sourcils.

_ Tu passes du temps avec Harry ? Ecoute, Eglantine, ce type n'est carrément pas bon pour toi. Je ne veux pas qu'il profite de toi. Tu t'es quand même disputé avec Liam pour lui, c'est dingue. Qu'est ce qu'il t'arrive ?

Églantine observa les traits figés et torturés de Juliette et elle se sentait coupable d'avoir négligé sa meilleure amie. Juliette n'aurait jamais fait ça pour elle. Elle était tout bonnement stupide et elle ne méritait pas son amitié. La jeune femme imaginait que ses poumons s'obstruèrent. Elle n'arrivait plus à respirer, avait mal et elle voulait se faire mal.

_ Je ne sais pas Juliette. Arrête s'il te plait. Je m'excuse d'accord. Je ne comprends pas pourquoi tu t'énerves comme ça. Je ne veux pas t'inquiéter. Je t'assure. Je veux juste que tu ailles bien et ça n'a pas l'air d'aller.

_ Non, ça ne va pas.

Et Églantine s'étonna. Cet aspect de fille chétive qui se recroquevillait sur elle-même disparut instantanément en même temps qu'elle comprit, qu'il y avait autre chose derrière la colère de Juliette. Elle répondit immédiatement

_ Que se passe-t-il ? S'enquit-elle interloqué et inquiète.

_ J'étais avec Niall, il y a deux jours, d'accord. On était bien, on parlait d'une fête qu'il organise juste avant les vacances de Noel. Il m'a embrassée.

Une larme roula sur sa joue en même temps qu'elle livrait ce moment.

_Je ne comprends pas ? Ça va Juliette ? Où est le problème ?

Et elle explosa.

_ Le problème, c'est qu'à la minute d'après, il me demandait de coucher avec lui... Je ne suis pas un objet Eglantine. Je ne couche pas comme ça, parce que j'ai bien parlé trois minutes avec un gars.

_ Et en plus un gars que tu aimes bien... Je suis désolée Juliette, j'aurais dû être là.

Elle enlaça Juliette, lui frottant le dos pour calmer ses sanglots étouffés dans son cou. Elle allait s'en mêler. C'était certain.

Harry était dans état morose aujourd'hui. Il s'était étiré sans grande assurance dans son immense lit, à l'intérieur de sa gigantesque chambre et son interminable manoir. Il se sentait plus seul que jamais. Il entendit des pas en direction de sa chambre. Ce n'était pas Edgar, il reconnaissait ses pas à dix kilomètres à la ronde. Il s'agissait de son père et quelque chose lui disait qu'il n'allait pas apprécier la conversation du tout.

Son père entre-ouvra la porte.

_ Harry, descend, il faut que nous parlions.

_ Oui, Père.

Il soupira. Discuter avec son père le matin n'amenait rien de bon, en fait parler avec lui tout court n'amenait rien de bon. Il se leva difficilement, enfila son jean péniblement puis il descendit les marches menant au rez de chaussée avec une nonchalance abrupte.

_ As-tu lu ou vu les nouvelles dernièrement ?

Il agissait toujours de cette manière. Il ne disait absolument rien sur l'entreprise Hardwell. Il attendait qu'Harry lise les informations et se renseigne par lui-même, parce qu'il souhaitait peut-être vérifier que son fils s'intéressa à l'entreprise, aussi par fierté, ou peut-être qu'il n'avait pas de temps à perdre avec lui. Quoi qu'il en soit, pour son paternel, Harry terminerait dans cette entreprise. Il prendrait la succession, c'était comme ça que ça devait se dérouler dans son esprit et pas autrement. Ce qu'Harry imaginait faire de sa vie ? Il n'en avait que faire. Qu'il perde son temps à Science-politique ? Il n'avait pas à agir ainsi. Son avenir était L'industrie Hardwell et c'était tout. C'était bien, c'était comme ça, sauf qu'Harry ne voulait pas la diriger. Il se passionnait pour les études de Sciences Humaines et Sociales et, non. Il n'était pas d'accord avec la politique de l'Entreprise que son père avait instauré parce que ça allait à l'encontre des valeurs qu'on lui avait inculquées, que son patriarche, lui même, lui avait transmis. Parfois il se laissait à rêver qu'il avait encore dix ans, sur les épaules de son paternel au milieu des métaux et des taules qu'on construisait, afin de lui apprendre la culture ouvrière de sa famille. Il adorait ces moments-là même si c'était de l'initiative d'Harry. Il aurait donné toute son âme pour que ce soit aussi l'inverse mais ça n'arrivait jamais. Harry venait toujours trouver son père aux endroits surprenants duquel il aimait se recentrer avec les yeux étincelants. C'était ce qu'il gardait en mémoire de meilleurs mais il en était jaloux parce qu'il aurait aimé que son père le couvre de ce regard flamboyant d'admiration mais ça ne fut pas le cas et ça ne le serait sans doute jamais.

Evidemment qu'il avait lu les dernières nouvelles, et ça l'attristait.

_ L'Entreprise s'implante au Japon et au Soudan.

Son père afficha un sourire sans précédent.

_ Exactement, le dur labeur paye mon fils. J'ai pensé que d'ici l'été, tu pourrais faire un stage au service de la direction. Je pense que ça serait une bonne immersion et ton avenir est là bas.

Et qu'est-ce que pouvait répondre Harry ? Il était dégouté par le sourire de son père. Qu'était-il arrivé à l'homme qui lui avait enseigné bien des valeurs contraires à celles qu'il prônait maintenant. Celle du profit au détriment de l'humain, des travailleurs. Il avait juste envie de faire partager son temps avec les mémoires de ses ouvriers, ça c'était de l'immersion, de la vraie et authentique immersion. De toute manière, il savait qu'il n'aurait pas le choix à propos de ce stage...

_ Très bien, faisons ça, mais je souhaite la moitié du temps, travailler avec les ouvriers de toute catégorie.

Son père se froissa et son visage se durcit.

_ Nous y voilà. Harry, tu apprendras davantage à la direction.

_ Non l'immersion c'est au sein de toute l'Industrie, pas seulement au sein de la direction, Papa.

_Tu as la journée pour te raisonner. Point. Va-t'en.

Et il s'exécuta. En six semaine, c'était le seul échange qu'il avait intenté avec son père. Edgar attendait à la sortie de la pièce.

_ Harry, je t'emmène au lycée, tu vas être en retard.

Voilà qu'Églantine était d'une humeur absolument exécrable. Elle n'avait pas reparlé du message d'Harry et Harry n'avait pas évoqué cette histoire alors elle le remerciait silencieusement pour ça, mais elle sentait que de toute manière, il avait d'autres choses en tête, des pensées qu'il le tracassait. Elle le savait parce qu'il pliait et fronçait toujours le nez de manière assez prononcé quand il faisait mine de se concentrer. Il ne l'était pas, c'était une parade, il ne réfléchissait pas au cours, parce qu'il restait figé. Son esprit était totalement ailleurs et elle ne pensait pas que son ailleurs soit un paradis au vu de la raideur et de la crispation de son visage.

_ Harry, tu peux me rappeler qui est à l'origine de l'Expérience de la soumission à l'autorité. J'ai pas entendu ce que le prof disait à l'instant.

Elle cherchait à le piéger pour qu'il avoue ou simplement qu'il parle de ce qui n'allait pas. D'habitude Eglantine s'en fichait parce que ce n'était pas la première fois qu'il agissait de cette façon mais elle ne s'en était jamais mêlé parce qu'elle était soit dans un état de léthargie totale, soit dans un état d'Euphorie, soit elle s'en fichait complètement. Seulement, elle ne pouvait s'y résoudre cette fois-ci. Il mettait trop le nez dans ses affaires donc elle pouvait faire de même.

_ Stanley Milgram en 1963.

Elle écarquilla si grand ses yeux qu'elle eut l'impression qu'ils allaient sortir de leurs orbites.

_ Comment tu fais ?

Il fronça les sourcils et se tourna de manière à la voir complètement.

_ ça, là. Penser totalement à autre chose tout en écoutant le cours.

Il se recula contre le dossier de sa chaise sérieusement surpris, et avant qu'elle ne le réalisa, un peu d'étincelles de colère jaillissaient de ses pupilles.

_ Qu'est ce que tu racontes ? cracha presque t-il.

_ Harry, c'est bon, j'ai aussi des moments inattentions. On en a tous, mais là tu me fais juste flippé. Qu'est ce que t'as ?

Harry était stupéfié qu'elle soit aussi perspicace. Il observa le monde autour de lui comme pour vérifier que personne n'était témoin de cette scène. ça l'ennuyait qu'elle le cerne aussi rapidement et bien. Ne dormait t-elle pas une fois sur deux, affalé sur la table. Comment avait-elle eu le temps de comprendre ça ? Même Niall n'avait jamais remarqué.

_ C'est rien, y'a pas que toi qui peut être toujours fatigué. Tu vois ça m'arrive aussi. Chuchota t-il.

Oui, parce qu'il avait en horreur le simple fait que Liam ou ces autres camarades de classe entendent ça. Il n'était pas faible, il appréhendait, saisissait chacune de choses qui lui étaient dîtes. Etre fatigué montrait qu'il n'était plus imperturbable mais vulnérable et il ne pouvait le supporter, mais il ne voulait pas mettre en porte à faux Églantine, lui montrer qu'il n'était pas un être surnaturel. Il ne désirait pas lui mentir sans vraiment avoir conscience du pourquoi il entretenait une sincérité dans leur relation pratiquement inexistante - croyait -il encore -.

Aurore Woods espionnaient les deux camarades de classe. Harry était à elle. Elle était la seule à le voir comme ce qu'il devenait réellement. Un homme qui allait être puissant. Il avait passé du temps ensemble mais il demeurait distant et ça l'agaçait. Parce que tout de suite, il n'avait rien de distant avec Églantine. Elle pensait être ce la fille qui devait être avec Harry. Elle possédait la détermination, l'élégance, et la sournoiserie quand il le fallait. Et ce Niall qui fricotait avec Juliette. Une fille tellement lisse. Elle ne se rendait même pas compte qu'il l'utilisait comme une traînée. Et Juliette s'entichait, encore un peu plus chaque jour. C'était à vomir. Le monde tournait à l'envers et elle avait l'intention de remettre les choses à leur places. Les catégories et les règles que cette société avait instauré implicitement devaient être respecté. La pression allait les faire lâcher, elle le savait.

Eglantine capta le regard insistant d'Aurore Woods et elle ne souhait pas attirer son attention. Jamais, il ne fallait être l'ennemi de cette fille. Elles n'étaient pas du même monde, clairement. Cependant, une question lui occupait l'esprit depuis le début de la journée, quelque chose de plus fort que de savoir ce que les yeux transperçant de colère d'Aurore Woods signifiaient, plus fort que le cours de Philosophie sur la soumission à l'autorité et plus fort que l'état de fatigue et de contrariété d'Harry. Les mots traversèrent la barrière de ses lèvres avant qu'elle ne les maîtrisent s'adressant à Harry.

_ Qu'est ce que Niall fout avec Juliette ?

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